jeudi 14 février 2019

QUARTIERS ET GILETS JAUNES, QU'ONT-ILS À SE DIRE ? - YOUCEF BRAKNI (Le Média)


Italie : un jugement historique condamne l’état à informer la population des risques pour la santé dus aux téléphones portables (exoportai)

Cette décision du tribunal administratif de Rome est historique. Elle ordonne au gouvernement italien de créer une campagne nationale d’information sur les risques sanitaires liés à l’utilisation des téléphones portables.

Suite à l’annonce faite par le gouvernement italien qu’il ne faisait pas appel de sa condamnation, le jugement publié le 13 novembre 2018 a été largement relayé par les médias transalpins :
« Il faut donc déclarer l’obligation du Ministère de l’environnement, du Ministère de la santé et du Ministère de l’éducation, de l’université et de la recherche, chacun pour son domaine de compétence propre, d’assurer, en application des dispositions de l’art. 10 de la Loi n. 36/2001, d’adopter une campagne d’information, adressée à l’ensemble de la population, concernant l’identification des méthodes correctes d’utilisation des appareils de téléphonie mobile (téléphones cellulaires et sans fil) et des informations sur les risques sanitaires et environnementaux liés à une mauvaise utilisation de ces appareils.
La campagne d’information et d’éducation à l’environnement susmentionnée doit être mise en œuvre dans un délai de six mois à compter de la notification ou, si elle est antérieure, de la communication administrative du présent arrêt, en utilisant les moyens de communication les plus appropriés pour assurer une large diffusion des informations qu’il contient ».
Nous devons cette formidable avancée à l’action du professeur Angelo Levis et de l’association « A.P.P.L.E. » – (www.applelettrosmog.it ) présidée par Laura Masiero et à leurs avocats : Renato Ambrosio, Stefano Bertone, Chiara Ghibaudo, Luigi Angeletti – Ambrosio & Commodo, Turin. Dans leur argumentaire, ceux-ci se sont appuyés, entre autres, sur les données OPEN DATA concernant les résultats des tests de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) sur plus de 500 téléphones portables publiés dans le cadre du scandale industriel et sanitaire du Phonegate. Ce que nous a confirmé, par mail, hier soir, Maître Stéfano Bertone.
Pour le Dr Arazi, Président d’Alerte Phonegate :
 « Nous espérons que cette décision italienne va, tant à l’échelon européen qu’international d’être un exemple pour la mise en place de campagnes de protection de la santé des utilisateurs de téléphones portables. Pouvoirs publics et fabricants doivent impérativement prendre le train des bonnes résolutions en 2019. Surtout au moment ou le scandale du Phonegate montre que les industriels ont sciemment trompé tous les utilisateurs en les exposant bien au-delà des limites à ne pas dépasser ».
Nous serons reçus, le vendredi 25 janvier 2019 à 10h, au ministère de la Transition écologique et solidaire, par le chef du service des risques sanitaires liés à l’environnement, des déchets et des pollutions diffuses à la Direction générale de la prévention des risques. Le jugement susmentionné fera bien entendu partie de l’ordre du jour que nous proposerons à notre interlocuteur.
L’Italie se positionne avec cette décision dans le peloton de tête des pays européens pour la protection de la santé publique des utilisateurs de téléphones portables. Rappelons que la télévision nationale RAI 3 a diffusé le 26 novembre 2018 un documentaire de l’émission d’investigation Report consacré aux ondes de la téléphonie mobile. La journaliste italienne Lucina Paternasi y consacrait une partie importante au scandale du Phonegate.

« Ce qui se passe ici, cette entraide, je n’avais jamais vu ça » : reportage à la maison du peuple de Saint-Nazaire (basta)

A Saint-Nazaire, les gilets jaunes ont leur quartier général : la « maison du peuple », un ancien bâtiment du Pôle emploi qu’ils occupent depuis la fin novembre. Dans le bouillonnement des discussions, des débats et des actions, travailleuses précaires, retraités, chômeuses ou SDF s’y politisent à grande vitesse. Dans ce territoire marqué par une forte culture ouvrière, leur action s’articule avec celle des syndicats, dont ils reçoivent le soutien. Après bientôt trois mois d’une mobilisation nourrie par cette force collective, tout retour en arrière leur semble impossible : « Le mépris et la violence n’ont fait qu’accroître notre détermination. » Reportage.
L’après-midi touche à sa fin à la « maison du peuple » de Saint-Nazaire. Ce bâtiment de 900 m2 est occupé depuis deux mois par des gilets jaunes. Les manifestants, qui battent le pavé depuis le petit matin, ce 5 février, jour de « grève générale », arrivent au compte-goutte. Certains repartent illico rejoindre leurs « collègues », qui improvisent des soirées festives sur les ronds points occupés. Pour la première fois depuis le début du mouvement, la CGT avait appelé à rejoindre les gilets jaunes pour cette journée de mobilisation. Chacun fait part de son expérience : est-ce qu’il y avait du monde ? Comment cela s’est-il passé avec les syndicats ? Y avait-il beaucoup de policiers ? Les vannes fusent. Tout le monde rit. « C’est tellement agréable, après une journée de manif dans le froid de revenir à la maison du peuple. Il fait bon, il y a du café, et tous les gens », se réjouit Céline, qui a rejoint le mouvement courant décembre.

« Chaque fois que l’huissier se pointe pour que l’on dégage, les dockers menacent de se mettre en grève »

Héritière des bourses du travail et des usines occupées, espace d’élaboration politique et d’organisation d’actions, la maison du peuple (MDP) de Saint-Nazaire a éclot le 24 novembre. Ce jour-là, les manifestants se dirigent vers la sous-préfecture locale pour y tenir une assemblée citoyenne, comme dans bien d’autres endroits en France [1]. Ils trouvent porte close et décident alors de se diriger vers l’ancien bâtiment du Pôle emploi, inoccupé depuis des années. « Nous avons décidé d’y aller pour tenir notre assemblée. Et nous y sommes restés. C’est devenu un lieu d’organisation du mouvement, dit Philippe, habitué des luttes sociales et encore étonné de cette action très spontanée. Ce n’était pas du tout prévu. Peu de gens, parmi nous, avaient déjà occupé des lieux. »
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Si fin novembre, beaucoup de gilets jaunes battent le pavé pour la première fois, plusieurs sont aussi syndiqués depuis longtemps. « Nous sommes dans un bassin ouvrier important. Avec une forte tradition syndicale », remarque Philippe. Plus de deux mois après le lancement du mouvement, les rangs se tiennent bien serrés. Deux des ronds points occupés dans la zone portuaire ont encore des cabanes. Et personne n’a l’intention de les laisser être détruite. « C’est grâce au soutien des dockers et des travailleurs portuaires que l’on tient depuis si longtemps, assure Philippe. Chaque fois que l’huissier se pointe pour que l’on dégage, ils menacent de se mettre en grève et la direction renvoie l’huissier chez lui. » Début décembre, le maire de Donges, commune limitrophe de Saint-Nazaire, avait également refusé de détruire les cabanes situées dans la ville, ce que le préfet lui avait demandé.

