vendredi 21 juin 2013

Peut-on "inverser la courbe du chômage" en vendant la France à l’OMC ? (le grand soir)

Peut-on "inverser la courbe du chômage" en vendant la France à l’OMC ?

   
Le Pouvoir exécutif français aime promettre aux caméras alarmantes qu’il a ’l’inversion de la courbe du chômage’ pour pierre angulaire de sa politique. Beaucoup de français absents des caméras, ont l’aversion d’un Pouvoir exécutif englué dans sa politique du pire qui engendre un chômage alarmant.
Comme s’il se souciait du sort des gens du peuple, officiellement citoyens, il mène une politique générale qui les rend officieusement esclaves dociles. Inverser la courbe du chômage implique implicitement la volonté de revenir à une situation de plein emploi, conjoncture que l’économie française n’a pas connue depuis les chocs pétroliers et la fin des Trente Glorieuses (1973). C’est donc une promesse de taille, que d’annoncer la fin du chômage en France. Ce serment solennel électoraliste voudrait, selon toute logique que soient mises en place tout un ensemble des politiques qui pourraient éviter l’insupportable hausse du taux de chômage. Ces politiques doivent donc être dites sociales, c’est à dire que le gouvernement devrait créer un climat politique favorable à ce qu’une majorité de la population puisse vivre de manière décente.
Mais ces derniers mois du printemps 2013, deux sortes de coups d’Etat ont été transposés en catimini, dans l’ombre des arcanes démocratiques de la représentation politique du peuple. Ces putschs sont le fruit des pressions libérales de la finance sur les acquis philosophiques, économiques, sociaux et politiques des Etats-Nations du ’vieux continent’. Le premier coup dur porté aux droits et libertés fondamentales de la présidence Hollande, fut le passage en force de l’exécutif sur l’Accord National Interprofessionnel dit ANI. Voté dans l’empressement par les ’chambres’ du Parlement français sans le moindre débat public et par un vote bloqué, l’accord prévoyait des injections de flexibilité du travail à l’intérieur même du contrat de travail régissant les droits et obligations mutuelles entre employeurs et employés. Du beau travail qui brise les conventions collectives traditionnelles et qui met l’employé à la merci de son patron, ce dernier ayant la possibilité de modifier les conditions de travail (volume horaire, rémunération, procédures et indemnités de licenciement, etc.). Un bijou pour le Medef, qui n’aurait jamais souhaité mieux du gouvernement de droite libérale précédent. La majorité PS de l’exécutif créa de toutes pièces un évènement de moindre importance en guise d’écran de fumée médiatique pour faire ombre à la cassure sociale que représente l’ANI, à savoir la réforme des mœurs sur le mariage homosexuel (Cf. mon article précédent à ce sujet http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/recession-chomage-droit-du-travail-136877). Le voilà le véritable ’Mariage pour tous’ : casse du droit social contre maigre progrès des mœurs, la rose flétrie et fanée du socialisme bourgeois se marie à la rosée fraîche des patrons et du Medef.
’L’accord va donner le pouvoir aux multinationales’.
Cette phrase aurait été prononcée par le président des Etats-Unis, B. Obama lui-même. En juin 2013, à une échelle supranationale, la France se trouve impliquée dans l’un des plus massifs accords de libre échange entre les Etats-Unis et l’Union Européenne jamais signé. Le Parlement européen a attribué par vote un mandat à la Commission Européenne pour négocier un accord de libre-échange et de protection des investissements entre les Etats-Unis et l’Union Européenne. Un accord de libre-échange de l’OMC signifie par voie de conséquences que les signataires s’engagent à réduire les barrières douanières présentes à l’importation. C’est en fait bien plus que la simple libre circulation des marchandises et des capitaux. Elle incombe la suppression des taxes et l’ensemble des réglementations nationales qui pourraient restreindre l’importation de biens et de services. Or la souveraineté nationale et les volets publics gouvernementaux freinent le profit maximum des multinationales. Droit du travail, droit syndical, mécanismes de régulation et interdiction du dumping social empêchent les actionnaires et les investisseurs de s’épanouir pleinement. Imaginez ce qu’il pourrait se passer ici : un crocodile marin en captivité dans une cage vous scrute sur les marches paisibles du zoo. Une fois que vous êtes occupés à autre chose, à débattre par exemple sur le pour ou le contre du mariage pour tous, à grignoter un pique-nique, le gardien du zoo qui ne vous aime pas, ouvre la cage et les crocodiles extrêmement affamés foncent vers vous...
