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Le général Desportes placé sur écoute avec le feu vert de l’Elysée
Posted By Mecanopolis On 9 janvier 2011 @ 13:35 In Démocratie
La dernière livraison du « Canard enchaîné » rapporte que le contre-espionnage français a enregistré, en 2009 et 2010, les conversations du patron de l’Ecole de guerre, qui ose mettre en cause l’engagement de la France en Afghanistan.
Selon l’Elysée et le ministre de la défense, la République est en danger quand un général ose émettre quelques critiques sur l’engagement de la France en Afghanistan
A sein de l’état-major des armées, on n’ignore pas l’intérêt porté par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) aux conversations et aux relations du général Desportes. Motif de cet espionnage électronique réalisé sans l’aval d’un juge d’instruction : Vincent Desportes serait membre d’un réseau militaire clandestin baptisé « Surcouf »
Réseau « Surcouf »
En 2008, des généraux, des amiraux et des colonels en activité ou à la retraite, tous contraints à l’anonymat, rédigent ensemble un texte qu’ils signent « Surcouf » [2]. Puis, ils insistent auprès du Figaro pour que cette « tribune» paraisse le 18 juin. Une date choisie pour le symbole gaulliste qu’elle représente
Ce texte taille en pièce le Livre blanc de la défense, un document concocté à l’Elysée sous l’autorité du Président. Pour le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud, qui a collaboré à la rédaction de ce Livre blanc, cette prise de position dans le « Figaro » tient de l’affront personnel. Sarkozy et Guillaud, furieux et inquiets, veulent savoir combien d’officiers se cachent derrière « Surcouf »
Deux perquisitions sont menées à l’Ecole militaire. Les locaux du Collège interarmées de défense, dont le directeur est à l’époque le général Vincent Desportes, sont « visités ». Autres bureaux perquisitionnés, ceux du Chem, « l’aile militaire » de l’Institut des hautes études de défense nationale, d’où sortiront les futures généraux. Dans les deux cas, plusieurs ordinateurs d’officiers sont embarqués, dans l’espoir de découvrir les noms des membres et amis du réseau « Surcouf »
Une guerre dont les armées françaises ne veulent pas
Dès lors, Vincent Desportes est dans le collimateur. En 2010, il apprend que l’état-major, les ministres de la Défense, des Affaires étrangères et leurs porte-parole ont reçu, de Sarkozy, l’ordre de faire silence sur l’Afghanistan. Mais il n’en a cure
A quelques semaines de prendre sa retraite, Desportes devient le premier officier de haut rang à mettre publiquement en cause l’engagement de la France. Dans un entretien qu’il accorde au « Monde » (daté du 2 juillet 2010) [3], il affirme que « la situation en Afghanistan n’a jamais été pire (…). C’est une guerre américaine ». Avant de conclure : « Il faudra bien revoir la stratégie (…). L’armée américaine doute des directives de ses chefs. Tout se passe comme si le président Obama n’était pas très sûr de ses choix. » Puis Desportes confirme que la France ne participe à aucune décision sur l’engagement des troupes.
Dès la parution du « Monde », nombre d’officiers et de généraux approuvent discrètement ce qu’ils viennent de lire. Au centre de planification et de conduite des opérations – où l’on est « branché » en direct sur Kaboul – personne ne met en cause ce constat. Même réaction, en général, à l’Ecole militaire. Au Quai d’Orsay, plusieurs hauts diplomates se félicitent de voir un militaire ainsi monter au feu.
Avec l’accord de Sarkozy, l’amiral Guillaud décide de réagir. Il s’invite dès le lendemain à Europe 1 et traite Desportes d’irresponsable [4] avant de lui promettre une sévère sanction pour sa faute. Au « Figaro », où plusieurs journalistes ont leurs entrées dans les milieux militaires, la réaction est fort différente. Un article paraît, le 3 juillet, qui cite les propos acerbes du général Desportes sous ce titre révélateur : « La guerre en Afghanistan provoque une crise dans la hiérarchie militaire française. »
L’amiral Guillaud a en effet parlé trop vite. Plusieurs conseillers du ministre de la Défense, Hervé Morin, téléphonent à des officiers pour évaluer les dégâts provoqués par la sortie de Vincent Desportes, et ils constatent une « certaine poussée de fièvre » parmi les gradés des trois armées. Convaincu de l’existence d’un réel malaise au sein des troupes, Sarkozy et Guillaud rengaine ite leur colère. Desportes ne doit pas devenir un martyr. Il n’écopera donc que d’une petite « réprimande », et simplement orale…
Desportes persiste et signe
Trois mois plus tard, alors que, retraité, il occupe un poste de direction chez Panhard, où l’on fabrique des petits blindés, Vincent Desportes hausse encore le ton. Dans un entretien publié à « l’Express » [5], le 18 octobre dernier, il enfonce le clou : « Si on en donne pas sa chance à une pensée critique et constructive dans les armées, on est condamné à voir se multiplier les Surcouf (…). Une armée dans laquelle la pensée critique est bannie s’affaiblit. » Et il affirme qu’aucun débat « ouvert et franc » sur la guerre en Afghanistan « n’aura lieu tant que la majorité et l’opposition ne seront pas saisie sur le sujet ».
Tout le monde est donc prié d’attendre que les élus de la nation se réveillent. A la différence de leurs homologues britanniques, allemands ou autres, les députés et sénateurs français n’ont pas la possibilité de voter « pour » ou « contre » la guerre d’Afghanistan. Et ils ne s’offusquent même pas qu’un militaire vienne leur donner la leçon. Ce général, mis sur écoutes, ils devraient pourtant l’écouter, eux aussi…
Claude Angeli (Le Canard Enchaîné)
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