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Quelquefois je suis poursuivi par des cauchemars : je suis en plein milieu d’un camp de réfugiés ravagé par des bombardements, peut-être au Congo (RDC) ou dans un autre pays désespéré à la périphérie de l’intérêt des médias. Les enfants courent autour avec des ventres gonflés, souffrant clairement de malnutrition. Beaucoup de femmes dans le camp ont des ventres gonflés aussi, mais pas à cause d’un acte d’amour, à la suite d’un viol qu’elles ont subi au cours des derniers mois. Il y a un tir d’artillerie venant des collines et les troupes de l’ONU sont impuissantes à l’arrêter.
Quelquefois je me réveille et le rêve est parti. Ou je réussis à le refouler ; à le purger de mon inconscient. Mais quelquefois il reste avec moi pour le reste de la journée. Et souvent ce n’est pas du tout un rêve, mais une réalité. Je me trouve en fait dans les endroits comme Kibati [Congo], faisant face aux yeux désespérés des enfants, aux yeux résignés, rouges et gonflés des femmes, au canon d’un fusil. Il y a des feux à l’horizon et des bruits de tir d’artillerie venant de la brousse. Et au lieu d’un oreiller, je serre l’obturateur de mon Nikon professionnel, ou le tube en métal de mon stylo.
Ce que j’écris et ce que je photographie parait régulièrement dans les pages des journaux et des magazines. Quelquefois une ou deux images font les murs des musées ou des galeries. Mais c’est toujours une lutte, une lutte pour persuader des rédacteurs, des éditeurs, des distributeurs, ou des conservateurs d’accepter au moins un aperçu édulcoré de réalité à montrer au grand public.
L’ère des reporters vaillants et des rédacteurs déterminés semble être terminée. Les correspondants qui ont couvert la guerre du Viêt Nam, qui ont en fait aidé à arrêter la guerre du Viêt Nam, se font plus vieux. Ils écrivent des mémoires et publient des livres, mais ils sont à peine témoins des conflits d’aujourd’hui. Il y a encore certains journalistes courageux et dévoués – Keith Harmon Snow ou John Pilger pour en mentionner juste deux – mais ils sont plus l’exception qui confirme la règle qu’une occurrence commune.
Et les courageuses voix alternatives sont plus nécessaires maintenant qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire récente. Comme le contrôle des entreprises sur les médias devient presque total, presque tous les grands médias servent maintenant l’implantation des intérêts économiques et politiques. Plus ils font, plus ils parlent du besoin de liberté de la presse, d’objectivité et de reportages impartiaux ; ailleurs, pas à la maison.
Pendant que la plupart des média de langue anglaise exerce une répression sans précédent de l’information sur, par exemple, la brutalité de la politique étrangère occidentale en Afrique subsaharienne ou le génocide indonésien en cours en Papouasie Occidentale (deux parties du monde avec d’énormes réserves de matières premières exploitées par les compagnies minières multinationales), les titres des médias des classes dirigeantes aux États-Unis, Royaume-Uni et Australie intensifient leurs attaques contre les points de vues alternatifs venant de Pékin (PRC), Caracas, ou La Havane. La prise de pouvoir la plus forte par les fondamentalistes du marché, la rhétorique la plus antichinoise ou anti-Chavez apparaît sur les chaines des médias occidentaux – chaînes dont la propagande atteint maintenant quasiment chaque coin du globe.
J’ai grandi en Tchécoslovaquie et bien que je ne me souvienne pas des chars soviétiques roulant sur les rues de Prague en 1968, en tant que petit enfant, je me souviens clairement des conséquences – la collaboration, les mensonges et le cynisme du soi-disant « processus de normalisation ». Ce qui me consterne maintenant – étant un citoyen naturalisé des États-Unis – n’est pas tellement que tout ce que je décris ici est entrain en fait d’arriver, mais l’indifférence qui accompagne tous ces événements terribles. Et surtout, que la grande majorité des gens dans le soi-disant « Premier Monde parlant anglais » croit en fait ce qu’ils lisent dans les journaux et ce qu’ils voient sur les écrans de télévision. Les mensonges et la partialité semblent être trop évidents pour être ignorés ! Mais surtout ils existent. En décrivant le lexique du pouvoir occidental, Arundhati Roy a écrit une fois : « Alors maintenant nous savons. Les cochons sont des chevaux. Les filles sont des garçons. La guerre est la paix. » Et nous admettons qu’il en soit ainsi.
D’une certaine façon le contrôle de l’information est beaucoup plus achevé maintenant aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou en Australie que cela le fut au cours des années 1980 en Tchécoslovaquie, Hongrie, ou Pologne. Il n’y a aucune « soif de vérité » – de vues alternatives – pour chaque pamphlet qui ose défier le régime et la langue de bois politique dans les livres et les films. Il n’y a pas une telle soif intellectuelle à Sydney, New York, ou Londres comme c’était courant de voir à Prague, Budapest, ou Varsovie. Les écrivains et les journalistes occidentaux au mieux « écrivent entre les lignes » et les lecteurs n’attendent, ni ne cherchent, de messages cachés.
Tout cela continue sans conteste : propagande et manque de visions alternatives. Il semble que nous ayons oublié comment mettre en question les choses. Il semble que nous ayons accepté la manipulation de notre présent et de notre histoire ; que nous nous retournions même contre ceux rares qui sont encore debout à gauche et défendant le sens commun et la vérité et ce qui peut être vu à l’œil nu, mais qui est nié au nom de la liberté, la démocratie et l’objectivité (les grands mots qui sont maintenant usés au point qu’ils en perdent leur sens). Sommes-nous, à l’Ouest, une fois encore sur le point d’entrer dans une ère où nous montrerons du doigt les dissidents, allons-nous devenir des indics et des collaborateurs ? Nous avons connu beaucoup de périodes comme ça dans notre histoire. Il y a peu de temps – il n’y a pas longtemps du tout !
