samedi 3 novembre 2012

Le Rapport Anti-Empire-Dénouer les mystères de l’Univers (Le grand soir)


Le Rapport Anti-Empire
Dénouer les mystères de l’Univers

Dans les années 50 et 60, le Laos, dans l’Asie du sud-est, était un patchwork complexe et déroutant de troubles civils, de coups d’état et de renversements d’alliances. La CIA et le Département d’Etat à eux seuls peuvent être crédités d’au moins un coup d’état pour chacune des années 1958, 1959 et 1960. Aucune étude sur le Laos sur cette période ne semble avoir réussi à dénouer les fils inextricables de qui a remplacé qui, et quand, comment et pourquoi. Après son retour du Laos en 1961, l’auteur états-unien Norman Cousins a déclaré que « si vous voulez un aperçu de la complexité des mystères de l’univers, venez au Laos. Une telle complexité force le respect. » (1)
La Syrie en 2012 a produit sa propre complexité inextricable. Au cours des 18 derniers mois il semblerait qu’à un moment donné ou un autre pratiquement chaque nation du Moyen orient ou d’Afrique du nord ainsi que les pays membres de l’OTAN et de l’Union Européenne aient aidé ceux qui cherchent à renverser le régime de Bashir al-Assad, tandis que la Russie, la Chine et plusieurs autres pays soutiendraient Assad. Le dirigeant syrien, quant à lui, a constamment qualifié ses ennemis de « terroristes », en citant le recours répété d’attentats à la voiture piégée et de kamikazes. L’Occident a traité cette accusation avec mépris, ou l’a simplement ignorée. Mais les preuves qu’Assad auraient de bonnes raisons de les qualifier ainsi s’accumulent depuis un certain temps déjà, particulièrement dans la dernière période. Voici un petit échantillon de ces derniers mois :
- « C’est le genre d’image qui est devenue la marque de la révolution syrienne, une vidéo d’hommes masqués qui se présentent comme l’Armée de Libération de la Syrie et qui brandissent des AK-47 – avec une différence troublante. Dans l’arrière-plan, on voit deux drapeaux d’Al-Qaeda, caractères arabes blancs sur fond noir... La vidéo, postée sur Youtube, est un indice supplémentaire qu’Al-Qaeda et d’autres extrémistes islamiques font tout pour s’approprier la révolution syrienne » (New York Times, 24 juillet, 2012)
- Un grand quotidien allemand a rapporté que le service de renseignement allemand, la BND, a conclut que 95% des rebelles syriens viennent de l’étranger et sont probablement des membres d’Al-Qaeda (Die Welt, 30 septembre, 2012)
- « Un réseau d’islamistes français derrière l’attaque à la grenade dans un marché kasher près de Paris le mois dernier planifiait aussi de rejoindre les djihadistes qui combattent en Syrie... Deux suspects étaient chargés du recrutement pour « mener la djihad dans certains pays, notamment la Syrie », a déclaré un procureur. (Associated Press, 11 octobre, 2012)
- « Des combattants d’un groupe militant obscur [Jabhat al-Nusra] soupçonné de liens avec Al-Qaeda ont rejoint les rebelles syriens pour s’emparer d’une base de missiles anti-aériens dans le nord de la Syrie, selon des militants et des vidéos amateurs... Les vidéos montrent une vingtaine de combattants à l’intérieur de la base près de la tour de radar, avec deux rangées de larges missiles, certains sur des camions. » (Associated Press, 28 octobre, 2012)
Selon votre source d’information ou commentateur préféré, le Président Assad sera présenté comme l’assassin brutal de son propres peuple, où il ne jouit de pratiquement aucun soutien, ou comme un héros qui a longtemps eu le soutien de la majorité de la population syrienne et qui résiste aux impérialistes occidentaux et leurs compagnons d’armes terroristes à qui les Etats-Unis fournissent une aide militaire et des services de renseignement et de propagande.
Washington et ses combattants de la liberté du jour aimeraient créer une deuxième Libye. Et nous savons pertinemment comment la première s’est terminée.
Nations attardées et Nations modernes
En première page du Washington Post du 24 octobre on trouve la photo d’un homme enchaîné à un mur en béton dans un lieu saint en Afghanistan. L’article qui l’accompagne nous raconte que l’homme est un malade mental et que « selon la légende, ceux qui souffrent de troubles mentaux seront guéris après avoir passé 40 jours dans une des minuscules cellules en béton du lieu saint, » vivant « sur un régime de pain, d’eau et de poivre noir. » Chaque année, des centaines d’Afghans amènent des proches souffrant de troubles mentaux dans ce sanctuaire pour y suivre un « traitement ».
