Puisque Louis Gallois a remis son rapport au premier ministre revoyons l'article ci-dessous
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La politique économique est un sport de combat.....
03 Novembre 2012 - 23:24 par Henri Sterdyniak
Ainsi, le Medef, comme les grandes entreprises de l’Association française des entreprises privées (AFEP) réclament à grands cris leur livre de chair, 60 milliards d’euros qu’il faudrait leur donner pour réaliser un « choc de compétitivité » permettant de sauver l’industrie française et de rétablir la balance commerciale de la France. Suivant les engagements de François Hollande, le gouvernement Ayrault avait heureusement annulé la hausse de la TVA que le gouvernement Fillon avait programmée pour le 1er octobre. Arnaud Montebourg se déclare résolu à lancer une autre politique industrielle que celle qui consiste à baisser le coût du travail, à augmenter les profits et compter sur la bonne volonté des entreprises pour embaucher et pour investir en France. Malheureusement, en même temps, le gouvernement a commandé un rapport sur la compétitivité à Louis Gallois, qui s’était clairement prononcé en juillet pour une baisse immédiate de 30 milliards des cotisations sociales employeurs, contribuant ainsi à crédibiliser cette exigence.
Le 1er septembre 2012, dans le JDD, François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, soutenait ce même point de vue : « Il faut baisser le coût du travail en transférant une partie des charges sur la CSG sans toucher le coût du travail ». Selon le Medef, grâce un ingénieux système de double hélice, il serait possible de dégager 30 milliards « sans pénaliser le pouvoir d’achat des salariés ». Nous nous proposons de montrer ici que la baisse des cotisations sociales employeurs pèserait automatiquement sur le pouvoir d’achat des ménages. Nous verrons ensuite que ce choc de compétitivité sera d’abord un choc sur la consommation, que la France prendrait ainsi son tour dans la concurrence fiscale et sociale induite par la mondialisation et la construction européenne, que la faiblesse des profits des entreprises provient de la crise financière elle-même (et ni de hausses excessives de salaires, ni de hausses des cotisations sociales) et qu’elle ne les a pas empêchées d’augmenter les dividendes qu’elles versent aux actionnaires. Certes, un pacte industriel est nécessaire en France aujourd’hui ; son contenu reste à définir.
Pour embrouiller l’affaire, le Medef propose, en plus, de réduire les cotisations sociales des salariés. Mais cela n’est guère possible car celles-ci ne financent que des prestations retraite et chômage, donc des prestations contributives, qui dépendent des cotisations versées et ne peuvent donc être financées que par des cotisations sociales, et non par l’impôt. Les cotisations salariés financent la Cnav, l’Unedic, l’Agirc, l’Arrco, des régimes qui sont actuellement déficitaires (en raison de la baisse d’activité due à la crise), que l’on ne peut priver de ressources. Seules, à la limite, les cotisations employeurs à la famille ou à l’assurance maladie pourraient être diminuées.
Les économistes les plus libéraux, les patrons les plus bornés proposent une solution simple : il suffirait de réduire les prestations sociales, ou même plus généralement les dépenses publiques. La réduction des dépenses publiques a déjà été entreprise par le précédent gouvernement sous le nom de RGPP (Révision générale des politiques publiques) : le point d’indice des fonctionnaires a été gelé, la chasse aux effectifs dans la fonction publique a été lancée, les retraités et les familles n’ont pas eu de hausse de pouvoir d’achat, etc. François Hollande lui-même n’envisage qu’une hausse de 0,7 % par an des dépenses publiques, soit en 5 ans une baisse de 55 milliards par rapport à l’évolution tendancielle. Peut-on aller au-delà ? Oui, bien sûr, mais, ce serait au détriment des ménages, en diminuant encore les moyens accordés aux services publics (comme l’éducation, les équipements collectifs) ou à la protection sociale. Ainsi, la Cour des comptes a proposé froidement de ne plus indexer les retraites publiques et les prestations familiales. D’un côté, les familles les plus pauvres seraient paupérisées ; de l’autre, la baisse des retraites publiques et des remboursements de santé ouvrirait un boulevard aux assurances privées. L’expérience américaine montre que l’on aboutit ainsi à un système inefficace et coûteux, une partie de la population n’est pas couverte, les entreprises sont fragilisées par les primes aux fonds de pensions et aux assurances maladie privées. Or, une protection sociale universelle et des services publics efficaces sont des éléments de compétitivité.
