Cet ANI lointain qui sera bientôt le tien
"- Vous feriez bien de vous y intéresser à L’ANI! Ça vous concerne! Ce sera trop tard après!"
Je regrette Sarkozy au moins pour une chose. A travers sa personne, et presque avant sa politique, il avait réussi à faire l’unanimité de la rue contre lui. L’intelligence de Hollande par rapport à son prédécesseur, c’est de ne pas insulter syndicats et travailleurs. Du coup, il peut se permettre d’aller plus profond dans la réforme. Comme en plus il y va plus vite, la douloureuse salariale risque d'être doublement amère.
Ce mardi, le cortège parisien FO / CGT contre l’ANI (Accord national inter professionnel accepté par la majorité des syndicats minoritaires) a parfois des allures de veillée funèbre. Dans le prolongement du manque d’enthousiasme des porte-voix, aucun slogan n’est repris par la foule. Il faut avouer que ce type de défilés montre ses limites: pas vraiment glamour, pas lisible pour le profane, avec à certains endroits presque plus de caméras et de policiers que de contestataires et le renoncement à aller jusqu'à l'Assemblée (là où les trépanés de Civitas ont osé). On est loin de l'explosion sociale redoutée par certains au gouvernement. Non. Ça passe tout seul.
Les 15.000 marchent en silence, et ce n’est pas une injure de dire que la moyenne d’âge est élevée, 45/50 ans. Au moins eux se mobilisent. En vacances et en milieu de semaine, le Paris de la dèche turbine et Paris la riche transhume à Courchevel, mais quel décalage avec les cortèges contre la réforme des retraites il y a trois ans! Avec la circulation coupée, les boulevards remontés sont plus paisibles qu'en temps normal. Un comble.
A Odéon, je croise une dame du Front de Gauche. Elle alerte des passants, certains amusés, souvent des touristes, d'autres détournant les yeux comme ils le feraient avec des mendiants:
"- Vous feriez bien de vous y intéresser à L’ANI! Ça vous concerne! Ce sera trop tard après!"
Elle a raison. Si l’on doit citer une seule catastrophe dans ce projet de loi made-in-MEDEF, c’est son arnaque fondamentale enrobée de "sécurité": Quand une entreprise est en difficulté, elle pourra s’autoriser à baisser ton salaire ou augmenter le temps de travail durant 2 ans. Si tu refuses, c’est la porte. Le travailleur réduit à l'état de candidat de télé-réalité, le droit du travail circonscrit à la seule dialectique patronale. Un gros progrès de neuf mois de gauche que même la droite n’avait pas réussi à passer en dix ans de pouvoir. Une entreprise "en difficulté"? Laquelle ne l'est pas? Dès qu'un patron a une tribune dans ce pays, c'est 9 fois sur 10 pour chialer au martyr. Ce salaire à prix cassé autorisé, c’est la porte ouverte aux abus pour une création d’une nouvelle génération d'emplois low-cost. L'important étant de progressivement faire entrer dans ta tête qu'il ne peut plus y avoir de salaire minimum garanti. 30 ans que l’on baisse la fiscalité des entreprises, que l'on est à leur chevet (les grosses, certes) au nom du retour à l’emploi et pour quel résultat? Ce pays explose ses records du chômage et les profits des actionnaires sont toujours plus élevés.
Une fois adoptée, compte sur le patronat pour t’affirmer que, bien que nécessaire, la fléxi-sécurité est malheureusement arrivée "trop tard pour pleinement pouvoir produire des effets positifs" et que donc, pour la sauvegarder à son tour (parce que quand même payer moins cher ses salariés c'est cool), il faudra la réformer: comprendre aller encore plus loin dans le démantèlement des droits des travailleurs.
Et, avant même le vote de loi, l'explication de la prochaine "avancée" commence. Je l’entendais encore hier soir sur un plateau d’experts autorisés à te livrer la notice vaselinée de l'escroquerie sociale dont tu paieras la facture, "non, on n’a pas encore tout essayé contre le chômage".
Exact. Il reste encore le travail gratuit. Et si cela ne suffit pas à contenter les actionnaires, on le rendra payant. Si le salarié doit constamment donner des gages de bonne volonté, le citoyen, lui, s'apprécie résigné.