26 avril 2013
Petites historiettes à
faire fantasmer midinettes et supporters du PSG,
Le Qatar selon Bouvard et Pécuchet
Richard Labévière
Les éditeurs viennent de signer nombre de contrats pour des livres qui nous
diront bientôt tout sur la guerre au Mali. Pour l’heure, l’avalanche commerciale
concerne le petit émirat du Qatar, son immense fortune et ses facéties
géopolitico-mondaines.
On nous propose trois catégories de produits : soit des publications
directement achetées par le service communication de l’émirat comme – par
exemple – la récente livraison d’une revue de géo-économie ; soit des mises en
garde qui confondent délibérément toute espèce de critique de l’émirat avec des
manifestations hystériques de l’islamophobie ambiante. Viennent ensuite des
apologies du régime, faussement critiques et tant qu’à faire à l’avantage de
Tamim – deuxième fils de l’émir et de sa seconde épouse Cheikha Moza –, le
prince héritier qui succédera vraisemblablement à son père Hamad Ben Khalifa
al-Thani. Mieux vaut investir dans les valeurs d’avenir…
Ainsi, dans la série « les coulisses de… » : Qatar ‑ Les secrets du coffre-fort, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, nous promet les résultats d’une « longue enquête ». Et pour appâter le lecteur, les deux auteurs y auraient découvert « les raisons de leur libération d’Irak où ils étaient retenus en otages en 2004 », annonce la quatrième de couverture. Outre le fait que pas un mot ne concerne cette affaire éclaircie depuis longtemps, l’« enquête » annoncée tourne vite à la compilation d’idées reçues, entrelardée de quelques « confidences » recueillies auprès d’une série de diplomates désabusés, d’espions fatigués et, bien sûr, de sources devant conserver l’anonymat. La clef du livre est dévoilée dès la page 47 avec le portrait du premier ministre Hamad ben Jassem (HBJ) « qui commence à traîner quelques casseroles… » En revanche, Tamim est un « héritier prudent… décrit comme doté de nombreuses qualités ».
Après une série de petites historiettes à faire fantasmer midinettes et supporters du PSG, on touche – page 247 – à la morale de l’entreprise : le Qatar bashing (cogner sur le Qatar) ça suffit ! Étrangement, le même mot d’ordre est répété par quelques « chercheurs » utiles, dans plusieurs colloques organisés sur le thème dont le libellé est censé anticiper une question qu’il suffirait de poser en ces termes pour se couvrir de ridicule : « Faut-il avoir peur du Qatar ? » Sans surprise, il s’agit aussi du titre de la conclusion de notre « enquête ». Page 328 : « Le prince héritier semble parfaitement conscient des défis qui l’attendent et des excès de l’activisme de son père et du premier ministre HBJ. » Mais avant cette chute, qui vaudra, nous l’espérons, une belle reconnaissance à nos deux « enquêteurs », la leçon ultime est à découvrir page 297, après un long développement sur un Qatar, devenu phare de la diffusion planétaire de la culture universelle : « On peut s’en réjouir au nom de l’interaction du savoir et de la culture entre les peuples, on peut le critiquer ou le railler, mais c’est désormais une réalité. La montée en puissance du Qatar sur tous les fronts du soft power est clairement le signe de la construction d’un monde multipolaire. » (sic) C’est très exagéré, aurait écrit Mark Twain !
On ne va pas reprocher à nos deux « enquêteurs » d’être un peu mous du genou en économie politique, mais ne pas voir à ce point que les « réussites » du Qatar constituent l’un des symptômes les plus baroques d’un argent-roi qui canalise de plus en plus les relations internationales relève en effet de l’exploit… Cette toute-puissance de l’argent constitue, au contraire, le vecteur le plus destructeur et nivelateur de la diversité des pôles économico-politiques qui résistent à l’omnipotente logique financière néolibérale, morale et déterritorialisée de Londres et Wall Street.
Les trois questions essentielles posées par les ambitions du Qatar sont à peine effleurées : soutien aux factions armées les plus radicales de l’islamisme sunnite, très actives en Syrie et au Sahel (des côtes du Sénégal jusqu’à la Corne de l’Afrique) ; soutien à la confrérie des Frères musulmans et, notamment à l’un de ses prédicateurs vedettes, Youssef al-Qaradhawi, qui bénéficie d’une libre antenne sur la chaîne de télévision Al-Jazeera ; enfin, financement du terrorisme islamiste. Voilà vingt-cinq ans que cette dernière problématique mobilise les services spéciaux du monde entier sans que la coopération internationale n’ait enregistré le moindre progrès en la matière. Au contraire, la lutte contre le financement du terrorisme est en pleine régression, justement parce que des acteurs comme le Qatar et l’Arabie Saoudite ne cessent d’en rendre les filières plus indétectables dans le redéploiement continu, polymorphe et global de la finance internationale. Les monarchies pétrolières wahhabites et leurs investissements occidentaux constituent autant de paravents à des activités criminelles qui utilisent aussi désormais une myriade d’ONG et d’associations humanitaires, caritatives et culturelles. Ces trois questions méritent toujours de vraies enquêtes qui, à l’évidence, n’intéressent pas nos deux « enquêteurs ».
