mardi 30 juin 2015

Stiglitz, Prix Nobel d'Économie : « L'UE, c'est l'antithèse de la démocratie » (Sott)

Stiglitz, Prix Nobel d'Économie : « L'UE, c'est l'antithèse de la démocratie »
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© Inconnu
Le crescendo d'amertume et de querelles en Europe pourrait faire croire aux étrangers à une sorte de fin de partie plutôt amer entre la Grèce et ses créditeurs. En réalité, explique Joseph Stiglitz dans un article paru sur Project Syndicate, les dirigeants européens commencent juste à révéler la vraie nature de la controverse sur la dette actuelle, et la réponse n'a rien de plaisant : il s'agit bien plus de pouvoir et de démocratie que d'argent et d'économie.

L'économie derrière le programme que la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) a imposé à la Grèce voilà cinq ans a sombré dans un gouffre, avec une chute vertigineuse de 25% du PIB. Aucune dépression n'a eu des conséquences aussi catastrophiques, commente Stiglitz, rappelant un simple fait : le taux de chômage parmi les jeunes dépasse aujourd'hui les 60%. Il est surprenant, poursuit le Prix Nobel, que la troïka refuse de reconnaitre ses échecs. Mais ce qui est encore plus surprenant est que les dirigeants européens n'en aient rien retenu.

Stiglitz rappelle que les énormes sommes d'argent prêtées à la Grèce ont terminé leur course dans les caisses des créditeurs du secteur privé - y compris les banques allemandes et françaises. Le FMI et les autres créditeurs « officiels » n'ont pas besoin de l'argent qui est réclamé aujourd'hui. S'il s'agissait d'un scénario de « Business as usual », cet argent serait très probablement à nouveau prêté à la Grèce.

Mais, encore une fois, ce n'est pas une question d'argent. Il s'agit en réalité d'utiliser les échéances pour contraindre la Grèce à se soumettre, à accepter l'inacceptable - non seulement des mesures d'austérité, mais aussi des politiques punitives de régression.

Mais pourquoi donc l'Europe fait-elle cela ? Pourquoi les dirigeants européens refusent-ils de prolonger de quelques jours l'échéance du 30 juin pour le remboursement de la Grèce au FMI ? L'Europe n'est-elle pas synonyme de démocratie ? En fait, c'est antithèse de la démocratie, répond Stiglitz : de nombreux dirigeants en Europe voudraient voir la chute du gouvernement de gauche emmené par Alexis Tsipras. Il n'est pas simple de conseiller les Grecs sur comment voter le 5 juillet, continue Stiglitz. Aucune des deux alternatives - approbation ou refus des conditions imposées par la troïka - ne sera facile, et chacune comporte des risques énormes. Voter « oui » signifierait une dépression sans fin. Il est possible qu'un pays - qui aurait vendu tous ses biens et dont les jeunes auraient émigré - pourrait finalement obtenir l'annulation de sa dette ; peut-être qu'alors la Grèce pourrait obtenir l'assistance de la Banque mondiale. Tout ceci pourrait se produire pendant la prochaine décennie, ou la suivante.

A l'inverse, voter « non » laisserait au moins ouverte la possibilité pour la Grèce, avec sa forte tradition démocratique, de décider de son destin. Les Grecs pourraient saisir l'opportunité de construire ainsi un futur qui, même s'il n'est pas aussi prospère que par le passé, serait bien plus prometteur que la torture totalement déraisonnable qu'elle subit actuellement.

« Moi je saurais quoi voter, » conclut le Prix Nobel d'Économie.

Le FMI a fait 2,5 milliards € de bénéfice sur ses prêts à la Grèce (news360)

Le FMI a fait 2,5 milliards € de bénéfice sur ses prêts à la Grèce

 
Jubilee Debt Campaign montre que le FMI a déjà fait 2,5 milliards € de profits sur ses prêts à la Grèce depuis 2010, et ceci avant le paiement de 462 millions € du jeudi 9 avril. Si la Grèce rembourse le FMI en totalité ce chiffre s’élèvera à 4,3 milliards € d’ici 2024.
Le FMI applique un taux d’intérêt effectif de 3,6 % sur ses prêts à la Grèce. Ceci est beaucoup plus que le taux de 0,9 % dont l’institution a actuellement besoin pour couvrir ses frais. À ce taux d’intérêt, la Grèce aurait payé 2,5 milliards € de moins au FMI.
Sur l’ensemble de ses prêts à tous les pays en crise de la dette entre 2010 et 2014, le FMI a réalisé un bénéfice total de 8,4 milliards €, dont plus d’un quart vient de la Grèce. Tout cet argent a été ajouté aux réserves du Fonds, qui totalisent maintenant 19 milliards €. Ces réserves sont destinées à couvrir les coûts des défauts de paiements. La dette totale de la Grèce envers le FMI est actuellement de 24 milliards €.
Tim Jones, économiste à Jubilee Debt Campaign, a déclaré :
« Les prêts du FMI à la Grèce n’ont pas seulement renfloué les banques qui ont prêté imprudemment, ils ont en fait ponctionné encore plus d’argent au pays. Cet intérêt usuraire ajoute à la dette injuste imposée à la population grecque ».
Traduction Yvette Krolikowski et Christine Pagnoulle.

5 ans de prison et 40 000 euros d’amende pour un compte-rendu de manifestation ? (basta)

5 ans de prison et 40 000 euros d’amende pour un compte-rendu de manifestation ?

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Mise à jour : le parquet a annoncé ce 29 juin avoir abandonné les poursuites
 
Un électricien de 40 ans comparaît ce 29 juin devant la chambre correctionnelle de Toulouse. Il est poursuivi pour « provocation publique à un délit ou un crime » et encourt pas moins de 5 ans d’emprisonnement et 40 000 euros d’amende. Il est accusé d’avoir rédigé un texte – non signé – publié sur le média collaboratif et « anti-autoritaire » Iaata.info (Information anti-autoritaire Toulouse et alentours). L’homme est arrêté deux mois plus tôt, le 6 mai, interpellé à son domicile toulousain à 6h30 par trois policiers. Sa garde à vue signifiée, il est placé dix heures dans une cellule sentant l’urine. Durant deux courts interrogatoires, on le menace d’aller chercher son fils au lycée, de prolonger son audition jusqu’à 48h, pour apologie de terrorisme. Il sort finalement à 17h avec une convocation en poche pour son procès.
Les policiers lui reprochent d’avoir écrit un compte-rendu de manifestation, publié sur Iaata.info le 1er mars. Le compte-rendu relate la manifestation du 21 février. A Toulouse, le climat est tendu depuis la mort de Rémi Fraisse, ce jeune homme tué par une grenade lancée par un gendarme à Sivens. Des actions et manifestations en soutien aux « zones à défendre » et contre les violences policières sont organisées tous les mois. Chaque manifestation est durement réprimée. Au moins 54 personnes ont été condamnées à des peines allant d’amendes jusqu’à six mois de prison ferme, comme Gaétan, un étudiant parmi d’autres (Lire notre article).

Des « conseils » pour entraver la répression

Celle du 21 février ne fait pas exception, et dégénère en affrontements. Les gaz lacrymogène pleuvent, des vitrines sont brisées, des magasins saccagés. « Pendant vingt minutes environ, plus d’une vingtaines de banques, agences immobilières, assurances ont vu leurs vitrines attaquées », relate l’auteur anonyme du compte-rendu, qui regrette cependant le manque d’organisation collective des manifestants pour faire face à la répression et commettre « beaucoup plus de dégâts », sans que la nature de ceux-ci soient spécifiés.
Puis l’auteur suggère plusieurs « conseils » pour faire face aux forces de l’ordre. Selon la convocation reçue par l’accusé, ce sont ces extraits qui sont incriminés. Exemple : « À plusieurs, on peut rapidement mettre une voiture en travers de la route, voir l’enflammer », « les banderoles renforcées peuvent être très efficaces face aux bakeux [policiers de la BAC qui interviennent en civil, ndlr], ça les tient à distance, mais on a besoin d’être solidaires », ou « faire en sorte que pendant que certains-es tiennent en respect la police, d’autres s’attaquent à des cibles, dépavent la rue, montent des barricades etc. ». Bref, rien de bien nouveau sous le soleil. Ces « tactiques » sont utilisées depuis des décennies par les groupes militants, se revendiquant souvent du mouvement anarchiste, qui estiment légitimes d’affronter les forces de l’ordre ou de dégrader des symboles du système capitaliste.

