Epargne citoyenne
Une banque villageoise, solidaire et qui prête à taux zéro : rien d’impossible
C’est une autre manière de reprendre le contrôle de son épargne. Les habitants de la vallée d’Aspe, près de la frontière espagnole, ont décidé de se mobiliser pour relocaliser l’économie et créer des emplois. Leur association Aspe solidaire collecte l’épargne des habitants afin de financer des activités dans la vallée. Et d’enrayer la désertification. L’économie par les citoyens et au service des citoyens.
Cela s’est produit sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, mais ce n’est pas un miracle. Une centaine d’habitants de la vallée d’Aspe ont décidé de re-dynamiser l’économie de leur territoire en voie de désertification. Ils ont monté l’association Aspe Solidaire. Objectif : collecter l’épargne des habitants et proposer des prêts à taux zéro à des porteurs de projets désireux de s’installer dans la vallée, où vivent 2 700 personnes. Cette initiative « permet aux gens qui veulent faire quelque chose pour le territoire, sans avoir envie d’être élus, de s’impliquer », explique Anne, l’actuelle présidente de l’association. Car la vallée est quelque peu sinistrée.
Avec un revenu net par foyer inférieur de 6 000 € à la moyenne nationale et une population vieillissante, la vallée d’Aspe peine à retenir les enfants du pays. La population des 13 villages béarnais qui constituent la communauté de communes a chuté de 65% depuis le début du siècle dernier ! Si l’exode rural s’est depuis ralenti, la tendance est toujours à la baisse. Quand Anne, historienne, a organisé une réunion d’information sur la mise en place d’un dispositif d’épargne citoyenne et solidaire, les riverains ont accouru. « C’était un soir de janvier 2011, il faisait froid, il neigeait, mais il y a avait quand même une centaine de personnes. Cela montre que l’idée correspondait à une attente », souligne cette conseillère municipale d’Accous, l’un des villages de la vallée, qui précise que l’association ne bénéficie d’aucune subvention.
Relocaliser l’économie
Pendant la soirée, elle leur parle de l’exemple du Comité local d’épargne pour les jeunes (Clej) qui soutient des projets de jeunes basques grâce à l’épargne solidaire. L’assemblée est emballée et un rendez-vous est fixé la semaine suivante pour créer l’association. Les membres se donnent un an pour recueillir les prêts des volontaires. Emma, caissière dans une grande surface des environs, et trésorière de l’association, n’a pas été difficile à convaincre : « Niveau emploi, il n’y pas grand chose par ici. Alors j’ai été emballée par l’idée d’aider à créer de l’activité dans la vallée. »
Plus d’une centaine d’habitants, soit 4% des habitants de la vallée, prêtent chacun 180 € à l’association (15€ par mois). « Les gens avaient envie de faire quelque chose pour dynamiser l’économie locale. Pour ma part, je voulais agir à ma façon, avec mes compétences limitées, pour faire avancer les choses, permettre à des gens de développer une activité, de vivre et d’habiter dans la vallée », témoigne Francis, retraité de l’Éducation nationale.
Bien que la démarche soit avant tout économique, certains membres de l’association mettent en avant des considérations écologiques : « Il s’agit de relocaliser l’économie en raccourcissant les circuits de production et de consommation », argumente l’ancien enseignant. « Cela n’a pas de sens de faire une heure de voiture, de dépenser du gasoil et de polluer pour des activités dont la présence se justifie dans la vallée », ajoute Monica, une ancienne bergère.
20 000 € sont récoltés en 2011, qui vont bénéficier à cinq projets : une entreprise de céramique, une autre de ferronnerie-mécanique, deux structures d’aide au développement commercial et un centre de soins esthétiques voient le jour. Un peintre au RSA a également fait appel à l’association en urgence pour pouvoir acheter des cadres afin de proposer ses œuvres à la vente lors d’une exposition. Ici, on ne stigmatise pas, on aide.
Soutien financier et moral
Parmi ces porteurs de projets, certains n’auraient pas pu démarrer leur activité sans l’association. « Les banques ne prêtent qu’aux riches, pas à ceux qui n’ont pas un radis, c’est bien connu, sourit Francis. L’argent prêté sert d’apport personnel à ceux qui n’en ont pas. » Un argument non négligeable pour convaincre les institutions financières de la viabilité d’un projet. « Avoir l’aval des gens de la vallée donne de la crédibilité auprès des banques », confirme Aurélie qui, grâce au soutien de l’association, a réussi à convaincre son conseiller de lui prêter de l’argent. Un peu plus d’un an après le lancement, la fréquentation de son salon esthétique est supérieure à ses prévisions.
