La vie privée est-elle encore taboue ?
Et si le livre de Dame Iacub sur DSK marquait un tournant dans le journalisme à la française ? Un tournant que nous daterons arbitrairement du jour de la parution des bonnes feuilles de l’objet qu’on dit « littéraire » dans un support « d’information politique et générale ». Autrement dit, le 21 février 2013. Etudiants en journalisme, retenez bien cette date, elle est historique. Jusqu’à ce jour fatidique, tous les journalistes politiques français disaient que jamais ô grand jamais, ils ne dévoileraient la vie privée d’un homme politique. C’était leur fierté, leur honneur, leur marque de fabrique. Ce qui les distinguait notamment de leurs chiens de confrères anglo-saxons et leur satanée presse de caniveau. Il semble bien que la belle éthique ait pris un coup de canif avec l’affaire du cochon sublime. Notez, c’est le propre du cochon, dans l’imaginaire collectif, que de tout salir…
Saluons la naissance du reportage sexuel
La fille de François Mitterrand, tout le monde savait, tout le monde se taisait. Vie privée ! Et qu’importe si cette vie privée s’exerçait en partie aux frais de l’Etat…Les frasques réelles ou supposées de DSK avant l’affaire du Sofitel ? Vie privée. Une seule voix s’était élevée, celle de Jean Quatremer, correspondant de Libé à Bruxelles, mais on l’avait fait taire. Ah l’insolent, le traître à l’honneur du journalisme français. Tout cela donc et bien d’autres choses que nous avons oubliées et surtout ignorées relevait de la vie privée. Il ne fallait en parler sous aucun prétexte. Jusqu’à ce jour glacial de février 2013 où l’on nous dévoila la couverture de l’Obs encensant les confidences de plumard d’une intellectuelle subversive en reportage free lance dans les draps de DSK. Fichtre ! La dame y raconte 7 mois de liaison avec le sulfureux politique qu’elle qualifie de cochon. Saluons la naissance d’un nouveau genre journalistique : le reportage sexuel. Evidemment, personne n’imagine que la chose ait pu être téléguidée dès le départ, non, l’envie d’écrire l’a sans doute saisie subitement lors d’une déprime post-coïtale. Et comme chacun sait, l’écriture chez certains, c’est comme le sexe, un besoin irrépressible. Tout comme a dû être irrépressible l’envie de Stock d’éditer ce chef d’oeuvre. Et non moins irrépressible fut donc la tentation pour l’Obs d’en extraire les bonnes feuilles…des fois qu’un confrère lui souffle le trésor au nez et à la barbe…
La trouille sous le masque de l’éthique
A ce stade, on est bien obligé de tenter une analyse. Procédons par ordre, à la manière des juristes. Le récit d’une liaison avec un homme politique en vue relève-t-il d’un sujet de vie privée ? En tout cas c’est bien à cette vie privée là – autrement dit essentiellement aux affaires de coeur et de sexe que songent mes confrères quand ils jurent la main sur le coeur que leur déontologie leur interdit d’en parler -. Qui a transgressé la règle en l’espèce ? Pas une journaliste, mais une juriste/chercheuse/chroniqueuse à Libération. L’honneur de la corporation est sauf, c’est donc une étrangère à notre petite communauté qui a commis cette chose. Oui, sauf qu’elle est reprise en Une par l’Obs. Les raisons invoquées sont nombreuses, la crise de la presse qui lève les pudeurs inutiles, le caractère innovant du livre, son extraordinaire valeur littéraire. On ne rigole pas. Au fond, on peut raisonnablement supposer que la petite communauté journalistique s’est sentie dédouanée par le fait que l’auteure n’était pas du sérail et qu’elle avait en outre vaguement bricolé autour de ce déballage de vie privée un prétexte littéraire. Immoral de coucher avec un homme politique pour le raconter ensuite ? Non, délicieusement transgressif, moderne en diable, fantastiquement artistique, nous explique-t-on. Passons… On ne peut se défendre de penser que la situation de DSK n’est pas étrangère à tout ça. D’abord, il est à terre, son avenir politique est mort, il est devenu inutile de le flatter ni même de seulement le préserver. Où l’on découvre que la morale de la presse est tout sauf conforme à l’impératif catégorique kantien (faire le bien pour le bien et non dans l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un châtiment). Si l’on respecte la vie privée, ce n’est pas par amour d’une certaine éthique mais tout simplement parce qu’on a la trouille des retombées. Tout de suite c’est moins glorieux. Ensuite et surtout, DSK reste aux yeux de certains terriblement bankable et la presse comme l’édition se sentent suffisamment en danger pour envoyer valser leurs ultimes réserves.
Une victime inoffensive et bankable
Alors ? Faut-il considérer comme je le proposais en introduction que le journalisme français vient de rompre avec le respect de la vie privée ? Finalement je ne pense pas. DSK est l’exception qui confirme la règle. Pour la suite, gageons que la trouille continuera d’être bonne conseillère. La morale peut évoluer dans une société, ou plus précisément se diluer, en particulier sous l’influence des modèles étrangers ou l’attraction du profit. En clair, imiter les copains anglo-saxons est si tentant qu’on finira par céder, surtout si c’est juteux. Mais pas maintenant. Car une autre force s’y oppose, bien plus puissante, la fameuse collusion entre pouvoir et médias. Tant que l’intérêt de la presse continuera d’être du côté d’un silence amical et complice, la vie privée restera le grand tabou des médias français. Gare toutefois à ceux qui se retrouveraient durablement à terre. Nous avons compris en effet que, fouettés par la crise, les médias sont capables de toucher à la vie privée sans états d’âmes, pour peu que la victime soit inoffensive et bankable. Quitte à alourdir singulièrement le dossier, une ultime question se pose : quel est l’intérêt en termes d’information de cette publication et de sa reprise par un grand hebdomadaire ? Aïe, oui, je sais, ça fait mal…La presse est nue.