Entre-temps, pendant que nos intellectuels collaborent avec le pouvoir et sont récompensés pour leurs efforts, des parties entières du monde baignent dans le sang, la famine, ou les deux. La collaboration et le silence parmi ceux qui savent, ou devraient savoir, est maintenant partiellement coupable de l’état actuel du monde.
Le parfait propos politiquement correct est ancré dans l’écriture, les discours, même la psyché de beaucoup de nos penseurs aussi, Dieu l’interdit, ils n’offenseraient pas les gens de pays pauvres (ils peuvent être massacrés et encouragés à s’étriper, mais ils ne devraient pas « être offensés », surtout leurs chefs politiques et religieux corrompus qui servent les intérêts de l’occident et de ses multinationales). Concrètement – les limites du débat permis sur les écrans de TV ou dans les pages de nos journaux ont été définies. Ou on pourrait dire que la droite et les classes dirigeants ont ridiculisé le « politiquement correct » pour défier les limites de discussion, aussi de la diffamation. Si cela convient à l’establishment, cela définit la dictature féodale dans les endroits lointains (aussi longtemps qu’ils servent ses intérêts comme partie prenante de la culture de tel ou tel pays qu’il contrôle ou veut contrôler. Si la religion sert des intérêts géopolitiques de L’Occident (lire : si la religion nous aide à tuer des chefs Progressifs/De gauche et leurs disciples), l’Ouest déclarera son respect profond pour telle religion, même notre soutien, comme l’Angleterre a soutenu le Wahhabism au Moyen-Orient, aussi longtemps qu’il a cru que le Wahhabism réprimerait le conflit pour une société égalitaire et la distribution équitable de ressources minérales.
Pendant que nous sommes occupés à dégommer Cuba pour les violations des droits humains (quelques douzaines de gens en prison, dont beaucoup seraient probablement accusés de terrorisme à l’ouest, puisqu’ils cherchent ouvertement à renverser la constitution et le gouvernement) et la Chine pour le Tibet (glorifier évidemment l’ancien seigneur féodal religieux juste pour contrarier et exclure la Chine est le principal objectif de notre politique étrangère – une approche ouvertement raciste) il y a des millions de victimes de par nos intérêts géopolitiques pourrissant ou déjà enterrées au Congo (DRC) et ailleurs en Afrique sub-Saharienne, en Papouasie Occidentale, au Moyen-Orient et ailleurs.
Notre palmarès des droits de l’homme (si nous considérons tous les êtres humains « humains » et admettons que violer les droits d’un homme, une femme ou un enfant en Afrique, Amérique Latine, Moyen-Orient, Océanie ou Asie est aussi déplorable que le fait de violer des droits de l’homme à Londres, New York, ou Melbourne) est si épouvantable – aujourd’hui comme dans le passé – qu’il n’est pas imaginable que nos citoyens puissent croire encore que nos pays ont un effet de levier moral et devraient être autorisés à arbitrer et à exercer un jugement moral.
Pendant que la propagande post-guerre froide (l’anéantissement de tout qui a été laissé par les mouvements progressistes) ose comparer l’Union Soviétique à l’Allemagne nazie (la même Union Soviétique qui a été sacrifiée par l’Ouest à l’Allemagne nazie ; la même Union Soviétique qui au prix de plus de 20 millions de vies a sauvé le monde du Fascisme), on omet le fait que les premiers camps de concentration n’ont pas été construits par les Russes, mais par l’Empire britannique en Afrique ; et qu’aucun Goulag ne peut égaler les horreurs de la terreur coloniale exercée par les pouvoirs européens entre deux guerres mondiales.
La propagande est si ancrée dans la psyché nationale aux États-Unis et en Europe qu’aucune discussion de cette sorte n’émerge, n’est réclamée, ou simplement permise ou tolérée. Pendant que la révolution soviétique, et plus tard les Goulag, sont utilisés comme une preuve douteuse qu’un système Socialiste ne peut pas vraiment fonctionner (pendant que Staline était clairement paranoïaque, il n’y a eu aucun démenti concernant le complot pour diriger les nazis à l’Est – le fait de sacrifier la Tchécoslovaquie par la France et la Grande-Bretagne à la Conférence de Munich en 1938 était la preuve claire de cela), l’holocauste de l’occident en Afrique (par exemple l’extermination belge de dizaines de millions de Congolais pendant le règne de Roi Leopold I) n’est pas présenté comme la preuve que les monarchies de style occidentale et le fondamentalisme du marché sont essentiellement dangereux et inacceptables pour l’humanité, ayant déjà assassiné des centaines de millions de gens partout dans le monde.
Évidemment tout venait de l’argent et de l’avarice européenne – des matières premières -ce pourquoi des dizaines de millions de gens au Congo ont du mourir il y a cent ans (c’était alors le caoutchouc). Les raisons ne sont pas si différentes que cela maintenant, bien que les meurtres soient principalement exécutés par les forces locales et par l’armée du voisinage et maintenant le fidèle Rwanda pro-étasunien, aussi bien que les mercenaires. Et les raisons ne sont pas très différentes en Papouasie Occidentale, sauf que là le meurtre est exécuté par les troupes indonésiennes défendant les intérêts économiques des élites corrompues de Jakarta aussi bien que les compagnies multinationales occidentales ; ou en Irak.