Juste à côté de cet article on trouvait l’article principal de la journée, où on apprenait que les Etats-Unis prévoyaient de poursuivre leur politique d’assassinats ciblés par des frappes de drones, pour une durée indéterminée. Voilà le « traitement » réservé par Washington à ceux qui sont atteints du trouble mental qui consiste à ne pas croire aux Etats-Unis sauveurs de l’humanité, apporteurs de démocratie, de liberté et de bonheur universel. (L’article ajoute que le nombre de « civils et militants » tués par la campagne de drones au cours des 10 dernières années dépassera bientôt les 3000, selon certaines estimations, dépassant ainsi le nombre de morts lors des attentats du 11 Septembre.)
Il y a sans doute de nombreuses personnes en Afghanistan, de tous origines, qui savent que l’ancien traitement est absurde, mais il est quand même pratiqué depuis des siècles. Il ne fait aucun doute non plus qu’il existe des officiels US qui en savent tout autant sur leur propre traitement. Voici ce qu’en dit un haut-officiel US : « Nous ne pouvons tout simplement pas tuer tous ceux qui nous veulent du mal... Nous n’allons pas nous retrouver dans dix ans dans un monde ou tout le monde se donnera la main pour chanter ’Nous aimons l’Amérique’ ». Et pourtant, on nous dit que « Parmi les hauts officiels de l’administration Obama, il existe un large consensus que de telles opérations se poursuivront pour au moins dix ans encore. Etant donné la manière qu’Al-Qaeda se métastase, certains officiels disent qu’on ne peut pas en prévoir la fin ».
On peut aussi être certains qu’il y a eu des gens qui n’étaient pas particulièrement malades lorsqu’ils se sont retrouvés enchaînés à un mur en Afghanistan, et qui le sont devenus suite au traitement infligé. Et tout aussi certains qu’il y a de nombreuses personnes dans différents pays qui n’étaient pas particulièrement anti-américains avant qu’un drone ne vienne ravager leur village, leur famille ou leurs voisinage.
L’article du Post raconte aussi comment l’amiral Mike Mullen, ancien chef d’état-major des armées, est revenu du Pakistan il y a un certain temps et a rapporté un échange houleux avec sa contre-partie, le Général Ashfaq Parvez Kayani. « Mullen a raconté à la Maison Blanche et aux officiels en charge du contre-terrorisme que le chef militaire pakistanais avait exigé la réponse à une question apparemment sensée : après des centaines de frappes par drones, comment les Etats-Unis pouvaient-ils encore en être au stade de remonter la liste des ’20 noms les plus recherchés’ ? »
Les officiels US ont défendu leur politique tout en reconnaissant que le calibre des cibles visées par les drones avaient baissé. « Est-ce que la personne qui est actuellement en 4ème position dans la liste est aussi importante que celle qui s’y trouvait il a sept ans ? Probablement pas, » a admis un ancien haut officiel US du contre-terrorisme. « Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas dangereuse. » Le Post a ajouté ce commentaire : « Les doutes en interne quant à l’efficacité de la campagne de drones sont quasi inexistantes. »
Le lendemain on pouvait lire dans le Post : « Il est évident que les plus de 300 frappes (par drones) au Pakistan lancées par Obama ont participé à retourner radicalement la vaste majorité de la population contre les Etats-Unis. »
Levez-vous, humez cette puanteur. Puis allez voter.
Après le deuxième débat présidentiel, début octobre, Luke Rudkowski du média « We Are Change » a posé une question à la Représentante de la Floride Debbie Wasserman Schultz, présidente du Comité National Démocrate, au sujet de la liste de notoriété publique de « cibles » du Président Obama qui vise à la fois des citoyens américains et des étrangers qui peuvent être assassinés sans autre forme de procès.
Luke Rudkowski : « Si le président Romney est élu, reprendra-t-il la liste secrète de « cibles » du Président Barack Obama ? Ca fera l’objet d’un débat. Comment pensez-vous que Romney gérera cette « liste d’assassinats », êtes-vous à l’aise avec l’existence d’une telle liste ? »
Debbie Wasserman Schultz : « Je n’ai aucune idée de quoi vous parlez. »
Luke Rudkowski : « Obama a une liste secrète « d’assassinats ciblés » qu’il a utilisée pour assassiner différentes personnes à travers le monde. »
Debbie Wasserman Schultz : « Je serais heureuse de répondre à toute question sérieuse que vous auriez à me poser ».