Deux poids, deux mesures

« Ces positions peuvent être discutées, et cette discussion fait partie du débat démocratique. Or le procureur en a décidé autrement, et a fait arrêter une personne soupçonnée d’être directrice de publication de Iaata, sur la maigre base d’anciennes traces numériques liant cette personne au site », estiment plusieurs médias liés aux luttes sociales et écologistes (lire leur texte sur Article 11). « Aujourd’hui, si cette infraction de provocation et apologie de crimes et délits est sporadiquement mobilisée, ce n’est pas pour poursuivre ceux qui appellent à brûler des lieux de culte, ceux qui proposent de nettoyer une cité au kärcher, pas plus que les milices d’extrême droite proposant d’aller régler leur compte aux Zadistes de Sivens. Cette loi ne semble servir aux procureurs et juges d’instruction que pour réprimer des propos de ras-le-bol face à la police. »
Dès le lendemain de la publication, le procureur de la République diligente une enquête. Ses conclusions sont contestées par l’accusé. Les enquêteurs seraient remontés au suspect via l’adresse IP, qui identifie un ordinateur connecté à Internet, utilisée lors du renouvellement de l’hébergement web du site. Sur cette base, la police l’accuse d’être d’abord l’auteur de l’article puis le « directeur de publication » de Iaata.info. L’homme consulte régulièrement le média en ligne mais nie être l’auteur de l’article. « C’est complètement ubuesque ! Il arrive que je prête ma connexion wifi aux gens qui viennent chez moi. Peut-être qu’une personne en a profité pour effectuer ce renouvellement » , précise-t-il à Basta !. Le quarantenaire s’interroge sur le sérieux de l’investigation policière : « J’ai demandé aux flics s’ils avaient contacté Iaata, ils m’ont dit : “non car ils n’auraient pas répondu, c’est anonyme” ».

« Menace judiciaire inquiétante »

Les membres de Iaata, eux, n’ont pas eu accès au dossier judiciaire. « On a appris par la presse qu’on avait un directeur de publication », ironisent-ils. En bon média anti-autoritaire, Iaata n’a ni responsable de publication, ni administrateur individuel, ni structure juridique, associative ou autre. Le site fonctionne « à l’horizontale » comme d’autres sites collaboratifs d’information locale Brest Info, Paris-luttes infos, Rebellyon ou la Rotative à Tours. Les contributions anonymes sont postées sur le site, commentées par les modérateurs jusqu’à la validation, puis publiées. L’article litigieux a suivi la « procédure normale », fait savoir le collectif de modération, sans que le risque juridique soit identifié.
Sur son site, Iaata dénonce une politique du bouc émissaire, cherchant à « dissuader des gens "coupables" de pratiques collectives ». D’autres médias militants, collaboratifs ou de la presse indépendante se sont mobilisés pour dénoncer « la menace judiciaire la plus inquiétante de ces dernières années contre un média alternatif français » (lire leur communiqué). En avril dernier, deux lillois de la « mutuelle des fraudeurs », qui revendiquent des « transports gratuits pour tous » et distillent des conseils pour éviter les contrôles, ont été poursuivis pour « incitation à la commission d’un délit par voie de presse » (lire ici).
« En procès pour lire la presse libre », a réagi, sur internet, le toulousain incriminé pour le texte publié sur Iaata. Le comité de soutien en appelle à un rassemblement devant le tribunal le jour de l’audience, le 29 juin. « Je ne pense pas que j’irai en prison. Mais je suis juste en colère : ça prend du temps, de l’énergie et de l’argent. On peut arrêter les gens chez eux sans enquête sérieuse et c’est pas grave ? », commente l’accusé.
Pour joindre le collectif : comitedesoutien@riseup.net

Comment en finir avec l’image du bénéficiaire du RSA fainéant et fraudeur (basta)

Comment en finir avec l’image du bénéficiaire du RSA fainéant et fraudeur


Une ancienne salariée d’une Caisse d’allocation familiale, Leila, s’élève contre les idées reçues sur les bénéficiaires du RSA et les discours culpabilisant chômeurs et travailleurs pauvres. Et en a fait une conférence gesticulée, « Je vais tout CAF’ter ». Cette culpabilisation, ajoutée à la complexité d’un dispositif mal adapté, décourage des dizaines de milliers de bénéficiaires potentiels à faire valoir leur droit à cette protection sociale minimaliste. Leila rappelle aussi que la fraude au RSA, c’est environ 60 millions d’euros, dont la grande majorité est récupérée, « alors que la fraude aux cotisations patronales représente 20 milliards d’euros par an ». Entretien.
Cet article a initialement été publié dans la revue Transrural initiatives.
Transrural initiatives : Comment est née l’idée de cette conférence gesticulée sur le thème des politiques sociales ?
Leila : J’ai travaillé dans une Caisse d’allocations familiales (Caf) où j’ai vu que les politiques sociales comme le Revenu de solidarité active (RSA) n’étaient pas adaptées à leurs publics. Cela provient en partie d’une volonté politique. D’un système qui décourage les bénéficiaires potentiels. J’ai été exaspérée par les discours culpabilisants sur ceux qui n’auraient pas envie de travailler ou qui profiteraient du RSA. La fraude au RSA, c’est environ 60 millions d’euros par an. 80 % à 90 % de ce montant est récupéré par les services de la Caf suite à des contrôles. Alors que le non recours au RSA, c’est 5,3 milliards d’euros non-redistribués ! Cette conférence gesticulée était pour moi l’occasion de déconstruire cette image du bénéficiaire du RSA fainéant et fraudeur [Pour une personne seule sans revenus, le RSA s’élève à 499 €/mois, ndlr].
Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression et comment avez-vous construit cette conférence ?
Le grand public devrait connaître le fonctionnement de la Caf, du RSA et les raisons du non-recours. L’idée, c’est de mettre à disposition de tous, de manière accessible, les connaissances issues de recherches. Mais on n’a pas le temps de développer une critique construite dans un sujet de trente secondes à la télévision et tous les gens n’aiment pas lire. La conférence gesticulée permet de toucher un public plus large. Il y a aussi l’idée de mélanger un savoir froid et un savoir chaud, avec des situations vécues et des expériences, pour impliquer le public, rendre le sujet amusant. J’ai suivi une formation de douze jours avec la coopérative Vent Debout.
On a fait un travail collectif sur la dimension politique, la mise en scène, le processus de création… Chacun est venu avec son projet mais s’est nourri des idées des autres. J’étais venue parler du RSA. Mais on nous a dit de nous poser la question : « Contre quoi avez-vous envie de vous battre ? ». J’ai donc décidé de parler aussi des violences faites aux femmes et de la protection sociale en général. C’est grâce à des dispositifs comme les crèches que l’on a favorisé l’égalité homme-femme. Cela a aussi permis de replacer le rôle joué par les Caf dans l’histoire, plus globale, des politiques sociales et du combat pour les droits des femmes.
Sur quoi se base votre critique du RSA ?
Dans la conférence, j’essaye de donner des éléments de compréhension en partant d’une analyse des politiques publiques. À qui le dispositif est-il destiné, quel problème doit-il résoudre ? Comment cherche-t-il a le résoudre ? Quelle représentation du monde cela véhicule- t-il ? Le RSA est destiné aux personnes qui n’ont pas de revenus et aux travailleurs pauvres. Officiellement, il doit permettre de réduire la pauvreté et inciter ceux qui ne gagnent pas assez d’argent à la reprise d’un emploi. Sauf qu’on sait bien qu’il n’y a pas assez d’emplois pour tout le monde. Avec le RSA, on est dans une politique où le responsable de la situation est le bénéficiaire de l’aide. C’était différent avec le RMI, où l’on considérait l’État responsable, car il n’arrivait pas à proposer un travail à tous.
Comment le système favorise-t-il, concrètement, le non-recours au RSA ?
Il y a environ 50 % de non-recours, de gens qui auraient le droit au RSA mais ne l’utilisent pas. On peut distinguer trois causes principales. La première, c’est le dispositif du RSA en lui-même : il a été conçu pour aider les travailleurs pauvres qui ont donc presque tous des revenus instables, saisonniers ou précaires. À un certain moment ils ont droit au RSA, à d’autres moments non. Or, après quatre mois où l’on n’est plus éligible au RSA, la Caf efface les dossiers et il faut refaire une demande. Il y a aussi la complexité, les conditions d’éligibilité sont obscures et on ne sait jamais vraiment si on a le droit au RSA, pour quel montant, pendant combien de temps et comment faire pour l’avoir. Tout cela est prévu par la loi qui a créé un système très complexe qui au final est excluant.
La seconde cause de non-recours est liée à la mise en œuvre du RSA par la Caf qui ne facilite pas suffisamment l’accès au droit. Le dispositif est peu connu et la campagne destinée à informer spécifiquement les travailleurs pauvres sur le RSA a été annulée à cause de la « crise » et de la surcharge de travail des Caf. Surtout, la Caf est soumise à un système de management avec des indicateurs de gestion, comme le fait de recevoir 90 % des bénéficiaires en moins de 20 minutes. Si on avait communiqué sur le dispositif, les Caf auraient eu plus de monde et n’auraient pas atteint leurs objectifs. Certains n’auraient pas eu de primes. Le pire, c’est qu’on croise les données pour la lutte contre la fraude mais qu’on ne fait rien contre le non-recours.
Une partie du non-recours n’est-elle pas aussi liée à la perception que les gens ont du dispositif ?
Oui. Certains jugent le dispositif trop complexe ; d’autres ont peur de devoir rembourser un trop-perçu ou de perdre du temps pour rien. Dans les milieux ruraux on voit aussi que la distance pour rejoindre une Caf, parfois deux heures aller-retour, ou les horaires d’ouverture dissuadent certaines personnes. Il y a aussi des aspects psychologiques ou politiques. Certains ne se voient pas comme des travailleurs pauvres, d’autres ne veulent pas dépendre de l’État ou alors, estiment que toucher de l’argent sans rien faire rend fainéant. Ce qui me choque, c’est que certains pourraient bénéficier du RSA et ne le demande pas car ils méprisent ceux qui le font. Ils ont intégré ce discours culpabilisant des politiques. Ils n’ont pas de conscience de classe. C’est vraiment dingue d’entendre des travailleurs pauvres expliquer cela alors que la fraude aux cotisations patronales représente 20 milliards d’euros par an. Tout cela provient d’une volonté politique, mais les médias sont aussi responsables.
La conclusion, c’est qu’il faut changer le RSA ?
À la fin de la conférence, je propose plusieurs pistes de réflexion. Une solution serait de mettre en place une automatisation des droits sociaux. La deuxième est l’instauration d’une revenu minimum de base qui suppose de changer toute la politique sociale. J’invite aussi le spectateur à se questionner et à suivre ses propres démarches de construction critique. On étudie très peu le fonctionnement de la protection sociale et on peut se demander à qui profite notre ignorance.
Propos recueillis par Fabrice Bugnot (Transrural initiatives)
Photo : CC William Hamon (manifestation pour un revenu d’existence à Marseille).
- Article initialement publié par le magazine Transrural initiatives. Voir sa présentation sur notre page partenaires.
- Dessin issu du « manuel anti-idées reçues » d’ATD Quart-Monde.