Et nous ne sommes pas plus indignés. Les citoyens légalistes de nos pays ne jettent pas les ordures dans les rues, attendent au milieu de la nuit docilement un feu vert pour traverser les rues. Mais ils ne s’opposent pas aux massacres exécutés au nom de leurs intérêts économiques. Aussi longtemps que les massacres sont bien emballés par les médias et l’appareil de propagande, aussi longtemps qu’on n’explique pas clairement que le meurtre sert à soutenir le monde des affaires, mais aussi le niveau relativement élevé de la majorité de ceux qui vivent dans les soi-disant « pays développés », aussi longtemps que c’est très officiellement pour les droits de l’homme et la démocratie et la liberté. Une des raisons pour laquelle la propagande officielle est si facilement acceptée, c’est parce qu’elle aide à masser et calmer notre mauvaise conscience.
Les élites intellectuelles et l’université ne sont pas à l’abri d’accepter, recycler et même inventer des mensonges. Au cours des dernières années j’ai été invité à intervenir dans plusieurs universités d’élite du monde parlant anglais – de Melbourne à l’université de Hong-Kong, Columbia et Cornell, Cambridge et Auckland. Je me suis rendu compte que la récusation des thèses existantes ne signifie pas que l’on défend l’intégrité intellectuelle : tout le contraire. Même plus que dans les médias, l’université est profondément hostile à contester des clichés établis. Essayez ouvertement d’être en désaccord avec la thèse selon laquelle l’Indonésie est un état tolérant, faisant un effort de démocratie et qui sait quoi d’autre qui a gagné tant de professeurs en poste et vous serez étiquetés comme un extrémiste, ou comme un provocateur au mieux. Et il sera très difficile d’éviter des insultes ouvertes. Essayez de contester les vues antichinoises monolithiques !
Dans l’université anglo-saxonne, exprimer sa propre opinion est indésirable, presque inacceptable. Pour le faire point, un écrivain ou un orateur doit citer quelqu’un d’autre : « il est dit par M. Green que la terre est ronde. » « Le Professeur Brown a confirmé qu’il pleuvait hier. » Si personne d’autre ne l’a dit auparavant, c’est douteux que cela ait existé. Et l’auteur ou l’orateur sont fortement découragés d’exprimer leur opinion sur une question à coté. En résumé : on s’attend à ce que presque n’importe quel point de vue ou bout d’information soit confirmé par l’ « establishment », ou au moins par une partie de lui. Cela doit passer par la censure informelle.
De longues listes de notes en bas de page ornent maintenant presque n’importe quel livre de non-fiction, de même que les groupes d’universitaires et beaucoup d’auteurs de livres d’essais, au lieu de faire une grande partie de leur propre recherche et travail de terrain, se citent sans relâche et se re-citent. Orwell, Burchett, ou Hemingway trouveraient extrêmement difficile d’évoluer dans un tel environnement.
Les résultats sont souvent grotesques. Deux cas en Asie sont de grands exemples de cette lâcheté et servilité intellectuelles pas seulement du corps diplomatique, mais aussi de la communauté universitaire et journalistique : la Thaïlande et l’Indonésie.
Les clichés créés par les médias anglo-saxons et l’université sont répétés sans relâche par les principaux médias, y compris BBC et CNN et par presque tous les quotidiens influents. Quand nos médias parlent du Cambodge, par exemple, ils oublient rarement de mentionner le génocide « communiste » khmer rouge. Mais on devrait fouiller samizdat pour apprendre que les khmers rouges ont accédé au pouvoir seulement après le violent tapis de bombes des Etats-Unis jeté sur la campagne. Et que quand le Viêt Nam a mis dehors le Khmer Rouge, les Etats-Unis ont demandé aux Nations Unies le « retour immédiat du gouvernement légitime » !
Il y a presque rien dans les éditions en ligne des journaux occidentaux pour dépeindre les horreurs déchainées par l’Ouest contre l’Indochine, l’Indonésie (2 à 3 millions de personnes tuées après que les Etats-Unis aient soutenu le coup d’état qui a porté le général Suharto au pouvoir) et le Timor oriental, pour en mentionner juste quelques-uns.
Je n’ai jamais entendu parler d’aucun homme public à l’Ouest utilisant les médias pour appeler au boycott de quelque chose d’indonésien à cause du meurtre continu des Papous (juste quelques uns ont paru être indignés au cours des années 1970 et 80 par le génocide au Timor oriental). Le Tibet est une affaire différente. La critique de la Chine sur sa politique au Tibet est épique. La critique de la Chine est en général monumentale et disproportionnée.
Chaque fois que la Chine échoue, c’est parce que « elle est toujours Communiste » ; quand elle réussit, « elle n’est plus Communiste ». En tant que lecteur, je veux savoir des chinois si leur pays est Communiste ou non. De ce que j’entends, il l’est encore et, de plus, la grande majorité veut encore que cela le soit.
Mais cela ne suffit pas : on ne peut pas faire confiance à la plus vieille culture importante de la planète pour se décrire elle-même : le travail doit être fait par les interlocuteurs natifs anglais, par les seuls gens choisis ou sélectionnés pour influencer et former l’opinion publique mondiale.
Je veux avoir des nouvelles par mes collègues à Pékin. Je veux qu’ils soient capables de discuter ouvertement avec ceux qui tiennent leur pays responsable (absurdement) de tout, du Soudan à la Birmanie à l’environnement malmené. Combien de reportages avons-nous vu sur BBC world dépeignant des usines chinoises éructant de fumée noire et combien en avons-nous vu sur la pollution créée par les Etats-Unis – encore le plus grand pollueur sur la terre ?
