02 novembre 2012
Les Etats contre la démocratie européenne
La zone euro n’a jamais brillé par son fonctionnement démocratique, notamment depuis le début de la crise. Désormais, elle ne cherche même plus, au minimum, à préserver les formes. Alors que le Parlement européen a voté, jeudi dernier, contre la nomination du Luxembourgeois Yves Mersch au directoire de la Banque centrale européenne (BCE), Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, a lancé, hier, dans la plus grande discrétion et en plein week-end du 1ernovembre, une procédure écrite visant à le confirmer. Cette procédure, explicitement dite « du silence », prévoit que si aucun État n’élève d’objection avant dimanche soir Mersch sera automatiquement confirmé à son poste. Sans aucun débat, sans aucune explication.
Certes, l’avis du Parlement est consultatif, mais c’est la première fois depuis 1998 qu’il émet des réserves, furieux que les États n’aient pas tenu compte de ses remarques sur la composition d’un conseil des gouverneurs qui sera uniquement composé, au moins jusqu’en 2018, de 23 mâles blancs chrétiens. A tout le moins, les gouvernements auraient pu lui faire l'aumône d'un vrai débat et d'une explication devant les médias. Pour justifier cette méthode expéditive, certains invoquent le "respect" des traités. Mais ce sont souvent les même qui n'ont élevé aucune objection lorsque la BCE a élargi au-delà de la lettre des textes européens son mandat ou qu'il a été décidé de réformer le Pacte de stabilité en les violant clairement (il est prévu une majorité qualifiée pour décider des sanctions et non une "majorité qualifiée inversée"). Sous l’impulsion de Berlin, à qui personne n’ose plus résister, et qui n'est pas à une contradiction près, les États ont décidé d’afficher leur mépris à l’égard de la seule institution communautaire élue au suffrage universel.
Les députés européens Sven Giegold (Vert, Allemagne) et Sylvie Goulard (Modem, France) ont protesté aujourd'hui auprès d'Herman Van Rompuy contre cette "procédure écrite", utilisée "pendant un long week-end", qui "est tout sauf équitable" et "contredit" l'engagement du Conseil européen "d'améliorer la légitimité démocratique et la responsabilité de l'UE". "Cette procédure détruit la confiance mutuelle à un moment où nous devrions unir nos forces, afin de combattre la crise, notamment en mettant en oeuvre pleinement l'union bancaire", concluent, un rien menaçant, les deux parlementaires qui affirment que Martin Schulz, le président socialiste de l'europarlement va lui-aussi se plaindre de cette mauvaise manière démocratique.
Bernard Cazeneuve, le ministre délégué aux affaires européennes, à qui j'ai pu parler, "approuve" ces objections, même si l'on ne sait pas encore si François Hollande, si soucieux de parité et de démocratie, va bloquer in fine cette procédure du "silence", ce qui serait tout à son honneur, quitte à déplaire à la chancelière et au Premier ministre luxembourgeois. Sinon, tous ceux qui critiquent l’inquiétante dérive postdémocratique d’une Europe qui se construit sans les citoyens trouveront là confirmation de leurs analyses.