« Des mères au foyers, des chômeurs, des intérimaires font partie des piliers de la maison du peuple »

Les liens noués entre gilets jaunes et syndicats se sont faits plus formels depuis peu. Le rassemblement du 5 février est la première action conjointe officielle. Avant cela, « on a organisé des rencontres ici, à la maison du peuple. Chacun a fait part de sa méfiance et de ses attentes », se remémore Philippe. Les gilets jaunes craignaient d’être trahis et de voir la lutte centrée autour du travail, alors que leurs mobilisations parlent aussi du handicap, des services publics, des minima sociaux. « Des personnes éloignées du travail – mères au foyers, chômeurs, intérimaires… – font partie des piliers de la maison du peuple », ajoute Philippe. Côté syndical, on se demandait où étaient les gens en 2016, lors des gros mouvements qui ont agité la France contre la loi Travail. Ils avaient aussi peur de la casse.
Finalement, chacun a accepté les limites des autres. Et il a été décidé de profiter de cette situation pour inventer autre chose. « Les syndicats ont une implantation dans les entreprises que nous n’avons pas. Il y a parmi nous des travailleurs éloignés des syndicats qui peuvent, du coup, se rapprocher d’eux. Voire envisager de créer une section syndicale dans leur entreprise, parce qu’ils réalisent en discutant que c’est une façon de faire respecter leurs droits. » Les syndicats permettent de grossir les rangs des rassemblements qui se tiennent devant les tribunaux quand des gilets jaunes sont convoqués par la Justice, tandis que la maison du peuple offre à tout le monde une solide base arrière pour organiser des actions. « Le blocage du port, ce n’est pas une mince affaire. Il faut bloquer six entrées et cela demande pas mal de boulot. »
Le 5 février, deux ronds points ont été bloqués sur le port. Défilant à proximité d’un gigantesque paquebot sur le point d’être mis à l’eau, les manifestants ont tâché de débaucher les travailleurs d’Arcelor Mittal. Ils ont pu entrer dans l’entreprise, le temps de glisser un mot aux travailleurs, et de montrer que non, ils n’avaient pas l’intention de tout casser. « C’était fort de rentrer comme ça sur les lieux de travail », notent des retraités eux-aussi mobilisés ce 5 février. « Allez-y rentrez, c’est chez nous ! », glissait un gilet jaune aux manifestants intimidés de passer la porte de l’entrepôt.

« Ici il y a des gens qui bossent et qui dorment dans leur bagnole. On est dans le concret de la précarité »

Au fil des soirées à refaire le monde et des actions menées sur les ronds points, les liens se resserrent. « Je n’avais jamais vu ça. Tellement de gens différents dans un mouvement, dit « Jojo », un habitué des luttes sociales qui a notamment passé du temps sur la zad de Notre-dame-des-Landes. Yann, chômeur mobilisé dès le début du mois de novembre, et présent aux premiers jours de la Maison du peuple, lui renvoie le compliment : « Je me retrouve avec des jeunes qui se sont battus sur la zad. Je n’ai jamais compris le sens de leur lutte là bas. Et je ne comprends toujours pas, d’ailleurs. Mais on est là, ensemble, on discute, on s’engueule, on s’embrasse. Ce qui se passe ici entre nous, cette entraide, je n’ai jamais vu ça. C’est incroyable. C’est devenu comme une drogue. » « C’est la première fois que je côtoie des SDF au quotidien, raconte Céline, qui est institutrice. Avant, tisser des liens avec eux aurait été impensable pour moi. »
« Ici, il y a beaucoup de cabossés de la vie, ajoute Yann. Perso, je suis un enfant de la Dass, j’ai connu la violence. Quand j’écoute les anciens parler entre eux, ce que j’entends me fait mal. Il y en a qui ont eu des vies vraiment dures. » « Il y a beaucoup d’histoires personnelles de précarité, reprend Jojo. Un travailleur handicapé, qui fait 35h par semaine, nous a amené sa fiche de paie : 633 euros. Ça nous a fait bizarre. Il y a des gens qui bossent et qui dorment dans leur bagnole. On est vraiment dans le concret de la précarité. Ça pique. » Les vingt chambres de la maison du peuple sont occupées par des personnes en galère. Jojo habite l’une d’elles depuis le premier jour. « C’est mon premier logement, dit-il. En attendant que ma demande de logement social aboutisse. »

« J’étais dans ma petite vie, vautré dans mon canapé en train de regarder BFM. Ici, mon cerveau s’est remis à fonctionner »

« On fait beaucoup de social, reprend Yann. Les restos du cœur, le 115, les maraudes, ils viennent toquer chez nous. Mais on a dû clarifier les choses quand même, et dire que les gens étaient les bienvenus, y compris ceux qui avaient besoin de dormir au chaud, mais en précisant qu’ils étaient ici pour la lutte. On ne voulait pas que ce soit le bordel. » Très ordonnée, et bien tenue, la maison du peuple ne tolère ni drogue, ni alcool.
Autant qu’une base arrière pour les actions, la maison du peuple est devenue un lieu de formation. L’endroit fourmille de discussions en tout genre, d’échanges plus ou moins informels, d’ateliers, de conférences et d’assemblées générales. Il y a aussi des pièces de théâtre, des soirées cinéma, des dîners collectifs. « Ici c’est vivant H24, décrit Jojo. On parle de politique à longueur de journée, alors qu’avant les gens s’en foutaient. » « J’étais dans ma petite vie, vautré dans mon canapé en train de regarder BFM, s’esclaffe Yann. Ici, mon cerveau s’est remis à fonctionner. » Ce qui soude les gens, politiquement, est une volonté farouche de voir les richesses mieux partagées, et un effarement total face aux milliards de l’évasion fiscale.

« Ça fait douze semaines que ça dure. On dirait que les gens sont infatigables »