Saluons la naissance du reportage sexuel
La fille de François Mitterrand, tout le monde savait, tout le monde se taisait. Vie privée ! Et qu’importe si cette vie privée s’exerçait en partie aux frais de l’Etat…Les frasques réelles ou supposées de DSK avant l’affaire du Sofitel ? Vie privée. Une seule voix s’était élevée, celle de Jean Quatremer, correspondant de Libé à Bruxelles, mais on l’avait fait taire. Ah l’insolent, le traître à l’honneur du journalisme français. Tout cela donc et bien d’autres choses que nous avons oubliées et surtout ignorées relevait de la vie privée. Il ne fallait en parler sous aucun prétexte. Jusqu’à ce jour glacial de février 2013 où l’on nous dévoila la couverture de l’Obs encensant les confidences de plumard d’une intellectuelle subversive en reportage free lance dans les draps de DSK. Fichtre ! La dame y raconte 7 mois de liaison avec le sulfureux politique qu’elle qualifie de cochon. Saluons la naissance d’un nouveau genre journalistique : le reportage sexuel. Evidemment, personne n’imagine que la chose ait pu être téléguidée dès le départ, non, l’envie d’écrire l’a sans doute saisie subitement lors d’une déprime post-coïtale. Et comme chacun sait, l’écriture chez certains, c’est comme le sexe, un besoin irrépressible. Tout comme a dû être irrépressible l’envie de Stock d’éditer ce chef d’oeuvre. Et non moins irrépressible fut donc la tentation pour l’Obs d’en extraire les bonnes feuilles…des fois qu’un confrère lui souffle le trésor au nez et à la barbe…
La trouille sous le masque de l’éthique
A ce stade, on est bien obligé de tenter une analyse. Procédons par ordre, à la manière des juristes. Le récit d’une liaison avec un homme politique en vue relève-t-il d’un sujet de vie privée ? En tout cas c’est bien à cette vie privée là – autrement dit essentiellement aux affaires de coeur et de sexe que songent mes confrères quand ils jurent la main sur le coeur que leur déontologie leur interdit d’en parler -. Qui a transgressé la règle en l’espèce ? Pas une journaliste, mais une juriste/chercheuse/chroniqueuse à Libération. L’honneur de la corporation est sauf, c’est donc une étrangère à notre petite communauté qui a commis cette chose. Oui, sauf qu’elle est reprise en Une par l’Obs. Les raisons invoquées sont nombreuses, la crise de la presse qui lève les pudeurs inutiles, le caractère innovant du livre, son extraordinaire valeur littéraire. On ne rigole pas. Au fond, on peut raisonnablement supposer que la petite communauté journalistique s’est sentie dédouanée par le fait que l’auteure n’était pas du sérail et qu’elle avait en outre vaguement bricolé autour de ce déballage de vie privée un prétexte littéraire. Immoral de coucher avec un homme politique pour le raconter ensuite ? Non, délicieusement transgressif, moderne en diable, fantastiquement artistique, nous explique-t-on. Passons… On ne peut se défendre de penser que la situation de DSK n’est pas étrangère à tout ça. D’abord, il est à terre, son avenir politique est mort, il est devenu inutile de le flatter ni même de seulement le préserver. Où l’on découvre que la morale de la presse est tout sauf conforme à l’impératif catégorique kantien (faire le bien pour le bien et non dans l’espoir d’un avantage ou la crainte d’un châtiment). Si l’on respecte la vie privée, ce n’est pas par amour d’une certaine éthique mais tout simplement parce qu’on a la trouille des retombées. Tout de suite c’est moins glorieux. Ensuite et surtout, DSK reste aux yeux de certains terriblement bankable et la presse comme l’édition se sentent suffisamment en danger pour envoyer valser leurs ultimes réserves.
Une victime inoffensive et bankable
Alors ? Faut-il considérer comme je le proposais en introduction que le journalisme français vient de rompre avec le respect de la vie privée ? Finalement je ne pense pas. DSK est l’exception qui confirme la règle. Pour la suite, gageons que la trouille continuera d’être bonne conseillère. La morale peut évoluer dans une société, ou plus précisément se diluer, en particulier sous l’influence des modèles étrangers ou l’attraction du profit. En clair, imiter les copains anglo-saxons est si tentant qu’on finira par céder, surtout si c’est juteux. Mais pas maintenant. Car une autre force s’y oppose, bien plus puissante, la fameuse collusion entre pouvoir et médias. Tant que l’intérêt de la presse continuera d’être du côté d’un silence amical et complice, la vie privée restera le grand tabou des médias français. Gare toutefois à ceux qui se retrouveraient durablement à terre. Nous avons compris en effet que, fouettés par la crise, les médias sont capables de toucher à la vie privée sans états d’âmes, pour peu que la victime soit inoffensive et bankable. Quitte à alourdir singulièrement le dossier, une ultime question se pose : quel est l’intérêt en termes d’information de cette publication et de sa reprise par un grand hebdomadaire ? Aïe, oui, je sais, ça fait mal…La presse est nue.