mardi 27 novembre 2012

Rire et se taire dans l’arène de la rigueur (Le blog de Seb Musset)



Ce samedi soir, ils sont plus d'une centaine assis autour de la scène centrale. Les regards convergent vers le centre d'intérêt du long spectacle télévisé: des invités en promotion. Parmi eux, le lauréat d'un jeu télévisé qui a gagné le droit d'être connu et l'acteur de la semaine qui joue le réalisateur de l'année, un gourou du bonheur et un humoriste en tournée. Tous tournés sur eux-mêmes pour plus de sécurité, ils sont chahutés par deux journalistes de l'émission et un Monsieur Loyal sulfatant de la joke plus ou moins efficace mais toujours applaudit. Objectif rire.

Disposé selon l'allure sur de la tribune tape-cul sous une lumière bleue qui le confond dans un camaïeu sombre aux structures de décor, ce public gratuit et volontaire a été briffé à base de petits jeux et de répétitions par le chauffeur de salle. Taper des mains sera sa seule voix. Le chef d'orchestre des clappements compulsifs supervise ses élèves dans l'angle mort des objectifs. De l’allégresse de cette jeune foule ornementale, dépend en partie l'assiduité de la ménagère irradiée de l'autre côté de l'écran. Elle fait ainsi, par procuration, partie d'une conversation se jouant pourtant en cercle fermé.
Au bout d'une heure de bruit et battements de bras, entre dans l'arène heureuse, Jean-Luc Mélenchon. Au milieu de la promo des galettes en plastiques, des livres ou des films à déguster au supermarché du consensus, le chef du Parti de Gauche vient parler politique. Autrement. Trop peut-être. Quand les deux journalistes, prescripteurs de bons points ou préposés au clash, insistent pour que celui ayant fait scission avec le PS quatre ans plus tôt fasse son mea culpa au sujet de son appartenance au gouvernement Jospin (2000 à 2002), il n’esquive pas. Voilà même que l'hérétique revendique des avancées sociales réalisées sous ce gouvernement:

JEAN-LUC MELENCHON
" - Nous faisions des grandes choses. Car faire les 35 heures sans perte de salaire, c'est une très grande chose pour le travailleur !"

A l'aune de ce qui se passe aujourd'hui, ces mesures concrètes (réduction du temps de travail ou couverture médicale universelle) décidées par un gouvernement socialiste sont une transgression voire une révolution. Voilà qui devrait soulever l'enthousiasme assis des masses d'abord rieuses qui, il y a quelques minutes encore ovationnaient d'une rage mécanique la dernière histoire de Toto par Monsieur Loyal.


Pas même étonnée, l'agora reste atone. Face à la fière justification de Mélenchon, un ange passe. Un chauffeur de salle peut déclencher l'hystérie, stimuler l'euphorie. Il ne peut créer le silence.

La baisse du temps de travail ferait-elle partie du paysage. Serait-elle considérée comme un progrès sur lequel on ne peut revenir comme, euh, les chaines gratuites de la TNT ? Peut-être qu'au pays du chômage, de l'Interim et de l'explosion des temps partiels, elle n'évoque simplement rien pour ce jeune public ? Si Jean-Luc lui avait esquissé les suppressions de RTT qu'impliquerait un retour en arrière sur la loi, peut-être que les disciplinés auraient fait gronder un début de "oh bah non alors, ça va beaucoup moins bien marcher" ? On peut l'espérer, sans toutefois trop rêver d'un grand soir où l'on ne serait plus couché.
Il a beau jeu Jean-Luc Mélenchon de dénoncer par la suite le prêt-à-penser dispensé du matin au soir avec quelques nuances cosmétiques d'un canal ou d'un canard à l'autre par ces prophètes de l'austérité dont l'effort d'hiver, après nous avoir fait pleurer sur les drames fiscaux des grandes fortunes, est de faire admettre au prolo sans qu'il ne gueule trop qu’il coûte trop cher et qu'il lui faudra baisser son salaire.

La parenthèse désenchantée est terminé. Monsieur Loyal reprend son rôle et, d'un bon mot, chacun dans le public, reprend soudain le sien: accompagner et nourrir de ses applaudissements commandés les ricanements du moment, et donner trois heures durant, les assourdissantes preuves de son bonheur d'être distrait.