« On ne se rendait pas compte, avant, qu’il y avait tant et tant d’argent public volé, explique Céline. Ce n’est pas possible pour nous d’être traités d’enfants gâtés alors que les plus riches se gavent. Dans le débat national, il nous est clairement demandé quel service public il faut supprimer. Ils n’ont vraiment rien compris à ce que l’on veut. On lutte pour le maintien de tous les services publics. » « Il y a largement de quoi financer tout ça, si on arrête de filer le pognon aux riches », glisse Denis, ouvrier dans une entreprise d’insertion. Eric intervient et parle de « ces gros patrons qui négocient leurs primes de départ au moment où ils sont embauchés et avant même d’avoir prouvé quoi que ce soit ». Eric, Yann et Céline approuvent, évoquant aussi « les entreprises qui font des bénéfices et qui licencient quand même ».
« D’habitude, on entend une info, ça nous écœure, et puis on retourne au boulot. On reprend le rythme. Maintenant, on est dans la lutte. On se dit que ce n’est vraiment pas possible, tempête Céline. Et plus on est informés, plus on trouve ça injuste et écœurant. » La motivation s’aiguise au fil de la formation politique informelle et collective que les uns et les autres reçoivent à la maison du peuple. « Les ouvriers et ouvrières qui viennent à la maison ou sur les ronds points avant ou après leurs journées de travail sont increvables, admire Jojo. Ça fait douze semaines que ça dure. On dirait que les gens sont infatigables. »
Pour Céline, « le mépris et la violence n’ont fait qu’accroître notre détermination »« Nous avons eu deux blessés graves ici », affirme Yann. Philippe est l’un d’eux : « Le 8 décembre, j’ai reçu un tir de LBD qui m’a provoqué une grave hémorragie interne. Je suis resté deux semaines à l’hôpital. » Le 29 décembre, un autre vent de panique a secoué le cortège des gilets jaunes. Le bruit a couru un instant qu’une personne de la maison du peuple était morte, frappée par un tir de LBD. « Tout le monde s’est tu. On a senti une grande angoisse, c’était terrible », se souvient « Kiki », un adolescent de 14 ans, le « bébé révolutionnaire » de la maison du peuple. Adrien, 22 ans, n’est pas mort ce jour là. Mais il a été salement amoché, avec plusieurs fractures au crâne [2]« En janvier, quatre membres actifs de la maison du peuple ont été interpellés chez eux ou au travail. Trois d’entre eux passent au tribunal jeudi 14 février pour dégradations », ajoute encore Philippe.
L’autre menace judiciaire, c’est le risque d’expulsion, réclamée par le promoteur qui possède les lieux. Une audience aura lieu à la fin du mois de février, après avoir été reportée deux fois. « Ce qui se vit ici est tellement fort que même si le mouvement est écrasé, il en restera quelque chose », relativise Jojo. « La maison du peuple n’est pas qu’un bâtiment, elle se déplace avec nous », affirment plusieurs habitants dans une vidéo publiée le 1er février, qui appelle tous les gilets jaunes à ouvrir des maisons du peuple partout en France, « pour s’organiser durablement face à un pouvoir de plus en plus répressif. »
Côté action, la prochaine grande échéance, à Saint-Nazaire, est l’organisation de la seconde « assemblée des assemblées » au début du printemps [3], dans la droite ligne de la dynamique initiée, dans la Meuse, par les gilets jaunes de Commercy.
Nolwenn Weiler
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Natacha Polony : Journalisme et #LigueduLOL (Thinkerview)


mardi 12 février 2019

Poleco n° 202 - François Asselineau : L’ Europe n’est pas la solution mais le problème (tvlibertes)


J'SUIS PAS CONTENT ! #212 : Castaner en roue libre VS Wauquiez version Les Experts !


Grand entretien de janvier-février 2019 avec Pierre Yves Rougeyron (Cercle Aristote)

Spécial Gilets jaunes 



RIC, les européennes, internationale


Produire des médicaments « équitables », efficaces et au juste prix : les Pays-Bas l’ont fait (basta)

PAR 
Après le commerce équitable, des médicaments « équitables » ? Quand l’industrie pharmaceutique augmente trop le prix d’un médicament, il existe un pays pas si lointain où hôpitaux, médecins, pharmaciens et organisations non gouvernementales s’unissent pour produire eux-mêmes son équivalent, bien meilleur marché. Ce pays, ce sont les Pays-Bas. L’Etat hollandais cherche aussi des alliances avec ses voisins pour peser davantage face aux laboratoires et les décourager d’exiger des prix excessifs. Enquête à Amsterdam, où le contre-pouvoir s’organise.

C’est un médicament qui soigne une maladie génétique affectant le métabolisme. Il y a dix ans, il coûtait 300 euros par an et par patient. Aujourd’hui, ce médicament revient 150 000 euros par an et par patient, soit 500 fois plus ! Comment expliquer une telle augmentation alors que le médicament en question – le CDCA (acide chénodésoxycholique, médicament à base d’acide biliaire) – n’a pas changé ? Le laboratoire Leadiant, son fabricant, refuse de négocier le prix à la baisse car il en détient le monopole. Ni le gouvernement hollandais, ni les assureurs, acteurs essentiels dans un système de santé qui a été privatisé, n’ont les moyens de l’y forcer. Qu’à cela ne tienne : les pharmacies centrales des hôpitaux vont produire leurs propres remèdes alternatifs et casser ainsi le marché en proposant un « juste prix ».
Le problème est de disposer des bonnes molécules : « Les composés chimiques, la matière première du médicament, sont relativement difficiles à retrouver et donc onéreux. Nous avons dû les importer de Chine. Le remède alternatif au CDCA que nous avons produit coûte quand même 6 à 7 fois moins cher que celui de Leadiant : entre 20 000 et 25 000 euros par an et par patient », explique Carla Hollak, médecin spécialisée en pathologies métaboliques comme la xanthomatose cérébrotendineuse. Cette maladie très rare, qui touche environ une personne sur 50 000, se manifeste par des crises de démence et une espérance de vie diminuée. Grâce à ce médicament, les personnes qui en souffrent peuvent vivre normalement.

Un médicament alternatif huit fois moins cher

Carla Hollak enfile sa blouse blanche et s’apprête à recevoir son premier patient de la journée dans sa consultation à l’Amsterdam Medical Center (AMC), l’hôpital même où est née l’alternative à ce coûteux traitement, en avril. Une fois le remède produit, la batterie de tests effectuée par un laboratoire indépendant et le certificat obtenu pour la vente des pastilles aux patients de l’hôpital, les assureurs suivent et les remboursent. Ils n’y étaient pas obligés, mais c’est dans leur intérêt de défrayer un remède à ce tarif plutôt qu’à celui, prohibitif, du laboratoire d’origine italienne ; et également de faire pression sur l’ensemble de l’industrie pharmaceutique pour décourager les inflations du même acabit.
Rien n’empêche légalement les pharmaciens des hôpitaux néerlandais de produire leurs propres traitements et de les distribuer à leurs patients, à petite échelle. Du moins, une fois le brevet tombé. Sauf que cette fois, des obstacles se sont accumulés. Suite à la fabrication néerlandaise du CDCA, le laboratoire Leadiant a contre-attaqué en demandant l’interdiction de la vente de la pilule alternative jusqu’en 2027. L’entreprise avait pris soin de déposer un brevet pour protéger la propriété intellectuelle de sa molécule pour les dix prochaines années. Elle a aussi exigé des analyses complémentaires des cachets produits par la pharmacie centrale de l’hôpital. En août, les inspecteurs du ministère de la Santé décèlent des « impuretés » dans le traitement alternatif. Même en infime quantité, l’AMC ne peut plus distribuer ses gélules depuis cet été.

