Cette Europe qui pousse les pauvres à se faire la guerre
Par Eric Conan sur Marianne.fr
Depuis qu’est morte « l’Europe sociale » de Jacques Delors, qui promettait l’harmonisation économique, fiscale et sociale par le haut, l’Union européenne se réduit à un terrain de jeu où chacun est libre de se servir selon ses intérêts.
Depuis qu’est morte « l’Europe sociale » de Jacques Delors, qui promettait l’harmonisation économique, fiscale et sociale par le haut, l’Union européenne se réduit à un terrain de jeu où chacun est libre de se servir selon ses intérêts.
C’est une scène terrible que beaucoup de médias ont ignoré ou dont ils se sont détournés, hystérisés qu’ils étaient une semaine durant par le crash d’une Hollandie accaparée de la base au sommet par la consternante affaire Léonarda Dibrani : des salariés en souffrance se sont invectivés, insultés, pour finir par se battre à mains nues. Une violence non seulement physique mais sociale qui en dit long sur le désarroi et la désespérance qui atteint le prolétariat, même dans les contrées jusqu’ici réputées pour leur cohésion sociale.
Car c’est en Bretagne que ce cannibalisme de classe a eu lieu, mettant face à face les employés d’une même société agro-alimentaire, Gad, qui a décidé de fermer l’un de ses abattoirs, celui de Lampaul-Guimiliau dans le Finistère (850 salariés), pour ne conserver que celui de Josselin, dans le Morbihan. Les futurs licenciés de Lampaul-Guimiliau, qui étaient venus bloquer l’approvisionnement de l’établissement de Josselin pour protester, ont vu plus de 200 de ses salariés quitter leur travail, non pas pour se joindre à la protestation, mais pour s’y opposer, jusqu’à l’affrontement physique.
Ceux de Josselin, qui ont pour l’instant gardé leurs emplois savent que ces derniers ne sont pas forcément assurés, la direction ayant implicitement signifié qu’ils n’étaient pas forcément indispensables en embauchant de nombreux intérimaires, notamment roumains, pour faire face à l’augmentation de la charge de travail….
La précarité, l’insécurité sociale, la chômage pousse ainsi leurs victimes à se combattre les unes les autres, mais il faut rappeler que si l’effondrement du système agro-alimentaire breton débouche sur ces affrontements fratricides, c’est en grande partie sous l’effet d’une concurrence à bas coût qui l’asphyxie, venant du Brésil dans le secteur de la volaille, de l’Allemagne (avec ses employés agricoles low cost de l’Est à 5 euros de l’heure) dans le secteur porcin et de la Pologne dans celui du saumon d’élevage.
Depuis qu’est morte « l’Europe sociale » de Jacques Delors, qui promettait l’harmonisation économique, fiscale et sociale par le haut, l’Union européenne se réduit à un terrain de jeu où chacun est libre de se servir selon ses intérêts au nom de la règle minimale mais sacrée de la libre circulation des capitaux et du travail. C’était le marché implicite de l’élargissement vers les ex-pays de l’Est : vous n’aurez pas, comme les précédents accueillis (Espagne, Portugal, Grèce) de gros transferts de moyens, d’aides structurelles, mais vos entreprises, votre main d’œuvre à bas coût et votre fiscalité au rabais peuvent venir se servir, en plus cela dressera les nôtres qui se laissent aller….
C’était le message de la célèbre « circulaire Bolkestein » adressée aux nouveaux adhérents par une Europe qui attise ainsi la colère, mais, comme l’a illustré l’affaire du « plombier polonais », s’offusque ensuite des réactions que cela provoque chez les peuples quand elle ne se met pas à les condamner : « égoïsme », « populisme », « xénophobie ».
C’est le résultat d’une maladie bruxelloise bien connue, la politique réduite aux bonnes intentions sans se soucier des conditions de leur réalisation : un fonctionnement juridique et procédural qui pratique le déni des réalités aussi bien avant les prises de décisions qu’après, lors de leur application.