Il faut donc trouver une ressource de remplacement. Thomas Piketty a proposé de supprimer les 17,5 points de cotisations employeurs famille et maladie, d’augmenter d’autant les salaires bruts puis de prélever ces 17,5 points par la CSG. Le problème est que la réforme serait totalement neutre pour les entreprises qui ne bénéficieraient d’aucun choc de compétitivité. A quoi bon ?
Non, les entreprises veulent 60 milliards, 3% du PIB, 5 % du revenu disponible des ménages. La baisse des cotisations employeurs doit donc être compensée, soit par une hausse de la TVA, soit par une hausse de la CSG. En fait, il n’y a guère de différence entre ces deux modalités. Dans les deux cas, les ménages doivent perdre du pouvoir d’achat pour faire gonfler les marges des entreprises.
Dans le cas d’une hausse de la TVA, ce serait par la hausse des prix. Toutefois, l’inflation se répercute automatiquement sur le SMIC et les prestations sociales. Elle « risque », après négociations salariales, de se reporter sur les salaires, de sorte que le gain de compétitivité/rentabilité des entreprises serait temporaire. Il faudrait donc que le gouvernement suspende les indexations des retraites, des prestations familiales, du SMIC et demandent aux entreprises d’en faire autant. Plaisante politique pour un gouvernement de gauche.
Au contraire, dans le cas d’une hausse de la CSG, les victimes, salariés ou retraités, ne pourraient profiter de mécanismes automatiques d’indexation et devraient accepter la baisse de leur pouvoir d’achat. La hausse de la CSG est donc une mesure plus transparente, dont la durabilité est mieux assurée. Il n’en serait pas moins inacceptable pour les ménages de devoir accepter une baisse brutale de 5 % de leur pouvoir d’achat.
Le grand enjeu est la réaction des entreprises, qui pourraient arbitrer entre maintenir leurs prix pour reconstituer leurs marges ou baisser leurs prix pour gagner en compétitivité.
Dans le cas d’une hausse de la CSG, les entreprises pourraient choisir de maintenir leurs prix et d’augmenter leurs marges. Il n’y aurait aucun gain de compétitivité, mais hausse de la rentabilité des entreprises. Les ménages subiraient une perte de 5 % de leur pouvoir d’achat. La consommation chuterait, donc la production. Le risque est grand dans ce cas que les entreprises diminuent leurs investissements, puisqu’elles se trouveraient en surcapacité de production. Ex post, le PIB diminue fortement et l’amélioration de la rentabilité des entreprises n’est pas assurée.
Au contraire, les entreprises pourraient réagir en diminuant leurs prix de 5 %, les prix à la consommation ne baisseraient toutefois que de 4 % (puisque les prix des importations seraient stables). Le pouvoir d’achat des ménages ne baisserait que de 1 %. Les gains de compétitivité seraient de 5 %. Dans ce cas, la mesure est moins douloureuse ; les gains en commerce extérieur pourraient à terme compenser la baisse de la consommation. Le problème est que c’est une stratégie non coopérative : les gains en France sont obtenus au détriment de nos partenaires. Cette stratégie ne fonctionne que si la France est la seule à l’entreprendre.
Dans le cas d’une hausse de la TVA, ces deux scénarios sont possibles. Si les entreprises françaises maintiennent leurs prix de production en France, la hausse des prix atteint immédiatement 4 %. Il n’y a pas de gain de compétitivité, mais un gain de rentabilité des entreprises. Reste à convaincre les salariés (en particulier ceux au SMIC), et les retraités d’accepter une désindexation de leurs retraites ou salaires de l’ordre de 5 %. Ce serait un précédent dangereux. Si les entreprises répercutent la baisse des cotisations dans leurs prix, la hausse des prix n’est que de 1 % (limitée aux prix à l’importation) ; il n’y a pas de gain de rentabilité des entreprises, mais un gain de compétitivité ; les ménages ne perdent que 1 % de pouvoir d’achat.