Des juristes qui plaident gratuitement contre l’industrie du médicament

Mais le 28 novembre, les inspecteurs consentent à ce que l’hôpital les produise à nouveau, à condition d’améliorer le process de façon à supprimer ces impuretés. Pour la première fois en Hollande, alors que le brevet est toujours en cours, les autorités publiques autorisent la production d’un remède alternatif en réaction à un tarif excessif fixé pour un médicament qui ne présente pas de réelles innovations. Alors que les journaux du monde entier font leur une sur les Implant Files, cette actualité prend le dessus dans les médias aux Pays-Bas. D’ailleurs, Wilbert Bannenberg, président de la Dutch Pharmaceutical Accountability Foundation, est assailli de demandes d’interview. Après notre rendez-vous dans l’historique salon du 1st Klass café de la gare centrale d’Amsterdam, la télévision publique nationale prend le relais.
Wilbert Bannenberg est à la tête d’une fondation, aux côtés d’avocats, qui plaident gratuitement contre l’industrie du médicament. Son unique objectif ? Poursuivre en justice les entreprises pharmaceutiques. Depuis cette décision des inspecteurs du ministre de la Santé, son sourire ne le quitte pas. « Les laboratoires profitent de fixer des tarifs élevés pour les maladies rares, en prétextant avoir investi dans la recherche. Sauf que dans le cas du CDCA, la création du médicament n’en a demandé aucune, même pas d’essai clinique, dénonce-t-il. Le traitement existe depuis les années 1970. Il servait à soigner les calculs biliaires. On s’est rendu compte ensuite qu’il était également efficace pour les patients atteints de xanthomatose cérébrotendineuse. »Un simple recyclage à prix d’or.

Briser les situations abusives de monopole

« Leadiant a racheté ses concurrents et a supprimé les médicaments de la même catégorie que ceux-ci produisaient pour asseoir son monopole. C’est un abus de position dominante que nous avons dénoncé auprès de l’Autorité des marchés et des consommateurs le 7 septembre », s’insurge Wilbert Bannenberg. Cet épidémiologiste a lutté toute sa vie pour un meilleur accès aux médicaments, en Afrique, mais aussi en Hollande. Il a même créé une structure spécifique en juillet 2018 pour éviter de faire courir un risque financier aux ONG impliquées dans la recherche de médicaments alternatifs. Pour sa première affaire, l’équipe de juristes a ainsi choisi de s’attaquer au dossier le plus flagrant, celui du CDCA de Leadiant. Ce dernier a obtenu un délai d’un an pour étudier le dossier et proposer un nouveau tarif… Quoi qu’il en soit, la direction du laboratoire, qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview, ne s’attendait sûrement pas à ce que le prix d’un remède seulement pris par 55 patients dans tout le pays provoque une telle levée de boucliers.
La décision du 28 novembre est d’autant plus importante qu’elle crée un précédent. « Le gouvernement pourrait l’utiliser comme argument dans le cadre de la négociation du prix des médicaments face aux laboratoires et leur faire comprendre que : “si vous présentez un tarif exagéré, les pharmacies d’hôpitaux vont produire des traitements alternatifs bien moins coûteux” », avance Ella Weggen, avocate en santé pour l’ONG Wemos, qui lutte pour un meilleur accès au medicament en Hollande et dans le monde. L’exemple du CDCA peut-il être décliné à d’autres traitements jugés trop coûteux ? « Le CDCA est un vieux remède, contrairement aux traitements contre le cancer, davantage compliqués à produire : vous ne pouvez pas les fabriquer dans votre garage », nuance Jaume Vidal, conseiller à l’ONG Health action international, qui plaide pour davantage de transparence dans le secteur de la santé.

L’Union Européenne ferait la force

Reproduire un vieux médicament est aisé. Mais fabriquer un médicament innovant l’est beaucoup moins. C’est le cas, par exemple de l’Orkambi, un traitement contre la mucoviscidose. En Hollande comme en France (lire notre article), son fabricant, Vertex, a exercé un chantage pour négocier un prix élevé. Alors le gouvernement hollandais a tenté une autre méthode. En 2014, il a lancé une expérimentation de négociation conjointe avec les pays du Benelux et d’autres « petits » pays européens, baptisée BeNeLuxAI, comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche et l’Irlande ; notamment pour peser davantage face aux laboratoires Vertex et Nusinersen. « Cela montre que la Hollande est certes, une petite nation, mais qu’elle n’est pas seule. Nous serions davantage puissants si la France et l’Allemagne acceptaient de nous rejoindre pour négocier le prix des médicaments mais ils refusent du fait du poids économique des entreprises pharmaceutiques chez eux, comme Sanofi en France », regrette Ella Weggen. La portée du BeNeLuxAI n’a pas suffi.
Après avoir refusé la vente de l’Orkambi pour cause de tarif exorbitant, le gouvernement néerlandais a fini par céder sous la pression médiatique. Vertex n’est pas sorti d’affaire pour autant. Ce cas précis figure sur la short list des neuf médicaments auxquels les avocats de la Dutch Pharmaceutical Accountability Foundation comptent s’attaquer prioritairement. Dans l’idéal des ONG comme Wemos, pour éviter ces multiples bras de fer entre les différents gouvernements, les prix des médicaments seraient fixés à l’échelle européenne, en fonction du niveau de vie et du pouvoir d’achat de chaque pays. Mais « je ne le vois pas venir dans l’agenda européen, à moins que les prochaines élections parlementaires ne changent la donne, ce dont je doute », relativise encore Jaume Vidal, de Health action international.

Un premier médicament « équitable » l’an prochain ?