D’où, par exemple, dans le cas de l’euro, l’absurdité de faire d’un instrument technique – la monnaie – censé traduire une réalité (l’homogénéité économique) - un outil politique pour lacréer. L’euro devait faire converger les économies, c’est l’inverse qui s’est produit, comme l’avait pronostiqué le prix Nobel d’économie Maurice Allais ainsi qu’Emmanuel Todd qui expliquait que« l’euro produirait plus une jungle qu’une société ». Loin d’homogénéiser les économies nationales, la monnaie unique a en effet permis à celles qui étaient larguées de se « sniffer » à l’emprunt facile pour vivre à crédit au dessus de leurs moyens jusqu’au krach à la grecque.
Absurdité aussi que d’avoir créé la zone économique la plus ouverte au monde, sans protection, aux dépends de la plupart des Etats membres et de leurs économies, en voie de désindustrialisation massive. Même absurdité avec l’espace Schengen, ouverture des frontières et libre circulation entre pays avant même de penser harmoniser les politiques migratoires. Cela donne aujourd’hui le spectacle pitoyable de Bruxelles laissant l’Italie se débrouiller avec les drames de Lampedusa ou la poussée migratoire des Balkans, les policiers italiens n’ayant souvent comme seule issue d’expliquer aux malheureux par où passer pour aller le plus vite chez les voisins du nord, comme les policiers français le constatent dans les Alpes-Maritimes…
Cette Europe des principes et des procédures permet de tout mettre en concurrence : pas seulement les prolétariats, les statuts fiscaux, les capitaux, les systèmes d’assistance sociale, mais aussi les problèmes. C’est ce qu’a compris la Roumanie, faisant preuve d’un cynisme et d’une mauvaise foi crasse pour se débarrasser des populations Roms, qu’elle considère comme des sous-citoyens qu’elle maltraite et discrimine. Au lieu d’obliger la Roumanie et la Bulgarie à progresser dans le respect des droits de l’homme Bruxelles les a laissé continuer en leur offrant la libre circulation qui ne pouvait qu’entraîner leurs déplacements. Lesquels déboucheraient sur plus de problèmes que de solutions, puisque ces malheureux sans ressources sont inévitablement condamnés aux campements de fortune et à la délinquance.
Et comme les désagréments provoqués par leur errance tragique, de bidonvilles en bidonvilles, ne sont pas également répartis au sein des populations de l’Ouest, ce sont souvent les moins bien lotis dans la fragmentation urbaine qui en font les frais : les habitants des banlieues et des zones rurales, plutôt que ceux des beaux quartiers des centres villes. D’où de nouvelles tensions et confrontation entre pauvres, allant jusqu’à l’affrontement violent, comme à Marseille où des Roms furent chassés et leur camps brulé par les habitants d’un ghetto immigré.
Bruxelles laisse aux Etats le réel et ne s’en tient qu’à un principe qui tienne : « libre circulation, il n’y a rien à voir ! » C’est la langue de Viviane Reding, Commissaire européen en charge de la justice : un monde en apesanteur fait de « droits », de « valeurs communes » et de « principes européens », de « concurrence libre et non faussée ».
Ceux de Josselin, qui ont pour l’instant gardé leurs emplois savent que ces derniers ne sont pas forcément assurés, la direction ayant implicitement signifié qu’ils n’étaient pas forcément indispensables en embauchant de nombreux intérimaires, notamment roumains, pour faire face à l’augmentation de la charge de travail….
La précarité, l’insécurité sociale, la chômage pousse ainsi leurs victimes à se combattre les unes les autres, mais il faut rappeler que si l’effondrement du système agro-alimentaire breton débouche sur ces affrontements fratricides, c’est en grande partie sous l’effet d’une concurrence à bas coût qui l’asphyxie, venant du Brésil dans le secteur de la volaille, de l’Allemagne (avec ses employés agricoles low cost de l’Est à 5 euros de l’heure) dans le secteur porcin et de la Pologne dans celui du saumon d’élevage.
Depuis qu’est morte « l’Europe sociale » de Jacques Delors, qui promettait l’harmonisation économique, fiscale et sociale par le haut, l’Union européenne se réduit à un terrain de jeu où chacun est libre de se servir selon ses intérêts au nom de la règle minimale mais sacrée de la libre circulation des capitaux et du travail. C’était le marché implicite de l’élargissement vers les ex-pays de l’Est : vous n’aurez pas, comme les précédents accueillis (Espagne, Portugal, Grèce) de gros transferts de moyens, d’aides structurelles, mais vos entreprises, votre main d’œuvre à bas coût et votre fiscalité au rabais peuvent venir se servir, en plus cela dressera les nôtres qui se laissent aller….
