« Nous sommes à un tournant majeur de l’histoire de l’édition »
Par (23 janvier 2013)
Quelle est aujourd’hui la réalité du métier d’éditeur ? Quelle place pour celles et ceux qui ont choisi de privilégier une ligne éditoriale exigeante, en prise avec les préoccupations des sociétés civiles ? David Eloy, de la revue Altermondes, s’est entretenu avec François Gèze, président-directeur général de La Découverte, une maison d’édition spécialisée dans les sciences humaines et sociales, dont la ligne éditoriale, « Des livres pour comprendre, des livres pour agir », en a fait un compagnon de route des mouvements citoyens.
David Eloy : Comment définiriez-vous votre métier d’éditeur ? En quoi a-t-il évolué ces dernières années ?
François Gèze : Être éditeur, c’est jouer le rôle de passeur entre des personnes, qui produisent des idées ou créent des fictions, et des lecteurs qui trouvent utilité ou plaisir à lire ces travaux. Ce cœur de métier — choisir et faire connaître – est resté le même. L’environnement, lui, a changé. Il y a d’abord une évolution du lectorat, marquée par une forte chute des très grands lecteurs (ceux qui lisent plus de 25 livres par an). Les enquêtes du ministère de la Culture montrent que ces grands lecteurs, qui représentaient 22 % des plus de quinze ans en 1973, n’étaient plus que 11 % en 2009. C’est une évolution préoccupante, révélant que, dès les années 1980, les pratiques de lecture des jeunes générations, des étudiants, ont changé de façon très significative. On l’a vu notamment dans le champ des sciences humaines et sociales. À partir de cette époque, le public étudiant s’est de plus en plus détourné du livre comme support privilégié de connaissance. La lecture de curiosité a beaucoup décliné au profit des seules lectures utilitaristes, permettant de décrocher ses examens.
Dès les années 1980. On ne peut donc pas faire de lien avec Internet ?
Non, le phénomène est bien antérieur. C’est vraiment une évolution des pratiques culturelles. Les pratiques de lecture ont complètement changé. Ce qui fait qu’aujourd’hui la plupart des ouvrages publiés doivent trouver leur public dans des « niches ». La curiosité livresque n’a pas disparu, elle s’est éparpillée.
Comment l’édition se porte-t-elle en France ?
En France, environ 35 000 nouveautés paraissent chaque année. Si le tirage moyen a régulièrement baissé depuis trente ans, le nombre de titres, lui, a fortement augmenté, comme le nombre global d’exemplaires vendus. Parallèlement à la baisse des grands lecteurs, on a en effet assisté à une démocratisation de la lecture, dans la mesure où, pendant les années 1970 et 1980, le nombre de faibles lecteurs (ceux qui lisent moins de 8 livres par an) a significativement augmenté, grâce au succès des clubs (comme France-Loisirs) et à l’arrivée des grandes surfaces dans le secteur. On a touché un public plus large, au moins pour une certaine catégorie de livres. Mais depuis deux ans, on est entré dans une période de récession. On prévoit pour 2012 au moins 6 % de baisse sur l’ensemble du marché. Le recul est encore plus important dans les autres pays européens. Sur les neuf premiers mois de l’année, c’est – 30 % au Portugal, – 20 % en Espagne et en Italie, – 12 % en Belgique, – 10 % au Royaume-Uni et – 9 % en Allemagne. Ce tassement très fort est dû, bien entendu, à la crise, mais elle n’explique pas tout. Il y a aussi, comme chez nous, un recul du nombre de grands lecteurs. Nous sommes donc à un tournant majeur, peut-être le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Et dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) ?