Il existe un autre frein à l’accès aux médicaments innovants en Hollande : les patients ne trouvent pas toujours preneurs auprès des laboratoires pour produire de nouveaux traitements destinés à guérir les maladies rares, qui demandent de l’investissement en recherche. Pour y pallier, une initiative est née en 2014. La Fondation fair medicine – pour médicament « juste » ou « équitable » – rassemble tous les acteurs du secteur : en l’occurrence, les associations de patients, capables de mobiliser et d’appeler aux dons, les organismes de recherches, qui pilotent la R&D et… l’industrie pharmaceutique. « Le but n’est pas de l’exclure : elle a la connaissance et la compétence de produire des médicaments. Mais les grands groupes sont dirigés par leurs actionnaires à présent, d’où les lacunes sur le marché concernant les maladies rares ou des tarifs très élevés s’agissant des traitements contre le cancer », explique Frans de Loos, directeur de la fondation.
Quel est l’intérêt des laboratoires de s’associer au projet ? « Rendre les coûts de l’investissement transparents et aboutir à un tarif raisonnable, qui garantit qu’un accord sera trouvé avec les autorités publiques, et donc, que le médicament sera vendu », met-il en avant.
Car en Hollande, le système de santé est totalement privatisé et l’adhésion à une assurance, obligatoire. A partir du moment où l’État autorise la vente d’un nouveau traitement, cela oblige les assureurs à le rembourser. En coulisses, ces derniers tentent de peser sur les négociations pour faire baisser les prix : le profit des assureurs en dépend. Les compagnies d’assurance ont donc trouvé une tactique : elles font alors planer la menace d’augmenter leurs tarifs ; la note serait salée pour les Hollandais. Résultat, aux Pays-Bas, pour dix ventes de médicaments, trois seulement sont « de marque » (les « originaux », les princeps, 40 % plus chers) et sept des génériques, selon l’OCDE. Le ratio s’inverse en France (lire notre article). Le reste à charge pour les usagers du système de santé y est le moins élevé au monde, ce qui a tendance à rendre « indolore » le prix des médicaments. L’État français se retrouve ainsi seul face aux puissants laboratoires qui tentent d’imposer leurs prix.
Les Pays-Bas pourraient aller encore plus loin dans leur volonté de produire des médicaments bons marchés : créer un médicament qui n’existe pas encore, sans recourir à l’industrie pharmaceutique. Le directeur de la fondation Fair medicine l’assure : le premier traitement contre une maladie rare, dont il tait le nom, sera enfin produit en 2019. Après le Fair phone, un téléphone portable facilement réparable et donc plus durable lancé aux Pays-Bas, place au Fair médicament ? « C’est une initiative intéressante, ce serait bien qu’un traitement soit bientôt créé pour montrer que le concept fonctionne », commente Carla Hollak. De l’avis des responsables d’ONG, pour les petits labos ou les start-up qui ont besoin de répartir les coûts d’investissements, l’idée est bonne. En revanche, le Big Pharma, lui, n’a aucun intérêt à participer à ce modèle puisque les profits sont limités à une fourchette comprise entre 8 et 15 %. Selon la fondation, ces profits ne sont habituellement jamais en-deçà de 18 % pour les géants pharmaceutiques.
Rozenn Le Saint
Photo de une : CC Janels Katlaps
Influence, opacité, prix exorbitants de certains médicaments, liaisons dangereuses avec les députés et les médecins… À travers des données inédites, des enquêtes et des reportages, les « Pharma Papers » mettent en lumière tout ce que les labos pharmaceutiques préféreraient que les patients et les citoyens ne sachent pas : les immenses profits qu’ils amassent chaque année aux dépens de la sécurité sociale et des budgets publics en instrumentalisant médecins et décideurs.
Dans le cinquième chapitre de notre enquête, nous nous rendons aux Pays-Bas. Là-bas, quand un traitement est trop cher, il peut être reproduit par des médecins et des pharmaciens. Et pour chaque pathologie, un seul médicament est officiellement sélectionné, tous les six mois, pour être remboursé par les assureurs privés. Une solution miracle ? Le marché néerlandais connait des pénuries chroniques, mais les prix des médicaments ont fortement diminué.

dimanche 10 février 2019

[Reupload] JSPC ! #211 : Rosé de Provence, Castaner en mode réal & Fillarçon mon cochon !


Frexit et abrogation de la loi Rothschild de 1973 (Pierre Hillard). (Médias-Presse-Infos)


Comment les sanctions contre les chômeurs risquent, demain, de s’étendre à l’ensemble des minimas sociaux (basta)

PAR 
Depuis début janvier, les chômeurs sont soumis à des contrôles renforcés en France. Un rendez-vous manqué, une offre d’emploi dite « raisonnable » refusée, et c’est la radiation, plus ou moins longue, avec suspension des indemnités. Cette politique punitive s’inspire clairement de celles qui sont menées en Grande-Bretagne et en Allemagne, où les sanctions se sont progressivement appliquées aux autres prestations sociales, allocations familiales ou aides au logement. Leurs conséquences sont sans appel : « Elles frappent d’abord les personnes les plus faibles », repoussées vers une encore plus grande pauvreté. En Allemagne, le tribunal constitutionnel est d’ailleurs en train de se pencher sur la légalité de ces sanctions. Explications.

Début janvier, le gouvernement français a durci par décret les contrôles et les sanctions à l’encontre des chômeurs. Cette politique ne tombe pas du ciel. Au Royaume-Uni, la possibilité de supprimer les allocations aux demandeurs d’emploi, qui manquent des rendez-vous ou sont jugés trop peu assidus dans leurs démarches, existe depuis plus de dix ans. « En 2007, le gouvernement travailliste a adopté une loi prévoyant des sanctions contre les personnes handicapées et en longue maladie, considérant que beaucoup n’étaient pas vraiment en incapacité de travailler », rappelle Anita Bellows. Depuis cette date, l’activiste du collectif « Personnes handicapées contre les coupes » (Disabled People Against Cuts) suit les effets de ces sanctions sur les personnes concernées. Et elles sont de plus en plus nombreuses.
Ces sanctions ont rapidement été étendues à l’ensemble des demandeurs d’emplois et des travailleurs pauvres qui perçoivent une allocation. Outre-Manche, une personne qui se retrouve au chômage percevra une indemnité forfaitaire pendant six mois (le Jobseeker allowance). Ensuite, elle recevra un minima social calculé en fonction de sa situation familiale, de ses revenus, du montant son aide au logement, etc. « En 2012, les conservateurs ont fait adopter une nouvelle loi, un "Welfare Act", qui a durci les sanctions à l’extrême. Elles ont gagné en durée et en sévérité », poursuit Anita Bellows.

« Les allocations peuvent être interrompues jusqu’à trois ans d’affilée »

« Les allocations peuvent être interrompues jusqu’à trois ans d’affilée, précise John, conseiller dans une agence du « Jobcentre » britannique du centre de l’Angleterre [1]Même si la personne recommence à chercher du travail avec assiduité, si elle accepte de candidater à tout, ces sanctions ne sont pas levées. Une fois la décision prise, les allocations restent suspendues. » Et ce, jusqu’à l’échéance de trois ans ou si l’allocataire porte un recours en justice. « Des gens qui ne viennent pas à un rendez-vous parce qu’ils sont à l’hôpital sont sanctionnés, de même que des femmes qui sont en train d’accoucher… Quand les gens engagent un recours au tribunal, ils ont de bonnes chance de gagner, de faire annuler la décision », illustre Anita Bellows.
La justification affichée, en Grande-Bretagne comme en France, de ce nouveau régime de sanctions est d’inciter les personnes à retravailler le plus vite possible. Quels sont les résultats concrets de cette politique ? « Certaines catégories de personnes sont particulièrement vulnérables et affectées par la suspension des allocations. Cela inclut les parents isolés, les jeunes adultes qui sortent tout juste du système d’aide sociale à l’enfance, les personnes malades ou handicapées », souligne un rapport du Parlement britannique en octobre dernier. Souvent, les personnes sanctionnées « empruntent de l’argent, coupent dans leurs dépenses alimentaires et les autres dépenses de première nécessité, ou ne paient plus leurs factures, plutôt que d’augmenter leur revenus en retrouvant du travail », rapporte encore l’enquête parlementaire.