Luke Rudkowski : « Pourquoi n’est-elle pas sérieuse ? »
Debbie Wasserman Schultz : « Parce que je n’ai aucune idée de quoi vous parlez. »
Luke Rudkowski : "Bien-sûr que vous n’en avez aucune"
L’existence d’une « liste d’assassinats » US est de notoriété publique depuis deux ans et le sujet a fait l’objet d’un exposé de 6000 mots dans le New York Times au mois de mai.
Au cours du même événement, Sierra Adamson de « We Are Change » a interrogé l’ancien attaché de presse de la Maison Blanche et actuel conseiller de campagne d’Obama, Robert Gibb, sur l’assassinat au Yémen par les Etats-Unis d’Abdulrahman Awlaki, le fils adolescent d’Anwar al-Awlaki.
Sierra Adamson : « Pensez-vous que l’assassinat du fils d’Anwar al-Awlaki, qui avait 16 ans et de nationalité américaine, est justifiable ? »
Robert Gibb : « Je ne vais pas parler du fils d’Anwar al-Awlaki. Je sais qu’Anwar al-Awlaki a renoncé à sa nationalité. »
Sierra Adamson : « Son fils était encore un citoyen américain. »
Robert Gibb : « Il a fait beaucoup de tort à ce pays et était un commandant local d’Al-Qaeda qui voulait s’en prendre à ses coreligionnaires et à d’autres dans son pays. Et... »
Sierra Adamson : « On parle d’un citoyen américain qui a été tué sans aucune forme de procès. Un mineur. »
Robert Gibb : « Dans ce cas je pense que les parents devraient être plus regardants. S’ils sont réellement préoccupés par le bien-être de leurs enfants, je ne pense pas que devenir un militant djihadiste d’Al-Qaeda est le meilleur moyen pour y parvenir. » (2)
Pour illustrer à quel point la connerie est bien partagée, je voudrais à présent vous présenter M. Mitt Romney, qui s’exprimait lors d’un débat présidentiel sur la politique étrangère : « la Syrie est l’unique alliée de l’Iran dans la monde arabe. C’est leur accès à la mer. C’est leur voie pour armer le Hezbollah au Liban, qui menace, bien sûr, notre allié Israël. »
Il suffit de jeter un coup d’oeil à une carte pour se rendre d’abord compte que l’Iran ne partage aucune frontière avec la Syrie et qu’il y un truc au milieu qui s’appelle l’Irak. Ensuite, que l’Iran possède déjà un accès à la mer au nord et au sud et qu’il a en fait près de 2000 km de côtes. Romney a prononcé cette bourde à plusieurs reprises, et le Washington Post l’a souligné à plusieurs reprises. L’éditorialiste Al Kamen a récemment écrit : « Nous avons tout essayé en février pour convaincre Romney d’arrêter de dire ça. » (3)
Evidemment, ni Obama ni le modérateur du débat n’ont relevé l’erreur de Romney.
Le caractère sacré de la vie
« Je suis aussi pro-vie qu’on puisse l’être » a déclaré en 2010 le parlementaire Paul Ryan, candidat Républicain à la vice-présidence, à l’hebdomadaire Weekly Standard. (4)
Sympa. Et pourtant ce type soutient toutes les guerres américaines, chacune au prix de nombreuses vies, à la fois américaines et étrangères. Et il s’oppose à une assurance santé universelle, qui sauverait d’innombrables vies. Ce bon parlementaire est aussi un passionné de chasse et défenseur du port d’armes. Il n’est donc pas aussi pro-vie que ça lorsqu’il s’agit d’autres créatures qui peuplent le Royaume de Dieu. Bien sûr, ce que Ryan entend par « vie » est un embryon, ou un fœtus, peut-être même un zygote. Non, attendez, il y a encore chose : Ryan pense que les grandes entreprises sont des personnes aussi et qu’il faut respecter leur droit à la vie.
Le sort de ceux qui n’aiment pas l’Empire.