Ce que cet accord transatlantique ajoute aux traditionnelles salves de la mondialisation, est qu’il aura sans doute pour conséquences de transférer davantage de pouvoir aux entreprises multinationales qui auront cartes et mains libres pour contourner les règles juridiques des Etats ainsi que leurs décisions politiques. Un Etat qui refuse la commercialisation d’un produit jugé néfaste, tels les OGM ou la viande aux hormones, pourrait être poursuivi en justice par les firmes boycottées. Par exemple, un Etat qui recule face à la pression de ses concitoyens, sur l’attribution de permis d’exploitation du gaz de schiste, pourra être condamné devant une Cour internationale par la firme désireuse de s’implanter.
L’accord bilatéral met en place un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (1) : dans le mandat donné à la Commission, il est précisé que l’accord ’comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié’ (2). Il s’agit d’instaurer un arbitrage privé pour régler les différends entre un Etat et les investisseurs. Outre une sorte de privatisation de la justice, une violation de la souveraineté, il s’agit aussi d’un risque de coût très élevé à supporter par les Etats, à l’heure où on nous matraque l’idée qu’il n’y a plus d’argent à cause d’une dette publique insoutenable. Ainsi, c’est un moyen efficace pour une multinationale d’empocher énormément d’argent : ’En Uruguay comme en Australie, le géant du tabac Philip Morris, basé aux États-Unis, a mené des poursuites contre les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ; la multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall réclame 3,7 milliards d’Euros à l’Allemagne suite à la décision démocratique d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire ; et la société états-unienne Lone Pine poursuit le Canada à hauteur de 250 millions de dollars concernant un moratoire sur l’extraction (fracturation) controversée du gaz de schiste au Québec’, précisent le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute.’(3). L’Etat doit donc désormais s’agenouiller devant une firme.
Agriculture, santé, énergies, services publics sont alors menacés par l’appétit vorace des financiers de Goldman Sachs, de Bilderberg à l’OMC en passant par les puissantes multinationales européennes, américaines et chinoises. Là encore, c’est l’histoire d’une cupide clique de 28 ministres du Commerce fossoyeurs de la Démocratie qui se plient aux sommations capitalistes des lobbies et des entreprises.
Des centaines de millions de travailleurs vont donc être davantage exposés au dumping social, aux délocalisations, à la précarité et au chantage ou au chômage, sans qu’aucun de tous ces citoyens ne puissent user de leur pouvoir électoral pour influer sur les choix politiques, économiques et sociaux. En d’autres termes, il s’agit d’un passage en force supplémentaire sur la démocratie, la représentation politique, les libertés individuelles, le droit européen et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Outre ces dégâts politiques, le projet risque aussi de diluer dans un espèce de formol financier les services publics, les compétences, les savoirs faires, les traditions populaires et l’héritage historique des luttes sociales qui firent autrefois de l’Etat un garant protecteur du citoyen face aux prédateurs financiers. C’est ça la nouvelle Europe voulue par Bruxelles et Washington : des millions de travailleurs pauvres s’empiffrant de Mc Do comme des porcs, se gavant d’OGMs, de poulet lavé à l’eau de javel, de viandes aux hormones, de bœuf nettoyé à l’acide lactique, boire du lait issu de vaches clonées. Finis les contrôles qualité sur les produits alimentaires, car cela coûte trop cher, d’autant plus que l’accord transatlantique proscrit ce genre de barrières non-tarifaires. C’est l’ensemble des normes sanitaires, des droits sociaux, des droits du travail, des règles environnementales et des dispositions fiscales nationales qui risquent d’être uniformisées, aplanies, ’harmonisées’. Petit-à-petit, les gouvernements, qui ne sont plus que des VRP au service des banques et des spéculateurs, ne pourront donc légiférer que sur les lois imposant les privatisations, les fusions-acquisitions, favorisant le dumping social, mettant en concurrence atroce des millions de travailleurs déjà appauvris par une crise économique chronique. ’Ferme-la et obéis, ton Etat ne fait plus la loi, c’est l’OMC qui décide et si tu n’es pas content, va-t’en. Tu n’as pas d’argent ? Alors crève’. La voilà donc leur Europe de la coopération-intégration économique, c’est celle où 820 millions d’individus servent de paillasson aux multinationales obéissant de force à des institutions dangereuses dont nul ne peut plus stopper l’inertie capitaliste.