« Ces sanctions ont été utilisées pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage »

Les députés britanniques citent le cas d’une mère célibataire contrainte de se tourner vers les banques alimentaires. Son allocation avait été réduite parce qu’elle avait quitté un emploi à temps plein pour travailler à temps partiel, ne pouvant plus payer la garde de ses enfants. « Les personnes les plus sanctionnées sont celles qui ont déjà le plus de mal à naviguer dans le système, a constaté Anita Bellows. Ces sanctions, nous y sommes opposés par principe. En plus, elles ont été utilisées pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage » Résultat : si le taux de chômage officiel britannique affiche un séduisant 4 %, le nombre de travailleurs pauvres y est trois fois plus élevé qu’en France, avec plus d’un salarié sur cinq concerné !
En Angleterre, « la mise en place des sanctions s’est faite dans une grande indifférence, parce que les chômeurs sont stigmatisés. Mais aujourd’hui, avec le système de l’Universal Credit, qui fusionne les allocations sociales et chômage sous un même guichet, des personnes qui travaillent mais touchent des allocations parce que leurs revenus sont bas se retrouvent aussi sanctionnées. On commence donc à en parler plus largement », rapporte Anita Bellows. La réforme du « Crédit universel » (Universal Credit), votée en 2012, se met en place progressivement. Elle fusionne dans un même service et une même allocation l’ensemble des aides : l’allocation chômage minimum – l’équivalent du RSA –, l’allocation pour les personnes dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie ou de handicap, l’aide au logement, le crédit d’impôt pour la reprise d’un travail et le crédit d’impôt pour les enfants à charge. C’est cette allocation devenue unique qui peut désormais être réduite « si vous ne faites pas ce pourquoi vous vous êtes engagé », comme chercher du travail et fréquenter un Jobcentre [2].

En Allemagne, des sanctions renforcées pour les jeunes

En Allemagne, les sanctions contre les chômeurs peuvent également concerner leur aide au logement. Mi-janvier, le tribunal constitutionnel, la plus haute juridiction du pays, a commencé à étudier la question : ces suspensions d’allocations sont-elles compatibles avec la Constitution ? Le contrôle des demandeurs d’emploi y a été durci il y a plus de dix ans, au moment de la réforme du système d’assurance-chômage de 2005. La durée du chômage indemnisé a alors été limitée à un an. Le chômeur touche ensuite une allocation minimum, appelée « Hartz IV ». Le versement de cette allocation fait l’objet de contrôles renforcés destinés à « remettre au travail » au plus vite la personne concernée. Un rendez-vous raté, une formation refusée, une offre d’emploi à laquelle on ne candidate pas, signifient une coupe immédiate d’une partie de l’allocation, jusqu’à une suspension intégrale en cas de récidive.
Pour les moins de 25 ans, les sanctions sont encore plus drastiques : au moindre manquement, c’est la suppression totale de l’allocation. Au deuxième, l’aide au loyer – payée directement au propriétaire du logement – est aussi suspendue. « Ce traitement plus dur envers les jeunes est officiellement justifié comme une mesure “éducative” », déplore Inge Hannemann, aujourd’hui élue municipale de Hambourg pour le parti de gauche Die Linke. L’élue travaillait auparavant au Pôle emploi allemand, le « Jobcenter », entre 2005 et 2013, où elle a protesté contre la politique des sanctions. Avant, finalement, de se faire licencier.

Spirale d’endettement et perte de logement

« Les sanctions touchent avant tout les personnes qui sont déjà dans des situations difficiles : celles qui ont des troubles psychiques, les migrants, les personnes qui ne maîtrisent pas bien l’allemand ou qui, même si elles sont allemandes d’origine, ne maîtrisent pas le langage administratif. En fin de compte, elles frappent les plus faibles », souligne Inge Hannemann. Un centre social de la région de Wuppertal, dans la Ruhr, a récemment réalisé, en vue de l’audience au tribunal constitutionnel, un sondage auprès de plus de 21 000 personnes, chômeurs, travailleurs sociaux, avocats, agents du Jobcenter, sur les conséquences du régime de sanctions.
Les résultats de l’étude sont sans appel. Pour près trois-quarts des participants à l’enquête, les réductions d’allocation représentent le début d’une spirale d’endettement. Plus de 60 % des personnes interrogées affirment aussi que les sanctions contribuent à une perte de logement. Plus de 90 % des personnes qui ont répondu estiment, en outre, que les sanctions n’aident pas du tout à réintégrer les chômeurs sur le marché du travail. La majorité des agents des Jobcenter partage également ce point de vue.

« On n’aide pas les gens en leur faisant peur »

Pourtant, les sanctions pleuvent. Selon l’Agence pour l’emploi allemande, entre octobre 2017 et septembre 2018, plus de 920 000 sanctions ont été prononcées contre 400 000 chômeurs (un même chômeur peut être sanctionné plusieurs fois dans l’année). Un chômeurs sur six a été sanctionné dans l’année ! Pour les trois-quarts des sanctions, le motif était un simple rendez-vous raté [3]« Quand j’ai commencé à dénoncer publiquement les sanctions, des collègues m’ont donné raison en interne, mais ils n’osaient pas le dire publiquement parce qu’ils craignaient de perdre leur job. Leur peur était justifiée. C’est ce qui m’est arrivé », témoigne aujourd’hui Inge Hannemann. Avec la procédure en cours auprès du tribunal constitutionnel, les langues se délient. Fin janvier, la directrice d’un Jobcenter local, celui de Brême, a sévèrement critiqué le système des sanctions dans une interview à un quotidien régional : « On n’aide pas les gens en leur faisant peur », a-t-elle déclaré, dénonçant les « dégâts » provoqués par les coupes dans les allocations.
Pour autant, l’ancienne conseillère Inge Hannemann ne croit pas que le tribunal constitutionnel, qui devrait rendre sa décision dans quelques mois, va interdire de couper les allocations aux chômeurs. « Le tribunal pourrait arriver à la conclusion qu’on ne peut pas couper le minimum vital. Mais pour les chômeurs, il y a un système de bons alimentaires qui peuvent être attribués quand les allocations sont suspendues. Donner ces bons est obligatoire pour les foyers où il y a des enfants mineurs. Sinon, il faut en faire la demande. Mais c’est le même conseiller qui décide de sanctionner et d’attribuer, ou pas, les bons. Et tous les magasins ne les acceptent pas, surtout à la campagne. Le tribunal pourrait en revanche affirmer qu’il faut arrêter de sanctionner plus sévèrement les moins de 25 ans, et qu’on ne peut pas supprimer l’aide au paiement du loyer, parce que cela met les gens à la rue, analyse l’ancienne conseillère. Mais il est possible que cela ne soit qu’une recommandation, et qu’ensuite la gouvernement prenne son temps pour légiférer, ou attende les prochaines élections. » Celles-ci auront lieu en 2021.

En France, l’ensemble de la protection sociale bientôt soumise aux mêmes sanctions ?