Depuis trente ans, on parle de « crise » dans ce secteur. Mais une crise qui dure trente ans, ce n’est plus vraiment une crise, c’est une nouvelle étape. D’un côté, c’est vrai, les ventes d’essais spécialisés et surtout d’ouvrages de recherche en SHS se sont globalement effondrées (souvent à moins de 1 000 exemplaires par titre). Mais de l’autre, on constate également que, depuis quelques années, les livres aidant à comprendre la mondialisation – surtout les plus radicaux – se vendent bien, parfois même très bien. Je pense aux livres de Naomi Klein, de Joseph Stiglitz ou des « économistes atterrés ». Et Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin s’est vendu à 80 000 exemplaires ! Il y a donc un vrai appétit de comprendre les nouvelles formes de la mondialisation. Sinon, les livres-sommes, ces volumes dont on se dit que la lecture va vraiment apporter quelque chose, fonctionnent plutôt bien. Nous avons publié en 2008 une Histoire secrète de la Ve République, qui s’est vendue à plus de 100 000 exemplaires avec l’édition de poche. Nous venons également de publier une Histoire de l’Algérie à la période coloniale, qui démarre bien, et une passionnante Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours. Il faut enfin souligner l’émergence de jeunes auteurs qui, depuis la fin des années 1990, explorent des champs nouveaux dans le domaine des SHS. Un renouveau de la production qui, pour le coup, est encourageant.
Et sur des sujets comme le mouvement altermondialiste ?
Après un recul spectaculaire dans les années 1980 des engagements « anti-impérialistes » des deux décennies précédentes, on a vu apparaître dans les années 1990, avec l’émergence du mouvement altermondialiste, de jeunes lecteurs engagés, mais qui lisent des livres de façon éclatée. Ils vont s’intéresser à tel pays, à tel sujet et pas à d’autres. On est donc dans une logique de niche. Depuis, le « boom » de la militance altermondialiste qui a suivi en France la création d’Attac, s’est toutefois tassé. Le côté positif, c’est que ces idées se sont répandues au-delà des cercles militants. Du coup, les livres spécifiquement consacrés au mouvement altermondialiste ne se vendent plus guère. Mais les idées qu’il véhicule se retrouvent dans d’autres livres, qui s’adressent à des publics différents voire plus larges. Il y a une forme de banalisation de ces idées, dans le bon sens du terme.
Le fait qu’un livre soit une production d’ONG sur une problématique spécifique est-il une plus-value ?
Tout dépend de la capacité de l’auteur à produire un texte lisible au-delà de ses pairs et des spécialistes, ce qui n’est pas toujours facile. Les livres que je qualifierais de « pratiques », eux, se vendent bien. C’est le cas par exemple des Guides du GISTI, que nous publions depuis de longues années : ils s’écoulent sur la durée, parce qu’ils répondent à un besoin de professionnels et de militants, ceux qui interviennent auprès des migrants. Même chose pour le Guide du prisonnier de l’Observatoire international des prisons.
Que vous inspire le succès d’Indignez-vous de Stéphane Hessel ?
On ne peut pas parler à proprement parler de succès d’édition, puisque ce n’est pas réellement un ouvrage, vue sa taille : celle d’un article. Je pense plutôt qu’il a joué un rôle d’identification à une posture morale, que beaucoup de gens partagent heureusement. Comme un signe de reconnaissance. Se dire j’achète le livre ou je l’offre — Indignez-vous a été extrêmement offert —, c’est une façon de (se) dire qu’on se reconnaît dans les valeurs qu’il véhicule. C’est autre chose que l’édition.
Selon vous, quel avenir a l’édition ?