Ou quelles sont les pensées des savants japonais, des écrivains et des journalistes sur la Deuxième Guerre mondiale ? Nous savons tous que les journalistes parlant anglais basés à Tokyo croient ce que leurs collègues japonais pensent, mais pourquoi nous empêche-t-on habituellement de lire des traductions directes de travaux écrits par ceux qui remplissent les pages de certains des plus grands journaux sur la terre, publiés au Japon et en Chine ? Pourquoi devons-nous être guidés par une prudente main invisible qui forme le consensus global ?
Parlant couramment espagnol, je réalise à quel point les tendances actuelles en Amérique Latine sont peu représentées dans les publications aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Asie. Mes collègues latinoaméricains se plaignent souvent qu’il est presque impossible de discuter du Président vénézuélien Hugo Chavez ou Président bolivien Evo Morales à Londres ou à New York avec ceux qui ne lisent pas l’espagnol – leurs opinions apparaissent uniformes et bêtement partiales.
Ces jours-ci la gauche est évidemment le thème principal – la question réelle – en Amérique Latine. Pendant que les journalistes britanniques et nord-américains et les écrivains analysent les révolutions latinoaméricaines récentes à la lumière des directives politiques de leurs propres publications, les lecteurs partout dans le monde (à moins qu’ils comprennent l’espagnol) ne savent quasiment rien des opinions de ceux qui sont en ce moment précis entrain d’écrire l’histoire du Venezuela ou de la Bolivie.
Combien de fois est apparu sur les pages de nos publications que Chavez a introduit la démocratie directe, en permettant aux gens d’influencer l’avenir de leur pays par les référendums innombrables pendant que les citoyens de nos « démocraties réelles » doivent se taire et faire ce que l’on leur dit ? On n’a pas permis aux Allemands de voter sur l’unification ; on n’a pas demandé aux Tchèques et aux Slovaques s’ils ont voulu leur « Divorce de Velours » ; les citoyens britanniques, italiens et étasuniens devaient mettre les bottes et marcher en Irak.
Les journaux de langue anglaise sont remplis de reportages sur la Chine sans que des chinois soient autorisés à leur parler. Ils sont aussi remplis de reportages sur le Japon, où des japonais sont cités, mais on ne leur fait pas confiance pour partager leurs articles à propos de leur propre pays – des articles qui seraient écrits par eux du début à la fin.
Jusqu’à maintenant, la langue anglaise est le principal outil de communication dans le monde, mais pas pour toujours. Ses écrivains, journalistes, journaux et maisons d’édition ne facilitent pas la meilleure compréhension entre les nations. Ils échouent totalement à promouvoir la diversité des idées.
Les médias utilisent l’anglais comme un outil au service d’intérêts politiques, économiques, même intellectuels. On force un nombre croissant de locuteurs non- natifs à utiliser l’anglais pour faire partie du seul groupe qui a de l’influence ; le groupe qui importe – le groupe qui lit, comprend et pense dans « le bon » sens. Au top de l’orthographe et de la grammaire, les nouveaux venus dans ce groupe apprennent comment sentir et réagir au monde autour d’eux, de même qu’ils doivent le considérer objectif. Le résultat est l’uniformité et la discipline intellectuelle.
Quand je me réveille au milieu de la nuit, poursuivi par les cauchemars et les images que j’ai, il y a bien longtemps, téléchargées depuis mes appareils photo, je commence à rêver à un meilleur et plus juste arrangement du monde. Mais il y a toujours la même question rampante que je me pose à moi-même : comment y arriver ?
Je pense à toutes les révolutions réussies du passé – toutes ont une condition préalable commune : éducation et information. Pour changer les choses, les gens doivent savoir la vérité. Ils doivent connaître leur passé.
C’est ce qui a été répété à maintes reprises aux citoyens du Chili, d’Argentine et d’Afrique du Sud. Aucun meilleur avenir, aucune réconciliation honnête et juste ne peut être accomplie tant que le passé et le présent ne sont analysés et compris. C’est pour cela que le Chili a réussi et l’Indonésie a échoué. C’est pour cela que l’Afrique du Sud, en dépit de toutes ses complexités et problèmes est sur le chemin pour exorciser ses démons et évoluer vers un avenir bien meilleur.
Mais l’Ouest, l’Europe, les États-Unis et dans une large mesure l’Australie – tous vivent dans la dénégation. Ils n’ont jamais complètement accepté la vérité de la terreur qu’ils ont déversée et déversent encore contre la grande majorité du monde. Ils sont toujours riches : les plus riches, comme ils vivent de la sueur et du sang d’autres. Ils sont encore un empire – un Empire – uni par la culture colonialiste : un tronc et des branches : tout en un.
Il n’y aura jamais de paix sur la terre, une réconciliation réelle, à moins que cette culture de contrôle ne disparaisse. Et la seule voie pour la faire disparaître est de faire face à la réalité, parler et revisiter le passé.
C’est la responsabilité de ceux qui connaissent le monde et comprennent la souffrance de ses gens pour dire la vérité. Peu importe le prix, peu importe combien de privilèges disparaîtront avec chaque phrase honnête (tous nous savons que l’Empire est vindicatif). Pour ne pas dire la vérité au pouvoir (il ne le mérite pas) mais contre le pouvoir. Négliger les institutions existantes des médias à l’université, comme ils ne sont pas la solution, mais font partie du problème, co-responsables de l’état du monde dans lequel nous vivons ! Seule une multitude de voix répétant ce que tout le monde, sauf ceux dans les pays dirigeants, semble savoir ; les voix amalgamées dans « J’accuse », vaincront les erreurs actuelles qui gouvernent le monde. Mais seulement les voix vraiment unies et seulement dans une multitude. Avec détermination et grand courage !
La Page ZSpace d’Andre Vltchek. USA, Le 18 juin 2009.
Traduit de l’anglais pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.