Et en France ? L’aide au logement ou les allocations familiales pourront-elles, demain, être aussi concernées par les sanctions visant un demandeur d’emploi jugé pas suffisamment zélé ? Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé vouloir mettre en œuvre la fusion des allocations et aides. La version française de l’Universal Credit c’est l’« Allocation sociale unique », envisagée par le gouvernement [4]« Il faut regarder ce qui se passe en Grande-Bretagne car ils sont souvent les premiers à mettre en œuvre des réformes que les autres pays reprennent ensuite », alerte Inge Hannemann. La mise en place de l’aide sociale unique telle que le souhaiterait Emmanuel Macron va-t-elle suivre les modèles allemands et britanniques, et soumettre tous les bénéficiaires d’aides sociales au régime de sanctions qui vaut désormais pour les chômeurs ?
Rachel Knaebel
Dessins : Rodho

Notes

[1
Le prénom a été changé sur demande du conseiller.
[2
Voir l’information du gouvernement britannique sur les sanctions quant à l’Universal Credit ici.
[3
Voir les chiffres ici.
[4
Cette allocation regrouperait le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), la prime d’activité, les aides au logement (AL), l’allocation adulte handicapé (AHH), l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse) et l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), selon Le Monde.

mercredi 6 février 2019

La DICTATURE est En Marche, PRÉPARONS-NOUS ! (Demos Kratos)


Tentative de perquisition à Mediapart : la conférence de presse (Mediapart)


Liberté de la presse, de manifester, de l’action syndicale : l’inquiétante dérive autoritaire de Macron (basta)

PAR 
Avec la tentative de perquisition dont a fait l’objet Mediapart, une nouvelle ligne rouge a été franchie par le pouvoir. En coulisse, Emmanuel Macron rêve même d’une forme de mise sous tutelle de la presse, sous prétexte de respect d’une pseudo « neutralité ». La tentation autoritaire actuelle ne se manifeste pas seulement à l’encontre des journalistes : elle s’est déjà concrétisée dans la rue, avec le maintien de l’ordre très agressif depuis le début du mouvement des gilets jaunes, et au sein des entreprises, où les effets des ordonnances-travail se font sentir.

Même après les révélations sur l’affaire Cahuzac, le gouvernement de l’époque n’avait pas osé gratifier Mediapart d’une tentative de perquisition. Six ans plus tard, cette ligne rouge vient d’être franchie : ce 4 février en fin de matinée, deux procureurs du parquet de Paris accompagnés de trois policiers se sont présentés devant la rédaction du quotidien en ligne pour perquisitionner ses locaux. Motif : « Atteinte à l’intimité de la vie privée de l’ancien collaborateur du chef de l’État Alexandre Benalla et/ou de son acolyte, le gendarme Vincent Crase », explique la rédaction. Cette tentative de perquisition intervient après la diffusion d’enregistrements d’une conversation entre les deux hommes, montrant qu’en se rencontrant, ils ont violé le contrôle judiciaire auquel ils étaient astreints, et apportant des éléments sur l’implication d’Alexandre Benalla, intime d’Emmanuel Macron, dans un contrat passé avec un sulfureux oligarque russe.
Plutôt que de se saisir de ces nouveaux éléments sur une question qui concerne l’intérêt général, le parquet de Paris – placé, rappelons-le, sous l’autorité de la Garde des Sceaux Nicolle Belloubet – a donc préféré tenter d’identifier par quels moyens Mediapart s’est procuré les enregistrements. Le ministère public porte ainsi atteinte à la protection des sources, pourtant garantie par la Convention européenne des droits humains : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière » (article 10). La rédaction de Mediapart s’est opposée à la perquisition – ce que tout mis en cause peut faire dans le cadre d’une enquête préliminaire et tant qu’aucun mandat n’a été délivré par un juge. L’équipe de Bastamag, qui travaille régulièrement avec ses consœurs et confrères de Mediapart, leur apporte bien évidemment toute sa solidarité.

Velléité de mise sous tutelle de la presse

Reste que cette intimidation est un nouveau signe inquiétant de la tentation autoritaire d’Emmanuel Macron. Se confiant à quelques éditorialistes triés sur le volet, la semaine dernière, le président de la République a fait part de sa volonté d’une forme de mise sous tutelle de la presse afin d’assurer sa « neutralité » et « la vérification de l’information ». Cet échange est rapporté par le magazine Le Point, qui n’hésite pas à critiquer un « fantasme macronien » visant à instaurer un « service d’information d’État délégué à des journalistes stipendiés »« Prenant conscience de la sagesse infinie de notre infaillible Jupiter, les journaux décideront spontanément de lui confier la détermination de la vérité via un système financé par lui, et ce, pour le plus grand bonheur du peuple »ironise Le Point.
Le rapport à la vérité d’Emmanuel Macron consiste sans doute à évacuer sans vergogne certains problèmes. Comme il l’a fait lors du grand débat du 1er février avec les élus d’Outre-mer, à propos du chlordécone, un insecticide épandu sur les plantations de bananes aux Antilles, qui a des conséquences dévastatrices sur la santé des habitants« Non, les enfants ! », a-t-il alors lancé aux élus de Guadeloupe, de Martinique ou de La Réunion, comme le raconte le chroniqueur Samuel Gontier, on ne questionne pas la vérité présidentielle... L’exercice – un président, seul face à plusieurs dizaines de maires et d’élus, distribuant le micro et monologuant pendant des heures sur la ruralité, l’Outre-mer ou les banlieues – illustre une conception ultra-centralisé et personnalisée du pouvoir. Nous sommes beaucoup plus proches de l’image du PDG venant, d’en haut, remotiver ses collaborateurs que de la pratique d’états généraux ou de « Grenelle » où les différents acteurs débattent d’une question sur un pied d’égalité.

Management et maintien de l’ordre agressifs

Sur d’autres sujets, la tentation autoritaire a dépassé le stade du fantasme pour se matérialiser très concrètement. Dans la rue déjà, face au mouvement des gilets jaunes, avec une stratégie de maintien de l’ordre au bilan toujours plus lourd et de plus en plus contestée : 175 personnes blessées à la tête, 17 éborgnées et 4 mains arrachées depuis le 17 novembre. Sans oublier plus de 5300 gardes à vue. Ce mouvement a été l’occasion de passer en vitesse une nouvelle loi « anti-casseur » qui permettra aux représentants de l’État d’interdire arbitrairement, sans recours à un juge, à des personnes de manifester.
Dans les entreprises, les effets des ordonnances travail, décrétées dans la foulée de l’élection présidentielle, se font déjà sentir. Les contre-pouvoirs aux directions d’entreprises et aux logiques financières qu’incarnaient les représentants du personnels, en particulier au sein des comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) autrefois capables de diligenter des expertises indépendantes sur les conditions de travail et la santé des salariés, se fragilisent ou disparaissent progressivement, laissant le management agressif régner en maître. Agressif certes, mais infaillible, comme le Président.