Il faut rester optimiste. Il y aura toujours besoin de textes pour apprendre, pour comprendre le monde et pour le changer. Le cœur de métier de l’éditeur, c’est-à-dire repérer les auteurs, les aider à accoucher de textes qui seront lisibles et les faire connaître le plus largement possible, va rester, même si le rapport au livre a changé. Aujourd’hui, la technique d’« impression numérique » permet de faire des tirages très réduits, voire à l’unité, dans des conditions économiques convenables. Cette évolution va permettre d’adapter l’offre papier à la demande et de rendre la plupart des livres disponibles ad aeternam. L’ « impression à la demande » est en effet une révolution plus importante que celle du livre électronique : en s’affranchissant des contraintes économiques des techniques d’impression traditionnelles (tirages en quantité et donc stocks à entreposer), elle va donner une capacité de survie sur la longue durée au livre imprimé, qui aurait été sinon menacé dans son existence même…
L’autre évolution, c’est bien sûr celle du livre électronique, même si son poids est encore peu significatif en Europe (à l’exception du Royaume-Uni). Aux États-Unis, il pèse déjà de 10 % à 20 % du marché selon les secteurs, surtout dans la fiction grand public ou le professionnel, dont les livres sont adaptés à la lecture sur tablette. Les livres de recherche vont très probablement connaître la même évolution : l’édition électronique va devenir l’édition première et l’édition papier se fera à la demande. Cela va complètement modifier notre écosystème. Auparavant, avec toutes les difficultés de diffusion du livre imprimé, notamment à l’international, nombre d’ouvrages restaient méconnus. Les technologies numériques (publication en ligne, numérisation des fonds, moteurs de recherche, Web sémantique…) renouvellent complètement les conditions d’accès à la connaissance.
Que restera-t-il du papier ?
Le numérique favorise des modalités technologiques de publication ainsi que des modes d’écrit différents — l’hypertexte — qui permettent de mettre en relation une infinité de ressources, ce qui est évidemment formidable. Mais à mon sens, cela rendra d’autant plus nécessaire l’accès traditionnel au « livre clos » (imprimé ou numérique), celui qui a un commencement et une fin, qu’un auteur a publié à une certaine date et auquel il ne touche plus après. C’est-à-dire le contraire du livre modifié en permanence – dit parfois « liquide » –, parce que son auteur y revient ou qu’il est enrichi par d’autres : une modalité passionnante, mais inévitablement inscrite dans l’instant, impossible à inscrire dans la durée. D’où l’importance, face à la dispersion favorisée par le Web, de pouvoir encore lire, de préférence sur papier, les « livres clos » d’Aristote, Marx, Weber ou Sartre écrits avant son invention (mais aussi ceux écrits après). Le fait de lire un livre avec un début et une fin et de pouvoir travailler dessus apporte, au plan cognitif et politique, beaucoup plus que de rester simplement baigné dans le flux permanent de l’information ou de la circulation des textes.
Recueilli par David Eloy, de la revue Altermondes.
Photo : Groume.
Altermondes est une revue trimestrielle de solidarité internationale, destinée à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux questions de solidarité internationale, de développement durable, de droits humains... L’entretien avec François Gèze est publié dans le n°32, décembre 2012 (voir le sommaire).
François Gèze : Être éditeur, c’est jouer le rôle de passeur entre des personnes, qui produisent des idées ou créent des fictions, et des lecteurs qui trouvent utilité ou plaisir à lire ces travaux. Ce cœur de métier — choisir et faire connaître – est resté le même. L’environnement, lui, a changé. Il y a d’abord une évolution du lectorat, marquée par une forte chute des très grands lecteurs (ceux qui lisent plus de 25 livres par an). Les enquêtes du ministère de la Culture montrent que ces grands lecteurs, qui représentaient 22 % des plus de quinze ans en 1973, n’étaient plus que 11 % en 2009. C’est une évolution préoccupante, révélant que, dès les années 1980, les pratiques de lecture des jeunes générations, des étudiants, ont changé de façon très significative. On l’a vu notamment dans le champ des sciences humaines et sociales. À partir de cette époque, le public étudiant s’est de plus en plus détourné du livre comme support privilégié de connaissance. La lecture de curiosité a beaucoup décliné au profit des seules lectures utilitaristes, permettant de décrocher ses examens.
Dès les années 1980. On ne peut donc pas faire de lien avec Internet ?
Non, le phénomène est bien antérieur. C’est vraiment une évolution des pratiques culturelles. Les pratiques de lecture ont complètement changé. Ce qui fait qu’aujourd’hui la plupart des ouvrages publiés doivent trouver leur public dans des « niches ». La curiosité livresque n’a pas disparu, elle s’est éparpillée.
Comment l’édition se porte-t-elle en France ?