Source: Mondialisation.ca
Quelquefois je suis poursuivi par des cauchemars : je suis en plein milieu d’un camp de réfugiés ravagé par des bombardements, peut-être au Congo (RDC) ou dans un autre pays désespéré à la périphérie de l’intérêt des médias. Les enfants courent autour avec des ventres gonflés, souffrant clairement de malnutrition. Beaucoup de femmes dans le camp ont des ventres gonflés aussi, mais pas à cause d’un acte d’amour, à la suite d’un viol qu’elles ont subi au cours des derniers mois. Il y a un tir d’artillerie venant des collines et les troupes de l’ONU sont impuissantes à l’arrêter.
Quelquefois je me réveille et le rêve est parti. Ou je réussis à le refouler ; à le purger de mon inconscient. Mais quelquefois il reste avec moi pour le reste de la journée. Et souvent ce n’est pas du tout un rêve, mais une réalité. Je me trouve en fait dans les endroits comme Kibati [Congo], faisant face aux yeux désespérés des enfants, aux yeux résignés, rouges et gonflés des femmes, au canon d’un fusil. Il y a des feux à l’horizon et des bruits de tir d’artillerie venant de la brousse. Et au lieu d’un oreiller, je serre l’obturateur de mon Nikon professionnel, ou le tube en métal de mon stylo.
Ce que j’écris et ce que je photographie parait régulièrement dans les pages des journaux et des magazines. Quelquefois une ou deux images font les murs des musées ou des galeries. Mais c’est toujours une lutte, une lutte pour persuader des rédacteurs, des éditeurs, des distributeurs, ou des conservateurs d’accepter au moins un aperçu édulcoré de réalité à montrer au grand public.
L’ère des reporters vaillants et des rédacteurs déterminés semble être terminée. Les correspondants qui ont couvert la guerre du Viêt Nam, qui ont en fait aidé à arrêter la guerre du Viêt Nam, se font plus vieux. Ils écrivent des mémoires et publient des livres, mais ils sont à peine témoins des conflits d’aujourd’hui. Il y a encore certains journalistes courageux et dévoués – Keith Harmon Snow ou John Pilger pour en mentionner juste deux – mais ils sont plus l’exception qui confirme la règle qu’une occurrence commune.
Et les courageuses voix alternatives sont plus nécessaires maintenant qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire récente. Comme le contrôle des entreprises sur les médias devient presque total, presque tous les grands médias servent maintenant l’implantation des intérêts économiques et politiques. Plus ils font, plus ils parlent du besoin de liberté de la presse, d’objectivité et de reportages impartiaux ; ailleurs, pas à la maison.
Pendant que la plupart des média de langue anglaise exerce une répression sans précédent de l’information sur, par exemple, la brutalité de la politique étrangère occidentale en Afrique subsaharienne ou le génocide indonésien en cours en Papouasie Occidentale (deux parties du monde avec d’énormes réserves de matières premières exploitées par les compagnies minières multinationales), les titres des médias des classes dirigeantes aux États-Unis, Royaume-Uni et Australie intensifient leurs attaques contre les points de vues alternatifs venant de Pékin (PRC), Caracas, ou La Havane. La prise de pouvoir la plus forte par les fondamentalistes du marché, la rhétorique la plus antichinoise ou anti-Chavez apparaît sur les chaines des médias occidentaux – chaînes dont la propagande atteint maintenant quasiment chaque coin du globe.
J’ai grandi en Tchécoslovaquie et bien que je ne me souvienne pas des chars soviétiques roulant sur les rues de Prague en 1968, en tant que petit enfant, je me souviens clairement des conséquences – la collaboration, les mensonges et le cynisme du soi-disant « processus de normalisation ». Ce qui me consterne maintenant – étant un citoyen naturalisé des États-Unis – n’est pas tellement que tout ce que je décris ici est entrain en fait d’arriver, mais l’indifférence qui accompagne tous ces événements terribles. Et surtout, que la grande majorité des gens dans le soi-disant « Premier Monde parlant anglais » croit en fait ce qu’ils lisent dans les journaux et ce qu’ils voient sur les écrans de télévision. Les mensonges et la partialité semblent être trop évidents pour être ignorés ! Mais surtout ils existent. En décrivant le lexique du pouvoir occidental, Arundhati Roy a écrit une fois : « Alors maintenant nous savons. Les cochons sont des chevaux. Les filles sont des garçons. La guerre est la paix. » Et nous admettons qu’il en soit ainsi.
D’une certaine façon le contrôle de l’information est beaucoup plus achevé maintenant aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou en Australie que cela le fut au cours des années 1980 en Tchécoslovaquie, Hongrie, ou Pologne. Il n’y a aucune « soif de vérité » – de vues alternatives – pour chaque pamphlet qui ose défier le régime et la langue de bois politique dans les livres et les films. Il n’y a pas une telle soif intellectuelle à Sydney, New York, ou Londres comme c’était courant de voir à Prague, Budapest, ou Varsovie. Les écrivains et les journalistes occidentaux au mieux « écrivent entre les lignes » et les lecteurs n’attendent, ni ne cherchent, de messages cachés.
Tout cela continue sans conteste : propagande et manque de visions alternatives. Il semble que nous ayons oublié comment mettre en question les choses. Il semble que nous ayons accepté la manipulation de notre présent et de notre histoire ; que nous nous retournions même contre ceux rares qui sont encore debout à gauche et défendant le sens commun et la vérité et ce qui peut être vu à l’œil nu, mais qui est nié au nom de la liberté, la démocratie et l’objectivité (les grands mots qui sont maintenant usés au point qu’ils en perdent leur sens). Sommes-nous, à l’Ouest, une fois encore sur le point d’entrer dans une ère où nous montrerons du doigt les dissidents, allons-nous devenir des indics et des collaborateurs ? Nous avons connu beaucoup de périodes comme ça dans notre histoire. Il y a peu de temps – il n’y a pas longtemps du tout !