Dans les deux cas, le scénario le plus probable est celui de rigidité des prix à la production, celui donc où les entreprises choisissent d’augmenter leurs marges. C’est le plus coûteux pour les ménages, celui dont l’effet expansionniste est le moins assuré. Au contraire, dans le cas d’une véritable dévaluation, impossible aujourd’hui, la même rigidité des prix rend plus probable le scénario de gain de compétitivité.
En tout état de cause, la mesure ne fonctionne que par une perte de pouvoir d’achat des ménages, contrairement à ce que prétend le Medef et ce que feint de croire François Chérèque. Toutefois, sans que cela soit dit clairement, certains milieux patronaux ou même syndicaux pensent qu’il serait possible de préserver le pouvoir d’achat des salariés, en faisant porter l’effort sur les retraités ou les chômeurs. Mais, outre le caractère injuste d’une telle proposition, il faut tenir compte des masses en présence. Peut-on réaliser une baisse de 5 % du pouvoir d’achat des ménages, par une baisse de 25 % de celui des retraités et des chômeurs (imposables) ?
Un gouvernement de gauche peut-il demander aux ménages d’accepter une baisse de leurs revenus, alors même que ceux-ci ont déjà perdu 0,5 % de pouvoir d’achat en 2012, que la consommation stagne en 2011 et 2012, que la demande est déjà globalement trop faible, que la France est en situation de profonde récession ? On voit mal la logique dans un pays qui connaît du chômage de masse, qui a des capacités de production inemployées (21 % des capacités disponibles en octobre 2012 contre 13 % en 2006-2007), dont le PIB a perdu 8 % par rapport à la tendance d’avant la crise financière, de viser une baisse de la consommation.
Le gouvernement Ayrault a conduit en 2012 une courageuse politique fiscale qui, en augmentant les taux de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits de succession, en supprimant des niches fiscales et sociales injustifiées, a augmenté de 30 milliards les recettes publiques. Le volet dépenses de sa politique (10 milliards d’économies) est en revanche beaucoup plus contestable puisqu’il prolonge et durcit même à certains égards la cure d’austérité budgétaire. Ainsi, ces 30 milliards vont-ils être consacrés à réduire le déficit public. Une stratégie concertée à l’échelle de l’Europe, un vrai Pacte de croissance, aurait été autrement plus efficace : briser la spéculation financière en faisant garantir les dettes publiques par la BCE, permettre à tous les pays de s’endetter à 1,5 % à 10 ans, récupérer dans chaque pays 1,5 à 2 points de PIB par une politique fiscale augmentant les impôts des grandes entreprises et des plus riches, utiliser les sommes ainsi dégagées pour la transition écologique.
La France doit-elle s’engager dans la stratégie allemande : gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des salariés et des ménages, sachant que cette stratégie est catastrophique au niveau de la zone euro ? Les pays d’Europe ont-ils renoncé à la guerre par des dévaluations compétitives pour se lancer dans la guerre, encore plus coûteuse, par des politiques salariales et sociales compétitives ? La « dévaluation interne », par la CSG ou la TVA, nuirait à nos partenaires européens (qui seraient incités à réagir de même à notre détriment et aussi au détriment de leurs peuples). Elle ne garantirait pas de gains de compétitivité vis-à-vis des pays hors zone euro, ceux-ci dépendant surtout de l’évolution du taux de change de l’euro, lequel a considérablement augmenté entre 2002 et 2008 (de plus de 75 % par rapport au dollar). Enfin, il faut du temps pour que les gains de compétitivité se traduisent en reprise de la croissance. Ainsi, de 2000 à 2005, la croissance française a été de 7,8 % (1,55 % par an), la croissance allemande de 2,7 % (0,55 % par an). La France peut-elle se permettre de perdre 5 points de PIB ?La France est dans une situation intermédiaire entre les pays du Nord qui ont réalisé de forts gains de compétitivité au détriment du pouvoir d’achat de leur population et les pays du Sud, qui ont connu de fortes hausses de salaires. En 2000, la part des salaires dans la valeur ajoutée était de 66,8 % en Allemagne, de 66,9 % en France, de 65,5 % dans l’ensemble de la zone euro. En 2007, elle avait baissé à 61,2 % en Allemagne (-5,6 points), à 62,8 % dans la zone euro (-2,7 points), à 65,7 % en France (-1,2 point). Faut-il qu’au nom de la compétitivité, les salariés des pays de la zone euro se combattent en acceptant à tour de rôle la réduction de leur part dans la valeur ajoutée ? Et jusqu’à quel niveau ? En base 100 en 2000, le niveau du salaire réel en 2011 est à 97,9 en Allemagne, à 111,2 en France (soit une hausse de 1 % par an, correspondant aux gains tendanciels de productivité du travail). Qui est dans l’erreur ? La France doit-elle se lancer à son tour dans une compétition mortifère au moins-disant social et fiscal, ou doit-elle chercher des alliés en Europe pour imposer une réforme de l’organisation de la politique économique de la zone euro ?
