Jean-Luc Nobleaux : “Les radars sont des machines à sous,
mais aussi et surtout un vrai jackpot orwellien !” (Enquête et
débat)
http://www.enquete-debat.fr/archives/jean-luc-nobleaux-les-radars-sont-des-machines-a-sous-mais-aussi-et-surtout-un-vrai-jackpot-orwellien-13400
21 juin
2012, 22:33Auteur : Jean
E&D : Les médias se font l’écho en ce moment de l’installation du premier radar mesurant la vitesse moyenne. Pourquoi ce nouveau genre de radar maintenant ?
C’est juste
le programme prévu qui est appliqué. Ces nouveaux radars mesurent la vitesse
moyenne sur plusieurs kilomètres.
Le but pour
le gouvernement reste de déterminer quel type de radar “piège” le plus
efficacement automobilistes et motards, dans un but de surveillance globale. Ce
nouveau matériel diffère des autres dans la mesure où il enregistre absolument
TOUTES les plaques d’immatriculation, pas seulement celles des contrevenants.
Les gens ne réalisent toujours pas que le but premier du système radars en
France est ce que les sociologues appellent : “le contrôle de la société”. Ce
projet se met en place très discrètement, mais il n’a jamais été secret. A
terme ce maillage numérique doit permettre de tracer et surveiller nos
déplacements routiers, tout en améliorant le fichage et la ponction fiscale
(reconnaissance biométrique, fichier des gens dits “honnêtes”, etc.). Pour cela
il faut multiplier les cabinettes, habituer les gens à être surveillés et
photographiés par des machines. Or un radar dit “tronçon” c’est 3 miradors à la
suite (un radar pédagogique + 2 autres calculant la vitesse moyenne et
enregistrant un max d’infos). Les radars sont des machines à sous, mais aussi
et surtout un vrai jackpot orwellien !
E&D :
Vous avez démontré dans votre livre Radars le grand mensonge (Tatamis, 2009)
que les radars n’étaient pour rien dans la baisse de la mortalité sur les
routes. Cela sera-t-il également le cas pour ce nouveau genre de radar ?
A l’examen
des chiffres (ceux fournis par le gouvernement) il s’avère qu’il est
mathématiquement impossible d’affirmer qu’en France les flashes sont un
bienfait pour la “sécurité routière”. Mieux, presque partout où des études ont
été faites, notamment aux USA, on constate que les radars de feux tricolores
provoquent plus d’accidents qu’ils n’en évitent. Tout ceux qui prétendent le
contraire sont des crétins ou des malhonnêtes.
Quant aux
chiffres qui « prouveraient » que les radars – de “vitesse moyenne” ou autres
-, réduisent la mortalité de 50% sur les autoroutes et voies rapides, ils sont
bidon. Les autoroutes c’est là où il y a le moins d’accidents, c’est un jeu
d’enfant de manipuler les statistiques. Exemple : en 2010 on compte 2 morts sur
telle autoroute. En 2011 on compte un mort et deux blessés sur cette même autoroute.
Bilan annoncé par Chantal Perrichon et le gouvernement à coups de trompes : 50%
d’amélioration de la mortalité ! ça ne veut rien dire surtout dans un contexte
de baisse continuelle des accidents depuis 30 ans, et de tripatouillage
incessant des statistiques officielles. C’est l’habituelle propagande destinée
à berner les faibles d’esprit.
E&D :
Vous expliquiez également que les radars avaient été mis en place par Nicolas
Sarkozy depuis 2002. Avec le changement de parti au pouvoir, la politique des
radars va-t-elle aussi changer ?
“Le
changement c’est maintenant” mais la répression routière continue. Pire,
Frédéric Péchenard, ex-flic très proche de Sarkozy vient d’être nommé par
François Hollande à la tête du bureau dit de la “Sécurité routière”, rattaché
au ministère de l’Intérieur. Cela peut signifier que les bébés sarkozistes
seront bien gardés et/ou que tout le monde va désormais en “croquer” (UMP comme
PS). Cela signifie surtout que le projet ultime, qui est de faire du maillage
des radars le premier flic de France, a toutes les “chances” d’être mené à son
terme. Quel président de la république aurait le courage de se passer d’un
outil de flicage si puissant ?
