9 septembre 2012
L’argent sans foi ni loi, par M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot
Bernard GENSANE
Lire les Pinçon-Charlot est toujours utile : Ils sont précis, rigoureux,
posent les questions utiles et apportent les bonnes réponses. Dans ce dernier
ouvrage, ces grands connaisseurs de ceux qu’ils appellent « les riches »
expliquent comment l’argent est devenu, par-delà tous les principes moraux ou
religieux, et en se jouant des droits des personnes, la valeur suprême de nos
existences individuelles et collectives.
Pour les auteurs, le monde est divisé en trois classes : un prolétariat qui subit des formes d’exploitations de plus en plus brutales, des classes moyennes, précarisées, divisées et déboussolées par la prétendue « crise », et la classes dominante, celle qui a gagné – comme disait Warren Buffet – la « guerre » des classes parce qu’elle est solidaire, organisée, et parce que, selon une approche sartrienne, elle est « la seule classe sociale en soi et pour soi. »
Aux États-Unis, tout à commencé avec la fin de l’indexation du dollar sur l’or décidée par Nixon, lorsque la devise devint une monnaie de singe, ouvrant au pays la voie de la domination du monde. À la même époque, en France, une loi de janvier 1973 interdit à la Banque de France de prêter à l’État, ce qui permit aux marchés financiers d’accaparer les intérêts des emprunts publics. Depuis la loi du 4 août 1993, à la fin du second mandat de François Mitterrand, la Banque de France est indépendante. Autrement dit, privée.
La création de la monnaie, de plus en plus en plus scripturale, fut désormais l’apanage des banques privées, et aussi de la grande distribution. Lorsqu’un client demande à sa banque un crédit de 200 000 euros pour acheter un appartement, cela ne signifie pas que la banque va chercher de l’argent dans ses coffres : elle crée 200 000 euros par une simple écriture comptable.
L’argent proliférant, l’argent créé en dehors de toute vraie production de richesses, s’est dès lors émancipé du corps social. Avec les machines qui passent des ordres en quelques microsecondes sans qu’aucun humain n’intervienne, l’argent est devenu asocial au sens où il circula de moins en moins dans le reste du corps social. C’est alors qu’il y eut « sécession » (Thierry Pech) entre les riches et les pauvres (http://bernard-gensane.over-blog.com/article-ces-gredins-nos...).
Les transactions sur les produits dérivés et les autres produits financiers spéculatifs ont été 74 fois plus importants que le PIB mondial en 2008 (15 fois en 1990). Les grandes banques françaises consacrent aujourd’hui 80% de leur potentiel à la spéculation et seulement 20% à la gestion des dépôts, salaires et pensions de leurs clients ordinaires. Les « riches » prennent bien soin, cela dit, d’investir aussi dans l’économie réelle. C’est pourquoi, par exemple, ils n’ont pas souffert de la crise des subprimes qui a ruiné les classes moyennes étatsuniennes.
Les agences de notation (comme Fitch, la française, qui appartient à Marc Ladreit de Lacharrière) sont utilisées aujourd’hui comme une arme au service de la puissance des marchés financiers, c’est-à-dire de spéculateurs en chair et en os, pour soumettre les politiques et les peuples à leur cupidité.
La raison pour laquelle les dirigeants des grandes entreprises sont désormais à la fois excellemment bien rémunérés et, en même temps au service étroit des intérêts des actionnaires, c’est que, justement, une bonne partie de leur rémunération est versée sous forme d’actions, pire de stock-options. Leur intérêt n’est pas la santé objective des entreprises qu’ils dirigent – et évidemment pas celle du « capital humain – mais leur valeur en bourse. Il leur faut donc, sans même nécessairement créer de la richesse, baisser le « coût » du travail, pousser les gouvernants à réduire les déficits et équipements publics. Ces gouvernants, sociaux-démocrates au premier chef (la Bourse ne s’est jamais aussi bien portée que sous le gouvernement Jospin en 2000), font le « sale boulot » en détruisant les protections sociales, en réduisant légalement les droits des travailleurs, en privatisant les biens publics. Ils sont pilotés par des structures plus ou moins formelles comme le Forum de Davos, le groupe de Bilderberg où la Commission trilatérale. Commission fondée en 1972 à l’initiative du banquier et industriel David Rockefeller, elle fut longtemps dirigée par le conseiller de Jimmy Carter Zbigniew Brzezinski, proche de Henry Kissinger. Parmi ses membres français, on compte François Bayrou, Nicolas Beytout, Patrick Devedjan, Laurent Fabius, Henri Proglio, Hubert Védrine (membre du CA de LVMH, comme son « camarade » socialiste Christophe Girard), Élisabeth Guigou (http://vigiinfos.canalblog.com/archives/2012/05/30/22788584....). Cette dernière retrouve Mario Monti, Michel Barnier ou Pascal Lamy au conseil d’administration du think tank des Amis de l’Europe. On se souvient qu’après la démission de Michèle Alliot-Marie lors de la crise tunisienne, elle fut mise en cause pour son amitié pour Aziz Miled, l’un des financiers de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranée), dont elle démissionna sans tambour ni trompette.