Comme le montre le tableau ci-dessous, du fait des exonérations de cotisations sociales, la part des cotisations employeurs a nettement baissé de 1987 à 2006. Il est difficile de les rendre responsables de la dégradation de la compétitivité de la France. Par contre, durant la même période, la part des dividendes nets versés a, elle, fortement augmenté. La part de l’EBE (excédent brut d’exploitation) dans la valeur ajoutée des sociétés (le taux de marge) était de 29,1 % en 1973. Elle a chuté à 23,1 % en 1982, puis s’est redressée à 30,2 % en 1987. Elle était de 30,9 % en 2006, soit un niveau historiquement élevé. La baisse survenue depuis (28,6 % en 2011) s’explique uniquement par la chute de l’activité. Elle n’a pas été causée par la hausse de la fiscalité ou des augmentations excessives des salaires. Une mesure qui ferait chuter la consommation (et donc le PIB) se traduirait par une nouvelle baisse de la part des profits. Celle-ci ne peut se redresser que par un « choc de croissance ».
Part dans la valeur ajoutée des sociétés
Source : INSEE (2012). CSE : cotisations sociales employeurs ; EBE : excédent brut d’exploitation ; FBCF : formation brute de capital fixe (investissement)
Globalement, la part des profits est restée à un niveau historiquement satisfaisant. La baisse de la part de l’EBE a été absorbée pour moitié par la baisse de l’IS. Mais en 1973, la FBCF (l’investissement brut) était supérieure de 1,3 point de VA au niveau des profits, alors qu’elle est plus basse de 3 points de VA actuellement et que la part des dividendes nets versés a nettement augmenté. Quels engagements prendraient les entreprises en termes d’investissement et d’emploi en France en échange d’une mesure qui augmenterait fortement leurs profits ? Comment éviter qu’elles augmentent leurs dividendes ou leurs investissements à l’étranger ? Faut-il essayer de relancer l’investissement en France en augmentant les profits des entreprises ou faut-il essayer une autre stratégie, passant par une intervention publique et sociale, orientant l’investissement vers des objectifs compatibles avec la transition écologique, le finançant par la Banque publique d’investissement et un secteur bancaire réformé ?
Recourir à la dévaluation interne suppose que l’industrie française souffre essentiellement d’un déficit de compétitivité-prix. Or, la désindustrialisation a, sans doute, d’autres causes plus profondes. Les entreprises préfèrent se développer dans les pays émergents plus dynamiques. Les jeunes refusent les carrières industrielles parfois mal rémunérées, mais surtout mal considérées dans un secteur dont l’avenir ne semble pas assuré. La France ne réussit ni à protéger ses industries traditionnelles, ni à se développer dans les secteurs innovants. Elle n’a pas réussi à définir un nouveau modèle productif : elle s’est résignée au retrait de l’intervention publique, mais n’a pas su le compenser, ni par le développement d’un modèle à l’allemande (un réseau d’entreprises de taille intermédiaire et de banques régionales), ni par le développement d’un modèle anglo-saxon (un fort rôle des marchés financiers). Le secteur financier a préféré les joies de la spéculation au financement de la production et de l’innovation. Ceci ne serait pas résolu par une dévaluation interne.