C’était le message de la célèbre « circulaire Bolkestein » adressée aux nouveaux adhérents par une Europe qui attise ainsi la colère, mais, comme l’a illustré l’affaire du « plombier polonais », s’offusque ensuite des réactions que cela provoque chez les peuples quand elle ne se met pas à les condamner : « égoïsme », « populisme », « xénophobie ».
C’est le résultat d’une maladie bruxelloise bien connue, la politique réduite aux bonnes intentions sans se soucier des conditions de leur réalisation : un fonctionnement juridique et procédural qui pratique le déni des réalités aussi bien avant les prises de décisions qu’après, lors de leur application.
D’où, par exemple, dans le cas de l’euro, l’absurdité de faire d’un instrument technique – la monnaie – censé traduire une réalité (l’homogénéité économique) - un outil politique pour lacréer. L’euro devait faire converger les économies, c’est l’inverse qui s’est produit, comme l’avait pronostiqué le prix Nobel d’économie Maurice Allais ainsi qu’Emmanuel Todd qui expliquait que« l’euro produirait plus une jungle qu’une société ». Loin d’homogénéiser les économies nationales, la monnaie unique a en effet permis à celles qui étaient larguées de se « sniffer » à l’emprunt facile pour vivre à crédit au dessus de leurs moyens jusqu’au krach à la grecque.
Absurdité aussi que d’avoir créé la zone économique la plus ouverte au monde, sans protection, aux dépends de la plupart des Etats membres et de leurs économies, en voie de désindustrialisation massive. Même absurdité avec l’espace Schengen, ouverture des frontières et libre circulation entre pays avant même de penser harmoniser les politiques migratoires. Cela donne aujourd’hui le spectacle pitoyable de Bruxelles laissant l’Italie se débrouiller avec les drames de Lampedusa ou la poussée migratoire des Balkans, les policiers italiens n’ayant souvent comme seule issue d’expliquer aux malheureux par où passer pour aller le plus vite chez les voisins du nord, comme les policiers français le constatent dans les Alpes-Maritimes…
Cette Europe des principes et des procédures permet de tout mettre en concurrence : pas seulement les prolétariats, les statuts fiscaux, les capitaux, les systèmes d’assistance sociale, mais aussi les problèmes. C’est ce qu’a compris la Roumanie, faisant preuve d’un cynisme et d’une mauvaise foi crasse pour se débarrasser des populations Roms, qu’elle considère comme des sous-citoyens qu’elle maltraite et discrimine. Au lieu d’obliger la Roumanie et la Bulgarie à progresser dans le respect des droits de l’homme Bruxelles les a laissé continuer en leur offrant la libre circulation qui ne pouvait qu’entraîner leurs déplacements. Lesquels déboucheraient sur plus de problèmes que de solutions, puisque ces malheureux sans ressources sont inévitablement condamnés aux campements de fortune et à la délinquance.
Et comme les désagréments provoqués par leur errance tragique, de bidonvilles en bidonvilles, ne sont pas également répartis au sein des populations de l’Ouest, ce sont souvent les moins bien lotis dans la fragmentation urbaine qui en font les frais : les habitants des banlieues et des zones rurales, plutôt que ceux des beaux quartiers des centres villes. D’où de nouvelles tensions et confrontation entre pauvres, allant jusqu’à l’affrontement violent, comme à Marseille où des Roms furent chassés et leur camps brulé par les habitants d’un ghetto immigré.
Bruxelles laisse aux Etats le réel et ne s’en tient qu’à un principe qui tienne : « libre circulation, il n’y a rien à voir ! » C’est la langue de Viviane Reding, Commissaire européen en charge de la justice : un monde en apesanteur fait de « droits », de « valeurs communes » et de « principes européens », de « concurrence libre et non faussée ».
Coïncidence ? Il n’y a qu’un acteur qui se réjouit de cette situation, de cette hypocrisie, de cette guerre entre pauvres : la finance, l’entreprise internationale, qui jouent de cette déréglementation générale et des ces concurrences par le bas et de leurs conséquences désastreuses qui rappellent le scénario de Jack London imaginant dans le Talon de ferl’organisation de la guerre civile du prolétariat comme le stade ultime du capitalisme fou.
Source: Marianne.fr