Une dent dure contre les centres de santé
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L’Ordre national des chirurgiens-dentistes mène un combat contre les structures de soins dentaires associatives. Les établissements mutualistes et municipaux sont inquiets.
En juin, le Dr. X, chirurgien-dentiste fraîchement diplômé, est engagé comme salarié par un centre de santé associatif, une pratique rare dans une discipline majoritairement libérale. L’Ordre national des chirurgiens-dentistes lui confirme son inscription. Peu de temps après, il reçoit un autre courrier l’informant que le contrat de salariat n’est « déontologiquement acceptable » que dans la mesure où le centre entre dans la catégorie réglementée des services de médecine sociale. L’Ordre rappelle le code de santé publique définissant les principes « traditionnels » de l’art dentaire : libre choix du praticien par le patient, liberté de prescription, mais surtout « entente directe entre patient et chirurgien-dentiste en matière d’honoraires » et « paiement direct des honoraires par le patient au praticien ».
Pour obtenir dérogation, l’Ordre réclame au praticien : statuts de l’association, liste de tous les membres, règlement intérieur, récépissé de déclaration préfectorale, projet de santé de l’établissement, bail, et, pour finir, documents comptables justifiant l’affectation des recettes ! Devant ces exigences disproportionnées, le Dr. X se résout à présenter sa démission du centre…
Ce n’est qu’un des aspects du conflit qui oppose l’Ordre aux centres de santé. Les instances ordinales poursuivent systématiquement devant les tribunaux les structures qui veulent se faire connaître. La publicité est bien interdite, mais l’Ordre va jusqu’à assigner les centres pour la taille des enseignes ! Les conseillers ordinaux ont aussi refusé d’agréer des maîtres de stage exerçant en centres de santé au prétexte que l’étudiant doit faire son stage « chez » un médecin qualifié. Or, dans un centre, le dentiste n’y est pas « chez lui ». L’arrêté a été modifié (« auprès de » a remplacé « chez »), mais l’Ordre l’appliquera en 2016...
Des réunions ont été organisées entre les représentants des syndicats, du Conseil de l’Ordre et de la Fédération des centres de santé. En février, par Claude Evin, directeur de l’Agence régionale de santé, puis en juillet, par le chef du service de l’Offre de soins du ministère de la Santé. Les dirigeants de l’Ordre ont amené leur avocat. Les positions n’ont pas bougé et les contestations continuent d’être soumises aux tribunaux, jusqu’au Conseil d’État.
L’Ordre affirme que la loi de juillet 2009, qui a remplacé l’obligation d’agrément pour les centres par une simple procédure de déclaration, a ouvert la porte aux centres low cost, et menace donc les cabinets libéraux. Pour Richard Lopez, président de la Fédération nationale des centres de santé (et aussi directeur de la santé pour la Ville de Saint-Denis), l’argument est peu crédible : « Les centres représentent une fraction des soins ambulatoires, et leurs patients ne sont pas ceux des cabinets libéraux : des gens qui ne se soignent que grâce aux tarifs opposables et au tiers payant, ou qui relèvent de la CMU…
L’Ordre défend, avec une attitude procédurière, une logique de marché contre le souci d’organisation du système de santé. » Et d’ajouter : « Pour l’instant, ils attaquent surtout les centres associatifs, les plus fragiles. À terme, les centres mutualistes et municipaux sont inquiets. » Une inquiétude légitime dans un département comme la Seine-Saint-Denis, en déficit chronique de dentistes.
Sébastien Banse
En juin, le Dr. X, chirurgien-dentiste fraîchement diplômé, est engagé comme salarié par un centre de santé associatif, une pratique rare dans une discipline majoritairement libérale. L’Ordre national des chirurgiens-dentistes lui confirme son inscription. Peu de temps après, il reçoit un autre courrier l’informant que le contrat de salariat n’est « déontologiquement acceptable » que dans la mesure où le centre entre dans la catégorie réglementée des services de médecine sociale. L’Ordre rappelle le code de santé publique définissant les principes « traditionnels » de l’art dentaire : libre choix du praticien par le patient, liberté de prescription, mais surtout « entente directe entre patient et chirurgien-dentiste en matière d’honoraires » et « paiement direct des honoraires par le patient au praticien ».
Pour obtenir dérogation, l’Ordre réclame au praticien : statuts de l’association, liste de tous les membres, règlement intérieur, récépissé de déclaration préfectorale, projet de santé de l’établissement, bail, et, pour finir, documents comptables justifiant l’affectation des recettes ! Devant ces exigences disproportionnées, le Dr. X se résout à présenter sa démission du centre…
Ce n’est qu’un des aspects du conflit qui oppose l’Ordre aux centres de santé. Les instances ordinales poursuivent systématiquement devant les tribunaux les structures qui veulent se faire connaître. La publicité est bien interdite, mais l’Ordre va jusqu’à assigner les centres pour la taille des enseignes ! Les conseillers ordinaux ont aussi refusé d’agréer des maîtres de stage exerçant en centres de santé au prétexte que l’étudiant doit faire son stage « chez » un médecin qualifié. Or, dans un centre, le dentiste n’y est pas « chez lui ». L’arrêté a été modifié (« auprès de » a remplacé « chez »), mais l’Ordre l’appliquera en 2016...
Des réunions ont été organisées entre les représentants des syndicats, du Conseil de l’Ordre et de la Fédération des centres de santé. En février, par Claude Evin, directeur de l’Agence régionale de santé, puis en juillet, par le chef du service de l’Offre de soins du ministère de la Santé. Les dirigeants de l’Ordre ont amené leur avocat. Les positions n’ont pas bougé et les contestations continuent d’être soumises aux tribunaux, jusqu’au Conseil d’État.
L’Ordre affirme que la loi de juillet 2009, qui a remplacé l’obligation d’agrément pour les centres par une simple procédure de déclaration, a ouvert la porte aux centres low cost, et menace donc les cabinets libéraux. Pour Richard Lopez, président de la Fédération nationale des centres de santé (et aussi directeur de la santé pour la Ville de Saint-Denis), l’argument est peu crédible : « Les centres représentent une fraction des soins ambulatoires, et leurs patients ne sont pas ceux des cabinets libéraux : des gens qui ne se soignent que grâce aux tarifs opposables et au tiers payant, ou qui relèvent de la CMU…
L’Ordre défend, avec une attitude procédurière, une logique de marché contre le souci d’organisation du système de santé. » Et d’ajouter : « Pour l’instant, ils attaquent surtout les centres associatifs, les plus fragiles. À terme, les centres mutualistes et municipaux sont inquiets. » Une inquiétude légitime dans un département comme la Seine-Saint-Denis, en déficit chronique de dentistes.
Sébastien Banse