Le 1er septembre 2012, dans le JDD, François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, soutenait ce même point de vue : « Il faut baisser le coût du travail en transférant une partie des charges sur la CSG sans toucher le coût du travail ». Selon le Medef, grâce un ingénieux système de double hélice, il serait possible de dégager 30 milliards « sans pénaliser le pouvoir d’achat des salariés ». Nous nous proposons de montrer ici que la baisse des cotisations sociales employeurs pèserait automatiquement sur le pouvoir d’achat des ménages. Nous verrons ensuite que ce choc de compétitivité sera d’abord un choc sur la consommation, que la France prendrait ainsi son tour dans la concurrence fiscale et sociale induite par la mondialisation et la construction européenne, que la faiblesse des profits des entreprises provient de la crise financière elle-même (et ni de hausses excessives de salaires, ni de hausses des cotisations sociales) et qu’elle ne les a pas empêchées d’augmenter les dividendes qu’elles versent aux actionnaires. Certes, un pacte industriel est nécessaire en France aujourd’hui ; son contenu reste à définir.
Comment trouver 60 milliards…
Explicitons d’abord la logique du choc de compétitivité selon ses promoteurs (l’Institut Montaigne, l’Institut de l’entreprise, le Medef ou le soi-disant Cercle des économistes). Il s’agit de réduire, de 30 à 60 milliards, les cotisations sociales des employeurs.Pour embrouiller l’affaire, le Medef propose, en plus, de réduire les cotisations sociales des salariés. Mais cela n’est guère possible car celles-ci ne financent que des prestations retraite et chômage, donc des prestations contributives, qui dépendent des cotisations versées et ne peuvent donc être financées que par des cotisations sociales, et non par l’impôt. Les cotisations salariés financent la Cnav, l’Unedic, l’Agirc, l’Arrco, des régimes qui sont actuellement déficitaires (en raison de la baisse d’activité due à la crise), que l’on ne peut priver de ressources. Seules, à la limite, les cotisations employeurs à la famille ou à l’assurance maladie pourraient être diminuées.
Les économistes les plus libéraux, les patrons les plus bornés proposent une solution simple : il suffirait de réduire les prestations sociales, ou même plus généralement les dépenses publiques. La réduction des dépenses publiques a déjà été entreprise par le précédent gouvernement sous le nom de RGPP (Révision générale des politiques publiques) : le point d’indice des fonctionnaires a été gelé, la chasse aux effectifs dans la fonction publique a été lancée, les retraités et les familles n’ont pas eu de hausse de pouvoir d’achat, etc. François Hollande lui-même n’envisage qu’une hausse de 0,7 % par an des dépenses publiques, soit en 5 ans une baisse de 55 milliards par rapport à l’évolution tendancielle. Peut-on aller au-delà ? Oui, bien sûr, mais, ce serait au détriment des ménages, en diminuant encore les moyens accordés aux services publics (comme l’éducation, les équipements collectifs) ou à la protection sociale. Ainsi, la Cour des comptes a proposé froidement de ne plus indexer les retraites publiques et les prestations familiales. D’un côté, les familles les plus pauvres seraient paupérisées ; de l’autre, la baisse des retraites publiques et des remboursements de santé ouvrirait un boulevard aux assurances privées. L’expérience américaine montre que l’on aboutit ainsi à un système inefficace et coûteux, une partie de la population n’est pas couverte, les entreprises sont fragilisées par les primes aux fonds de pensions et aux assurances maladie privées. Or, une protection sociale universelle et des services publics efficaces sont des éléments de compétitivité.
Il faut donc trouver une ressource de remplacement. Thomas Piketty a proposé de supprimer les 17,5 points de cotisations employeurs famille et maladie, d’augmenter d’autant les salaires bruts puis de prélever ces 17,5 points par la CSG. Le problème est que la réforme serait totalement neutre pour les entreprises qui ne bénéficieraient d’aucun choc de compétitivité. A quoi bon ?
