Grèce. Matraque et bâillon avant de prendre la tête de l’Union
Le pays s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne, le 1er janvier. Mais son gouvernement, dirigé par Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie, droite) et soutenu par les sociaux-démocrates du PASOK, à bout de souffle, organise la répression. Défié dans la rue, il envoie la police contre les manifestants et il a évacué manu militari les salariés de la radio et télévision publiques, en grève depuis juin. Il prévoit aussi d’emprisonner les citoyens qui critiqueraient l’Europe...
Le visage de Zoe Konstantopoulou, la députée de Syriza, écrasé par les MAT, les CRS grecs, contre les grilles d’entrée d’ERT, le groupe de radio et télévision public. Entourée de manifestants, une journaliste présentant son émission de radio, les MAT dans le dos, alignés devant ces mêmes grilles… Ces deux photos ont fait le tour des réseaux sociaux. Elles donnent à voir la situation en Grèce, la répression qui y sévit, la démocratie toujours davantage bâillonnée. Et qu’elles aient été prises par Marios Lolos n’est pas anodin : ce photographe, président du syndicat des photoreporteurs, avait été violemment frappé par les MAT au cours d’une manifestation, le 6 avril 2012, à tel point qu’il avait été hospitalisé pour un traumatisme crânien.
Où va la Grèce désormais ? Alors que le pays prendra pour six mois la présidence de l’Union européenne, le 1er janvier 2014, son gouvernement renie chaque jour un peu plus les principes fondamentaux de la démocratie. Les dernières semaines en témoignent. Il a introduit dans le Code pénal hellène un article (l’article 458) prévoyant jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour des citoyens qui agiraient contre les structures européennes, protesteraient ou exprimeraient leur désaccord. Le 7 novembre, il a envoyé les MAT évacuer manu militari le siège d’ERT, le groupe de radio et télévision public fermé arbitrairement le 11 juin 2013 et occupé depuis par les salariés en grève ; ils ne cessaient, malgré tout, de diffuser des émissions grâce à la solidarité de différents émetteurs. L’avant-veille, le gouvernement avait offert aux grands propriétaires de chaînes privées l’octroi de licences numériques gratuites. Il veut, en fait, récupérer les locaux en vue de la couverture médiatique de la présidence grecque de l’UE.
Bref, il veut reprendre l’information en main… ou la confier aux grands groupes privés. Le gouvernement envoie régulièrement ses sbires mater les manifestations, comme il l’a fait contre les opposants au projet d’exploitation d’une mine d’or dans le Nord. La liberté est attaquée sur tous les plans.
Et pourtant, aucun État membre de l’UE n’a, jusqu’alors, dénoncé les atteintes répétées contre les principes mêmes de la démocratie. Le gouvernement dirigé par Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie, droite), auquel participent les sociaux-démocrates du PASOK, reste en place, continue de participer aux réunions européennes. Tiendra-t-il encore longtemps ? À la contestation de la rue s’adjoint une contestation interne.
À mots couverts, différents députés de ND s’inquiètent de la stratégie appliquée par le premier ministre, visant à mettre un signe égal entre les « extrêmes ».
Le 10 novembre, la motion de censure, déposée par Syriza, le principal parti d’opposition, a certes été rejetée à 153 voix contre et 124 pour, sur 294 députés présents. Les 153 « non » proviennent des rangs gouvernementaux, PASOK et ND. Après avoir révélé son vrai visage et avoir été dans le viseur de la justice et du gouvernement, les députés du parti néonazi Aube dorée ont voté la motion, jouant une tentative de survie alors qu’ils ont accepté la quasi-totalité des lois d’austérité. Les « oui » à la motion proviennent donc de Syriza, des Grecs indépendants (un parti à coloration nationaliste) et du KKE, le PC grec. DIMAR (centre) s’est abstenu. Quant à Theodora Tzakri, la députée du PASOK qui a approuvé la motion, elle a été exclue de son parti. La majorité gouvernementale s’effrite donc peu à peu. Et si la colère populaire peine à s’exprimer dans les rues, dans un pays où 27,6 % de la population sont au chômage et où les salaires ont été considérablement réduits, elle est loin d’être éliminée : ND n’est d’ailleurs plus en tête de différents sondages. Est-ce donc pour mieux se maintenir en place que ce gouvernement manie la matraque et le bâillon ?
Source : L'Humanité Dimanche