Pour autant, l’association ne répond pas favorablement à toutes les sollicitations. « Même si ce ne sont pas de grosses sommes, nous sommes attentifs aux projets soutenus par respect pour les gens qui ont placé leur espoir dans l’association », justifie Francis. Ainsi, chaque demande de prêt est étudiée par l’hétérodoxe conseil d’administration (voir la photo) et un comité technique composé de chefs d’entreprises ou de banquiers, pour la plupart à la retraite. Ceux-ci évaluent la solidité du projet et accompagnent les entrepreneurs dans leurs démarches, de l’étude de marché à la définition de leurs besoins de trésorerie. Plus qu’une somme d’argent, Aspe solidaire apporte un soutien technique et moral à ceux qui la sollicitent.
Quand l’économie développe le lien social
Les membres de l’association insistent sur l’aspect solidaire de leur démarche. Les membres ne peuvent espérer un quelconque retour sur investissement lorsqu’ils prêtent de l’argent. Car, quand les sommes engagées sont remboursées 3 à 4 ans plus tard, l’inflation est passée par là. « Nous ne sommes pas dans une logique capitaliste », résume Anne. En outre, les prêteurs n’ont aucune garantie de revoir leurs deniers. « Si quelqu’un ne rembourse pas son prêt, on ne se retourne pas contre lui. On se contente de répartir la perte sur tout le monde, c’est le côté militant des prêteurs. Des liens forts de responsabilité et de confiance se crée entre tous les membres », estime Francis. Et le prêt sonnant et trébuchant n’est pas l’unique levier. « Tout le monde aide à son niveau, soit en prêtant, soit en allant acheter chez une des personnes aidées par l’association. Cela crée un réseau de solidarités ». Un point de vue partagé par Myriam, membre du Conseil d’administration : « Par l’économie, on développe le lien social », juge-t-elle.
Le succès de la première levée de fonds en 2011 a été tel que les membres d’Aspe solidaire ont décidé d’organiser une deuxième collecte d’épargne en 2013 pour répondre aux sollicitations de nouveaux porteurs de projets. Alors même que les premiers prêts n’ont pas été remboursés, 73 personnes se sont déjà engagées et les inscriptions courent jusqu’à la fin de l’année. Le caractère concret de l’action et sa capacité à mobiliser au delà des clivages partisans fait reconnaître à Monica, élue d’un village de la vallée, qu’elle se sent « parfois plus utile ici qu’au conseil municipal ». Une expérience à multiplier (A relire : quand les pauvres inventent une banque véritablement populaire) ?
Emmanuel Daniel
Photo de une : CC Jean-Michel Baud
Avec un revenu net par foyer inférieur de 6 000 € à la moyenne nationale et une population vieillissante, la vallée d’Aspe peine à retenir les enfants du pays. La population des 13 villages béarnais qui constituent la communauté de communes a chuté de 65% depuis le début du siècle dernier ! Si l’exode rural s’est depuis ralenti, la tendance est toujours à la baisse. Quand Anne, historienne, a organisé une réunion d’information sur la mise en place d’un dispositif d’épargne citoyenne et solidaire, les riverains ont accouru. « C’était un soir de janvier 2011, il faisait froid, il neigeait, mais il y a avait quand même une centaine de personnes. Cela montre que l’idée correspondait à une attente », souligne cette conseillère municipale d’Accous, l’un des villages de la vallée, qui précise que l’association ne bénéficie d’aucune subvention.
Relocaliser l’économie
Pendant la soirée, elle leur parle de l’exemple du Comité local d’épargne pour les jeunes (Clej) qui soutient des projets de jeunes basques grâce à l’épargne solidaire. L’assemblée est emballée et un rendez-vous est fixé la semaine suivante pour créer l’association. Les membres se donnent un an pour recueillir les prêts des volontaires. Emma, caissière dans une grande surface des environs, et trésorière de l’association, n’a pas été difficile à convaincre : « Niveau emploi, il n’y pas grand chose par ici. Alors j’ai été emballée par l’idée d’aider à créer de l’activité dans la vallée. »
Plus d’une centaine d’habitants, soit 4% des habitants de la vallée, prêtent chacun 180 € à l’association (15€ par mois). « Les gens avaient envie de faire quelque chose pour dynamiser l’économie locale. Pour ma part, je voulais agir à ma façon, avec mes compétences limitées, pour faire avancer les choses, permettre à des gens de développer une activité, de vivre et d’habiter dans la vallée », témoigne Francis, retraité de l’Éducation nationale.
