lundi 8 octobre 2012

Etude OGM : « J’attends des critiques objectives, de caractère scientifique » (Basta)

Risques sanitaires

Etude OGM : « J’attends des critiques objectives, de caractère scientifique »

Par Nolwenn Weiler (8 octobre 2012)
L’étude sur les OGM publiée par l’équipe du Professeur Gilles-Eric Séralini déchaine les passions. Les résultats alarmants font réagir l’industrie de l’agrobusiness. Les critiques et les doutes émis sur la méthodologie de cette recherche sont-ils fondés ? Quels enseignements peut-on réellement tirer de cette étude ? Entretien avec le biologiste Robert Bellé, qui a démontré la dangerosité du Roundup il y a 10 ans.
Basta ! : La méthode de travail de l’équipe du Professeur Gilles-Eric Séralini, pour analyser l’impact sanitaire de l’OGM NK603 de Monsanto, vous semble-t-elle recevable, d’un point de vue scientifique ?
Robert Bellé : L’étude de l’équipe de Gilles-Eric Séralini est publiée dans un journal très coté en toxicologie. Elle a été analysée et expertisée par les « arbitres » du journal. Le protocole expérimental a donc lui aussi été expertisé. Pour une recherche de science fondamentale, ce protocole me paraît tout à fait correct. Je suis persuadé que s’il en avait eu les moyens, l’auteur aurait augmenté le nombre de rats pour renforcer ses résultats ou se serait engagé avec d’autres espèces sur des durées encore plus longues. Les résultats sont présentés avec le protocole choisi et c’est bien de cela dont il faut tenir compte aujourd’hui.
Quelles sont les principaux enseignements de cette étude ?
Le premier enseignement concerne les effets du pesticide Roundup. La publication montre que le Roundup augmente l’incidence et la précocité de l’apparition des tumeurs. Ce n’est pas une réelle surprise dans la mesure où notre équipe, dès 2002 – et bien d’autres depuis – ont démontré que le Roundup pouvait agir sur des cellules et des mécanismes liés au déclenchement d’une tumeur. Chaque cellule possède ses propres moyens de défense contre la formation de tumeurs, par des mécanismes de maintien de la « stabilité génétique ». La cancérisation commence dans toutes les cellules par la levée de ce verrou biologique. C’est sur ce mécanisme que le Roundup agit. Et c’est à ce titre qu’il est, à mon avis, « potentiellement cancérigène ».
Le Roundup est un mélange contenant le produit actif, le glyphosate. Nos résultats, et bien d’autres, insistent sur le fait que le glyphosate pénètre les cellules grâce aux autres produits du mélange. C’est la raison pour laquelle les études menées sur du glyphosate pur ne donnent pas les mêmes résultats que celles effectuées avec du Roundup (ou d’autres produits à base de glyphosate). Dans l’analyse des articles ou des tests réglementaires, il faut être très attentif au produit qui est effectivement utilisé. Le pesticide est toujours un mélange : seul, le glyphosate pur ne serait pas actif sur les plantes, faute de pouvoir entrer dans les cellules.
Le Roundup est cancérogène, mais qu’en est-il de l’OGM étudié ?
Le maïs transgénique qui n’a jamais été traité au Roundup donne des effets comparables à celui qui a été traité. C’est la deuxième révélation de l’étude. Les auteurs discutent ce point dans leur publication car j’imagine qu’ils ne s’attendaient pas à ce résultat. Les constatations obtenues avec le Roundup concernent seulement les OGM tolérants au pesticide. Comme dans ce cas ce n’est pas le Roundup qui a pu provoquer les tumeurs, cela pourrait remettre en cause tout type d’OGM. Les tumeurs des rats ont été produites par quelque chose fabriqué par le mais OGM (mais pas par le maïs normal). Si ce produit est lié à la réaction de défense des plantes contre le gène étranger, tout autre OGM pourrait être tumorigène, par la sécrétion de ce même produit. Tout cela bien sûr est au conditionnel. Mais les OGM non traités au Roundup représentent une minorité des OGM actuellement à l’étude. Ils constituent pourtant 80 % des OGM cultivés aujourd’hui.
Ces résultats doivent cependant être confirmés...
Comme tout résultat scientifique, celui-ci doit être reproduit et vérifié par différentes approches et avec différents modèles. J’ai recherché si des études épidémiologiques avaient été faites sur des animaux élevés avec des plantes OGM, sur une période assez longue pour provoquer des tumeurs ou des cancers. Je n’en ai pas trouvé. Avec mes connaissances de la biologie, je peux comprendre qu’un gène étranger dans une cellule ait des conséquences sur le fonctionnement même de la cellule. Mais qu’il provoque une réaction comparable à celle du Roundup chez les animaux me surprend.