Avec Bouvard et Pécuchet (1881), Gustave Flaubert menait un implacable réquisitoire contre la bêtise savante et les idées reçues qui encombrent l’espace public et empêchent la réflexion critique et dialectique. Toujours inachevée, la tâche reste éternelle comme celle des laboureurs de la mer… Bref, laisser nos Bouvard et Pécuchet d’aujourd’hui à leurs tâches de copistes très conformes à l’idéologie conforme du moment… Heureusement, d’ici à la fin avril-début mai, on pourra lire, sur le même sujet, une vraie enquête, une vraie déconstruction géopolitique, un vrai livre sur ce « vilain petit Qatar »…
Richard Labévière
Et voir aussi (entre autres) http://www.legrandsoir.info/qatar-l-hyperpuissance.html
Ainsi, dans la série « les coulisses de… » : Qatar ‑ Les secrets du coffre-fort, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, nous promet les résultats d’une « longue enquête ». Et pour appâter le lecteur, les deux auteurs y auraient découvert « les raisons de leur libération d’Irak où ils étaient retenus en otages en 2004 », annonce la quatrième de couverture. Outre le fait que pas un mot ne concerne cette affaire éclaircie depuis longtemps, l’« enquête » annoncée tourne vite à la compilation d’idées reçues, entrelardée de quelques « confidences » recueillies auprès d’une série de diplomates désabusés, d’espions fatigués et, bien sûr, de sources devant conserver l’anonymat. La clef du livre est dévoilée dès la page 47 avec le portrait du premier ministre Hamad ben Jassem (HBJ) « qui commence à traîner quelques casseroles… » En revanche, Tamim est un « héritier prudent… décrit comme doté de nombreuses qualités ».
Après une série de petites historiettes à faire fantasmer midinettes et supporters du PSG, on touche – page 247 – à la morale de l’entreprise : le Qatar bashing (cogner sur le Qatar) ça suffit ! Étrangement, le même mot d’ordre est répété par quelques « chercheurs » utiles, dans plusieurs colloques organisés sur le thème dont le libellé est censé anticiper une question qu’il suffirait de poser en ces termes pour se couvrir de ridicule : « Faut-il avoir peur du Qatar ? » Sans surprise, il s’agit aussi du titre de la conclusion de notre « enquête ». Page 328 : « Le prince héritier semble parfaitement conscient des défis qui l’attendent et des excès de l’activisme de son père et du premier ministre HBJ. » Mais avant cette chute, qui vaudra, nous l’espérons, une belle reconnaissance à nos deux « enquêteurs », la leçon ultime est à découvrir page 297, après un long développement sur un Qatar, devenu phare de la diffusion planétaire de la culture universelle : « On peut s’en réjouir au nom de l’interaction du savoir et de la culture entre les peuples, on peut le critiquer ou le railler, mais c’est désormais une réalité. La montée en puissance du Qatar sur tous les fronts du soft power est clairement le signe de la construction d’un monde multipolaire. » (sic) C’est très exagéré, aurait écrit Mark Twain !
On ne va pas reprocher à nos deux « enquêteurs » d’être un peu mous du genou en économie politique, mais ne pas voir à ce point que les « réussites » du Qatar constituent l’un des symptômes les plus baroques d’un argent-roi qui canalise de plus en plus les relations internationales relève en effet de l’exploit… Cette toute-puissance de l’argent constitue, au contraire, le vecteur le plus destructeur et nivelateur de la diversité des pôles économico-politiques qui résistent à l’omnipotente logique financière néolibérale, morale et déterritorialisée de Londres et Wall Street.
Les trois questions essentielles posées par les ambitions du Qatar sont à peine effleurées : soutien aux factions armées les plus radicales de l’islamisme sunnite, très actives en Syrie et au Sahel (des côtes du Sénégal jusqu’à la Corne de l’Afrique) ; soutien à la confrérie des Frères musulmans et, notamment à l’un de ses prédicateurs vedettes, Youssef al-Qaradhawi, qui bénéficie d’une libre antenne sur la chaîne de télévision Al-Jazeera ; enfin, financement du terrorisme islamiste. Voilà vingt-cinq ans que cette dernière problématique mobilise les services spéciaux du monde entier sans que la coopération internationale n’ait enregistré le moindre progrès en la matière. Au contraire, la lutte contre le financement du terrorisme est en pleine régression, justement parce que des acteurs comme le Qatar et l’Arabie Saoudite ne cessent d’en rendre les filières plus indétectables dans le redéploiement continu, polymorphe et global de la finance internationale. Les monarchies pétrolières wahhabites et leurs investissements occidentaux constituent autant de paravents à des activités criminelles qui utilisent aussi désormais une myriade d’ONG et d’associations humanitaires, caritatives et culturelles. Ces trois questions méritent toujours de vraies enquêtes qui, à l’évidence, n’intéressent pas nos deux « enquêteurs ».
Avec Bouvard et Pécuchet (1881), Gustave Flaubert menait un implacable réquisitoire contre la bêtise savante et les idées reçues qui encombrent l’espace public et empêchent la réflexion critique et dialectique. Toujours inachevée, la tâche reste éternelle comme celle des laboureurs de la mer… Bref, laisser nos Bouvard et Pécuchet d’aujourd’hui à leurs tâches de copistes très conformes à l’idéologie conforme du moment… Heureusement, d’ici à la fin avril-début mai, on pourra lire, sur le même sujet, une vraie enquête, une vraie déconstruction géopolitique, un vrai livre sur ce « vilain petit Qatar »…
Richard Labévière
Et voir aussi (entre autres) http://www.legrandsoir.info/qatar-l-hyperpuissance.html
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http://www.legrandsoir.info/le-qatar-selon-bouvard-et-pecuchet.html
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