L’euro, ou la haine de la démocratie, par Frédéric Lordon (Les crises)

L’euro, ou la haine de la démocratie, par Frédéric Lordon

Forcément, ça leur a coupé la chique. Qu’on puisse jouer la carte de la démocratie, c’est la chose qui est maintenant tellement hors de leur entendement qu’elle les laisse toujours sidérés, pantois et démunis. Vraiment, à cet instant, on aurait voulu voir leurs têtes, mâchoires décrochées comme des tiroirs de commodes fraîchement cambriolées : Sapin, Hollande, Moscovici, leurs experts organiques, leurs journalistes de propagande, tous ceux qui n’ayant que la « modernité » à la bouche se sont si constamment efforcés d’en finir avec le peuple, pénible démos, et pénible démocratie quand il lui vient à l’idée de ne pas se contenter de valider ce qui a été décidé pour elle. Mais c’est une némésis et personne n’y pourra rien : il vient toujours un moment où la politique chassée par la porte revient par la fenêtre. Plus elle a été chassée obstinément d’ailleurs, et plus ses retours sont fracassants.

Le référendum, ou le retour du refoulé

Et c’est vraiment le retour du refoulé sous tous les rapports : celui de la mauvaise conscience notamment. C’est qu’on peut difficilement porter la démocratie en bandoulière, en faire des chartes à enluminures ou des hymnes à la joie, un modèle offert au monde (éventuellement à coup de frappes aériennes), et la bafouer à ce point à domicile.
Prononcer le mot « référendum », c’est en effet immanquablement faire resurgir le spectre du Traité constitutionnel de 2005, celui de l’acharnement jusqu’à ce que ça dise oui, ou du contournement si ça persiste à dire non. Celui du putsch également, à l’image du débarquement en 2011 de Georges Papandréou, ordinaire socialiste de droite qui n’avait rien de bien méchant, mais avait fini par s’apercevoir qu’on approchait des seuils où férule macroéconomique et tyrannie politique deviennent dangereusement indistinctes, et éprouvé le besoin d’un mandat légitime en soumettant le mémorandum à son peuple… par référendum. Appliquant une doctrine en fait formée de longue date puisqu’elle est intrinsèque à l’Union monétaire même, mais dont la formulation pleinement explicite attendra 2015 et l’inénarrable Juncker – « il n’y a pas de choix démocratiques contre les Traités européens »… –, il avait suffi aux institutions européennes de quelques pressions de coulisses pour obtenir le renversement de l’imprudent, et nommer directement le banquier central Papademos premier ministre ! – c’est tellement plus simple –, qui plus est à la tête d’une coalition faisant, pour la première fois depuis les colonels, entrer au gouvernement un parti ouvertement d’extrême-droite (Laos), particularité qui n’avait pas davantage ému le journalisme d’accompagnement à l’époque (il n’a pas manqué depuis de pousser des cris de putois quand Syriza a fait alliance avec la droite souverainiste d’Anel).
C’est tout ce lourd passé, et même ce lourd passif, qui se trouve replié dans le mot « référendum », le sale petit secret de toute une construction institutionnelle qui ne se sent pas d’autre devoir vis-à-vis de la démocratie que celui du simple oblat verbal, de la célébration en mots, et en réalité n’a pas d’autre projet la concernant que d’extinction méthodique.
Comme on trouve encore des gens suffisamment acharnés pour contester que les Traités donnent à l’Europe le caractère d’une entité néolibérale, on en trouve de suffisamment bêtes pour nier qu’ils entraînent la moindre perte de souveraineté – expérience récemment faite au contact, tout à fait fortuit, d’un député socialiste dont, par charité chrétienne on ne dira pas le nom. Comme la chose est inhérente aux traités mêmes dont, rappelons-le, la caractéristique première tient au fait (monstrueux) d’avoir constitutionnalisé des contenus substantiels de politique économique, comme la chose est inhérente aux traités, donc, et qu’ils ne l’ont pas vue, ils ne doivent pas avoir davantage connaissance de la manière dont se déroulent les négociations depuis 2011, et particulièrement celles de ces dernières semaines. Car la Troïka ne se contente pas d’imposer un cadrage macroéconomique délirant, elle entend également en imposer le détail – et décider elle-même, dans le menu, des augmentations d’impôt et des baisses de dépenses, c’est-à-dire prendre en mains directement l’intégralité des commandes.
Que le gouvernement Syriza, à l’encontre de ses propres engagements électoraux, ait accepté de se couler dans la logique du mémorandum et de jouer le jeu de l’ajustement budgétaire n’était pas encore assez : car la Troïka ne demande pas qu’un objectif global, mais aussi la manière. Il n’est pas suffisant que la Grèce s’impose une restriction supplémentaire de 1,7 point de PIB, il faut qu’elle la compose comme il faut. Par exemple l’augmentation du taux d’imposition sur les sociétés de 26% à 29%, ainsi que la taxe exceptionnelle de 12% sur les profits supérieurs à 500 000 euros ont été refusées par la Troïka au motif qu’elles étaient… de nature à tuer la croissance ! – ou quand l’étrangleur déconseille à ses victimes le port du foulard. En revanche la Troïka tient beaucoup à ce qu’on en finisse avec la petite allocation de solidarité servie sur les retraites les plus pauvres – le décile inférieur a perdu jusqu’à 86 % de revenu disponible de 2008 à 2012 [1] … c’est donc qu’il reste 14 bons pourcents : du gras ! Elle refuse la proposition grecque de taxer les jeux en ligne, mais demande la fin du subventionnement du diesel pour les agriculteurs – des nantis. Et tout à l’avenant.

