dimanche 24 février 2013

« Les Infiltrés » : les bidouilles des labos pour caser leurs génériques (rue89)

« Les Infiltrés » : les bidouilles des labos pour caser leurs génériques

Sophie Caillat | Journaliste
 
« Les Infiltrés » de France 2 ont planqué leurs caméras dans les coulisses pas très reluisantes de la commercialisation des médicaments. « Laboratoires pharmaceutiques : un lobby en pleine santé » est le nouvel épisode de la troisième saison de l’émission, diffusé ce vendredi soir.
La méthode reste la même : les images volées. Un choix délibérément polémique, certes, mais inévitable quand on veut en savoir plus sur les deals plus ou moins opaques proposés par les labos.
Le système décrit dans le film n’a rien à envier à celui de la grande distribution. « C’est comme si on vendait de la lessive », résume un visiteur médical dans le film.
 
A côté de l’enquête principale, consacrée aux visiteurs médicaux, un second film plus court se concentre sur les marges arrières des laboratoires fournissant les génériques, autrement dit les dessous de table qu’ils offrent aux pharmaciens.
Le sujet est particulièrement tabou pour les autorités, car les médicaments génériques, qui n’ont pas la cote chez les Français, font faire 1,5 milliard d’euros d’économies à la Sécurité sociale.

Les trois « modes de redescente »

Les astuces utilisées sont très bien montrées par la réalisatrice Sophie Bonnet, infiltrée dans un congrès de pharmaciens. Elle rencontre des représentants des labos, prétendant qu’elle compte reprendre une officine, et écoute leurs offres décomplexées.
Il faut savoir, pour bien comprendre le secteur, que les marges des pharmacies se sont réduites et que le secteur n’est plus aussi florissant qu’il l’a été, comme le racontait déjà Ludivine, pharmacienne, dans la rubrique Votre porte-monnaie au rayon X de Rue89. Les officines se voient donc proposer l’« aide » des labos, pour qui il est important d’être choisi comme fournisseur unique de toute la partie générique.
Depuis 2008 et la loi sur les marges arrières, tout cela est très encadré : le pharmacien peut obtenir jusqu’à 17% de remise légale. Or, affirme le film, les remises vont fréquemment jusqu’à 50%, grâce à des méthodes frauduleuses mais « juridiquement bordées ». Voici les trois techniques (des « modes de redescente » dans le jargon des commerciaux) proposées par les laboratoires à l’infiltrée :
  • la publicité : l’officine bénéficie d’un contrat d’achat d’espace publicitaire, c’est-à-dire qu’elle est rémunérée pour installer des panneaux. Le labo peut verser 1 000 euros par mois pour ce service, via une société-écran ;
  • les études : le laboratoire rémunère la pharmacie pour des enquêtes sans intérêt scientifique mais utilisables en cas de contrôle ;
  • les cadeaux : « pour dix boîtes achetées, une offerte... et remboursée », propose le labo. Une fraude à la Sécu.
« Personne ne nie le système, mais c’est une question de proportion », estime l’auteur de l’enquête, Sophie Bonnet, pour qui « il n’est pas choquant en soi que de l’argent public bénéficie aux pharmaciens, car ils sont en difficulté. Mais cette opacité est choquante ».
Difficile de savoir si le système est aussi généralisé que l’affirme le film, mais selon les pharmaciens, il semble que le fait que l’infiltrée se soit présentée comme étant sur le point de reprendre une officine ait rendu les labos encore plus agressifs commercialement.
« Ils voulaient l’appâter, mais dans la réalité jamais ils ne nous proposent de telles ristournes », disent des pharmaciens que j’ai interrogés.

« Sans cet argent, pas de marché du générique »

Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), n’a jamais entendu parler du système des boîtes gratuites et est « très étonné » par ce qu’il a vu dans le film. Il reconnaît que les remises vont au-delà de 17% « par le biais de contrats de coopération, des études par exemple, mais tout ce qui se fait avec les labos figure dans la comptabilité des entreprises ».
Et Lucien Bennatan, président du groupement de pharmacies PHR, de reconnaître des remises qui vont jusqu’à 20% au-delà de la limité autorisée, mais légalement. Il ajoute :
« Sans cet argent reversé par les labos, le marché du générique n’existerait pas, car les marges sont trop faibles. La Cnam est au courant mais laisse faire.
Il ne faudrait surtout pas jeter l’opprobre sur les génériques, et sur les pharmaciens dont les volumes et les marges ne cessent de baisser. »
Philippe Gaertner précise qu’« une officine met la clé sous la porte tous les deux jours en France ».