Logement
Le gouvernement osera-t-il imposer une baisse des loyers ?
Par , (3 septembre 2012)
Depuis le 1er août, un décret encadre la hausse des loyers à la relocation dans 38 agglomérations françaises. Cette mesure est destinée à limiter les hausses de loyer abusives, mais elle ne concerne ni les meublés ni les logements neufs. Si elle mécontente les professionnels de l’immobilier, elle est jugée insuffisante par les associations défendant le droit au logement. Le décret signé par Cécile Duflot constitue-t-il un premier pas vers une véritable régulation du marché de l’immobilier, et une baisse des loyers, première dépense des familles locataires ?
C’est une première étape vers une possible régulation du marché de l’immobilier. Le 1er août est entré en vigueur un décret encadrant les loyers des logements mis en relocation. Jusqu’à présent, lors d’un changement de locataire ou d’un renouvellement de bail, rien n’empêchait un propriétaire de réévaluer le montant du loyer à sa guise. Résultat : des augmentations systématiques et régulières contribuant à la spéculation dans les zones « tendues ». Dans l’agglomération parisienne (Paris et banlieue), un nouveau locataire emménageant en 2011 payait en moyenne 7,3 % plus cher que son prédécesseur, selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap). Et mieux valait ne pas changer d’appartement dans la capitale, avec une hausse de 10,8 % en cas de relocation. Bref, pour un 50 m2 se louant 1 000 euros, une substantielle augmentation de plus de 108 euros…
L’Île-de-France n’est pas une exception : les loyers à la relocation ont, en un an, augmenté de 4 % à Lyon, de 3,5 % à Bordeaux, de 3,3 % à Lille… Cette inflation lors des changements de locataires constitue, selon l’Observatoire des loyers, le « premier facteur de hausse des loyers ». Avec le nouveau décret, un propriétaire ne pourra pas dépasser l’augmentation prévue par l’indice de référence des loyers, calculé par l’Insee, soit 2,2% au premier semestre 2012.
Les étudiants, premiers concernés
Ce décret sera applicable au sein de 38 agglomérations (1 500 communes) où les loyers sont supérieurs à 11,10 €/m2 – soit 555 € pour un 50 m2 – ou qui ont connu une hausse des loyers d’au moins 3,2 % par an depuis dix ans. Parmi les zones concernées figurent toutes les grandes villes françaises et leurs banlieues [1], des zones touristiques (La Rochelle, Menton…), des villes frontalières (Forbach, Annemasse…) et des agglomérations des territoires d’Outre-Mer (Cayenne, Pointe-à-Pitre…). Des dérogations sont cependant possibles : si le propriétaire a réalisé des travaux d’amélioration dans le logement ou dans les parties communes – s’il s’agit d’un immeuble collectif – d’un montant au moins égal à la moitié de la dernière année de loyer, ou si le loyer est manifestement sous-évalué comparé à ceux pratiqués dans le voisinage.
Pour la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot, appliquer ce décret dès le 1er août permet d’en faire bénéficier les étudiants qui, rentrée oblige, s’apprêtent à chercher un appartement dans les villes universitaires. Plus largement, toutes les personnes emménageant dans une nouvelle agglomération pour raisons professionnelles ou familiales devraient profiter du décret. « Pour ceux qui arrivent dans une ville, le parc privé est la seule réponse », rappelle Sabine Baïetto-Besson, présidente de l’Olap. « Et la pression est plus forte pour les plus fragiles, comme les familles monoparentales. »
Quelles sanctions pour le bailleur récalcitrant ?
Première limite : le champ du décret ne concerne ni les meublés ni les logements neufs lors de leur première mise en location. Ce qui en restreint d’emblée la portée. Ensuite, en pratique, il revient au locataire de contester une éventuelle hausse abusive du loyer. Problème : il ne sera pas forcément au courant du loyer pratiqué avant son arrivée, le propriétaire n’ayant aucune obligation de lui communiquer les quittances antérieures. Et le décret ne précise pas les délais dans lesquels une contestation auprès d’une commission départementale de conciliation peut être déposée. Ni à quelles sanctions s’expose un bailleur récalcitrant.
