Le code du
travail en sursis ? sur Le Monde.fr
Fondation Copernic | 02.05.2012 à 10h18 Par Louis-Marie Barnier, Guillaume Etievant, Laurent
Garrouste, pour la Fondation Copernic
Les salariés
peuvent être soulagés : les négociations sur les accords compétitivité-emploi
initiées en début d'année n'ont pas abouti avant les élections, contrairement à
ce qu'espéraient Nicolas Sarkozy et le Medef. Les discussions se
poursuivront le 16 mai alors que le patronat souhaitait conclure un accord lors de la quatrième réunion de négociation
le 13 avril. Le code du travail a donc encore au moins quelques semaines de
sursis devant lui. S'ils étaient mis en place, les accords
compétitivité-emploi, rebaptisés depuis peu "accords de sauvegarde de
l'activité et de l'emploi", autoriseraient les organisations
syndicales et patronales à signer des accords d'entreprise dérogeant au code du travail,
notamment sur la question du temps de travail et des salaires, et n'ayant plus
besoin d'un avenant au contrat de travail signé par les salariés pour être
valides. Concrètement, les salarié-es pourraient par exemple se voir imposer une baisse de leur salaire sans leur accord. Le projet
servant de base aux négociations est très clair : "Le refus du salarié
d'accepter de se voir appliquer les dispositions de l'accord entraîne son
licenciement sui generis : le licenciement intervenant dans ces conditions est
réputé reposer sur une cause réelle et sérieuse
et ne pas avoir de nature économique." Le but du patronat est
ainsi d'éviter que le refus des salariés se transforme en licenciement économique.
En effet, aujourd'hui, s'il y a plus de dix licenciements économiques dans une
entreprise de plus de cinquante salariés, elle est obligée de mettre en place un plan social,
avec toutes les dépenses et la mauvaise image que cela induit.
Ces accords
compétitivité-emploi sont censés être mis en place pour sauver des sites traversant des difficultés économiques. Les
salariés accepteraient des sacrifices en échange d'un maintien de leur emploi.
Problème : dans le projet servant de base aux négociations, il n'y a absolument
aucun engagement concernant le maintien de l'emploi. Et seuls les salariés
feraient des sacrifices : aucune disposition dans ces accords ne prévoit de supprimer ou de réduire la distribution de dividendes aux
actionnaires ou de bonus aux dirigeants. Par le passé, des accords de ce type
(mais qui nécessitaient l'accord des salariés) ont déjà été mis en place. En
2007, les salariés de Continental à Clairoix, par exemple, avaient accepté d'augmenter leur temps de travail de 35 à 40 heures pour sauver leur site. Deux ans après, leur direction le fermait.
Les accords compétitivité-emplois n'ont en
fait qu'un seul but pour le patronat : flexibiliser encore plus le travail et
se débarrasser du code du travail. En France, le code du travail
est une protection qui permet de limiter la subordination du salarié vis-à-vis de l'employeur.
Il a de tout temps été attaqué par le patronat, car il l'empêche de fixer les salaires, le temps de travail, les conditions de
travail comme il le souhaite. Permettre aux accords d'entreprises de déroger au code du
travail et de s'imposer au contrat de travail, c'est faire disparaitre cette protection. La rupture initiée lors
des décennies précédentes dans ce qu'on appelle la hiérarchie des normes avait
déjà été accentuée par la loi du 4 mai 2004, qui permet aux accords d'entreprises de déroger aux
accords de branches même lorsque ces derniers sont plus favorables aux
salariés. La nouvelle étape que souhaite franchir le patronat vers la démolition du droit du travail
trouve malheureusement beaucoup d'alliés. Face à cette offensive, le mouvement
syndical apparaît divisé, certains syndicats faisant plus confiance à la
négociation qu'à la mobilisation pour défendre l'emploi.
Les salariés ont de quoi s'inquiéter : un étrange
consensus entoure depuis plusieurs mois les attaques répétées contre le code du
travail. Une partie de la gauche s'est en effet ralliée à l'idée selon laquelle
les salariés et le patronat partageraient des intérêts communs. Jusqu'à
présent, les avancées sociales ont pourtant toujours été issues des luttes
sociales et de la loi et ont été conquises contre les intérêts du patronat. Des
compromis sociaux peuvent certes exister à un moment donné au sein des entreprises, mais il est
indispensable qu'ils obéissent au code du travail, garantie de l'égalité de
traitement de tous les travailleurs. Il faut sauvegarder et renforcer le code du travail pour que les salariés, obligés de
vendre leur force de travail pour vivre, soient protégés dans le rapport de force avec les
propriétaires des moyens de production. Espérons que la gauche saura en temps
voulu se rappeler de son histoire et de ses valeurs. Et que le sursis
accordé au code du travail ne se transformera pas dans quelques mois en peine
capitale pour les salariés.
Louis-Marie Barnier est sociologue et syndicaliste ; Guillaume Etievant est expert auprès des Comités d'entreprise ; Laurent Garrouste est inspecteur du travail.