L’objectif des opérations de lobbying et de la Commission Européenne n’est pas de créer une zone prospère pour l’emploi. Car un plein emploi global génère la hausse du taux d’inflation. Et l’inflation est interdite au-delà d’un seuil de 3% par le traité de Maastricht. L’objectif est de constituer un Empire surpuissant contrôlé sans verrous par les entreprises multinationales, une étape supplémentaire de la libéralisation de la Planète, affranchie de la démocratie qui freine les profits maximums. En 1997, les gouvernements occidentaux et l’OMC s’apprêtaient à signer un accord de ce type, nommé l’AMI, Accord Multilatéral sur l’Investissement. Il s’agissait, en plus de supprimer les barrières douanières, de conférer à une entreprise la possibilité d’assigner un Etat en justice s’il contrevenait à la réalisation de ses intérêts. Sous la pression des contestations citoyennes, le gouvernement de Lionel Jospin avait reculé et l’accord n’a jamais vu le jour. Nostalgiques, les marchands reviennent au créneau quinze ans plus tard.
L’exception culturelle française sauvée, les médias crient victoire.
Face au mutisme affligeant du Premier Ministre et du Président de la République français, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti s’est démenée pour que la culture et l’audiovisuel ne soient pas inclus aux négociations du Grand Marché Transatlantique. De fait, la plupart des titres de presse ont réduit les dimensions de l’accord à la polémique sur inclure ou non les secteurs de la culture, de l’audiovisuel et de la création artistique. Comme d’habitude, Pouvoir et médias sont maîtres dans l’art de singulariser un sujet d’envergure gravissime et de l’étouffer en petite bataille de chiffonniers. C’est déjà ça, la culture ne sera pas soumise à la dictature de l’OMC. Autrement dit, nos artistes auront encore droits aux subventions publiques, qui autrement auraient été interdites par l’accord de libre-échange. Imaginons un avenir où la musique n’est plus qu’un enchevêtrement de sons électroniques sans goût et d’une pauvreté artistique extrême, juste par pure recherche de profitabilité d’écouler un produit commercial dilué sur le marché transatlantique ? C’est déjà le cas lorsque l’on écoute les sons modernes fades ne dépassant pas trois notes d’une même gamme, en provenance du monde anglo-saxon mais il restait au moins les subventions et (jusqu’à peu) les contrats aidés pour aider les artistes à vivre leur art à défaut d’en vivre.
Les portes voix du gouvernement français se posent souvent en victimes face à un traité européen ou bien une surveillance financière d’agences de notations cyniques et belliqueuses. Nous entendons souvent dire que la France ne peut pas s’en sortir toute seule, qu’elle ne peut pas dire non à l’Allemagne ou qu’il est impossible de relancer l’économie car il n’y a plus d’argent. En clair, nul ne peut taper du poing sur la table alors que le pays s’assoit à la chaise de la 5ème puissance mondiale. Lorsque les Etats-Unis n’ont plus l’espoir de bon aloi des banques, ils mettent la planche à billets en route à la FED (Réserve Fédérale), ce qui équivaut à répudier la dette publique. La France vient de taper trois phalanges sur la table en affirmant qu’elle mettrait son veto si l’exception culturelle n’était pas respectée.
Elle vient de montrer qu’elle est entendue, suivie et respectée si elle a une détermination politique forte. Qu’elle en fasse de même, si elle est ’socialiste’, pour sa dette publique, pour sa Relance économique par intervention massive de l’Etat, pour sa prise en charge publique du secteur bancaire et des transactions financières taxées. En d’autres termes, qu’elle se retire de l’OMC capitaliste, de ce nouvel Accord de libre-échange UE/USA en claquant la porte sans rougir et une foule de pays moins dominants (Pologne, Roumanie, Grèce, Espagne, Italie, etc.) la suivront. Avec la participation de la France dans le Grand Marché Transatlantique, le moins-disant social et le tout pouvoir donné aux multinationales qu’il implique, le gouvernement Ayrault vient de vendre la France aux firmes transnationales et à l’OMC comme un maquereau livrerait une pauvre catin en guenilles à des brigands gros et gras criblés de pustules venimeuses. Le gouvernement des riches par les riches et pour les riches, a peut-être plus inversé la courbe de la colère que celle du chômage.
Samuel Moleaud, 18 juin 2013.
http://sam-articles.over-blog.com/
(1), (2), (3). http://blogs.mediapart.fr/blog/sam-la-touch/170613/laccord-transatlantique-le-pouvoir-aux-multinationales

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