Projet de loi
Economie sociale et solidaire : le gouvernement veut-il supprimer la démocratie d’entreprise ?
Par (29 mai 2013)
L’économie sociale et solidaire (ESS), ce sont 2,4 millions d’emplois dans des coopératives, des mutuelles ou des associations, 10% du PIB et un ministre délégué, Benoît Hamon, qui prépare un projet de loi sur le sujet. Problème : sous prétexte d’ouvrir le secteur à d’autres entrepreneurs, le ministre serait prêt à enterrer l’une des spécificités de l’ESS : une gestion relativement démocratique des entreprises, les détenteurs du capital n’étant pas les seuls à prendre les décisions.
Un projet de loi sur l’économie sociale et solidaire sera débattu au Parlement dans quelques mois, pour assurer davantage de reconnaissance à ce secteur – qui représente 10 % du PIB et 2,4 millions d’emplois – et accompagner son développement. A la lecture du projet de loi porté par Benoît Hamon, ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire (ESS) et à la Consommation, on reste largement sur sa faim ! On ne sait s’il vaut mieux en rire ou en pleurer...
Comment en effet ne pas applaudir à cette volonté affichée par le ministre d’offrir aux coopératives, aux mutuelles et aux associations une visibilité et une crédibilité qu’elles n’ont plus connues depuis la Libération ? Du temps où le Conseil national de la Résistance affirmait son soutien aux coopératives et aux autres démarches de solidarité et d’intérêt général. Comment ne pas se réjouir que la majeure partie des structures et des mouvements concernés par ce projet ont été consultés depuis six mois ? L’exercice n’est pas facile, tant secteur de l’économie sociale et solidaire recouvre des réalités très diverses.
Mais à parcourir le texte du projet de loi, le lecteur attentif retiendra tout d’abord que le cabinet de Benoît Hamon aura voulu proposer des bouts de réforme, répondant chacun à une revendication de l’un des secteurs concernés. Une pincée de retour aux subventions pour le mouvement associatif, un zeste de facilitation des reprises en coopérative par les salariés, deux cuillères à café d’accompagnement, par l’élargissement de la révision coopérative à toutes les structures (la révision permet aux responsables des coopérative de s’assurer que leurs structures sont restées fidèles aux principes de l’ESS)… Et j’en passe. Ce saupoudrage ne constitue pourtant pas une orientation cohérente de transformation sociale. C’est même l’inverse qui se profile.
Ringarde, la démocratie ?
À force de vouloir contenter tout le monde, l’ancien dirigeant de la gauche du PS fait la part belle aux courants les plus libéraux de l’ESS. Constatant depuis quelques années « un véritable engouement de la part de jeunes créateurs d’entreprise pour un modèle dont l’objectif principal n’est pas l’accumulation de bénéfices et leur distribution », le ministre en déduit qu’il faut leur ouvrir la porte et les inclure dans le champ de l’ESS. La loi va donc intégrer dans le « secteur de l’ESS » des entreprises au statut capitalistique classique mais qui se revendiquent de l’économie sociale et solidaire [1]. Problème : ces jeunes dirigeants pilotent des SA ou SARL, et non des structures avec un mode de gouvernance coopératif et démocratique. D’un côté, c’est l’actionnaire qui décide en fonction de son capital (50% du capital = 50% des voix), de l’autre, ce sont les sociétaires, qu’ils soient investisseurs ou salariés (un homme = une voix, quel que soit le montant du capital placé dans l’entreprise). Conséquence, pointe Benoit Hamon, « le seul principe qu’il ne nous semblait pas possible d’inscrire dans la loi, dès lors qu’il s’agit d’une SA ou d’une SARL, c’est la gouvernance démocratique » [2] ! Ce mode de gouvernance spécifique – et historique – de l’ESS, sera seulement rappelé dans l’exposé des motifs de la loi...
On croit marcher sur la tête lorsque Benoît Hamon va jusqu’à saluer les acteurs « historiques », « qui au départ souhaitaient rester sur le seul périmètre des statuts », seuls garants des principes de l’ESS, « d’avoir fait évoluer leur position pour inclure de "nouveaux entrants". » C’est pourtant exactement le contraire qu’ont défendu jusqu’au bout Patrick Lenancker, président de la confédération générale des SCOP, et Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, qui ont réussi à convaincre le très institutionnel Conseil économique, social et environnemental (CESE) que la question de la gouvernance démocratique, à travers les statuts des structures, était centrale.