D’ailleurs
un consensus droite-gauche règne depuis longtemps sur cette question, comme sur
beaucoup d’autres. Le seul vrai chantier “sécuritaire” en France depuis 15 ans,
c’est la répression routière. Pendant ce temps-là, des chantiers réellement
problématiques pour le pays comme l’évasion fiscale, ou la délinquance urbaine
sont délibérément négligés.
E&D : Un
autre livre sur les radars vient de sortir, connaissez-vous son auteur et
l’avez-vous lu, si oui qu’en pensez-vous ?
Je ne l’ai
pas encore lu, mais Denis Boulard son auteur – qui ne vient pas de la presse
auto ou moto – m’a souvent consulté pour écrire son livre. Son enquête de 100
pages est axée sur le côté “bizness” de la répression routière. Certes mon
bouquin est assez complet, mais Denis n’a pas son pareil pour dénicher des
chiffres et autres anecdotes croustillantes. Il fait partie d’une race en voie
de disparition, les journalistes qui investiguent, encore appelés “fouineurs”.
C’est lui par exemple qui avait “sorti” l’affaire du non-vote de Cécilia
Sarkozy lors du 2e tour des présidentielles de mai 2007, alors qu’il bossait au
JDD. Rappelons brièvement la suite : Arnaud Lagardère, patron du groupe, avait
exigé que le “scoop” soit étouffé (il est sorti après dans d’autres titres).
Quelques mois plus tard Denis fut viré du JDD, sans compter qu’étrangement
depuis lors, il doit répondre à de récurrents contrôles fiscaux… Être black
listé et commettre un opus sur le bizness des radars (véritable pépite du
pouvoir), voilà une preuve de courage, qualité devenue rarissime dans le
métier. A propos, coïncidence (ou pas), j’ai aussi eu droit à mon contrôle
fiscal l’année suivant la sortie de “Radars le grand mensonge” (et ma femme
aussi !).
De plus en plus de gens méprisent les journalistes, et les traitent de lâches et de larbins. Ils ont raison, mais il ne faut pas oublier qu’en France, révéler une info qui dérange l’oligarchie au pouvoir et/ou la pensée “dominante” ou même simplement un annonceur de votre média, ne vous attire aucune promotion, que des ennuis.
De plus en plus de gens méprisent les journalistes, et les traitent de lâches et de larbins. Ils ont raison, mais il ne faut pas oublier qu’en France, révéler une info qui dérange l’oligarchie au pouvoir et/ou la pensée “dominante” ou même simplement un annonceur de votre média, ne vous attire aucune promotion, que des ennuis.
E&D :
Les médias ont-ils une chance de s’ouvrir à l’avenir à la critique de la
politique des radars telle que vous la formulez ?
On peut être
admis dans les médias à forte audience, et dire des choses. Mais c’est après
que la machine médiatique démarre, ou pas. Si les “autres” relaient vos idées
ça peut marcher. Mais dès que votre position est trop « touchy » ils la
diabolisent, la moquent ou l’ignorent. Votre point de vue n’étant pas relayé,
il n’existe pas.La machine médiatique est aussi complexe que perverse. Avoir un
accès aux médias (surtout ponctuel), ne signifie nullement qu’une autoroute
s’ouvre devant vous.
Existe en
parallèle le problème “économique”. Je sais par exemple qu’au Monde (l’un des
journaux qui donnent le “la”), certains journalistes ont compris l’envergure et
la nocivité potentielle du projet “radars”. Ils ont compris que ce système
visait non pas quelques chauffards, mais l’ensemble de notre société. Mais rien
sur le sujet. Zéro la tête à toto. Est-ce étonnant quand on sait que la Sagem,
qui fabrique les radars et fait partie du GIXEL (le lobby de la surveillance
numérique), est… actionnaire du Monde ?
Ensuite
arrive le problème de l’audience (peut-être connexe au délitement de nos
médias) . L’opinion publique française baigne dans une incroyable torpeur. Vous
pouvez toujours, comme moi, publier une enquête dévoilant les coulisses
pourries d’une action publique, dénoncer un empilement sans précédent
d’escroqueries et mensonges d’État… Qui s’en soucie en vérité ?
Bref, comme
disait Martin Luther King (je crois) : “Ce qui effraie ce n’est pas
l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons”