John Pilger est un journaliste de nationalité Australienne, né à Sydney le 9 Octobre 1939, parti vivre au Royaume-Uni depuis 1962. Il est aujourd’hui basé à Londres et travaille comme correspondant pour nombre de journaux, comme The Guardian ou le New Statesman.
Il a reçu deux fois le prix de meilleur journaliste de l’année au Royaume-Uni (Britain’s Journalist of the Year Award). Ses documentaires, diffusés dans le monde entier, ont reçu de multiples récompenses au Royaume-Uni et dans d’autres pays.
John Pilger est membre, à l’instar de Vandana Shiva et de Noam Chomsky, de l’IOPS (International Organization for a Participatory Society), une organisation internationale et non-gouvernementale créée (mais encore en phase de création) dans le but de soutenir l’activisme en faveur d’un monde meilleur, prônant des valeurs ou des principes comme l’autogestion, l’équité et la justice, la solidarité, l’anarchie et l’écologie.
Article initialement publié le 30 septembre 2015, en anglais, sur le site officiel de John Pilger, à cette adresse.
George Orwell a écrit qu’à « une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ».
Notre merveilleuse technologie est devenue notre amie autant que notre ennemie. A chaque fois que nous allumons un ordinateur ou prenons en main un appareil électronique — les chapelets de ce siècle — nous sommes soumis à un contrôle : à la surveillance de nos habitudes et de nos routines, et aux mensonges et à la manipulation.
Edward Bernays, qui inventa l’expression « relations publiques », un euphémisme pour « propagande », a prédit cela il y a plus de 80 ans, en qualifiant ce phénomène de « gouvernement invisible ».
Il a écrit que « ceux qui manipulent cet élément invisible de [la démocratie moderne] constituent un gouvernement invisible représentant la véritable force dirigeante de notre pays… Nous sommes gouvernés, nos esprits sont façonnés, nos goûts créés, nos idées suggérées, en grande partie par des gens dont nous n’avons jamais entendu parler… »
Le but de ce gouvernement invisible est de prendre possession de nous: de notre conscience politique, de notre perception du monde, de notre aptitude à penser indépendamment, de notre aptitude à séparer le vrai du faux.
Il s’agit d’une forme de fascisme, un mot que nous avons raison d’utiliser prudemment, préférant l’associer aux troubles du passé. Mais un fascisme moderne insidieux est aujourd’hui le principal danger. Comme dans les années 1930, d’énormes mensonges sont délivrés avec la régularité d’un métronome. Les musulmans sont mauvais. Les fanatiques saoudiens sont bons. Les fanatiques d’ISIS sont mauvais. La Russie est toujours mauvaise. La Chine commence à le devenir. Bombarder la Syrie est bon. Les banques corrompues sont bonnes. La dette corrompue est bonne. La pauvreté est bonne. La guerre est normale.
Ceux qui remettent en cause ces vérités officielles, cet extrémisme, sont jugés comme fous — jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’ils ne l’étaient pas. La BBC fournit ce type de service gratuitement. Ne pas se soumettre c’est se voir qualifier de « radical » — peu importe ce que cela signifie.
La véritable dissidence devient exotique; et pourtant les dissidents n’ont jamais été aussi importants. Le livre que je lance ce soir, « Le dossier WikiLeaks », est un antidote au fascisme qui ne dit jamais son nom. C’est un livre révolutionnaire, tout comme WikiLeaks est révolutionnaire — dans la même veine que ce dont parlait Orwell dans la citation que j’ai utilisée au début de ce texte. Car il explique que nous n’avons pas à accepter ces mensonges quotidiens. Nous n’avons pas à rester silencieux. Ou, comme l’a autrefois chanté Bob Marley : « Emancipate yourself from mental slavery » (« Emancipez-vous de l’esclavage mental »).
Dans l’introduction, Julian Assange explique que ce n’est jamais suffisant de divulguer les secrets des grands pouvoirs: qu’il est crucial de les comprendre, ainsi que de les replacer dans le contexte actuel, et de les intégrer à la mémoire historique.