vendredi 1 février 2019

De plus en plus de voix demandent l’interdiction des armes intermédiaires utilisées contre les manifestants (basta)

PAR RACHEL KNAEBEL
Quarante-trois personnes blessées ou mutilées par les forces de l’ordre viennent de publier un manifeste dans lequel elles demandent « l’interdiction immédiate et définitive » des lanceurs de balle de défense et grenades utilisées pour le maintien de l’ordre. Seront-elles davantage écoutées que le Défenseur des droits et les organisations de défense des droits humains ? Des médecins, constatant la gravité des blessures, ont également lancé une pétition pour un moratoire. Une marche blanche est organisée à Paris ce 2 février, lors de l’acte XII des gilets jaunes, pour dénoncer les violences policières.
« Je condamne les violences d’où qu’elles viennent, et je serai intraitable si elles concernent les forces de l’ordre. Chaque signalement, chaque plainte fait systématiquement l’objet d’une enquête », a assuré le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au cours du débat nocturne sur la loi anti-casseurs, qui restreint la liberté de manifester, ce 30 janvier. Au moins, le ministre n’est plus dans la dénégation totale des violences policières : « Je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un manifestant ou attaquer un journaliste », déclarait-il deux semaines plus tôt, en visite à Carcassonne, alors que les signalements de blessures graves, de mains arrachées et de manifestants éborgnés s’accumulaient.
Quarante-trois de ces blessés et mutilés, ainsi que leurs avocats et des collectifs de soutien, se rappellent au bon souvenir du ministre de l’Intérieur. Dans un manifestepublié ce 31 janvier par le Collectif « Désarmons-les ! », ils dénoncent « la violence extrême exercée par les forces de l’ordre à notre encontre et à l’encontre de l’ensemble des manifestant-es au cours des mois de novembre et décembre 2018, ainsi que lors de mouvements sociaux antérieurs et dans nombre d’opérations policières au quotidien, et particulièrement dans les quartiers populaires ».

Les demandes d’interdiction des « armes intermédiaires » se multiplient

Les signataires demandent notamment « l’interdiction immédiate et définitive » des armes dites à létalité réduite, ces armes « intermédiaires », dont certaines sont cependant classées comme armes de guerre, et « qui mutilent dans les quartiers populaires et les manifestations » : les grenades à effet de souffle GLI F4, les grenades de désencerclement DMP, les pistolets Flash-balls et fusils Lanceurs de balles de défense (LBD 40). Le 23 janvier, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et la CGT avaient saisi en urgence le tribunal administratif pour faire interdire les tirs de lanceurs de balles de défense lors des manifestations à venir. En vain : leur requête a été rejetée. Les deux organisations, avec le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont également saisi le Conseil d’État sur le sujet. Leur demande a été rejetée le 1er février. Le 17 janvier, c’était le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui demandait la suspension de l’utilisation de ces armes, espérant que « le gouvernement prendra des dispositions ». En vain également.
LBD 40 en position de tir et utilisation d’une grenade, Paris, Bastille, le 26 janvier 2019 / © Serge d’Ignazio

Pourtant le bilan du « maintien de l’ordre » est lourd. Richie, 34 ans, a été le premier éborgné du mouvement, le 19 novembre à Saint-Paul de La Réunion, lors de l’« Acte I ». Il a perdu son œil gauche après avoir été touché par un projectile. Deux mois plus tard, c’est Jérome Rodrigues, l’une des figures des gilets jaunes, qui est atteint à l’oeil par l’éclat d’une grenade de désencerclement ou par un tir de LBD, à Paris lors de l’acte XI, le 26 janvier. Entre ces deux dates, 266 manifestants, 40 journalistes, 35 mineurs et lycéens, 10 passants et 7 « street medics » – des soigneurs bénévoles – ont été blessés ou intimidés par les forces de l’ordre, selon le recensement réalisé par le journaliste indépendant David Dufresne, dont les données ont été publiées par Mediapart.

LBD 40 : équivalent à un parpaing de 25 kg lâché sur un visage

Une personne est également décédée : Zineb Redouane, une femme de 80 ans, morte le 30 novembre à Marseille après que des grenades lacrymogène aient été tirées vers sa fenêtre alors qu’elle fermait ses volets. Parmi les plus de 300 personnes blessées, 160 l’on été à la tête, 17 ont été éborgnées et quatre ont eu une main arrachée. Les LBD sont responsables de 45 % de ces blessures graves, suivis par les grenades de désencerclement (8 %) et les GLI F4.
Si ces armes ne tuent qu’exceptionnellement – à notre connaissance, flashballs et grenades ont tué quatre personnes en 10 ans (voir ici) [1] – leurs effets marquent cependant à vie celles et ceux qui en sont victimes : « Énucléation, amputation d’extrémité de membre, fracas maxillo-facial et dentaire, traumatisme cranio-cérébral engageant le pronostic vital… Tant de vies ont été ainsi sacrifiées », déplore le neurochirurgien Laurent Thines, chef de service au CHRU de Besançon. Le médecin vient de lancer une pétition pour demander qu’un moratoire soit appliqué. Il y illustre les dégâts causés par un tir de LBD 40 : recevoir en pleine tête une balle en plastique dur dont la vitesse est de 90m par seconde (324 km/h) correspond, selon le neurochirurgien, à se prendre sur le visage un parpaing de 25 km lâché à un mètre de hauteur. « Je crois qu’il est de notre devoir, en tant que soignants d’alerter sur la dangerosité extrême de ces armes », écrit-il. La pétition a recueilli plus de 70 000 signatures.

Marche blanche à Paris ce 2 février

Les blessés et mutilés signataires du manifeste – ils et elles sont mécaniciens, ouvrier du BTP, conducteur de tram, assistante maternelle, charpentier, infirmière, étudiant ou sans emploi... – demandent également « la garantie d’une impartialité totale de la part des agents de l’IGPN lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les conditions des blessures » et « la compensation automatique par l’État à hauteur de 100 % des frais médicaux engagés par les blessés jusqu’à la stabilisation du préjudice ». Seront-ils davantage entendus que le défenseur des droits, des organisations syndicales et de défense des droits humains ?
Ce 2 février, pour l’Acte XII des gilets jaunes, une marche blanche pour les blessés victimes des forces de l’ordre se déroulera à Paris et partira à 12 h de Daumesnil, dans le 12ème arrondissement. Des lanceurs de balles de défense et des grenades GLI F4 pourront cependant être, de nouveau, utilisés par les forces de l’ordre.
Rachel Knaebel et Ivan du Roy
- La page Allô place Beauvau, c’est pour un bilan (provisoire) 
- La page du Manifeste contre les armes de la police.

Lire aussi : 

Notes

[1
Mustapha Ziani à Marseille en 2010 (flashball), Rémi Fraisse sur la Zad de Sivens en 2014 (grenade), Cyrille Faussadier à Auxerre en 2017 (flashball), puis Zineb Redouane à Marseille en 2018 (grenade).