Lisez plutôt : « Notre assemblée considère que ce sont les statuts qui définissent le périmètre de l’ESS. Ceux-ci reprennent en effet des valeurs communes (entreprises de personnes et non de capitaux, solidarité entre membres, gouvernance démocratique, impartageabilité de la propriété collective) et spécifiques (non lucrativité pour les associations, les mutuelles et les fondations ; lucrativité encadrée et règlementée pour les coopératives). En conséquence, l’instauration d’un label ou dispositif volontaire de reconnaissance ne présente pas de réel intérêt. » [3]
Une personne = une voix : un principe dépassé ?
Ce positionnement gouvernemental s’explique donc par une volonté d’inclure dans le champ de l’ESS les jeunes gens qui veulent faire carrière dans le social ou l’environnemental. Ceci est louable. Mais est-ce la bonne méthode que de baisser les bras sur les statuts de l’ESS, avant même d’essayer de convaincre ces « nouveaux entrants » de leur utilité ?
Ne soyons pas naïfs. Benoît Hamon adopte le point de vue des dirigeants du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) qui entendent faire de la gouvernance un point secondaire de leurs principes fondateurs. Tout simplement parce que leurs objectifs ne sont pas le changement de système économique, mais la réparation des pires dégâts du capitalisme. Ils en arrivent ainsi à cautionner le greenwashing opéré par les entreprises du CAC 40 ou le social business prôné par le réseau Ashoka, qui incite les jeunes loups à occuper le « marché des besoins sociaux ». Bref, à faire de la pauvreté une terre de conquête économique et financière.
Il n’est pas trop tard pour réagir. Une alliance entre le mouvements coopératif, les réseaux mutualistes et les associations citoyennes permettrait peut-être d’inverser la tendance et de remettre l’intérêt général au cœur de ce projet de loi.
Il faut cependant reconnaître que les pistes proposées pour changer les dispositifs de la commande publique à l’égard des acteurs de l’ESS, notamment en augmentant la part des clauses sociales et environnementales dans les appels d’offre, vont dans le bon sens [4]… A condition, une fois de plus, que le parole de toutes les personnes concernées – salariés, usagers et « bénéficiaires », y compris dans le secteur de l’insertion – soit pleinement reconnue.
François Longérinas, directeur d’une coopérative de formation et co-animateur du Front de Gauche de l’économie sociale et solidaire
Comment en effet ne pas applaudir à cette volonté affichée par le ministre d’offrir aux coopératives, aux mutuelles et aux associations une visibilité et une crédibilité qu’elles n’ont plus connues depuis la Libération ? Du temps où le Conseil national de la Résistance affirmait son soutien aux coopératives et aux autres démarches de solidarité et d’intérêt général. Comment ne pas se réjouir que la majeure partie des structures et des mouvements concernés par ce projet ont été consultés depuis six mois ? L’exercice n’est pas facile, tant secteur de l’économie sociale et solidaire recouvre des réalités très diverses.
Mais à parcourir le texte du projet de loi, le lecteur attentif retiendra tout d’abord que le cabinet de Benoît Hamon aura voulu proposer des bouts de réforme, répondant chacun à une revendication de l’un des secteurs concernés. Une pincée de retour aux subventions pour le mouvement associatif, un zeste de facilitation des reprises en coopérative par les salariés, deux cuillères à café d’accompagnement, par l’élargissement de la révision coopérative à toutes les structures (la révision permet aux responsables des coopérative de s’assurer que leurs structures sont restées fidèles aux principes de l’ESS)… Et j’en passe. Ce saupoudrage ne constitue pourtant pas une orientation cohérente de transformation sociale. C’est même l’inverse qui se profile.
Ringarde, la démocratie ?