Les institutions de la haine politique

On pourrait se perdre à l’infini dans ces détails qui disent tous le délire idéologique additionné d’instincts sociaux meurtriers – au sens presque littéral du terme, car rompre avec le fléau du gouvernement par abstractions macroéconomiques demande de prendre connaissance du tableau des conditions concrètes d’existence de la population grecque à l’époque de l’austérité, entre baisse de l’espérance de vie, explosion du taux de suicide, effondrement de la qualité des soins, etc [2]. On pourrait dire tout ça, donc, mais on n’aurait pas dit l’essentiel, qui tient à une forme de haine politique, comme il y avait jadis des haines religieuses, mais, fait inédit, une haine politique institutionnelle, une haine portée par des institutions. Depuis le premier jour, les institutions européennes n’ont pas eu d’autre projet que de faire mordre la poussière au gouvernement Syriza, d’en faire, par un châtiment exemplaire, une leçon à méditer par tous les autres pays qui pourraient avoir à l’idée eux aussi de ne pas plier, comme s’il fallait annuler l’événement de la première authentique alternance politique en Europe depuis des décennies.
Chaque régime politique, même celui qui a de la démocratie plein la bouche, a ses points d’impensable, ses interdictions formelles et ses exclusions catégoriques. La dite « démocratie parlementaire », qui fait vœu de débattre de tout, s’est en fait constituée comme le régime politique de défense de la propriété privée du capital (et de toutes les prérogatives qui y sont attachées), c’est pourquoi elle accepte qu’on débatte de tout sauf de la propriété privée du capital (et de toutes les prérogatives qui y sont attachées) [3] – et l’histoire a suffisamment montré de quoi la « démocratie » était capable quand le peuple des manants avait l’idée de s’en prendre au règne du capital. Pour autant, dans ce périmètre-là, il restait un peu de marge à explorer. C’était encore trop pour une construction néolibérale comme l’Union européenne qui a saisi la fenêtre d’une époque pour réduire autant qu’elle le pouvait le cercle du discutable : les formes de la concurrence intérieure, le statut de la banque centrale, la nature et les cibles de la politique monétaire, les orientations de la politique budgétaire, le rapport aux marchés financiers : toutes ces choses ont été irrévocablement tranchées par inscription constitutionnelle dans les traités, à la fin expresse qu’à leur sujet le débat soit clos.
Comment s’étonner qu’une construction aussi congénitalement libérale se soit donné des institutions qui suintent à ce point la haine de tout ce qui est progressiste ? Syriza ne pouvait pas être un partenaire : elle a été d’emblée, et en fait très logiquement, considérée comme un ennemi. L’ennemi ici, c’est celui qui veut vous forcer à rediscuter de ce que vous avez décrété soustrait à toute discussion. Aussi bien le référendum (à supposer qu’il ne devienne pas sans objet d’ici dimanche) que l’imminente sortie de l’euro sont des affirmations du droit de rediscuter – des affirmations du principe démocratique.
Le droit de rediscuter se paye cher en Union européenne. Dans un mouvement misérable qui ajoute à la considération qu’on peut lui porter, l’Eurogroupe, entité informelle à la consistance juridique d’ailleurs incertaine, met tous ses efforts à ce qu’il soit le plus coûteux possible. Mais en réalité c’est toute la construction institutionnelle qui porte la responsabilité de ce qui est en train de se passer : car, à la fin des fins, c’est bien la Banque centrale européenne (BCE) qui donnera le coup de grâce en interrompant le refinancement des banques grecques.
Faut-il qu’elle soit grande la détestation de la souveraineté populaire pour ne pas même accorder l’extension du plan d’aide à l’échéance du référendum… Tout est dit d’une passion anti-démocratique européenne devenue si écumante qu’elle ne parvient même pas à se tenir à son propre ordre légal : c’est que le refinancement des banques, grecques ou autres, est une mission de la BCE, assignée par les traités, et dont l’accomplissement est sans rapport avec les vicissitudes latérales de tel ou tel ordre, fussent-elles celles d’un plan de sauvetage. Que la terminaison du plan de sauvetage mardi 30 juin s’accompagne, comme il en est lourdement question, de la fermeture du guichet ELA (Emergency Liquidity Assistance), où la totalité du système bancaire grec est vitalement suspendu, est une connexion dont la légalité est plus que douteuse eu égard à l’autonomie des missions de refinancement de la BCE. [Il faut vraiment convoquer les aruspices pour avoir le fin mot du communiqué publié dimanche 28 juin par la BCE, car l’annonce du maintien du programme ELA pour les banques grecques n’est accompagnée d’aucune mention d’échéance… de sorte qu’il peut bien se trouver interrompu à tout moment. Cependant, contre la menace lourdement sous-entendue de fermer l’ELA en conséquence de l’arrêt du plan de sauvetage le 30 juin, il pourrait être politiquement rationnel pour la BCE de ne pas aller jusqu’à se faire l’exécuteur anticipé des basses œuvres, et de maintenir son guichet ouvert jusqu’à l’échéance du référendum : c’est qu’on doit beaucoup compter dans les institutions européennes sur le fait que le contrôle des capitaux mis en place lundi 29 juin est un repoussoir électoral, et que la restriction de l’accès des déposants à leurs encaisses monétaires est le plus sûr moyen d’aiguillonner le vote « oui ».]
En tout cas, on le sait bien, le simple fait d’avoir exclu les banques grecques des procédures ordinaires de refinancement pour les cantonner au guichet d’urgence de l’ELA n’avait d’autre propos que de leur faire sentir leur état de dépendance extrême, et de leur faire connaître le pouvoir discrétionnaire auprès duquel leur survie se renégocie quasi-quotidiennement – c’est-à-dire la possibilité qu’à tout moment le pouce s’abaisse. Comme toujours, c’est aux limites, et dans les situations de crise extrême, que les ordres institutionnels révèlent leur vérité. Ici toute la sophistication juridique de la construction européenne se ramène à un pouce levé ou bien baissé. Et la comédie du droit laisse voir à nu les rapports de force qu’elle cache ordinairement.

Le moment du chaos

Techniquement parlant en tout cas, il est bien certain que la fermeture du refinancement auprès de la BCE, qu’elle survienne mardi 30 ou plus tard, effondrera le système bancaire grec dans la journée, et forcera, de fait, au réarmement de la Banque centrale grecque comme prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire émetteur d’une liquidité qui ne sera pas reconnue par le SEBC (Système européen de banques centrales). On l’appellera de la drachme.
Effectuée dans une pareille urgence, la sortie grecque de l’euro ne pourra pas éviter le moment du chaos, et pour des raisons dont Syriza porte une part. Il est à craindre que le refus d’envisager dès le début la sortie de la monnaie unique, et d’en faire une menace crédibilisant d’ailleurs la position grecque dans le rapport de force, laisse aujourd’hui le gouvernement dans un état de totale impréparation. Le sens stratégique possible de l’accord de prolongation passé avec l’Eurogroupe le 21 février dernier aurait dû être de mettre à profit les quatre mois gagnés pour préparer logistiquement et politiquement la sortie.
Celle-ci est vouée à présent à s’opérer dans les plus mauvaises conditions. Il est même impossible que se fassent aussi vite l’ajustement technique du système des paiements et la conversion des espèces monétaires. Si bien qu’il y aura vraisemblablement un moment bizarre de double circulation monétaire pendant lequel des espèces émises par le système bancaire grec auront toutes les apparences de l’euro mais n’en seront pas moins des drachmes… qui en principe ne seront pas reconnues comme euros à l’extérieur alors même qu’elles leur ressembleront comme deux gouttes d’eau !
Rien de tout ça ne sera fait pour décourager le run bancaire, en fait déjà bien entamé puisqu’on évalue à 130 milliards d’euros les retraits opérés depuis janvier. Que les gens retirent des espèces si ça peut les tranquilliser, ça n’est pas le problème, en tout cas pour le système bancaire [4] : dès que la situation se stabilisera, ces fonds effectueront le mouvement inverse, et entre temps c’est la Banque de Grèce qui prendra le relais de la BCE pour maintenir les banques dans la liquidité. C’est que cet argent prenne le large qui est un problème. Aussi un drastique contrôle des capitaux, avec contingentement des retraits, sera la mesure à prendre dès les toutes premières heures (elle est déjà prise au moment où ce texte est publié). Avec la dévaluation carabinée de la drachme qui suivra sa réintroduction, les Grecs y perdront du pouvoir d’achat international ? Oui, et ça sera comme ça. Par définition, la conversion est une opération purement nominale qui laisse invariant le pouvoir d’achat interne… à l’inflation importée près. Or vu la dégringolade anticipée de la drachme, celle-ci sera conséquente. La couronne islandaise qui a initialement perdu près des trois quarts de sa valeur contre euro a laissé derrière elle une inflation de 18 % en 2008. Mais les premières fluctuations sont toujours d’une ampleur extravagante, et vouées à s’ajuster plus raisonnablement à moyen terme : la couronne a été rapidement stabilisée 40 % en dessous de sa valeur de 2008, l’inflation est d’ailleurs redescendue en dessous des 5 % dès la mi-2009, elle est désormais proche de 0. Il en ira vraisemblablement de même avec la drachme.
Dans l’intervalle il faudra peut-être ajouter au contrôle des capitaux un dispositif de protectionnisme ciblé dans les marchés de biens et services. C’est que la balance courante grecque à très court terme va devenir déficitaire. Or l’interruption de tout flux financier entrant interdira de la financer par la partie « compte de capital » de la balance globale, et la position extérieure nette de la Grèce va se détériorer. Il faudra donc réduire la flambée des importations, alors que l’effet de renchérissement de leur prix devrait d’abord l’emporter sur celui de contraction des volumes. Evidemment il est vital que les entreprises continuent d’avoir librement accès aux biens étrangers d’équipement ou de consommation intermédiaire. Le dispositif protectionniste devra donc être ciblé sur les (certains) biens de consommation (hors énergie notamment), et ceci jusqu’à ce que les exportations « réagissent » à la dévaluation de la drachme – en général dans un délai de 12 à 18 mois (de ce point de vue, la sortie de l’euro se passe au plus mauvais moment possible de l’année puisqu’il est trop tard pour que le tourisme, qui est le secteur le plus dynamique du commerce international grec, en enregistre l’effet, et qu’il faudra attendre la saison prochaine pour en recueillir les bénéfices). L’énorme incertitude achèvera de mettre en carafe le peu d’investissement qui restait (le taux d’investissement est tombé à 12 % en 2014 [5]…). Tous ces effets ajoutés à la désorganisation initiale promettent à la croissance grecque de plonger. Il faut avoir le courage de le dire : le début va être une épreuve.
Cette épreuve n’a de sens, économiquement parlant, que parce qu’elle ouvre par ailleurs de nouvelles opportunités et restaure de nombreux degrés de liberté absolument fermés dans le cadre des institutions de l’euro. En premier lieu elle permet d’en finir avec l’austérité, dont les nouvelles mesures ne relâchaient rien : la Grèce se trouvait enjointe de dégager un excédent primaire de 1 point de PIB cette année même, puis de 2 en 2016, puis de 3 en 2017, puis de 3,5 en 2018 ! Elle se trouve également soulagée des 26 milliards d’euros dus d’ici la fin 2015 à ses créanciers de toute sorte qu’elle va envoyer élégamment se faire foutre – 26 milliards d’euros [6], ça n’est pas loin de… 15 points de PIB ! Voilà à quoi la Grèce se saigne depuis tant d’années : à payer une dette que tout le monde sait insoutenable en dépit de tous ses rééchelonnements et, plus encore,dont elle ne porte pas la responsabilité ! Car les 80 points de PIB de dette pris depuis 2008 ne sont pas, comme le répète l’éditorialisme en pilotage automatique, « la dette de la Grèce » : c’est la dette de l’impéritie européenne, la dette de la plus gigantesque erreur de politique économique de l’histoire du capitalisme, la dette de l’acharnement idéologique, dit plus brièvement : la dette de la zone euro – et par conséquent la dette dont il n’est que justice que la zone euro se la carre dans le train.