En France, environ 35 000 nouveautés paraissent chaque année. Si le tirage moyen a régulièrement baissé depuis trente ans, le nombre de titres, lui, a fortement augmenté, comme le nombre global d’exemplaires vendus. Parallèlement à la baisse des grands lecteurs, on a en effet assisté à une démocratisation de la lecture, dans la mesure où, pendant les années 1970 et 1980, le nombre de faibles lecteurs (ceux qui lisent moins de 8 livres par an) a significativement augmenté, grâce au succès des clubs (comme France-Loisirs) et à l’arrivée des grandes surfaces dans le secteur. On a touché un public plus large, au moins pour une certaine catégorie de livres. Mais depuis deux ans, on est entré dans une période de récession. On prévoit pour 2012 au moins 6 % de baisse sur l’ensemble du marché. Le recul est encore plus important dans les autres pays européens. Sur les neuf premiers mois de l’année, c’est – 30 % au Portugal, – 20 % en Espagne et en Italie, – 12 % en Belgique, – 10 % au Royaume-Uni et – 9 % en Allemagne. Ce tassement très fort est dû, bien entendu, à la crise, mais elle n’explique pas tout. Il y a aussi, comme chez nous, un recul du nombre de grands lecteurs. Nous sommes donc à un tournant majeur, peut-être le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Et dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) ?
Depuis trente ans, on parle de « crise » dans ce secteur. Mais une crise qui dure trente ans, ce n’est plus vraiment une crise, c’est une nouvelle étape. D’un côté, c’est vrai, les ventes d’essais spécialisés et surtout d’ouvrages de recherche en SHS se sont globalement effondrées (souvent à moins de 1 000 exemplaires par titre). Mais de l’autre, on constate également que, depuis quelques années, les livres aidant à comprendre la mondialisation – surtout les plus radicaux – se vendent bien, parfois même très bien. Je pense aux livres de Naomi Klein, de Joseph Stiglitz ou des « économistes atterrés ». Et Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin s’est vendu à 80 000 exemplaires ! Il y a donc un vrai appétit de comprendre les nouvelles formes de la mondialisation. Sinon, les livres-sommes, ces volumes dont on se dit que la lecture va vraiment apporter quelque chose, fonctionnent plutôt bien. Nous avons publié en 2008 une Histoire secrète de la Ve République, qui s’est vendue à plus de 100 000 exemplaires avec l’édition de poche. Nous venons également de publier une Histoire de l’Algérie à la période coloniale, qui démarre bien, et une passionnante Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours. Il faut enfin souligner l’émergence de jeunes auteurs qui, depuis la fin des années 1990, explorent des champs nouveaux dans le domaine des SHS. Un renouveau de la production qui, pour le coup, est encourageant.
Et sur des sujets comme le mouvement altermondialiste ?
Après un recul spectaculaire dans les années 1980 des engagements « anti-impérialistes » des deux décennies précédentes, on a vu apparaître dans les années 1990, avec l’émergence du mouvement altermondialiste, de jeunes lecteurs engagés, mais qui lisent des livres de façon éclatée. Ils vont s’intéresser à tel pays, à tel sujet et pas à d’autres. On est donc dans une logique de niche. Depuis, le « boom » de la militance altermondialiste qui a suivi en France la création d’Attac, s’est toutefois tassé. Le côté positif, c’est que ces idées se sont répandues au-delà des cercles militants. Du coup, les livres spécifiquement consacrés au mouvement altermondialiste ne se vendent plus guère. Mais les idées qu’il véhicule se retrouvent dans d’autres livres, qui s’adressent à des publics différents voire plus larges. Il y a une forme de banalisation de ces idées, dans le bon sens du terme.
Le fait qu’un livre soit une production d’ONG sur une problématique spécifique est-il une plus-value ?
Tout dépend de la capacité de l’auteur à produire un texte lisible au-delà de ses pairs et des spécialistes, ce qui n’est pas toujours facile. Les livres que je qualifierais de « pratiques », eux, se vendent bien. C’est le cas par exemple des Guides du GISTI, que nous publions depuis de longues années : ils s’écoulent sur la durée, parce qu’ils répondent à un besoin de professionnels et de militants, ceux qui interviennent auprès des migrants. Même chose pour le Guide du prisonnier de l’Observatoire international des prisons.