Tel est l’accomplissement remarquable de cette anthologie, qui se réapproprie notre mémoire. Elle connecte les raisons et les crimes qui ont entraîné tant de bouleversements humains, du Vietnam et de l’Amérique Centrale, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Europe de l’Est, toujours au sein de la matrice d’un pouvoir vorace, celui des États-Unis.
Il y a actuellement une tentative États-unienne et européenne de destruction du gouvernement Syrien. Le premier ministre David Cameron semble en être particulièrement désireux. C’est ce même David Cameron dont je me souviens comme d’ un homme mielleux lorsqu’il était en charge des relations publiques pour les requins financiers d’une chaîne de télévision privée britannique (Carlton Communication).
Cameron, Obama et le toujours plus obséquieux François Hollande veulent détruire la dernière autorité multiculturelle restante en Syrie, une action qui ouvrira certainement la voie aux fanatiques d’ISIS.
C’est, bien sûr, totalement démentiel, et l’immense mensonge qui justifie cette démence c’est que cela serait pour soutenir les Syriens qui se sont soulevés contre Bashar el-Assad lors du printemps arabe. Comme le révèlent les dossiers WikiLeaks, la destruction de la Syrie est un vieux projet des impérialistes cyniques qui date d’avant les soulèvements du printemps arabe contre Assad.
Pour les dirigeants du monde, à Washington et en Europe, le véritable crime de la Syrie n’est pas la nature oppressive de son gouvernement, mais son indépendance du pouvoir États-unien et Israélien — tout comme le véritable crime de l’Iran est son indépendance, et ainsi de suite pour la Russie, et la Chine. Dans un monde détenu par les États-Unis, l’indépendance est intolérable.
Ce livre révèle ces vérités, l’une après l’autre. La vérité sur une guerre contre le terrorisme qui fut toujours une guerre du terrorisme ; la vérité sur Guantanamo, la vérité sur l’Irak, l’Afghanistan, et l’Amérique Latine.
De telles vérités n’ont jamais été aussi nécessaires. A quelques honorables exceptions près, ceux des médias, soi-disant payés pour s’en tenir aux faits, sont maintenant absorbés dans un système de propagande qui ne relève plus du journalisme, mais de l’anti-journalisme. C’est aussi vrai des libéraux et des respectables que de Murdoch. A moins d’être prêt à surveiller et déconstruire chacune de leurs spécieuses affirmations, les prétendues « actualités » sont devenues irregardables et illisibles.
En lisant les dossiers WikiLeaks, je me suis souvenu des mots du défunt Howard Zinn, qui faisait souvent référence à « un pouvoir que les gouvernements ne peuvent supprimer ». Cela décrit WikiLeaks, et cela décrit les véritables lanceurs d’alertes qui partagent leur courage.
Sur le plan personnel, je connais les gens de WikiLeaks depuis déjà quelques temps. Qu’ils aient accompli ce qu’ils ont accompli dans des circonstances ne relevant pas de leur choix est une source d’admiration constante. Leur sauvetage d’Edward Snowden en est un bon exemple. Tout comme lui, ils sont héroïques : rien de moins.
Le chapitre de Sarah Harrison, « Indexer l’Empire », décrit comment ses camarades et elle ont mis en place une véritable bibliothèque publique de la diplomatie US. Il y a plus de 2 millions de documents maintenant accessibles à tous. « Notre ouvrage », écrit-elle, « est dédié à un objectif : que l’histoire appartienne à tout le monde. » Lire ces mots est exaltant, et cela témoigne de son propre courage.
Depuis le confinement d’une pièce de l’ambassade équatorienne à Londres, le courage de Julian Assange est une réponse éloquente aux lâches qui l’ont traîné dans la boue et au pouvoir sans scrupules qui cherche à prendre sa revanche contre lui, et qui mène une guerre contre la démocratie.
Rien de tout cela n’a dissuadé Julian et ses camarades de WikiLeaks : pas le moins du monde. Et ce n’est pas rien.
John Pilger
Traduction: Nicolas Casaux
Édition & Révision: Héléna Delaunay