Un troisième élément m’interpelle dans cette étude : les propositions pour améliorer la réglementation actuelle. Je ne peux m’empêcher de penser au test que j’avais proposé il y a maintenant neuf ans. Il permet une analyse automatisée rapide, à haut débit et à faible coût, de produits ou combinaisons de produits, pour évaluer leur pouvoir cancérigène ou tératogène (possible altération du développement de l’embryon, ndlr). Le principe de ce test porte sur l’analyse de la première division de l’œuf d’un animal marin, comme l’oursin, ce qui permet de trier rapidement les produits à risque, avant d’affiner les recherches. Passer ainsi au crible ces produits et leurs combinaisons permet de réduire considérablement le nombre de produits potentiellement à risque. Ce test aurait été très utile comme crible pour appliquer la directive européenne REACH (qui concerne l’évaluation de la toxicité et l’autorisation de 100 000 produits chimiques, ndlr).
Les critiques faites à l’étude du professeur Séralini vous semblent-elles étayées ?
Un scientifique doit analyser les publications de façon critique et objective. Cette publication particulièrement car elle présente des résultats sur le Roundup et sur les OGM servant dans l’alimentation, dont l’impact social est majeur. Certaines critiques me paraissent cependant démesurées ou manquant nettement d’objectivité scientifique. Personnellement, j’attends avec impatience des remarques et critiques objectives, de caractère scientifique. J’espère que les pouvoirs publics prendront les dispositions pour la sécurité des citoyens si cela doit s’avérer nécessaire.
Le fait que le professeur Seralini soit clairement identifié comme un militant anti-OGM pose-t-il problème ?
Ce qui m’intéresse, c’est son travail scientifique. Ses travaux lui procurent la conviction que les OGM, et notamment ceux tolérants au Roundup, sont dangereux pour les humains. Les résultats qu’il produit vont clairement dans cette direction. Il me paraît tout à fait louable qu’il informe le public sur des convictions acquises par ses expériences et celles des autres. Qu’il soit devenu militant est une question citoyenne que je n’ai pas à commenter.
Le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), qui a lancé cette étude, se dit « indépendant ». La recherche en France, est-elle indépendante ?
Tout scientifique vous expliquera que l’évolution de la recherche publique laisse de moins en moins de liberté aux chercheurs, avec de plus en plus de financements sur programme, avec des objectifs de valorisation. C’est une orientation sans doute nécessaire, si elle ne met pas en péril la recherche fondamentale, qui est la meilleure source de « valorisation » dans l’avenir. Les recherches du professeur Séralini ont été financées par de grands groupes d’intérêt, en ce qui concerne les expériences, comme cela est indiqué dans l’article. Mais je n’oublie pas que le domaine public a aussi participé, pour les salaires et l’environnement scientifique. Je ne connais pas la part respective public/privé dans les travaux, et j’aurais préféré un financement intégralement public (comme sans doute le professeur Séralini). Je suis cependant ravi qu’il ait trouvé le moyen de faire ses recherches. Les agences nationales, comme l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), ou internationales, peuvent subir les pressions de groupes d’intérêt. Mais elles sont très importantes. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de créer les conditions pour qu’elles puissent fonctionner en toute objectivité scientifique, et de sanctionner les dérives avérées.
Où en êtes-vous de vos recherches aujourd’hui ?
Les recherches sur les pesticides ont été arrêtées, faute de moyens de les réaliser. Ce n’est pas un problème car nos résultats sont publiés et de nombreux laboratoires dans le monde peuvent continuer et les approfondir. Je m’intéresse depuis plusieurs années à la « biologie des systèmes », qui permet d’appréhender le fonctionnement du monde vivant dans sa globalité, plutôt que par « petits morceaux ». Je ne doute pas que, dans un proche avenir, les méthodes et concepts de la biologie systémique pourront être utilisés aussi dans les études toxicologiques.
Recueillis par Nolwenn Weiler