jeudi 20 décembre 2012

Pour éviter une taxe sur les CDD courts, Laurence Parisot oublie un pan entier de la précarité (Blogs Le Monde - Les décodeurs)

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Alors que commencent les négociations sur l'emploi, la patronne des patrons, Laurence Parisot a dit, à de multiples reprises, tout le mal qu'elle pensait d'une mesure voulue par les syndicats, visant à taxer les entreprises qui abuseraient des contrats courts – CDD ou intérim.
Et ce avec un argument martelé notamment lors de sa dernière conférence de presse mensuelle, mardi 18 décembre. La hausse du nombre de CDD de moins d'un mois, si elle est bien réelle, est bien davantage imputable au public qu'au privé, soutient-elle. Mme Parisot incitant donc de manière sibylline le gouvernement à laver le linge sale de l'Etat avant de s'occuper des entreprises privées.
Cet argument de Mme Parisot est plus que discutable. Explications.
Ce qu'elle a dit : "Est-ce que taxer les CDD de moins d’un mois ou même de moins d’une semaine, est ce que cela va transformer ces CDD en CDI ? Franchement, certainement pas. Ces CDD de moins d’un mois ou de moins d’une semaine, dans quels secteurs les trouve-t-on ? Si je mets de côté ce que l’on appelle les CDD d’usage, c’est-à-dire que vous avez un certain nombre de secteurs qui sont listés dans le Code de Travail et qui sont reconnus comme ayant par nature besoin de CDD très courts, le sport, le spectacle, font partie de ces secteurs-là. Donc, je mets de côté ces CDD d’usage. Je regarde tous les autres. Eh bien, l’augmentation des CDD de moins d’un mois s’est faite principalement au cours des dix dernières années dans le secteur public et parapublic, à 60 % et à 42 % dans le secteur privé."
Pourquoi c'est plus que discutable : Joint par Le Monde, le Medef a assuré qu'il tirait ses conclusions d'une étude de l'Acoss, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, qui se fonde quant à elle sur les données de l'Usaaf.
Voici ces données, portant sur l'évolution des CDD de moins d'un mois par secteur d'activité, entre 2000 et 2010.

Evolution des CDD de moins d’un mois par secteur d’activité
  • Le cas des contrats d'usage
Laurence Parisot n'en fait pas mystère : elle ne prend pas en compte dans son calcul les contrats d'usage.
Qu'est-ce qu'un contrat d'usage ? Il s'agit d'un contrat à durée déterminée qui a la particularité de pouvoir être reconduit autant que nécessaire, "pour certains emplois, par nature temporaires". Laurence Parisot ne dit pas autre chose quand elle évoque un certain nombre de secteurs (...) "qui sont reconnus comme ayant par nature besoin de CDD très courts, le sport, le spectacle, font partie de ces secteurs-là".
En revanche, la présidente du Medef oublie de préciser certains points, et ils sont de taille. D'une part, dans les secteurs concernés, les contrats d'usage sont régulièrement utilisés, non pas pour des missions temporaires, mais pour s'exonérer de l'obligation de signer un CDI à un employé. Et pour cause, l'employeur a ainsi toute la souplesse nécessaire : ni limitation dans leur nombre de contrat, ni période de carence, etc.
Selon les données de l'Acoss, l'augmentation des contrats d'usage est vertigineuse dans certains secteurs, alors même que l'emploi, globalement, y a diminué (+ 123,9 % entre 2000 et 2010 dans le secteur des activités d'enquête et de sondage où l'emploi a baissé de 4,7 %).
  • D'où viennent les chiffres avancés par Mme Parisot ?
Le ratio deux tiers de CDD pour le public et un tiers pour le privé est également tiré de la même étude Acoss. Le Medef a expliqué au Monde son calcul.
Dans le tableau ci-dessus, est intégré, dans la dernière colonne, "la contribution du secteur à l'évolution totale des CDD de moins d'un mois", en pourcentage.
Excluons la partie supérieure du tableau, puisque c'est la méthode de Mme Parisot, de ne pas prendre en compte les contrats d'usage et ne gardons que les secteurs publics et para-publics :
      • Hébergement médico-social
      • Activités pour la santé humaine
      • Administration publique
      • Activités liées à l'emploi (hors intérim)
Si l'on additionne les contributions respectives, on obtient une part de 21 % dans l'évolution totale des CDD entre 2000 et 2010, versus 13,3 % pour les privés. On retrouve bien le ratio deux tiers pour le public, un tiers pour le privé. De ce point de vue, on peut donner raison à Mme Parisot.
  • Public et privé, combien de contrats sont concernés ?
Si l'on regarde maintenant ces données, non plus en valeur relative, mais en valeur absolue, le raisonnement de Laurence Parisot ne tient plus.
En 2011, ce sont 2 445 553 CDD de moins d'un mois qui ont été signés dans le secteur public contre 10 827 953 dans le privé. En calculant ainsi, on est bien loin du rapport avancé par Mme Parisot.
"Les CDD de moins d'un mois, dans quels secteurs les trouve-t-on ?", feignait de se demander la patronne des patrons. Ils sont à plus de 80 % dans le privé.
Entre 2000 et 2011, le nombre de CDD courts a bien doublé dans le public – passant de 10 à 20 %. Mais c'est bien le privé qui est massivement responsable de l'augmentation en valeur absolue – 10 827 000 CDD de moins d'un mois en 2011 dans le privé contre 5 876 000 en 2000, alors que le public a connu en 2011 2,45 millions de CDD de moins d'un mois contre 766 898 en 2000. Une donnée qui intègre évidemment les contrats d'usage, qu'il était un peu trop commode d'exclure du calcul.
Jonathan Parienté