Comment augmenter la productivité, la compétitivité de la France? D’aucun répondront qu’il faut « baisser les coûts du travail ». Pourtant, l’économiste Michel Santi note que si la réduction du coût du travail a permis à l’Allemagne de baisser ses prix à l’exportation, elle a créé une société de travailleurs précaires. Et observe qu’étonnamment, les revenus nets distribués aux propriétaires de capital, eux, continuent de grimper…
Michel Santi © DR
Une confiscation en bonne et due forme de l’appareil économique a été entreprise depuis la fin des années 70 par une infime minorité qui a redistribué le produit du travail des autres largement en sa faveur. Ce ne sont effectivement pas tant nos usines, nos industries et nos entreprises qui ne sont pas productives. Cette productivité a en fait été monopolisée au bénéfice d’une élite qui a assisté, totalement indifférente, au creusement d’un fossé entre les salaires réels et la productivité. L’Allemagne elle-même, qui s’érige en donneuse de leçon de productivité, n’a pu bénéficier d’une croissance au-dessus de la moyenne européenne qu’à la faveur de sacrifices constants exigés à sa population. Le moteur à l’exportation allemand ne rugit pas seulement par la grâce de la force productive de ses entreprises. En réalité, c’est aux réformes dites « Hartz » entreprises entre 2003 et 2005 – et qui ont consisté à transférer des ressources et des richesses du citoyen vers les entreprises et vers le secteur financier – que l’Allemagne doit d’avoir dopé ses exportations. Ce sont effectivement les réductions salariales et les réformes drastiques de son marché du travail qui ont amélioré notablement sa productivité, en y comprimant à l’extrême le coût du travail.
Les réformes Hartz ont fabriqué des mendiants sociaux
Réformes sinistres initiées en ce 16 août 2002 où un groupe d’experts dirigés par le directeur des ressources humaines de Volkswagen, Peter Hartz, présentait au chancelier allemand Gerhard Schröder, ses propositions relatives aux réformes du marché du travail. Dix ans plus tard, la société allemande se retrouve profondément transformée par ces réformes. En effet, une étude de l’OCDE, publiée à fin 2012, conclut à un accroissement spectaculaire de l’inégalité des revenus en Allemagne et, ce, davantage que dans n’importe quel autre pays membre de cette organisation. Ayant très finement manœuvré, la commission Hartz a réussi à créer dans son pays un marché du travail subsidiaire – ou parallèle – dominé par des salaires bas et non soumis aux droits sociaux. De fait, ces réformes privent les chômeurs allemands de tous leurs droits aux allocations chômage. Ils sont dès lors réduits à l’état de mendiants sociaux ! Ainsi, ce n’est qu’après une année entière de chômage que le travailleur est en droit de demander une misérable allocation mensuelle de 347 euros par mois, à la seule condition toutefois d’avoir préalablement épuisé son épargne et à la condition expresse que son conjoint soit incapable de subvenir à ses besoins. Pourquoi ne pas évoquer également l’obligation lui étant imposée d’accepter n’importe quel emploi, indépendamment de ses qualifications et de ses revenus antérieurs ?
Réformes sinistres initiées en ce 16 août 2002 où un groupe d’experts dirigés par le directeur des ressources humaines de Volkswagen, Peter Hartz, présentait au chancelier allemand Gerhard Schröder, ses propositions relatives aux réformes du marché du travail. Dix ans plus tard, la société allemande se retrouve profondément transformée par ces réformes. En effet, une étude de l’OCDE, publiée à fin 2012, conclut à un accroissement spectaculaire de l’inégalité des revenus en Allemagne et, ce, davantage que dans n’importe quel autre pays membre de cette organisation. Ayant très finement manœuvré, la commission Hartz a réussi à créer dans son pays un marché du travail subsidiaire – ou parallèle – dominé par des salaires bas et non soumis aux droits sociaux. De fait, ces réformes privent les chômeurs allemands de tous leurs droits aux allocations chômage. Ils sont dès lors réduits à l’état de mendiants sociaux ! Ainsi, ce n’est qu’après une année entière de chômage que le travailleur est en droit de demander une misérable allocation mensuelle de 347 euros par mois, à la seule condition toutefois d’avoir préalablement épuisé son épargne et à la condition expresse que son conjoint soit incapable de subvenir à ses besoins. Pourquoi ne pas évoquer également l’obligation lui étant imposée d’accepter n’importe quel emploi, indépendamment de ses qualifications et de ses revenus antérieurs ?
Hartz est donc tout à la fois un piège et la meilleure voie pour la pauvreté, ou comment accéder à un état de précarité absolue inconcevable et intolérable dans un pays riche comme l’Allemagne. Une étude réalisée par l’Association à l’aide sociale paritaire allemande dévoile effectivement que les trois-quarts des personnes touchées par ces lois restent à jamais tributaires de Hartz. Sachant que, par ailleurs, la simple menace de tomber dans Hartz contraint les chômeurs à accepter des emplois à salaire bas, à temps partiel, dénués de toute sécurité, de droits à la retraite et autres allocations. Le dogme allemand du travailleur « low cost » est donc né de ces réformes… Et, de fait, seuls 29 millions d’Allemands (sur près de 42 millions de travailleurs) disposent aujourd’hui d’emplois soumis au régime de la sécurité sociale, pendant que quelque 5,5 millions d’entre eux travaillent à temps partiel, et que plus de 4 millions gagnent moins de 7 euros de l’heure ! Le secteur allemand des bas salaires tire par le fond tous les salaires du secteur industriel en agissant comme une sorte de levier infernal. Le travailleur y subit des conditions similaires à celles encore en vigueur dans le Tiers-monde et dans les pays émergents.
