La fable du modèle allemand (resitanceinventerre)
C’est entendu l’Allemagne est championne toutes catégories : le chômage est y très bas, sa politique énergétique est parfaite, et Angela Merkel est réélue…à se demander alors à quoi servait cette élection ?Pourtant, si l’on veut bien croire Hans Stark, professeur à la Sorbonne, et secrétaire général du CERFA, (Comité d’Etude des Relations Franco-Allemandes), il s’agit seulement d’une belle manipulation médiatique, car la situation ne serait pas si idyllique chez nos voisins germains.
C’est sur l’antenne de France Culture, le 20 septembre 2013, à 6h45, dans l’émission « les enjeux internationaux » que l’on pouvait écouter les réflexions pertinentes de cet expert en politique germanique. Expliquant que la chancelière ne voulait pas faire campagne, estimant que son bilan suffisait à la faire réélire les doigts dans le nez, le secrétaire du CERFA s’est appliqué à démontrer que la situation n’était pas si bonne qu’on voulait bien nous le faire croire et a brossé un tableau plus objectif que celui que l’on nous propose habituellement.
A part le parti au pouvoir, tous les autres partis se retrouvent sur de mêmes préoccupations, portant sur le bas niveau à venir des retraites, la montée des prix de l’énergie, ainsi que celui des loyers, et la demande d’un salaire minimum.
Rappelant qu’Angela Merkel n’a pas la possibilité d’agir sur le terrain économique, puisque en Allemagne, l’économie est pilotée par les grandes entreprises, Stark pose le problème différemment.
Il explique que s’il est convenu de dire « l’Allemagne va bien », tous les allemands ne vont pas bien pour autant, puisqu’environ 15% de la population, soit tout de même plus de 12 millions de citoyens, travaillent dans un cadre très fragile, à coup de petits métiers, et s’en sortent très mal, voyant leur niveau de vie baisser dangereusement, d’autant que leurs salaires s’amenuisent.
En effet, tout n’est pas si rose outre-Rhin. Les lois « Hartz » ont changé l’organisation et les conditions d’indemnisation du chômage, encourageant les formes d’emplois atypiques. Ces lois obligent les chômeurs à accepter n’importe quel travail, même le plus précaire et le plus mal payé, et il n’est pas inutile de se souvenir que c’est à l’ex chancelier social-démocrate Gerhard Schröder que les allemands doivent ces lois antisociales, ce qui explique peut-être le désamour des électeurs envers ce parti.
Ce sont ces lois qui ont permis des boulots payés 1 € l’heure, et qui ont réduit à 12 mois la durée d’indemnisation du chômage. lien On peut aussi s’étonner qu’à l’époque Wolfgang Clément, le ministre de l’emploi de ce gouvernement rouge-vert avait qualifié de « grand succès » ce discutable choix social. Ce qui était surtout visé, c’était de réduire drastiquement le nombre de chômeurs, opération manifestement réussie, mais à quel prix ?
1 emploi sur 3 n’est désormais ni à plein temps, ni à durée indéterminée, et à Berlin, 1 enfant sur 3 tente de survivre en dessous du seuil de pauvreté. Un bénévole de centre social dénonce « de la main d’œuvre presque gratuite et corvéable selon les besoins ». Selon le livre noir du travail intérimaire, publié en mars 2012, 1 million de salariés seraient soumis au travail intérimaire, et ce chiffre aurait doublé depuis 2004.
Il y a chez nos voisins germaniques 3 millions de personnes qui gagnent moins de 6 euros brut de l’heure, et s’il est vrai que le taux de chômage est aujourd’hui de 6,8 %, il n’en est pas moins réel qu’il y a une véritable précarisation des salariés. Comme le dit l’un de ces précaires : « comme des milliers d’Allemands je fais partie des travailleurs à 1,50 € l’heure (…) je suis malade du diabète, je m’accroche, mais il y a des jours, c’est trop dur et je me dis que parfois, il vaudrait mieux crever que de vivre ça ». lien
Cette situation n’est pas une nouveauté, mais tous ces emplois précaires plafonnés à 450 euros mensuels sont depuis 20 ans en augmentation exponentielle, ayant quasiment doublé si l’on veut bien croire les chiffres produits par l’office allemand des statistiques, et l’Allemagne est aujourd’hui le pays de l’Union Européenne ou la proportion des bas salaires est la plus élevée, comme l’a rappelé l’expert es-économie Andreas Kappeler.
Si le taux de chômage a effectivement baissé, c’est à cause de la thérapie de choc privilégiant l’entreprise aux dépens de travailleur, avec la flexibilité comme arme, permettant ainsi une réduction drastique du chômage concernant en 2005 plus de 5 millions de travailleurs.
Un citoyen, du prénom de Klaus à déclaré : « si une nouvelle crise arrivait, tous les intérimaires se retrouveront à la rue » ajoutant : « ce nouveau marché aux esclaves devrait être interdit car le travail intérimaire va enterrer tout ce pourquoi des générations de travailleurs se sont battus ».
Au-delà des difficultés que rencontrent ces millions de travailleurs, il faudrait aussi regarder de plus près celles qui concernent les retraités. Ils étaient au moins 400 000 en 2012 à devoir se contenter de 688 € mensuels, après avoir travaillé 35 ans pour 2500 brut par mois et ceux qui ont cotisé pendant 40 ans pour 2200 € brut mensuels se retrouvent dans la même situation. Du coup, pour sauver leurs fins de mois, ils sont obligés de prendre des « mini jobs », privant les actifs du peu de travail qu’il reste dans leur pays. Ils étaient déjà en 2000 près de 800 000 retraités allemands de plus de 65 ans à avoir dû accepter un « mini job » pour boucler leur fin de mois, et ils sont encore plus nombreux aujourd’hui. Ajoutons pour être complets que pour bénéficier de ce minimum vieillesse, les conditions sont assez draconiennes puisqu’elles ne peuvent concerner ceux qui sont propriétaires, ou qui disposent d’une épargne.
Sans aller jusqu’à comparer cette situation avec celle qu’ont connus les allemands lors de la République de Weimar, laquelle permis l’accession au pouvoir d’Hitler, on ne peut pourtant pas éviter d’y trouver quelques ressemblances.
Alors entre les millions de travailleurs réduits en quasi esclavage, et les retraités dans la misère, on voit que le soi-disant « modèle allemand » est largement discrédité, ce modèle que vantait à l’époque l’ex-président de la république française.