Entre-temps, pendant que nos intellectuels collaborent avec le pouvoir et sont récompensés pour leurs efforts, des parties entières du monde baignent dans le sang, la famine, ou les deux. La collaboration et le silence parmi ceux qui savent, ou devraient savoir, est maintenant partiellement coupable de l’état actuel du monde.
Le parfait propos politiquement correct est ancré dans l’écriture, les discours, même la psyché de beaucoup de nos penseurs aussi, Dieu l’interdit, ils n’offenseraient pas les gens de pays pauvres (ils peuvent être massacrés et encouragés à s’étriper, mais ils ne devraient pas « être offensés », surtout leurs chefs politiques et religieux corrompus qui servent les intérêts de l’occident et de ses multinationales). Concrètement – les limites du débat permis sur les écrans de TV ou dans les pages de nos journaux ont été définies. Ou on pourrait dire que la droite et les classes dirigeants ont ridiculisé le « politiquement correct » pour défier les limites de discussion, aussi de la diffamation. Si cela convient à l’establishment, cela définit la dictature féodale dans les endroits lointains (aussi longtemps qu’ils servent ses intérêts comme partie prenante de la culture de tel ou tel pays qu’il contrôle ou veut contrôler. Si la religion sert des intérêts géopolitiques de L’Occident (lire : si la religion nous aide à tuer des chefs Progressifs/De gauche et leurs disciples), l’Ouest déclarera son respect profond pour telle religion, même notre soutien, comme l’Angleterre a soutenu le Wahhabism au Moyen-Orient, aussi longtemps qu’il a cru que le Wahhabism réprimerait le conflit pour une société égalitaire et la distribution équitable de ressources minérales.
Pendant que nous sommes occupés à dégommer Cuba pour les violations des droits humains (quelques douzaines de gens en prison, dont beaucoup seraient probablement accusés de terrorisme à l’ouest, puisqu’ils cherchent ouvertement à renverser la constitution et le gouvernement) et la Chine pour le Tibet (glorifier évidemment l’ancien seigneur féodal religieux juste pour contrarier et exclure la Chine est le principal objectif de notre politique étrangère – une approche ouvertement raciste) il y a des millions de victimes de par nos intérêts géopolitiques pourrissant ou déjà enterrées au Congo (DRC) et ailleurs en Afrique sub-Saharienne, en Papouasie Occidentale, au Moyen-Orient et ailleurs.
Notre palmarès des droits de l’homme (si nous considérons tous les êtres humains « humains » et admettons que violer les droits d’un homme, une femme ou un enfant en Afrique, Amérique Latine, Moyen-Orient, Océanie ou Asie est aussi déplorable que le fait de violer des droits de l’homme à Londres, New York, ou Melbourne) est si épouvantable – aujourd’hui comme dans le passé – qu’il n’est pas imaginable que nos citoyens puissent croire encore que nos pays ont un effet de levier moral et devraient être autorisés à arbitrer et à exercer un jugement moral.
Pendant que la propagande post-guerre froide (l’anéantissement de tout qui a été laissé par les mouvements progressistes) ose comparer l’Union Soviétique à l’Allemagne nazie (la même Union Soviétique qui a été sacrifiée par l’Ouest à l’Allemagne nazie ; la même Union Soviétique qui au prix de plus de 20 millions de vies a sauvé le monde du Fascisme), on omet le fait que les premiers camps de concentration n’ont pas été construits par les Russes, mais par l’Empire britannique en Afrique ; et qu’aucun Goulag ne peut égaler les horreurs de la terreur coloniale exercée par les pouvoirs européens entre deux guerres mondiales.
La propagande est si ancrée dans la psyché nationale aux États-Unis et en Europe qu’aucune discussion de cette sorte n’émerge, n’est réclamée, ou simplement permise ou tolérée. Pendant que la révolution soviétique, et plus tard les Goulag, sont utilisés comme une preuve douteuse qu’un système Socialiste ne peut pas vraiment fonctionner (pendant que Staline était clairement paranoïaque, il n’y a eu aucun démenti concernant le complot pour diriger les nazis à l’Est – le fait de sacrifier la Tchécoslovaquie par la France et la Grande-Bretagne à la Conférence de Munich en 1938 était la preuve claire de cela), l’holocauste de l’occident en Afrique (par exemple l’extermination belge de dizaines de millions de Congolais pendant le règne de Roi Leopold I) n’est pas présenté comme la preuve que les monarchies de style occidentale et le fondamentalisme du marché sont essentiellement dangereux et inacceptables pour l’humanité, ayant déjà assassiné des centaines de millions de gens partout dans le monde.
Évidemment tout venait de l’argent et de l’avarice européenne – des matières premières -ce pourquoi des dizaines de millions de gens au Congo ont du mourir il y a cent ans (c’était alors le caoutchouc). Les raisons ne sont pas si différentes que cela maintenant, bien que les meurtres soient principalement exécutés par les forces locales et par l’armée du voisinage et maintenant le fidèle Rwanda pro-étasunien, aussi bien que les mercenaires. Et les raisons ne sont pas très différentes en Papouasie Occidentale, sauf que là le meurtre est exécuté par les troupes indonésiennes défendant les intérêts économiques des élites corrompues de Jakarta aussi bien que les compagnies multinationales occidentales ; ou en Irak.