À force de vouloir contenter tout le monde, l’ancien dirigeant de la gauche du PS fait la part belle aux courants les plus libéraux de l’ESS. Constatant depuis quelques années « un véritable engouement de la part de jeunes créateurs d’entreprise pour un modèle dont l’objectif principal n’est pas l’accumulation de bénéfices et leur distribution », le ministre en déduit qu’il faut leur ouvrir la porte et les inclure dans le champ de l’ESS. La loi va donc intégrer dans le « secteur de l’ESS » des entreprises au statut capitalistique classique mais qui se revendiquent de l’économie sociale et solidaire [1]. Problème : ces jeunes dirigeants pilotent des SA ou SARL, et non des structures avec un mode de gouvernance coopératif et démocratique. D’un côté, c’est l’actionnaire qui décide en fonction de son capital (50% du capital = 50% des voix), de l’autre, ce sont les sociétaires, qu’ils soient investisseurs ou salariés (un homme = une voix, quel que soit le montant du capital placé dans l’entreprise). Conséquence, pointe Benoit Hamon, « le seul principe qu’il ne nous semblait pas possible d’inscrire dans la loi, dès lors qu’il s’agit d’une SA ou d’une SARL, c’est la gouvernance démocratique » [2] ! Ce mode de gouvernance spécifique – et historique – de l’ESS, sera seulement rappelé dans l’exposé des motifs de la loi...
On croit marcher sur la tête lorsque Benoît Hamon va jusqu’à saluer les acteurs « historiques », « qui au départ souhaitaient rester sur le seul périmètre des statuts », seuls garants des principes de l’ESS, « d’avoir fait évoluer leur position pour inclure de "nouveaux entrants". » C’est pourtant exactement le contraire qu’ont défendu jusqu’au bout Patrick Lenancker, président de la confédération générale des SCOP, et Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, qui ont réussi à convaincre le très institutionnel Conseil économique, social et environnemental (CESE) que la question de la gouvernance démocratique, à travers les statuts des structures, était centrale.
Lisez plutôt : « Notre assemblée considère que ce sont les statuts qui définissent le périmètre de l’ESS. Ceux-ci reprennent en effet des valeurs communes (entreprises de personnes et non de capitaux, solidarité entre membres, gouvernance démocratique, impartageabilité de la propriété collective) et spécifiques (non lucrativité pour les associations, les mutuelles et les fondations ; lucrativité encadrée et règlementée pour les coopératives). En conséquence, l’instauration d’un label ou dispositif volontaire de reconnaissance ne présente pas de réel intérêt. » [3]
Une personne = une voix : un principe dépassé ?
Ce positionnement gouvernemental s’explique donc par une volonté d’inclure dans le champ de l’ESS les jeunes gens qui veulent faire carrière dans le social ou l’environnemental. Ceci est louable. Mais est-ce la bonne méthode que de baisser les bras sur les statuts de l’ESS, avant même d’essayer de convaincre ces « nouveaux entrants » de leur utilité ?
Ne soyons pas naïfs. Benoît Hamon adopte le point de vue des dirigeants du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) qui entendent faire de la gouvernance un point secondaire de leurs principes fondateurs. Tout simplement parce que leurs objectifs ne sont pas le changement de système économique, mais la réparation des pires dégâts du capitalisme. Ils en arrivent ainsi à cautionner le greenwashing opéré par les entreprises du CAC 40 ou le social business prôné par le réseau Ashoka, qui incite les jeunes loups à occuper le « marché des besoins sociaux ». Bref, à faire de la pauvreté une terre de conquête économique et financière.
Il n’est pas trop tard pour réagir. Une alliance entre le mouvements coopératif, les réseaux mutualistes et les associations citoyennes permettrait peut-être d’inverser la tendance et de remettre l’intérêt général au cœur de ce projet de loi.
Il faut cependant reconnaître que les pistes proposées pour changer les dispositifs de la commande publique à l’égard des acteurs de l’ESS, notamment en augmentant la part des clauses sociales et environnementales dans les appels d’offre, vont dans le bon sens [4]… A condition, une fois de plus, que le parole de toutes les personnes concernées – salariés, usagers et « bénéficiaires », y compris dans le secteur de l’insertion – soit pleinement reconnue.
François Longérinas, directeur d’une coopérative de formation et co-animateur du Front de Gauche de l’économie sociale et solidaire
Notes
[1] Ces structures devront inscrire dans leurs statuts des principes de l’ESS, se déclarer « entreprise de l’ESS » au moment de leur création. Elles bénéficieront d’un « agrément solidaire d’utilité sociale » délivré par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE).
[2] Source : La Gazette des communes, 26/04/2013.
[4] Actuellement les marchés incluant une clause sociale représent à peine 3 % des appels d’offre.