La « guerre » des classes est à ce point gagnée par les « riches » que la banque Goldman Sachs peut, sans la moindre vergogne, placer ses hommes à la tête des gouvernements (Mario Monti, Lucas Papademos) et, mieux encore, de la BCE (Mario Draghi). Le triomphe des « riches » est tel qu’un groupe comme LVMH peut posséder 140 filiales dans les paradis fiscaux tandis que les avoirs des familles françaises en Suisse sont actuellement de 80 milliards d’euros. On mettra ce chiffre en regard avec le déficit public de la France en 2011 (91 milliards) ou avec le « trou » de la Sécu (17 milliards), cette construction purement politique et idéologique.
Pourquoi les pauvres et les classes moyennes votent-ils à droite ou, au mieux, pour des socialistes complices ? Parce que, selon les auteurs, subissant la violence symbolique, ils ont intériorisé l’idée que les dominants sont à leur place et que le capitalisme libéral est désormais la seule nature possible de l’économie. Un vrai changement présuppose un éveil des consciences et une acceptation de valeurs contraires à celles de l’hyperbourgeoisie au pouvoir. Les choses peuvent rester en l’état pendant encore très longtemps. La classe politique est intimement liée au monde des affaires. Les employés et les ouvriers, qui représentent 52% de la population active, sont quasiment absents des assemblées parlementaires. Cela crée une grande violence symbolique qui explique, pour partie, l’accroissement du vote FN chez les plus défavorisés, dont le nombre a grossi sous Sarkozy : 800 000 enfants français ne peuvent pas prendre un repas protéiné tous les deux jours, ni être chauffés correctement.
L’État s’appauvrit par la volonté des politiques, au point que le prochain siège du ministère de la Défense appartiendra à Bouygues. En attendant la suite...
Michel Pinçon, Monica Pinçon-Charlot : L’argent sans foi ni loi. Conversation avec Régis Meyran. Paris, Textuel, 2012.
http://bernard-gensane.over-blog.com/
Pour les auteurs, le monde est divisé en trois classes : un prolétariat qui subit des formes d’exploitations de plus en plus brutales, des classes moyennes, précarisées, divisées et déboussolées par la prétendue « crise », et la classes dominante, celle qui a gagné – comme disait Warren Buffet – la « guerre » des classes parce qu’elle est solidaire, organisée, et parce que, selon une approche sartrienne, elle est « la seule classe sociale en soi et pour soi. »
Aux États-Unis, tout à commencé avec la fin de l’indexation du dollar sur l’or décidée par Nixon, lorsque la devise devint une monnaie de singe, ouvrant au pays la voie de la domination du monde. À la même époque, en France, une loi de janvier 1973 interdit à la Banque de France de prêter à l’État, ce qui permit aux marchés financiers d’accaparer les intérêts des emprunts publics. Depuis la loi du 4 août 1993, à la fin du second mandat de François Mitterrand, la Banque de France est indépendante. Autrement dit, privée.
La création de la monnaie, de plus en plus en plus scripturale, fut désormais l’apanage des banques privées, et aussi de la grande distribution. Lorsqu’un client demande à sa banque un crédit de 200 000 euros pour acheter un appartement, cela ne signifie pas que la banque va chercher de l’argent dans ses coffres : elle crée 200 000 euros par une simple écriture comptable.
L’argent proliférant, l’argent créé en dehors de toute vraie production de richesses, s’est dès lors émancipé du corps social. Avec les machines qui passent des ordres en quelques microsecondes sans qu’aucun humain n’intervienne, l’argent est devenu asocial au sens où il circula de moins en moins dans le reste du corps social. C’est alors qu’il y eut « sécession » (Thierry Pech) entre les riches et les pauvres (http://bernard-gensane.over-blog.com/article-ces-gredins-nos...).