Et nous ne sommes pas plus indignés. Les citoyens légalistes de nos pays ne jettent pas les ordures dans les rues, attendent au milieu de la nuit docilement un feu vert pour traverser les rues. Mais ils ne s’opposent pas aux massacres exécutés au nom de leurs intérêts économiques. Aussi longtemps que les massacres sont bien emballés par les médias et l’appareil de propagande, aussi longtemps qu’on n’explique pas clairement que le meurtre sert à soutenir le monde des affaires, mais aussi le niveau relativement élevé de la majorité de ceux qui vivent dans les soi-disant « pays développés », aussi longtemps que c’est très officiellement pour les droits de l’homme et la démocratie et la liberté. Une des raisons pour laquelle la propagande officielle est si facilement acceptée, c’est parce qu’elle aide à masser et calmer notre mauvaise conscience.
Les élites intellectuelles et l’université ne sont pas à l’abri d’accepter, recycler et même inventer des mensonges. Au cours des dernières années j’ai été invité à intervenir dans plusieurs universités d’élite du monde parlant anglais – de Melbourne à l’université de Hong-Kong, Columbia et Cornell, Cambridge et Auckland. Je me suis rendu compte que la récusation des thèses existantes ne signifie pas que l’on défend l’intégrité intellectuelle : tout le contraire. Même plus que dans les médias, l’université est profondément hostile à contester des clichés établis. Essayez ouvertement d’être en désaccord avec la thèse selon laquelle l’Indonésie est un état tolérant, faisant un effort de démocratie et qui sait quoi d’autre qui a gagné tant de professeurs en poste et vous serez étiquetés comme un extrémiste, ou comme un provocateur au mieux. Et il sera très difficile d’éviter des insultes ouvertes. Essayez de contester les vues antichinoises monolithiques !
Dans l’université anglo-saxonne, exprimer sa propre opinion est indésirable, presque inacceptable. Pour le faire point, un écrivain ou un orateur doit citer quelqu’un d’autre : « il est dit par M. Green que la terre est ronde. » « Le Professeur Brown a confirmé qu’il pleuvait hier. » Si personne d’autre ne l’a dit auparavant, c’est douteux que cela ait existé. Et l’auteur ou l’orateur sont fortement découragés d’exprimer leur opinion sur une question à coté. En résumé : on s’attend à ce que presque n’importe quel point de vue ou bout d’information soit confirmé par l’ « establishment », ou au moins par une partie de lui. Cela doit passer par la censure informelle.
De longues listes de notes en bas de page ornent maintenant presque n’importe quel livre de non-fiction, de même que les groupes d’universitaires et beaucoup d’auteurs de livres d’essais, au lieu de faire une grande partie de leur propre recherche et travail de terrain, se citent sans relâche et se re-citent. Orwell, Burchett, ou Hemingway trouveraient extrêmement difficile d’évoluer dans un tel environnement.
Les résultats sont souvent grotesques. Deux cas en Asie sont de grands exemples de cette lâcheté et servilité intellectuelles pas seulement du corps diplomatique, mais aussi de la communauté universitaire et journalistique : la Thaïlande et l’Indonésie.
Les clichés créés par les médias anglo-saxons et l’université sont répétés sans relâche par les principaux médias, y compris BBC et CNN et par presque tous les quotidiens influents. Quand nos médias parlent du Cambodge, par exemple, ils oublient rarement de mentionner le génocide « communiste » khmer rouge. Mais on devrait fouiller samizdat pour apprendre que les khmers rouges ont accédé au pouvoir seulement après le violent tapis de bombes des Etats-Unis jeté sur la campagne. Et que quand le Viêt Nam a mis dehors le Khmer Rouge, les Etats-Unis ont demandé aux Nations Unies le « retour immédiat du gouvernement légitime » !
Il y a presque rien dans les éditions en ligne des journaux occidentaux pour dépeindre les horreurs déchainées par l’Ouest contre l’Indochine, l’Indonésie (2 à 3 millions de personnes tuées après que les Etats-Unis aient soutenu le coup d’état qui a porté le général Suharto au pouvoir) et le Timor oriental, pour en mentionner juste quelques-uns.
Je n’ai jamais entendu parler d’aucun homme public à l’Ouest utilisant les médias pour appeler au boycott de quelque chose d’indonésien à cause du meurtre continu des Papous (juste quelques uns ont paru être indignés au cours des années 1970 et 80 par le génocide au Timor oriental). Le Tibet est une affaire différente. La critique de la Chine sur sa politique au Tibet est épique. La critique de la Chine est en général monumentale et disproportionnée.
Chaque fois que la Chine échoue, c’est parce que « elle est toujours Communiste » ; quand elle réussit, « elle n’est plus Communiste ». En tant que lecteur, je veux savoir des chinois si leur pays est Communiste ou non. De ce que j’entends, il l’est encore et, de plus, la grande majorité veut encore que cela le soit.
Mais cela ne suffit pas : on ne peut pas faire confiance à la plus vieille culture importante de la planète pour se décrire elle-même : le travail doit être fait par les interlocuteurs natifs anglais, par les seuls gens choisis ou sélectionnés pour influencer et former l’opinion publique mondiale.
Je veux avoir des nouvelles par mes collègues à Pékin. Je veux qu’ils soient capables de discuter ouvertement avec ceux qui tiennent leur pays responsable (absurdement) de tout, du Soudan à la Birmanie à l’environnement malmené. Combien de reportages avons-nous vu sur BBC world dépeignant des usines chinoises éructant de fumée noire et combien en avons-nous vu sur la pollution créée par les Etats-Unis – encore le plus grand pollueur sur la terre ?