Dans les zones où les logements se font rares, il est même vraisemblable que se développent des pratiques visant à contourner la loi : part du loyer payée au noir, dessous-de-table exigé au locataire… Pour combler cette lacune, certains, au sein de la commission logement d’Europe écologie-Les Verts (EELV) qui travaille en lien avec le cabinet ministériel de Cécile Duflot, proposent des sanctions rétroactives, comme un remboursement du surloyer en cas d’abus. Une rétroactivité qu’ils espèrent dissuasive. La mise en œuvre de la loi sur le « droit au logement opposable », entrée en vigueur en 2007, montre à quel point il ne suffit pas de prévoir des recours pour construire une véritable politique du logement. Cinq ans après sa publication, « 3,6 millions de personnes sont non ou très mal logées », selon la Fondation Abbé-Pierre.
Colère des grands propriétaires
Ces limites n’ont pas empêché les propriétaires et les acteurs du marché immobilier de réagir vivement. « Toute mesure qui serait vécue comme une sanction pour les bailleurs, tel un encadrement des loyers à la relocation, pourrait produire l’effet inverse à celui recherché : décourager l’investissement locatif privé à l’heure où notre pays en a le plus besoin », considère la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim). De son côté, l’Union nationale de la propriété immobilière (Unpi), qui revendique 250 000 adhérents, s’en est vivement prise au décret.
Les petits propriétaires bailleurs pour lesquels les revenus locatifs sont un complément nécessaire peuvent se rassurer. L’indexation sur l’indice de référence des loyers (IRL) des loyers des logements mis en relocation leur garantit de ne pas être pénalisés par l’inflation. Plus que le risque de voir des propriétaires retirer massivement leurs biens du marché de la location – et de s’interdire un revenu substantiel – le risque est davantage que les propriétaires se montrent réticents à réaliser des travaux de remise à neuf.
Vers une baisse de 10 % des loyers ?
Un meilleur encadrement des loyers dissuadera-t-il l’investissement dans la pierre, comme le suggère la Fnaim ? L’argument n’est pas jugé recevable par la ministre du Logement. « Tout le monde peut comprendre, y compris les propriétaires, que lorsque le salaire moyen est de 1 600 euros par mois, le niveau actuel des loyers n’est pas supportable », estime Cécile Duflot lors d’un débat organisé le 23 août dans le cadre des journées d’été de son parti. « L’idée n’est pas d’humilier les propriétaires », précise-t-elle. Reste que « le logement n’est pas un investissement ou un bien comme un autre. Sans logement, on ne vit pas ».
- Cécile Duflot aux côtés de Jean-Baptiste Eyraud (Droit au logement), le 23 août
Du côté des associations défendant le droit au logement, tous saluent cette première mesure. Mais souhaitent aller bien plus loin. Le décret « limite les hausses mais ne permet pas la baisse », regrette Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre. « Le temps est venu d’intervenir massivement pour offrir à tous une solution digne en matière de logement », estime-t-il, dénonçant ceux qui « profitent de cette manne en louant cher des logements pourris ». « Les loyers chers nourrissent la rente et ponctionnent les revenus du travail », renchérit Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement (DAL).
La « plate-forme des mouvements sociaux pour le logement », lancée début 2012 par des syndicats et des associations [2], demande une baisse immédiate des loyers de 10 %. Avec pour objectif, à terme, d’arriver à ce que les ménages ne consacrent pas plus de 20 % de leurs revenus pour se loger.
Un décret avant tout symbolique
Pour les 12 millions de familles qui louent leur logement [3], le loyer est, de loin, la première dépense. À Paris, un locataire sur trois y consacre plus d’un quart de ses revenus. Le parc locatif privé n’est pas le seul en cause. L’Union sociale pour l’habitat a constaté que certains locataires de HLM, gagnant entre le Smic et 1 500 euros par mois, consacraient entre 34 % et 55 % de leurs revenus – aide au logement comprise – à payer charges et loyers [4] !
Se loger ou bien s’alimenter, se loger ou se soigner, se loger ou se faire plaisir, autant de choix quotidiens, et parfois cornéliens. « Le logement est au cœur des exclusions dans le pays », rappelle Christophe Robert. Face à cet enjeu crucial, la portée du décret du 1er août est fortement symbolique. Reste à concrétiser l’essai pour permettre à des millions de personnes de respirer financièrement. La nouvelle loi sur le logement, en préparation pour le printemps 2013, mettra-t-elle fin à la dérive des marchés de l’immobilier ?
Ivan du Roy, avec Cécile Canpolat (Aitec)