Obsession pour le coût du travail, mais pas du capital
La compétitivité elle-même – maintes fois invoquée – n’est-elle pas une notion floue désignant la capacité d’un pays et de ses entreprises à affronter la concurrence ? En privilégiant une compétitivité par le bas – en réalité dévaluation interne – qui consiste à baisser les prix à l’exportation tout bonnement en diminuant les coûts à la production. Le débat public se concentre donc sur le coût du travail tandis que le coût du capital n’est jamais évoqué, alors que les revenus nets distribués représentent aujourd’hui 10 % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Ce niveau historiquement record depuis la Seconde Guerre mondiale, par rapport à 5,5% en 1999, permet de conclure que la part dévolue aux actionnaires a donc crû dans des proportions considérables ces douze dernières années. Autrement dit, la complainte patronale faisant de la baisse du taux de marge la raison profonde des faibles investissements et du moindre effort en matière de recherche et développement ne tient pas la route. Elle passe en effet sous silence la part de plus en plus lourde que les entreprises choisissent de distribuer aux propriétaires de capital, quelle que soit l’intensité de la crise économique et financière. Avec une remise en cause profonde de la capacité des entreprises à faire face à toutes les aspérités de la compétitivité du fait de ces distributions. Voilà pourquoi les droits des salariés subissent une attaque sans précédent, voilà pourquoi les coûts doivent être comprimés si le but est bien de gagner des parts de marché à l’export. Tels sont à l’évidence les impératifs si le but est bien de toujours plus rémunérer l’actionnariat, les capitaux et en finalité les parieurs en bourses… Logique toutefois prise dans des contradictions inextricables, sachant que le discours orwélien des industriels et des patrons d’entreprise atteint des sommets d’invraisemblance et d’arrogance dès lors qu’ils expliquent que lutter contre les plans de licenciements revient à…lutter contre l’emploi!
La compétitivité elle-même – maintes fois invoquée – n’est-elle pas une notion floue désignant la capacité d’un pays et de ses entreprises à affronter la concurrence ? En privilégiant une compétitivité par le bas – en réalité dévaluation interne – qui consiste à baisser les prix à l’exportation tout bonnement en diminuant les coûts à la production. Le débat public se concentre donc sur le coût du travail tandis que le coût du capital n’est jamais évoqué, alors que les revenus nets distribués représentent aujourd’hui 10 % de la valeur ajoutée des sociétés non financières. Ce niveau historiquement record depuis la Seconde Guerre mondiale, par rapport à 5,5% en 1999, permet de conclure que la part dévolue aux actionnaires a donc crû dans des proportions considérables ces douze dernières années. Autrement dit, la complainte patronale faisant de la baisse du taux de marge la raison profonde des faibles investissements et du moindre effort en matière de recherche et développement ne tient pas la route. Elle passe en effet sous silence la part de plus en plus lourde que les entreprises choisissent de distribuer aux propriétaires de capital, quelle que soit l’intensité de la crise économique et financière. Avec une remise en cause profonde de la capacité des entreprises à faire face à toutes les aspérités de la compétitivité du fait de ces distributions. Voilà pourquoi les droits des salariés subissent une attaque sans précédent, voilà pourquoi les coûts doivent être comprimés si le but est bien de gagner des parts de marché à l’export. Tels sont à l’évidence les impératifs si le but est bien de toujours plus rémunérer l’actionnariat, les capitaux et en finalité les parieurs en bourses… Logique toutefois prise dans des contradictions inextricables, sachant que le discours orwélien des industriels et des patrons d’entreprise atteint des sommets d’invraisemblance et d’arrogance dès lors qu’ils expliquent que lutter contre les plans de licenciements revient à…lutter contre l’emploi!
Comprenons une fois pour toutes que compétitivité ne rime pas nécessairement avec chômage, avec précarité, ni avec explosion des inégalités, contrairement à ce que marchés et patrons imposent aux salariés et aux travailleurs depuis plus de vingt ans. Rebellons-nous donc et rejetons avec dégoût les allégations de la Présidente du syndicat des patrons (le MEDEF), Laurence Parisot, qui se demandait en 2005 dans le Figaro : « La vie est précaire, l’amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ? » De telles déclarations consacrent en effet la défaite du politique dont l’une des missions devrait être la détermination des règles du jeu économique et la mise sous tutelle du néo-libéralisme qui n’est qu’une manœuvre visant à mettre l’Europe en pilotage automatique d’une concurrence supposée régler toutes les problématiques. Remplacer la culture de l’Etat par l’obsession du chiffre revient à fouler aux pieds l’essence même du travail, pourtant source de toute valeur économique.
*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l’IFRI et est membre fondateur de l’O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l’auteur de l’ouvrage « Splendeurs et misères du libéralisme »
Source: latribune.fr