Le vrai visage des « amis de l’Europe »

En écrivant en janvier que l’alternative de Syriza était de passer sous la table ou de la renverser[7] et qu’il n’y aurait pas de tiers terme, en particulier que l’idée d’obtenir quoi que ce soit des institutions européennes, ou pire encore d’engager leur transformation de l’intérieur, était un rêve de singe, il faut bien avouer qu’on n’était pas prêt à parier grand-chose sur l’hypothèse du renversement. Hic Rhodus hic salta [8] comme dit l’adage latin. Et c’est là qu’on voit les vrais hommes politiques. Pour toutes les erreurs stratégiques qu’il a commises jusqu’ici, il se pourrait bien que Tsipras en soit un. C’est qu’il faut une sacrée consistance pour faire face à ce mélange de périls et de chances qui s’offre à lui aujourd’hui – qui s’offre à lui ? non, qu’il a fait advenir en se tenant au plus près de l’essence de la politique : la proposition faite au peuple de décider souverainement.
Comme Roosevelt se déclarait fier en 1936 d’être devenu objet de haine de l’oligarchie capitaliste qu’il avait décidé de défier carrément, Tsipras peut s’enorgueillir des tombereaux d’injures que lui réserve une oligarchie d’un autre type, le ramassis des supplétifs d’une époque finissante, et qui connaitront le même destin qu’elle, la honte de l’histoire. La première chose que Jean Quatremer a cru bon de tweeter consiste en photos de queues devant les distributeurs à billets. Et d’annoncer avec une joie mauvaise : « La Grèce sera donc en faillite mardi à minuit. Accrochez-vous ! ».
On voudrait que quelque archiviste de talent, conscient de ce qui se joue d’historique ces jours-ci, s’attache à collecter tout ce qui va se dire et qui méritera de rester, tout ce que pense et dit l’oligarchie quand, à l’épreuve d’un moment critique, elle jette enfin le masque – car cette fois-ci le masque est bel et bien jeté. « La Grèce, c’est fini »titre le JDD du 28 juin, dirigé par Denis Olivennes, l’un des Gracques à qui l’on doit cette tribune à valeur de document quasi-psychiatrique publiée dans Les Echos, où l’on apprenait qu’il était urgent de « ne [pas laisser] Monsieur Tsipras braquer les banques » [9], textuellement, alors que le refus de restructurer la dette grecque jusqu’en 2012 n’a pas eu d’autres finalités que de sauver les banques allemandes, françaises, etc., ces banques où, précisément, prolifère la racaille Gracque, en effet la vraie racaille dans la société française – pas celle de Sarkozy –, ces « anciens hauts fonctionnaires socialistes » comme ils aiment à se présenter eux-mêmes, et qui en disent assez long sur l’état réel du « socialisme » français – pour ceux qui ne s’en seraient pas encore aperçus.
Bloomberg fait déjà des gorges chaudes de ce qu’on puisse envisager « sur les documents hautement techniques » de la Troïka de demander leur avis « aux mamies grecques » [10]. Mais c’est vrai, quelle idée ! La vraie démocratie est bien celle qui se contente de l’avis des économistes et des journalistes spécialisés de Bloomberg. Ou de Libération. Comme toujours les événements historiques, la sortie grecque sera un test de Rorschach en vraie grandeur, un bain photographique surpuissant. On peut le dire dès maintenant puisque la grande vidange est déjà à l’œuvre : l’oligarchie dégondée va montrer son vrai visage, et parler son vrai langage. Jean-Louis Bourlanges sur France Culture traite Tsipras de « terroriste révolutionnaire » [11] (sic), Quatremer relaie, écumant, les errances de Kathimerini, quotidien de droite qui qualifie le référendum de « coup d’Etat de bolcheviks », formidable moment de vérité où l’on va voir sans fard qui est qui et qui dit quoi. Oui, on voudrait vraiment que tout ceci soit méticuleusement consigné, pour qu’on sache ce qu’il en aura été de la « démocratie » en Europe à l’époque de la monnaie unique. Et pour que cette belle accumulation produise l’effet qu’elle est vouée à produire : celui du ridicule mêlé d’ignominie.

Et nous ?

Par un paradoxe qui doit tout aux coups de fouet de l’adversité, il se pourrait que cette avalanche de haine, car il n’y a désormais plus d’autre mot, soit le meilleur ciment des gauches européennes, et leur plus puissant moteur. Car la guerre idéologique est déclarée. Et il faudra bien cet état de mobilisation et de colère pour supporter ce qu’il va falloir supporter. Il ne faut pas s’y tromper : sauf à ce que tout l’euro parte en morceaux à son tour, hypothèse qui n’est certainement pas à exclure mais qui n’est pas non plus la plus probable, les yeux injectés de sang d’aujourd’hui laisseront bientôt la place à l’écœurant rire triomphateur des Versaillais quand la Grèce passera par le fond du trou. Car elle y passera. Elle y passera au pire moment d’ailleurs, quand Espagnols et Portugais, sur le point de voter, se verront offrir le spectacle du « désastre grec » comme figure de leur propre destin s’ils osaient à leur tour contester l’ordre de la monnaie unique. Ce sera un moment transitoire mais terrible, où, sauf capacité à embrasser un horizon de moyen terme, les données économiques de la situation n’offriront nul secours, et où l’on ne pourra plus compter que sur la colère et l’indignation pour dominer toutes les promesses de malheur. En attendant que se manifestent les bénéfices économiques, et plus encore politiques, du geste souverain.
Que faire entre temps pour échapper à la rage impuissante lorsqu’on n’est pas grec ? Depuis février, on a vu fleurir des initiatives de solidarité où le réconfortant le dispute au dérisoire : c’est que la version KissKiss BankBank des Brigades internationales a surtout pour effet de dire quelque chose de l’époque… En réalité l’événement offre peut-être la meilleure occasion de redécouvrir, et pour certains de découvrir tout court, que l’internationalisme réel consiste moins dans le dépassement imaginaire des nations que dans la solidarité internationale des luttes nationales. Et dans leurs inductions mutuelles. Les Grecs sont sur le point de défier l’ordre néolibéral en son institution principale : la monnaie unique européenne. Pour nous qui souffrons des pouvoirs entièrement vendus à cet ordre, être à la hauteur de l’éclaireur grec ne réclame pas moins que de nous retourner contre nos gouvernements.
Notes
[1] Philippe Légé, « Ne laissons pas l’Europe écrire sa tragédie grecque », Note des Economistes Atterrés, 30 avril 2015.
[2] Sanjay Basu et David Stuckler, « Quand l’austérité tue », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

[3] Inutile d’arguer des épisodes de « nationalisation » qui ont toujours été très partiels et n’ont jamais remis en cause l’essentiel, à savoir les rapports sociaux de production, inchangés même dans les enclaves de capitalisme d’Etat.