Les transactions sur les produits dérivés et les autres produits financiers spéculatifs ont été 74 fois plus importants que le PIB mondial en 2008 (15 fois en 1990). Les grandes banques françaises consacrent aujourd’hui 80% de leur potentiel à la spéculation et seulement 20% à la gestion des dépôts, salaires et pensions de leurs clients ordinaires. Les « riches » prennent bien soin, cela dit, d’investir aussi dans l’économie réelle. C’est pourquoi, par exemple, ils n’ont pas souffert de la crise des subprimes qui a ruiné les classes moyennes étatsuniennes.
Les agences de notation (comme Fitch, la française, qui appartient à Marc Ladreit de Lacharrière) sont utilisées aujourd’hui comme une arme au service de la puissance des marchés financiers, c’est-à-dire de spéculateurs en chair et en os, pour soumettre les politiques et les peuples à leur cupidité.
La raison pour laquelle les dirigeants des grandes entreprises sont désormais à la fois excellemment bien rémunérés et, en même temps au service étroit des intérêts des actionnaires, c’est que, justement, une bonne partie de leur rémunération est versée sous forme d’actions, pire de stock-options. Leur intérêt n’est pas la santé objective des entreprises qu’ils dirigent – et évidemment pas celle du « capital humain – mais leur valeur en bourse. Il leur faut donc, sans même nécessairement créer de la richesse, baisser le « coût » du travail, pousser les gouvernants à réduire les déficits et équipements publics. Ces gouvernants, sociaux-démocrates au premier chef (la Bourse ne s’est jamais aussi bien portée que sous le gouvernement Jospin en 2000), font le « sale boulot » en détruisant les protections sociales, en réduisant légalement les droits des travailleurs, en privatisant les biens publics. Ils sont pilotés par des structures plus ou moins formelles comme le Forum de Davos, le groupe de Bilderberg où la Commission trilatérale. Commission fondée en 1972 à l’initiative du banquier et industriel David Rockefeller, elle fut longtemps dirigée par le conseiller de Jimmy Carter Zbigniew Brzezinski, proche de Henry Kissinger. Parmi ses membres français, on compte François Bayrou, Nicolas Beytout, Patrick Devedjan, Laurent Fabius, Henri Proglio, Hubert Védrine (membre du CA de LVMH, comme son « camarade » socialiste Christophe Girard), Élisabeth Guigou (http://vigiinfos.canalblog.com/archives/2012/05/30/22788584....). Cette dernière retrouve Mario Monti, Michel Barnier ou Pascal Lamy au conseil d’administration du think tank des Amis de l’Europe. On se souvient qu’après la démission de Michèle Alliot-Marie lors de la crise tunisienne, elle fut mise en cause pour son amitié pour Aziz Miled, l’un des financiers de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranée), dont elle démissionna sans tambour ni trompette.
La « guerre » des classes est à ce point gagnée par les « riches » que la banque Goldman Sachs peut, sans la moindre vergogne, placer ses hommes à la tête des gouvernements (Mario Monti, Lucas Papademos) et, mieux encore, de la BCE (Mario Draghi). Le triomphe des « riches » est tel qu’un groupe comme LVMH peut posséder 140 filiales dans les paradis fiscaux tandis que les avoirs des familles françaises en Suisse sont actuellement de 80 milliards d’euros. On mettra ce chiffre en regard avec le déficit public de la France en 2011 (91 milliards) ou avec le « trou » de la Sécu (17 milliards), cette construction purement politique et idéologique.
Pourquoi les pauvres et les classes moyennes votent-ils à droite ou, au mieux, pour des socialistes complices ? Parce que, selon les auteurs, subissant la violence symbolique, ils ont intériorisé l’idée que les dominants sont à leur place et que le capitalisme libéral est désormais la seule nature possible de l’économie. Un vrai changement présuppose un éveil des consciences et une acceptation de valeurs contraires à celles de l’hyperbourgeoisie au pouvoir. Les choses peuvent rester en l’état pendant encore très longtemps. La classe politique est intimement liée au monde des affaires. Les employés et les ouvriers, qui représentent 52% de la population active, sont quasiment absents des assemblées parlementaires. Cela crée une grande violence symbolique qui explique, pour partie, l’accroissement du vote FN chez les plus défavorisés, dont le nombre a grossi sous Sarkozy : 800 000 enfants français ne peuvent pas prendre un repas protéiné tous les deux jours, ni être chauffés correctement.
L’État s’appauvrit par la volonté des politiques, au point que le prochain siège du ministère de la Défense appartiendra à Bouygues. En attendant la suite...
Michel Pinçon, Monica Pinçon-Charlot : L’argent sans foi ni loi. Conversation avec Régis Meyran. Paris, Textuel, 2012.
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