Non, les entreprises veulent 60 milliards, 3% du PIB, 5 % du revenu disponible des ménages. La baisse des cotisations employeurs doit donc être compensée, soit par une hausse de la TVA, soit par une hausse de la CSG. En fait, il n’y a guère de différence entre ces deux modalités. Dans les deux cas, les ménages doivent perdre du pouvoir d’achat pour faire gonfler les marges des entreprises.
Dans le cas d’une hausse de la TVA, ce serait par la hausse des prix. Toutefois, l’inflation se répercute automatiquement sur le SMIC et les prestations sociales. Elle « risque », après négociations salariales, de se reporter sur les salaires, de sorte que le gain de compétitivité/rentabilité des entreprises serait temporaire. Il faudrait donc que le gouvernement suspende les indexations des retraites, des prestations familiales, du SMIC et demandent aux entreprises d’en faire autant. Plaisante politique pour un gouvernement de gauche.
Au contraire, dans le cas d’une hausse de la CSG, les victimes, salariés ou retraités, ne pourraient profiter de mécanismes automatiques d’indexation et devraient accepter la baisse de leur pouvoir d’achat. La hausse de la CSG est donc une mesure plus transparente, dont la durabilité est mieux assurée. Il n’en serait pas moins inacceptable pour les ménages de devoir accepter une baisse brutale de 5 % de leur pouvoir d’achat.
Le grand enjeu est la réaction des entreprises, qui pourraient arbitrer entre maintenir leurs prix pour reconstituer leurs marges ou baisser leurs prix pour gagner en compétitivité.
Dans le cas d’une hausse de la CSG, les entreprises pourraient choisir de maintenir leurs prix et d’augmenter leurs marges. Il n’y aurait aucun gain de compétitivité, mais hausse de la rentabilité des entreprises. Les ménages subiraient une perte de 5 % de leur pouvoir d’achat. La consommation chuterait, donc la production. Le risque est grand dans ce cas que les entreprises diminuent leurs investissements, puisqu’elles se trouveraient en surcapacité de production. Ex post, le PIB diminue fortement et l’amélioration de la rentabilité des entreprises n’est pas assurée.
Au contraire, les entreprises pourraient réagir en diminuant leurs prix de 5 %, les prix à la consommation ne baisseraient toutefois que de 4 % (puisque les prix des importations seraient stables). Le pouvoir d’achat des ménages ne baisserait que de 1 %. Les gains de compétitivité seraient de 5 %. Dans ce cas, la mesure est moins douloureuse ; les gains en commerce extérieur pourraient à terme compenser la baisse de la consommation. Le problème est que c’est une stratégie non coopérative : les gains en France sont obtenus au détriment de nos partenaires. Cette stratégie ne fonctionne que si la France est la seule à l’entreprendre.
Dans le cas d’une hausse de la TVA, ces deux scénarios sont possibles. Si les entreprises françaises maintiennent leurs prix de production en France, la hausse des prix atteint immédiatement 4 %. Il n’y a pas de gain de compétitivité, mais un gain de rentabilité des entreprises. Reste à convaincre les salariés (en particulier ceux au SMIC), et les retraités d’accepter une désindexation de leurs retraites ou salaires de l’ordre de 5 %. Ce serait un précédent dangereux. Si les entreprises répercutent la baisse des cotisations dans leurs prix, la hausse des prix n’est que de 1 % (limitée aux prix à l’importation) ; il n’y a pas de gain de rentabilité des entreprises, mais un gain de compétitivité ; les ménages ne perdent que 1 % de pouvoir d’achat.
Dans les deux cas, le scénario le plus probable est celui de rigidité des prix à la production, celui donc où les entreprises choisissent d’augmenter leurs marges. C’est le plus coûteux pour les ménages, celui dont l’effet expansionniste est le moins assuré. Au contraire, dans le cas d’une véritable dévaluation, impossible aujourd’hui, la même rigidité des prix rend plus probable le scénario de gain de compétitivité.