[4] C’est un problème si cet argent retiré de la circulation monétaire cesse d’animer les échanges marchands.

[5] Il était à 26 % en 2008…

[6] Dont un accord avec l’Eurogroupe n’aurait couvert que 15 milliards d’euros, et encore sans compter le déblocage fractionné, par tranches de 7,5 milliards, bien fait pour activer à chaque fois une clause de revoyure.

[7] « L’alternative de Syriza : passer sous la table ou la renverser », 19 janvier 2015.

[8] « C’est ici qu’il faut sauter ».

[9] Les Gracques, « Grèce : ne laissons pas Monsieur Tsipras braquer les banques », Les Echos, 15 juin 2015.

[10] « Tsipras Asking Grandma to Figure Out if Debt Deal is Fair », Bloomberg, 28 juin 2015.

[11] « L’esprit public », France Culture, 28 juin 2015.

Source : Frédéric Lordon, pour son blog La Pompe à phynances, le 29 juin 2015.

 

dimanche 28 juin 2015

L’UE prépare un plan pour contrer la « désinformation » des médias russes, dont RT (cercle des volontaires)

L’UE prépare un plan pour contrer la « désinformation » des médias russes, dont RT

 
RT-600L’Union européenne a préparé un plan pour faire face à ce qu’il estime être « les activités russes de désinformation » en appelant à des mesures contre les médias russes, y compris RT.
Un rapport de neuf pages, préparé par le Service européen pour l’action extérieure et obtenu par EUobserver, a été rédigé en prévision du sommet des 25 et 26 juin et devra être soumis au vote des dirigeants européens jeudi.
Ce plan vise à combattre « l’emploi et l’utilisation abusive des outils de communications » par la Russie, la « promotion des politiques européennes » dans les Etats de l’ex-Union soviétique, ainsi que le soutien aux « médias indépendants » et « l’accroissement de la conscience du public des activités de désinformation par les acteurs extérieurs », peut-on lire dans le rapport qui mentionne spécifiquement RT. Selon les auteurs du rapport, cette société répand « de fausses informations et des discours de haine depuis leurs bureaux européens ».
[…]
Lire la suite sur RT

Découvrez Inform’Action avec deux émissions au grand format : « La seconde guerre mondiale » et « Les secrets de l’Union Européenne » (cercle des volontaires)

Découvrez Inform’Action avec deux émissions au grand format : « La seconde guerre mondiale » et « Les secrets de l’Union Européenne »

 
inform-action-600Seconde guerre mondiale
Cette émission d’une heure et demie nous parle de l’implication américaine au sein de la société et de l’économie allemande dans les années 20 et 30, puis des raisons de la guerre entre les 2 pays.
Elle se propose, comme fil conducteur et par l’intermédiaire de son invité, Romain, de résoudre un paradoxe. Comment est-il possible qu’une partie significative des élites américaines ait pu autant influencer la société et l’économie allemande pour finir par se battre à mort contre elle ?
Ce paradoxe amène tout naturellement beaucoup de gens, tout à fait logiquement, à douter de l’influence des élites américaines sur l’Allemagne dans cette période… il faut donc la démontrer.
Nous voilà parti pour un bref rappel historique, sources à l’appui, des conditions de la fin de la Première Guerre mondiale en Allemagne. Conditions qui incitent des financiers, banquiers et industriels Américains à s’introduire dans l’économie allemande en y implantant des « filiales » de plus en plus nombreuses dans le courant des années 20 et au début des années 30. Elles finiront par former de gigantesques pôles industriels et bancaires comme « IG Farben » ou encore la « BRI ». Les filiales américaines continueront à exercer leurs activités à partir de l’arrivée au pouvoir du nazisme et fourniront une bonne partie, entre autres, du matériel de guerre de la Wehrmacht. Général Motors, Général Electric, ITT, standard Oil, IBM, Ford… ainsi que des centaines d’autres…



Les secrets de l’union européenne

Dans cette deuxième émission, Romain aborde les origines de la construction européenne. Les Etats-Unis sont sortis grands vainqueurs et leur influence dans la construction de l’union européenne y est très présente voir même imposante, Mitterrand dit même « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »



Merci à vous et à toi Romain, ça fait super plaisir de voir des initiatives de ré-information de qualité. Je m’abonne à votre chaine youtube et je vous souhaite une bonne continuation !
William Perroquet

Julian Assange (Wikileaks) appelle la France à prendre la tête d’une rebellion (News360)

Julian Assange (Wikileaks) appelle la France à prendre la tête d’une rebellion

Tout en promettant de nouvelles révélations à venir, plus importantes encore que celles publiées mardi sur l’espionnage des présidents français et de leurs proches conseillers, Julian Assange a chargé les Etats-Unis, mercredi soir, dans une interview accordée à TF1. Les écoutes « touchent directement l’emploi en France », a-t-il affirmé, sûr de toucher une corde sensible des spectateurs du journal télévisé. « Le chômage en France est particulièrement élevé ; il y a une raison à cela, l’une des raisons, c’est que les Etats-Unis jouent un sale jeu et cherchent à marginaliser la compétitivité économique des entreprises françaises et européennes« .

Le fondateur de Wikileaks suggère par ailleurs à la France d’entamer des poursuites contre les Etats-Unis, après convocation d’une commission d’enquête.
« Wikileaks compte sur la France, qui doit être une nation souveraine, nos services sont hébergés en France, un certain nombre de membres de ma famille sont en France, et pour des raisons personnelles, d’organisation, nous avons besoin de la France« , a-t-il conclu. « Il n’y a que la France qui peut prendre les rênes et mener les choses en Europe« .
Au même moment, les parlementaires adoptaient le projet de loi sur le renseignement.

Juncker met en concurrence les pauvres et exige un TAFTA qui détruit les PME européennes.(le grand soir)

Juncker met en concurrence les pauvres et exige un TAFTA qui détruit les PME européennes.


Marc Voinchet est en émoi ce 13 juin 2015 : « Nous sommes avec le président de la commission européenne, excusez du peu ». Effectivement, cela va être du lourd !
De l’entretien juste un petit conseil sera donné aux pauvres tentés par l’extrémisme : « Il ne faut pas suivre les populistes ».
Mais à quoi bon une démocratie puisque pour Juncker « nos arrière-petits enfants ne sauront même pas de quoi on parle, quand on parlera de guerre en Europe ». Notre fin journaliste n’a pas posé de question sur le mot creux qu’est devenu dans la bouche du président de la commission européenne la démocratie. N’a-t-il pas déclaré le 4 mars 2015 après l’élection de Tsipras que « Les élections ne changent pas les traités ».
Mettre en concurrence les pauvres est l’obsession de ce Président ; baisser le salaire minimum est l’objectif caché sous les bonnes paroles. Les premiers moments de l’interview, l’ancien ministre des finances du Luxembourg qui a contribué a orchestré une Europe ou les entreprises ne paient presque plus d’impôt, semble réellement touché par ce qui est la conséquence même de l’évasion fiscale généralisée : « Les grecs sont au bord de la pauvreté, ils ne veulent plus voir la politique d’austérité… je me sens très proche des grecs qui souffrent ». Puis plus tard dans l’interview « il faudra bien que la France accepte d’accueillir un nombre plus grand de migrants ». On retient une larme. Mais Marc Voinchet n’ose probablement pas demander si à Luxembourg-ville il y aura des squats de migrant ?
Les états eux-mêmes ne doivent pas traiter les questions stratégiques : « On ne peut laisser aux états-nation la gestion des migrants ». L’Europe va s’occuper du problème migratoire avec un a priori : il manque des dizaines de millions d’immigrés pour l’Europe de 2060 qui vieillit « L’Europe a besoin d’immigration quoiqu’on en dise… il faudra organiser l’immigration et nous allons le faire. ».
Evidemment, cette concurrence de migrants sans papiers et sans travail, est un atout supplémentaire pour mettre la pression sur les salaires. La Troïka exige dans tous les pays la baisse drastique du salaire minimum. Et là, celui qui préside à notre funeste avenir, va jusqu’à demander les réformes les plus honteuses pour tester le niveau d’acceptation des peuples : « Certains des éléments que nous avions fait parvenir à la partie grecque ont été rejeté ce qui parfois est compréhensible parce que les trois institutions voulaient par exemple augmenter le coût de l’électricité, le coût des médicaments… que les gouvernent grec ait rejeté ces propositions ne m’a guère surpris… nous leur avons dit qu’il faudrait qu’ils remplacent les mesures qu’ils ne voudraient pas par des mesures équivalentes en terme de revenu fiscal ».
Enfin après la mise en concurrence des pauvres entre eux, celle des petites entreprises avec les multinationales est à l’ordre du jour de l’Europe de Juncker. Ces PME n’ont aucun intérêt pour celui qui roule pour les multinationales voire ouvre l’Europe aux investissements chinois. TAFTA mérite donc d’être durci pour pénaliser les PME. Il nous rassure comme des enfants « A propos de TAFTA, il ne faut pas nourrir des craintes ». Puis assène le coup mortel aux PME. Non seulement Juncker ne veut pas de Small Business Act version européenne, mais il veut que TAFTA le grave dans le marbre : « Il ne faut pas toujours avoir ce réflexe protecteur et nombriliste. L’Europe est en train de négocier avec le gouvernement américain la fin de ce système… Nous sommes en train d’expliquer aux autorités américaines que leur manière de protéger leur marché a vocation à disparaitre si les Etats-Unis et les Européens veulent se mettre d’accord sur un traité de commerce. »
Juncker est un oligarque, de ceux qui ont confisqué toute démocratie. Nous en serions presque à lui préférer un dictateur éclairé. Seul peut nous libérer la révolte des gueux.
Denis Dupré
Enseigne la finance et l’éthique à l’Université De Grenoble-Alpes, chercheur au CERAG et à l’INRIA (équipe STEEP)
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L’ agonie de la tyrannie financière (l'Humanité)

L’ agonie de la tyrannie financière

Maud Vergnol
Dimanche, 28 Juin, 2015

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AFP
L'éditorial de Maud Vergnol. "Oui, l’Union européenne est en train de trembler sur ses bases. Mais c’est dans les couloirs de Bruxelles que se joue la scène du crime."
Voilà un dirigeant politique qui rentrera dans l’histoire. En annonçant la tenue d’un référendum, Alexis Tsipras vient d’infliger une sérieuse leçon à ses homologues européens en leur rappelant qu’il n’y a pas de fatalité à s’asservir sans résistance aux diktats des politiques austéritaires. Pourtant, rien ne lui aura été épargné pour le pousser à la faute. Mais dans le berceau de la démocratie, on ne demande pas l’autorisation aux bureaucrates de Bruxelles pour consulter le peuple qui vous a porté au pouvoir.
Grâce à cette décision courageuse, ce qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce, mais bien celle de l’Union européenne. À Bruxelles, le boudoir des tyrans de la finance doit redevenir la maison des peuples. Car la tenue de l’Eurogroupe, samedi, en l’absence de Yanis Varoufakis, est non seulement illégale, mais en dit long du mépris démocratique d’une poignée d’eurocrates, qui s’affranchissent sans aucun scrupule des règles de droit les plus élémentaires.
Oui, l’Union européenne est en train de trembler sur ses bases. Mais c’est dans les couloirs de Bruxelles que se joue la scène du crime. Car, comme l’a rappelé Alexis Tsipras, l’ultimatum des usuriers, qui préconise d’acculer toujours plus le peuple grec et de ménager les plus riches, contrevient aux principes et aux valeurs qui ont fondé l’Europe. Et n’en déplaise à Madame Lagarde, peu d’économistes sérieux osent encore défendre les cures d’austérité. Même son prédécesseur a daigné sortir de son silence, hier, pour enjoindre ses anciens camarades de jeu à « apprendre de leurs erreurs ». DSK juge aujourd’hui « ineptes » et « désastreux » les « ajustements budgétaires sévères » qui ont été la règle dans la zone euro dans la foulée de la crise. Cette déclaration, ainsi que la décision de la BCE d’accorder un nouveau sursis à la Grèce démontrent que la partie n’est pas terminée. Si dans les prochains jours, le peuple grec peut s’appuyer sur la solidarité de ses frères européens, la fin de l’orthodoxie libérale est à portée de main.

Grèce : le double discours de la France (L'Humanité)

Grèce : le double discours de la France

Dimanche, 28 Juin, 2015
Humanite.fr
Lundi dernier, François Hollande disait soutenir la Grèce, promettait de peser tout son poids pour obtenir un accord. Samedi, la France n’a rien fait contre l’éjection de Yanis Varoufakis de l’Eurogroupe et empêcher le chantage des créanciers.
Samedi, les ministres des finances de la zone euro ont prié leur homologue grec de quitter la réunion de l’Eurogroupe. Ils étaient scandalisés d’apprendre que le gouvernement de Tsipras s’en remette au référendum pour demander aux citoyens leur avis sur un ensemble de réformes antisociales. Des mesures d’austérité contre lesquelles les Grecs avaient justement voté en mettant aux responsabilités Syriza.
Ainsi les ministres des finances demandé au principal intéressé de quitter la réunion pendant qu’ils décidaient du sort de son pays. Ils en ont tiré cette déclaration : "Malheureusement, en dépit des efforts entrepris à tous les niveaux et du soutien entier de l'Eurogroupe, cette proposition a été rejetée par les autorités grecques, qui ont rompu les négociations de manière unilatérale dans la soirée du 26 juin". "L'accord d'assistance financière en cours avec la Grèce expirera le 30 juin 2015." Tous ont signé cette déclaration, y compris Michel Sapin, qui mène droit la Grèce vers le défaut de paiement.

Un double langage

Lundi, François Hollande disait «partager l'opinion » qu'un « accord qui respecte le gouvernement grec actuel » est « souhaitable et possible » et qu'il est « à portée de main ». Que les demandes de Tsipras étaient « acceptables », et que son équipe allait tout faire pour parvenir à un accord. Où était la voix de la France en ce sens ce weekend ?
Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de Gauche dénonçait ce dimanche matin sur iTélé ce flou : "On ne sait pas ce que propose la France de différent que cette droite allemande, que cette Europe libérale. En réalité, elle ne propose rien d'autre. On étrangle le peuple grec pour des raisons politiques, et non économiques. Ils veulent faire échouer cette expérience politique".
"Alexis Tsipras tranche avec la soumission dont a fait preuve le gouvernement français et François Hollande. Où était, cette semaine, le soutien à Tsipras que nous avait promis François Hollande?" renchérit le parti de gauche dans un communiqué.
DSK s’en mêle. L’ancien patron du FMI reconnaît les erreurs de l’institution. Il propose que "la Grèce ne reçoive plus aucun financement nouveau de la part de l'Union européenne comme du FMI mais qu'elle bénéficie d'une très large extension de la maturité et même d'une réduction nominale massive de sa dette à l'égard des institutions publiques". Dans ce texte, il critique à plusieurs reprises le caractère "inepte" ou "désastreux" des "ajustements budgétaires sévères" qui ont été la règle dans la zone euro dans la foulée de la crise. "Forcer le gouvernement grec à céder créerait un précédent tragique pour la démocratie européenne et pourrait mettre en marche une réaction en chaîne incontrôlable".

Tyrannie européenne ? [ Jacques Sapir ] (les moutons enragés)

Tyrannie européenne ? [ Jacques Sapir ]

Par · 27 juin 2015
Alexis Tsipras avait décidé de convoquer un référendum le 5 juillet, demandant au peuple souverain de trancher dans le différent qui l’oppose aux créanciers de la Grèce. Il avait pris cette décision devant les menaces, les pressions, et les ultimatums auxquels il avait été confronté durant les derniers jours de la négociation avec ce que l’on appelle la « Troïka », soit la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International. Ce faisant, et dans un geste que l’on peut qualifier de « gaullien », il avait délibérément renvoyé au domaine politique une négociation que les partenaires de la « Troïka » voulaient maintenir dans le domaine technique et comptable. Ce geste à provoqué une réaction de l’Eurogroupe d’une extrême gravité. Nous sommes en présence d’un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l’après-midi, quand l’Eurogroupe a décidé de tenir une réunion sans la Grèce. Ce qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce. C’est la question de l’Union européenne, et de la tyrannie de la Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée.
La déclaration d’Alexis Tsipras
Le texte de la déclaration faite par Alexis Tsipras dans la nuit du 26 au 27 juin sur la télévision d’Etat grecque (ERT), est de ce point de vue extrêmement clair :
« Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité. (…) Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité »[1].
Ce texte court, empli de gravité et de détermination, entrera vraisemblablement dans l’Histoire. Ce texte est prononcé par un homme jeune, qui a été confronté à la mauvaise fois, aux manipulations, à ce qu’il faut bien appeler toutes les bassesses de la politique, depuis 5 mois. Il dit aussi sa colère, froide et déterminée. Et c’est peut-être là l’échec principal de l’Eurogroupe et des institutions européennes : avoir transformé un partisan de l’Europe en un adversaire résolu des institutions européennes. Tsipras n’était pas il y a cinq mois de cela un opposant à l’idée européenne. Mais, la multiplication des humiliations, des tentatives de coup de force, l’ont obligé à réviser nombre de ses positions, qui pour certaines d’entre-elles relevaient de l’illusion. Tsipras et Varoufakis sont aujourd’hui sur une trajectoire de collision avec l’Eurogroupe et l’UE non pas de leur fait, mais de celui des « institutions européennes ». Ceci est d’une immense importance pour la suite.