Bien que la démarche soit avant tout économique, certains membres de l’association mettent en avant des considérations écologiques : « Il s’agit de relocaliser l’économie en raccourcissant les circuits de production et de consommation », argumente l’ancien enseignant. « Cela n’a pas de sens de faire une heure de voiture, de dépenser du gasoil et de polluer pour des activités dont la présence se justifie dans la vallée », ajoute Monica, une ancienne bergère.
20 000 € sont récoltés en 2011, qui vont bénéficier à cinq projets : une entreprise de céramique, une autre de ferronnerie-mécanique, deux structures d’aide au développement commercial et un centre de soins esthétiques voient le jour. Un peintre au RSA a également fait appel à l’association en urgence pour pouvoir acheter des cadres afin de proposer ses œuvres à la vente lors d’une exposition. Ici, on ne stigmatise pas, on aide.
Soutien financier et moral
Parmi ces porteurs de projets, certains n’auraient pas pu démarrer leur activité sans l’association. « Les banques ne prêtent qu’aux riches, pas à ceux qui n’ont pas un radis, c’est bien connu, sourit Francis. L’argent prêté sert d’apport personnel à ceux qui n’en ont pas. » Un argument non négligeable pour convaincre les institutions financières de la viabilité d’un projet. « Avoir l’aval des gens de la vallée donne de la crédibilité auprès des banques », confirme Aurélie qui, grâce au soutien de l’association, a réussi à convaincre son conseiller de lui prêter de l’argent. Un peu plus d’un an après le lancement, la fréquentation de son salon esthétique est supérieure à ses prévisions.
Pour autant, l’association ne répond pas favorablement à toutes les sollicitations. « Même si ce ne sont pas de grosses sommes, nous sommes attentifs aux projets soutenus par respect pour les gens qui ont placé leur espoir dans l’association », justifie Francis. Ainsi, chaque demande de prêt est étudiée par l’hétérodoxe conseil d’administration (voir la photo) et un comité technique composé de chefs d’entreprises ou de banquiers, pour la plupart à la retraite. Ceux-ci évaluent la solidité du projet et accompagnent les entrepreneurs dans leurs démarches, de l’étude de marché à la définition de leurs besoins de trésorerie. Plus qu’une somme d’argent, Aspe solidaire apporte un soutien technique et moral à ceux qui la sollicitent.
Quand l’économie développe le lien social
Les membres de l’association insistent sur l’aspect solidaire de leur démarche. Les membres ne peuvent espérer un quelconque retour sur investissement lorsqu’ils prêtent de l’argent. Car, quand les sommes engagées sont remboursées 3 à 4 ans plus tard, l’inflation est passée par là. « Nous ne sommes pas dans une logique capitaliste », résume Anne. En outre, les prêteurs n’ont aucune garantie de revoir leurs deniers. « Si quelqu’un ne rembourse pas son prêt, on ne se retourne pas contre lui. On se contente de répartir la perte sur tout le monde, c’est le côté militant des prêteurs. Des liens forts de responsabilité et de confiance se crée entre tous les membres », estime Francis. Et le prêt sonnant et trébuchant n’est pas l’unique levier. « Tout le monde aide à son niveau, soit en prêtant, soit en allant acheter chez une des personnes aidées par l’association. Cela crée un réseau de solidarités ». Un point de vue partagé par Myriam, membre du Conseil d’administration : « Par l’économie, on développe le lien social », juge-t-elle.
Le succès de la première levée de fonds en 2011 a été tel que les membres d’Aspe solidaire ont décidé d’organiser une deuxième collecte d’épargne en 2013 pour répondre aux sollicitations de nouveaux porteurs de projets. Alors même que les premiers prêts n’ont pas été remboursés, 73 personnes se sont déjà engagées et les inscriptions courent jusqu’à la fin de l’année. Le caractère concret de l’action et sa capacité à mobiliser au delà des clivages partisans fait reconnaître à Monica, élue d’un village de la vallée, qu’elle se sent « parfois plus utile ici qu’au conseil municipal ». Une expérience à multiplier (A relire : quand les pauvres inventent une banque véritablement populaire) ?
Emmanuel Daniel
Photo de une : CC Jean-Michel Baud