En tout état de cause, la mesure ne fonctionne que par une perte de pouvoir d’achat des ménages, contrairement à ce que prétend le Medef et ce que feint de croire François Chérèque. Toutefois, sans que cela soit dit clairement, certains milieux patronaux ou même syndicaux pensent qu’il serait possible de préserver le pouvoir d’achat des salariés, en faisant porter l’effort sur les retraités ou les chômeurs. Mais, outre le caractère injuste d’une telle proposition, il faut tenir compte des masses en présence. Peut-on réaliser une baisse de 5 % du pouvoir d’achat des ménages, par une baisse de 25 % de celui des retraités et des chômeurs (imposables) ?
Faut-il faire ce choc de compétitivité ?
Sur le plan politique d’abord, on voit mal le nouveau gouvernement de gauche augmenter la TVA après avoir annulé la hausse décidée par le précédent gouvernement et l’avoir dénoncée comme une ponction intolérable sur le pouvoir d’achat.Un gouvernement de gauche peut-il demander aux ménages d’accepter une baisse de leurs revenus, alors même que ceux-ci ont déjà perdu 0,5 % de pouvoir d’achat en 2012, que la consommation stagne en 2011 et 2012, que la demande est déjà globalement trop faible, que la France est en situation de profonde récession ? On voit mal la logique dans un pays qui connaît du chômage de masse, qui a des capacités de production inemployées (21 % des capacités disponibles en octobre 2012 contre 13 % en 2006-2007), dont le PIB a perdu 8 % par rapport à la tendance d’avant la crise financière, de viser une baisse de la consommation.
Le gouvernement Ayrault a conduit en 2012 une courageuse politique fiscale qui, en augmentant les taux de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits de succession, en supprimant des niches fiscales et sociales injustifiées, a augmenté de 30 milliards les recettes publiques. Le volet dépenses de sa politique (10 milliards d’économies) est en revanche beaucoup plus contestable puisqu’il prolonge et durcit même à certains égards la cure d’austérité budgétaire. Ainsi, ces 30 milliards vont-ils être consacrés à réduire le déficit public. Une stratégie concertée à l’échelle de l’Europe, un vrai Pacte de croissance, aurait été autrement plus efficace : briser la spéculation financière en faisant garantir les dettes publiques par la BCE, permettre à tous les pays de s’endetter à 1,5 % à 10 ans, récupérer dans chaque pays 1,5 à 2 points de PIB par une politique fiscale augmentant les impôts des grandes entreprises et des plus riches, utiliser les sommes ainsi dégagées pour la transition écologique.
La France doit-elle s’engager dans la stratégie allemande : gagner de la compétitivité au détriment du pouvoir d’achat des salariés et des ménages, sachant que cette stratégie est catastrophique au niveau de la zone euro ? Les pays d’Europe ont-ils renoncé à la guerre par des dévaluations compétitives pour se lancer dans la guerre, encore plus coûteuse, par des politiques salariales et sociales compétitives ? La « dévaluation interne », par la CSG ou la TVA, nuirait à nos partenaires européens (qui seraient incités à réagir de même à notre détriment et aussi au détriment de leurs peuples). Elle ne garantirait pas de gains de compétitivité vis-à-vis des pays hors zone euro, ceux-ci dépendant surtout de l’évolution du taux de change de l’euro, lequel a considérablement augmenté entre 2002 et 2008 (de plus de 75 % par rapport au dollar). Enfin, il faut du temps pour que les gains de compétitivité se traduisent en reprise de la croissance. Ainsi, de 2000 à 2005, la croissance française a été de 7,8 % (1,55 % par an), la croissance allemande de 2,7 % (0,55 % par an). La France peut-elle se permettre de perdre 5 points de PIB ?La France est dans une situation intermédiaire entre les pays du Nord qui ont réalisé de forts gains de compétitivité au détriment du pouvoir d’achat de leur population et les pays du Sud, qui ont connu de fortes hausses de salaires. En 2000, la part des salaires dans la valeur ajoutée était de 66,8 % en Allemagne, de 66,9 % en France, de 65,5 % dans l’ensemble de la zone euro. En 2007, elle avait baissé à 61,2 % en Allemagne (-5,6 points), à 62,8 % dans la zone euro (-2,7 points), à 65,7 % en France (-1,2 point). Faut-il qu’au nom de la compétitivité, les salariés des pays de la zone euro se combattent en acceptant à tour de rôle la réduction de leur part dans la valeur ajoutée ? Et jusqu’à quel niveau ? En base 100 en 2000, le niveau du salaire réel en 2011 est à 97,9 en Allemagne, à 111,2 en France (soit une hausse de 1 % par an, correspondant aux gains tendanciels de productivité du travail). Qui est dans l’erreur ? La France doit-elle se lancer à son tour dans une compétition mortifère au moins-disant social et fiscal, ou doit-elle chercher des alliés en Europe pour imposer une réforme de l’organisation de la politique économique de la zone euro ?