Les leçons de la déclaration de Tsipras

On peut découvrir dans cette courte déclaration trois points importants.
Le premier est que le désaccord entre le gouvernement grec et ses partenaires a été d’emblée politique. La BCE et la Commission Européenne n’ont eu de cesse que de rechercher une capitulation du gouvernement grec, ce que Tsipras appelle «l’humiliation de tout un peuple ». Ce qu’a cherché l’Union européenne, par le biais de l’Eurogroupe, c’est à cautériser le précédent ouvert par l’élection de janvier 2015 en Grèce. Il s’agit de faire la démonstration non seulement en Grèce, mais ce qui est en fait bien plus important en Espagne, en Italie et en France, qu’on ne peut « sortir du cadre de l’austérité » tel qu’il a été organisé par les traités. Il faut ici se souvenir de la déclaration de Jean-Claude Juncker pour qui il ne peut y avoir de choix démocratique allant contre les traités.
Le deuxième point important de cette déclaration est que, pour la première fois un dirigeant légalement élu et en fonction déclare que les institutions européennes font des propositions qui, dans leur fond comme dans leur forme «violent absolument les acquis européens ». C’est une accusation très grave. Elle revient à dire que les institutions européennes qui sont censées être des garants de la démocratie agissent au contraire de celle-ci. Elle revient aussi à dire que ces mêmes institutions, dont la légitimité n’existe que par délégation de la légitimité des Etats membres ont des comportements qui violent la légitimité et la souveraineté de l’un des dits Etats membres. Cela revient donc à dire que les institutions de l’Union européennes se sont constituées en Tyrannus ab exercitio soit en un pouvoir qui, quoi qu’issu de procédures légitimes, se conduit néanmoins en Tyran. Cela revient à contester radicalement toute légitimité aux instances de l’Union européenne.
Le troisième point se déduit des deux premiers. Il est contenu dans la partie du texte qui dit : «Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec ». Il place désormais les enjeux non plus au niveau de la dette mais à celui des principes, de la démocratie comme de la souveraineté nationale. Et c’est en cela que l’on peut parler d’un véritable « moment gaullien » chez Alexis Tsipras. Si l’on veut pousser l’analogie historique jusqu’à son terme, alors que Paul Raynaud en 1940 ne soumet pas au Conseil des Ministres la question de faut-il continuer la guerre, Alexis Tsipras a osé poser la question de l’austérité et du référendum, et a reçu un soutien unanime, y compris des membres de l’ANEL, le petit parti souverainiste allié à SYRIZA. Il s’est ainsi réellement hissé à la stature d’un dirigeant historique de son pays.
La réaction de l’Eurogroupe, qui avait qualifié de nouvelle « triste » (sad) ce référendum[2], confirme bien les options antidémocratiques qui ont cours aujourd’hui au sein de l’Union européenne. Mais, cette réaction a elle-même était dépassée par une décision d’une importance réellement dramatique.

Le coup de force de l’Eurogroupe et la Tyrannie européenne

La réaction de l’Eurogroupe, qui se réunissait ce samedi à Bruxelles, a en effet consisté en un acte qui conjugue l’illégalité la plus criante avec la volonté d’imposer ses vues à un Etat souverain. En décidant de tenir une réunion en l’absence d’un représentant de l’Etat grec l’Eurogroupe vient de décider d’exclure de fait la Grèce de l’Euro. Ceci constitue à l’évidence un abus de pouvoir. Et il faut ici rappeler plusieurs points qui ne sont pas sans conséquences tant juridiquement que politiquement.
  1. Aucune procédure permettant d’exclure un pays de l’Union Economique et Monétaire (non réel de la « zone Euro ») n’existe actuellement. S’il peut y avoir une séparation, elle ne peut avoir lieu que d’un commun accord et à l’amiable.
  2. L’Eurogroupe n’a pas d’existence légale. Ce n’est qu’un « club » qui opère sous couvert de la Commission Européenne et du Conseil européen. Cela signifie que si l’Eurogroupe a commis un acte illégal – et il semble bien qu’il en soit ainsi – la responsabilité en incombe à ces deux institutions. Le gouvernement grec serait donc fondé d’attaquer la Commission et le Conseil à la fois devant la Cour Européenne de Justice mais aussi devant la Cour Internationale siégeant à La Haye. En effet, l’Union européenne est à la base une organisation internationale. On le constate par exemple dans le statut, et les exemptions fiscales, des fonctionnaires européens. Or, la règle dans toute organisation internationale est celle de l’unanimité. Le traité de Lisbonne a bien prévu des mécanismes de majorité qualifiée, mais ces mécanismes ne s’appliquent pas à l’Euro ni aux questions des relations fondamentales entre les Etats.
  3. Le coup de force, car il faut l’appeler par son nom, que vient de faire l’Eurogroupe ne concerne pas seulement la Grèce. D’autres pays membres de l’Union européenne, et l’on pense au Royaume-Uni ou à l’Autriche, pourraient eux-aussi attaquer devant la justice tant européenne qu’internationale la décision de fait prise par l’Eurogroupe. En effet, l’Union européenne repose sur des règles de droit qui s’appliquent à tous. Toute décision de violer ces règles contre un pays particulier constitue une menace pour l’ensemble des membres de l’Union européenne.
  4. Il faut donc ici être clair. La décision prise par l’Eurogroupe pourrait bien signifier, à terme, la mort de l’Union européenne. Soit les dirigeants européens, mesurant l’abus de pouvoir qui vient d’être commis, se décident à l’annuler soit, s’ils persévèrent dans cette direction ils doivent s’attendre à une insurrection des peuples mais aussi des gouvernants de certains Etats contre l’Union européenne. On voit ainsi mal comment des Etats qui ont juste recouvré leur souveraineté, comme la Hongrie, la République Tchèque ou la Slovaquie, vont accepter de telles pratiques.
Il est alors symptomatique que la crise induite par un pays ne représentant pas plus de 2% du PIB de l’UE ait pris cette tournure. En fait, cela révèle au grand jour la nature fondamentalement antidémocratique des institutions de l’UE et le fait que cette dernière soit en train de se constituer en Tyrannie.

Le spectre de la démocratie dans les couloirs de Bruxelles

On ne peut, et on ne doit, préjuger du résultat de ce référendum. Il est même possible que, devenu sans objet, il ne se tienne pas. Mais on doit souligner qu’il représente le retour de la démocratie dans un espace européen dont elle était absente. De ce point de vue, l’initiative prise par Alexis Tsipras représentait la dernière chance d’introduire de la démocratie dans le système européen.
Il est aussi probable que les partis d’opposition, que ce soit Nouvelle Démocratie ainsi que le Parti de centre-gauche La Rivière (To Potami) protestent et cherchent à empêcher par divers recours légaux ce référendum d’avoir lieu. On ne peut plus exclure le fait que ces partis, avec l’aide des nervis fascistes d’Aube Dorée, ne tentent de déstabiliser le gouvernement grec. Ces réactions sont exemplaires des comportements antidémocratiques qui s’épanouissent aujourd’hui en Europe. Ils apportent de l’eau au moulin d’Alexis Tsipras. On sent comment les acteurs européistes de ce drame sont aujourd’hui terrorisés par le spectre de la démocratie.
En France même, on ressent très distinctement le malaise que provoque l’initiative d’Alexis Tsipras. Que ce soit au Parti Socialistes ou chez les « Républicains », on ne peut ouvertement s’opposer à une telle décision sans contredire immédiatement et brutalement tous les discours qui ont été tenu sur la démocratie. Mais, en réalité, le référendum grec fait planer le spectre d’un autre référendum, celui de 2005 sur le projet de traité constitutionnel en Europe. La manière dont la classe politique française, dans sa large majorité, de Nicolas Sarkozy à François Hollande, de l’UMP au PS, avait été désavouée par la victoire du « Non », mais avait fait passer en contrebande à peu de choses près le même texte lors du Traité de Lisbonne qui fut ratifié par le Congrès à Versailles, est l’un des épisodes les plus honteux et les plus infamants de la vie politique française. Les acteurs de cette tragique mascarade sont toujours parmi nous. Il y a une continuité de projet, si ce n’est une continuité d’action, entre la décision de ne pas respecter un vote, celui des électeurs français mais aussi néerlandais, et le coup de force inouï de l’exclusion de la Grèce de l’Eurogroupe.
Tsipras ne doit ainsi pas s’attendre à un quelconque soutien de la part de François Hollande, renvoyé sans ménagement à sa propre médiocrité et à ses basses compromissions, ni de celle d’Angela Merkel dont la politique est la véritable cause de cette crise. Mais il peut s’attendre au soutien de tous ceux qui, en Europe, se battent pour la démocratie et la souveraineté.