Le 7 Octobre 2012, Hugo Chavez a remporté son quatrième mandant à la présidence du Venezuela. Le sentiment de frustration qui a du s’abattre sur les élites vénézuéliennes et américaines doit probablement rappeler celui au Chili, en mars 1973, lorsque la parti d’un autre socialiste et bête noire des Etats-Unis, Salvador Allende – et malgré tous les efforts louables et les dollars déversés par la CIA – remporta environ 44% des voix lors des élections législatives, comparées aux 36% obtenues précédemment en 1970. Il a été dit qu’il s’agissait de la plus forte progression jamais enregistrée au Chili par un parti après plus de deux ans de pouvoir. Les partis d’opposition avaient publiquement annoncé leur optimisme pour remporter les deux-tiers des sièges à l’Assemblée nationale et de pouvoir ainsi destituer Allende. Ils allaient désormais souffrir pendant encore trois ans, avec le risque d’être incapables, malgré tous leurs efforts en sous-main, de freiner la progression de sa popularité.
Au cours du printemps et de l’été, l’opération de déstabilisation de la CIA monta d’un cran. Il y eut toute une série de manifestations et de grèves, dont une particulièrement longue, celle des camionneurs. L’hebdomadaire Time rapporta : « Alors que la majorité du pays souffre de rationnements, les camionneurs semblent étrangement bien préparés pour tenir longtemps. » Un journaliste a demandé à un groupe de camionneurs qui campaient et dînaient « autour d’un repas bien garni de steaks, de légumes, de vin et d’empanadas, » d’où venait l’argent. « De la CIA » ont-ils répondu en riant. (5)
Il y avait aussi des sabotages et des violences quotidiens, dont des assassinats. En Juin, une attaque avortée contre le Palais Présidentiel fut menée par les militaires et le parti d’extrême-droite Patria y Libertad.
En septembre, les militaires réussirent leur coup. « Il est clair », a déclaré plus tard la Commission d’Enquête du Sénat US, « que la CIA connaissait les plans du groupe qui a réussi la coup d’état du 11 Septembre dés les mois de Juillet, Août et Septembre 1973 » (6) Les Etats-Unis avaient aussi préparé la voie à une intervention militaire par le biais d’interventions économiques et le soutien des médias anti-Allende.
Chavez a déjà été renversé par un coup d’état orchestré par les Etats-Unis, en 2002, mais une combinaison de certains officiers loyalistes et de partisans de Chavez qui sont descendus dans la rue a produit un étonnant reversement de situation au bout de deux jours. L’opposition vénézuélienne ne refera pas la même erreur de ne pas éliminer physiquement Chavez lorsqu’elle en avait encore la possibilité.
Hugo Chavez et Salvador Allende avaient commis le même pêché en instaurant des régimes « nationalistes » au service d’autres « intérêts nationaux ». Les élites ressentent une haine profonde pour ce genre d’homme. Le lendemain du renversement du dirigeant vénézuélien démocratiquement et légalement élu, mais avant son retour au pouvoir deux jours plus tard, le New York Times (13 avril 2002), a cru bon de prendre sa plus belle plume pour écrire un éditorial :
« Avec la démission [qualifiée ainsi par les auteurs du coup d’état] hier du Président Hugo Chavez, la démocratie vénézuélienne n’est plus sous la menace d’un dictateur en puissance. M. Chavez, un démagogue dispendieux, a démissionné après une intervention militaire et a remis le pouvoir à un dirigeant patronal respecté. »
Il faut préciser que le « dirigeant patronal respecté », Pedro Carmona, a rapidement dissout l’Assemblée Nationale et la Cour Suprême, et annulé la Constitution vénézuélienne.
Et n’oubliez pas qu’aux Etats-Unis, le New York Times est largement considéré comme un journal « progressiste ». La plupart des conservateurs diraient « très progressiste », sinon « socialiste ».
William Blum
http://www.killinghope.org/bblum6/aer110.html
Traduction "on rigolera moins lorsque Romney bombardera Paris en croyant que c’est Téhéran" par VD pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.
(1) William Blum, Killing Hope : U.S. Military and CIA Interventions Since World War II, chapter 21 (publié en français sous le titre « Guerres Scélérates »)
(2) Democracy Now, October 25, 2012
(3) Washington Post, October 24, 2012, column by Al Kamen
(4) New York Times, August 12, 2012
(5) Time, September 24, 1973, p.46
(6) Covert Action in Chile, 1963‑1973, a Staff Report of The Select Committee to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities (US Senate) December 18, 1975, p.39

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