Que vous inspire le succès d’Indignez-vous de Stéphane Hessel ?
On ne peut pas parler à proprement parler de succès d’édition, puisque ce n’est pas réellement un ouvrage, vue sa taille : celle d’un article. Je pense plutôt qu’il a joué un rôle d’identification à une posture morale, que beaucoup de gens partagent heureusement. Comme un signe de reconnaissance. Se dire j’achète le livre ou je l’offre — Indignez-vous a été extrêmement offert —, c’est une façon de (se) dire qu’on se reconnaît dans les valeurs qu’il véhicule. C’est autre chose que l’édition.
Selon vous, quel avenir a l’édition ?
Il faut rester optimiste. Il y aura toujours besoin de textes pour apprendre, pour comprendre le monde et pour le changer. Le cœur de métier de l’éditeur, c’est-à-dire repérer les auteurs, les aider à accoucher de textes qui seront lisibles et les faire connaître le plus largement possible, va rester, même si le rapport au livre a changé. Aujourd’hui, la technique d’« impression numérique » permet de faire des tirages très réduits, voire à l’unité, dans des conditions économiques convenables. Cette évolution va permettre d’adapter l’offre papier à la demande et de rendre la plupart des livres disponibles ad aeternam. L’ « impression à la demande » est en effet une révolution plus importante que celle du livre électronique : en s’affranchissant des contraintes économiques des techniques d’impression traditionnelles (tirages en quantité et donc stocks à entreposer), elle va donner une capacité de survie sur la longue durée au livre imprimé, qui aurait été sinon menacé dans son existence même…
L’autre évolution, c’est bien sûr celle du livre électronique, même si son poids est encore peu significatif en Europe (à l’exception du Royaume-Uni). Aux États-Unis, il pèse déjà de 10 % à 20 % du marché selon les secteurs, surtout dans la fiction grand public ou le professionnel, dont les livres sont adaptés à la lecture sur tablette. Les livres de recherche vont très probablement connaître la même évolution : l’édition électronique va devenir l’édition première et l’édition papier se fera à la demande. Cela va complètement modifier notre écosystème. Auparavant, avec toutes les difficultés de diffusion du livre imprimé, notamment à l’international, nombre d’ouvrages restaient méconnus. Les technologies numériques (publication en ligne, numérisation des fonds, moteurs de recherche, Web sémantique…) renouvellent complètement les conditions d’accès à la connaissance.
Que restera-t-il du papier ?
Le numérique favorise des modalités technologiques de publication ainsi que des modes d’écrit différents — l’hypertexte — qui permettent de mettre en relation une infinité de ressources, ce qui est évidemment formidable. Mais à mon sens, cela rendra d’autant plus nécessaire l’accès traditionnel au « livre clos » (imprimé ou numérique), celui qui a un commencement et une fin, qu’un auteur a publié à une certaine date et auquel il ne touche plus après. C’est-à-dire le contraire du livre modifié en permanence – dit parfois « liquide » –, parce que son auteur y revient ou qu’il est enrichi par d’autres : une modalité passionnante, mais inévitablement inscrite dans l’instant, impossible à inscrire dans la durée. D’où l’importance, face à la dispersion favorisée par le Web, de pouvoir encore lire, de préférence sur papier, les « livres clos » d’Aristote, Marx, Weber ou Sartre écrits avant son invention (mais aussi ceux écrits après). Le fait de lire un livre avec un début et une fin et de pouvoir travailler dessus apporte, au plan cognitif et politique, beaucoup plus que de rester simplement baigné dans le flux permanent de l’information ou de la circulation des textes.
Recueilli par David Eloy, de la revue Altermondes.
Photo : Groume.
Altermondes est une revue trimestrielle de solidarité internationale, destinée à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux questions de solidarité internationale, de développement durable, de droits humains... L’entretien avec François Gèze est publié dans le n°32, décembre 2012 (voir le sommaire).