Ou quelles sont les pensées des savants japonais, des écrivains et des journalistes sur la Deuxième Guerre mondiale ? Nous savons tous que les journalistes parlant anglais basés à Tokyo croient ce que leurs collègues japonais pensent, mais pourquoi nous empêche-t-on habituellement de lire des traductions directes de travaux écrits par ceux qui remplissent les pages de certains des plus grands journaux sur la terre, publiés au Japon et en Chine ? Pourquoi devons-nous être guidés par une prudente main invisible qui forme le consensus global ?
Parlant couramment espagnol, je réalise à quel point les tendances actuelles en Amérique Latine sont peu représentées dans les publications aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Asie. Mes collègues latinoaméricains se plaignent souvent qu’il est presque impossible de discuter du Président vénézuélien Hugo Chavez ou Président bolivien Evo Morales à Londres ou à New York avec ceux qui ne lisent pas l’espagnol – leurs opinions apparaissent uniformes et bêtement partiales.
Ces jours-ci la gauche est évidemment le thème principal – la question réelle – en Amérique Latine. Pendant que les journalistes britanniques et nord-américains et les écrivains analysent les révolutions latinoaméricaines récentes à la lumière des directives politiques de leurs propres publications, les lecteurs partout dans le monde (à moins qu’ils comprennent l’espagnol) ne savent quasiment rien des opinions de ceux qui sont en ce moment précis entrain d’écrire l’histoire du Venezuela ou de la Bolivie.
Combien de fois est apparu sur les pages de nos publications que Chavez a introduit la démocratie directe, en permettant aux gens d’influencer l’avenir de leur pays par les référendums innombrables pendant que les citoyens de nos « démocraties réelles » doivent se taire et faire ce que l’on leur dit ? On n’a pas permis aux Allemands de voter sur l’unification ; on n’a pas demandé aux Tchèques et aux Slovaques s’ils ont voulu leur « Divorce de Velours » ; les citoyens britanniques, italiens et étasuniens devaient mettre les bottes et marcher en Irak.
Les journaux de langue anglaise sont remplis de reportages sur la Chine sans que des chinois soient autorisés à leur parler. Ils sont aussi remplis de reportages sur le Japon, où des japonais sont cités, mais on ne leur fait pas confiance pour partager leurs articles à propos de leur propre pays – des articles qui seraient écrits par eux du début à la fin.
Jusqu’à maintenant, la langue anglaise est le principal outil de communication dans le monde, mais pas pour toujours. Ses écrivains, journalistes, journaux et maisons d’édition ne facilitent pas la meilleure compréhension entre les nations. Ils échouent totalement à promouvoir la diversité des idées.
Les médias utilisent l’anglais comme un outil au service d’intérêts politiques, économiques, même intellectuels. On force un nombre croissant de locuteurs non- natifs à utiliser l’anglais pour faire partie du seul groupe qui a de l’influence ; le groupe qui importe – le groupe qui lit, comprend et pense dans « le bon » sens. Au top de l’orthographe et de la grammaire, les nouveaux venus dans ce groupe apprennent comment sentir et réagir au monde autour d’eux, de même qu’ils doivent le considérer objectif. Le résultat est l’uniformité et la discipline intellectuelle.
Quand je me réveille au milieu de la nuit, poursuivi par les cauchemars et les images que j’ai, il y a bien longtemps, téléchargées depuis mes appareils photo, je commence à rêver à un meilleur et plus juste arrangement du monde. Mais il y a toujours la même question rampante que je me pose à moi-même : comment y arriver ?
Je pense à toutes les révolutions réussies du passé – toutes ont une condition préalable commune : éducation et information. Pour changer les choses, les gens doivent savoir la vérité. Ils doivent connaître leur passé.
C’est ce qui a été répété à maintes reprises aux citoyens du Chili, d’Argentine et d’Afrique du Sud. Aucun meilleur avenir, aucune réconciliation honnête et juste ne peut être accomplie tant que le passé et le présent ne sont analysés et compris. C’est pour cela que le Chili a réussi et l’Indonésie a échoué. C’est pour cela que l’Afrique du Sud, en dépit de toutes ses complexités et problèmes est sur le chemin pour exorciser ses démons et évoluer vers un avenir bien meilleur.
Mais l’Ouest, l’Europe, les États-Unis et dans une large mesure l’Australie – tous vivent dans la dénégation. Ils n’ont jamais complètement accepté la vérité de la terreur qu’ils ont déversée et déversent encore contre la grande majorité du monde. Ils sont toujours riches : les plus riches, comme ils vivent de la sueur et du sang d’autres. Ils sont encore un empire – un Empire – uni par la culture colonialiste : un tronc et des branches : tout en un.
Il n’y aura jamais de paix sur la terre, une réconciliation réelle, à moins que cette culture de contrôle ne disparaisse. Et la seule voie pour la faire disparaître est de faire face à la réalité, parler et revisiter le passé.
C’est la responsabilité de ceux qui connaissent le monde et comprennent la souffrance de ses gens pour dire la vérité. Peu importe le prix, peu importe combien de privilèges disparaîtront avec chaque phrase honnête (tous nous savons que l’Empire est vindicatif). Pour ne pas dire la vérité au pouvoir (il ne le mérite pas) mais contre le pouvoir. Négliger les institutions existantes des médias à l’université, comme ils ne sont pas la solution, mais font partie du problème, co-responsables de l’état du monde dans lequel nous vivons ! Seule une multitude de voix répétant ce que tout le monde, sauf ceux dans les pays dirigeants, semble savoir ; les voix amalgamées dans « J’accuse », vaincront les erreurs actuelles qui gouvernent le monde. Mais seulement les voix vraiment unies et seulement dans une multitude. Avec détermination et grand courage !
La Page ZSpace d’Andre Vltchek. USA, Le 18 juin 2009.
Traduit de l’anglais pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.
Source: Mondialisation.ca