Comme le montre le tableau ci-dessous, du fait des exonérations de cotisations sociales, la part des cotisations employeurs a nettement baissé de 1987 à 2006. Il est difficile de les rendre responsables de la dégradation de la compétitivité de la France. Par contre, durant la même période, la part des dividendes nets versés a, elle, fortement augmenté. La part de l’EBE (excédent brut d’exploitation) dans la valeur ajoutée des sociétés (le taux de marge) était de 29,1 % en 1973. Elle a chuté à 23,1 % en 1982, puis s’est redressée à 30,2 % en 1987. Elle était de 30,9 % en 2006, soit un niveau historiquement élevé. La baisse survenue depuis (28,6 % en 2011) s’explique uniquement par la chute de l’activité. Elle n’a pas été causée par la hausse de la fiscalité ou des augmentations excessives des salaires. Une mesure qui ferait chuter la consommation (et donc le PIB) se traduirait par une nouvelle baisse de la part des profits. Celle-ci ne peut se redresser que par un « choc de croissance ».
Part dans la valeur ajoutée des sociétés
1973 | 1982 | 1987 | 2006 | 2011 | |
CSE | 16,0 | 19,4 | 18,6 | 16,0 | 16,6 |
EBE | 29,1 | 23,1 | 30,2 | 30,9 | 28,6 |
Dividendes | 3,4 | 3,2 | 4,2 | 6,9 | 8,3 |
Profit | 23,3 | 18,5 | 25,0 | 24,8 | 24,3 |
FBCF | 24,6 | 19,9 | 18,7 | 20,3 | 21,3 |
Globalement, la part des profits est restée à un niveau historiquement satisfaisant. La baisse de la part de l’EBE a été absorbée pour moitié par la baisse de l’IS. Mais en 1973, la FBCF (l’investissement brut) était supérieure de 1,3 point de VA au niveau des profits, alors qu’elle est plus basse de 3 points de VA actuellement et que la part des dividendes nets versés a nettement augmenté. Quels engagements prendraient les entreprises en termes d’investissement et d’emploi en France en échange d’une mesure qui augmenterait fortement leurs profits ? Comment éviter qu’elles augmentent leurs dividendes ou leurs investissements à l’étranger ? Faut-il essayer de relancer l’investissement en France en augmentant les profits des entreprises ou faut-il essayer une autre stratégie, passant par une intervention publique et sociale, orientant l’investissement vers des objectifs compatibles avec la transition écologique, le finançant par la Banque publique d’investissement et un secteur bancaire réformé ?
Recourir à la dévaluation interne suppose que l’industrie française souffre essentiellement d’un déficit de compétitivité-prix. Or, la désindustrialisation a, sans doute, d’autres causes plus profondes. Les entreprises préfèrent se développer dans les pays émergents plus dynamiques. Les jeunes refusent les carrières industrielles parfois mal rémunérées, mais surtout mal considérées dans un secteur dont l’avenir ne semble pas assuré. La France ne réussit ni à protéger ses industries traditionnelles, ni à se développer dans les secteurs innovants. Elle n’a pas réussi à définir un nouveau modèle productif : elle s’est résignée au retrait de l’intervention publique, mais n’a pas su le compenser, ni par le développement d’un modèle à l’allemande (un réseau d’entreprises de taille intermédiaire et de banques régionales), ni par le développement d’un modèle anglo-saxon (un fort rôle des marchés financiers). Le secteur financier a préféré les joies de la spéculation au financement de la production et de l’innovation. Ceci ne serait pas résolu par une dévaluation interne.