jeudi 5 septembre 2013

Allergies alimentaires : Nestlé veut breveter une plante médicinale (Terra eco)

20-08-2013

Allergies alimentaires : Nestlé veut breveter une plante médicinale

Allergies alimentaires : Nestlé veut breveter une plante médicinale
(Crédit photo : digital cat - flickr)
Le géant de l'agroalimentaire a déposé une demande de brevet pour utiliser la Nigella sativa. Problème : les ONG indiennes contestent sa légitimité à revendiquer des droits sur une plante de leur médecine traditionnelle.
                                              
 
Nestlé souhaite breveter un extrait de la fleur du fenouil Nigella sativa. L’enjeu : avoir l’exclusivité de la commercialisation de ce produit qui permettrait de réduire les allergies alimentaires. Depuis le début des années 2000, le géant de l’agroalimentaire investit en effet dans la recherche sur les aliments médicalisés. Ce marché en plein essor a été estimé à 8 milliards d’euros en 2013. Une stratégie similaire à celle des laboratoires pharmaceutiques ayant recours aux brevets pour protéger ses innovations médicales.
Nestlé revendique ainsi devant l’Office européen des brevets (OEB) la découverte des propriétés de la thymoquinone pour réduire la réaction allergique. La demande de brevet couvre également l’utilisation des extraits de fleur de fenouil, dans lesquels cette molécule est présente en très forte concentration. De fait, la découverte d’un produit naturel limitant les allergies alimentaires représente un marché potentiel considérable : Nestlé cite des études scientifiques montrant qu’un tiers de la population aurait des allergies alimentaires ou une hypersensibilité à des aliments allergènes. Autant de consommateurs pour ses produits.

Aucune innovation justifiant un brevet

Encore plus intéressant, Nigella sativa, appelé aussi cumin noir, est déjà largement utilisé dans l’alimentation. Des extraits peuvent être ajoutés directement dans les aliments, sans avoir recours ni à des études toxicologiques, ni à des produits de synthèse. Nestlé se félicite ainsi de pouvoir utiliser ce produit dans sa gamme NaturNes pour bébé d’origine 100% naturelle.Déposé en 2009, le brevet n’a pourtant toujours pas été accordé par l’OEB. En cause, les nouvelles pièces portées au dossier par l’Inde. La base de données indienne sur les savoirs traditionnels, Traditional Knowledge Digital Library (TKDL), contiendrait en effet plusieurs exemples d’utilisation de Nigella sativa pour traiter les symptômes décrits par les chercheurs de Nestlé. Pour le directeur de la TKDL, les laboratoires du groupe n’ont fait preuve d’aucune innovation justifiant un brevet. Si Nestlé reconnaît que la thymoquinone présente dans le fenouil est utilisée à des fins médicales depuis deux mille ans, il revendique néanmoins l’exclusivité des travaux sur allergies alimentaires… Il revient aujourd’hui à l’OEB de trancher.

Propriétés pour traiter les allergies respiratoires

Plusieurs ONG spécialisées dans les questions nord-sud suivent le dossier de près. Pour François Meienberg, de l’organisation suisse la Déclaration de Berne, l’action de l’Inde devrait empêcher la demande de Nestlé d’aboutir : « Le cas s’est déjà produit en 2010 pour des brevets concernant certaines vertus médicinales du Rooibos, une plante sud-africaine. » Nestlé avait finalement retiré ses demandes, faute de preuves suffisantes sur l’innovation de ses brevets.L’ONG Third World Network, basée en Thaïlande, va plus loin. Cette organisation qui assure une veille sur les questions de biosécurité a recensé les recherches scientifiques faites au Moyen-Orient et en Asie sur l’utilisation médicale de Nigella sativa. Or, plusieurs études mettaient déjà en évidence les propriétés de cette plante pour traiter les allergies respiratoires.
Les ONG ont une autre accusation en tête : la biopiraterie pour non-respect de la Convention sur la biodiversité (CBD). D’autant que Nestlé s’est engagé à respecter le protocole de Nagoya, qui régule l’accès et le partage des ressources génétiques et des savoirs traditionnels. Mais pour Nigella sativa, « le cas est complexe », explique François Meienberg : la plante est utilisée dans de nombreux endroits du globe et il n’existe donc pas une communauté ou un pays légitime avec lequel négocier le partage des bénéfices liés à l’utilisation de cette plante.
Cet article de Magali Reinert a été initialement publié le 19 août 2013 sur Novethic, le média expert du développement durable.