jeudi 23 janvier 2014

La France est-elle en guerre contre les Français ? (Comité Valmy)

LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

La France est-elle en guerre contre les Français ?
Citoyens et données personnelles sont placés sous surveillance
Jean-Claude Paye

samedi 18 janvier 2014, par Comité Valmy


La France est-elle en guerre contre les Français ?

Citoyens et données personnelles sont placés sous surveillance

Publié le jeudi 19 décembre 2013
La France se dote d’une loi militaire similaire au Patriot Act américain fusionnant le droit de la guerre et le droit pénal en "prévention de la criminalité". Le pouvoir judiciaire apparaît évincé par l’exécutif et son administration...
Une opinion de Jean-Claude Paye, sociologue.
La dernière loi française de programmation militaire, qui vient d’être adoptée en seconde lecture par le Sénat ce 10 décembre, illustre une évolution du droit occidental qui place l’exception à la place de la norme et pose l’anomie comme base de reconstruction d’un nouvel ordre de droit. Cette mutation enregistre la fin d’une organisation, propre à la forme nationale de l’Etat, basée sur l’articulation de deux systèmes relativement séparés, Etat de droit à l’intérieur du pays et violence pure à l’extérieur.
La loi de programmation militaire sert habituellement à encadrer les budgets des forces militaires de l’Hexagone. Cette année, elle sort du cadre de la défense pour englober la lutte contre le crime. Portant diverses dispositions, concernant à la fois la défense et la sécurité nationale, elle comprend un article 13 qui étend les pouvoirs de surveillance des autorités administratives françaises à "la prévention de la criminalité", fusionnant ainsi droit de la guerre et droit pénal en généralisant la tendance déjà imprimée par la lutte "antiterroriste" à l’ensemble du champ pénal. En visant génériquement la "prévention de la criminalité", ce régime s’appliquera à toutes les infractions. En soumettant les citoyens français à un régime de surveillance autrefois réservé à des agents d’une puissance étrangère, la loi ne sépare plus intérieur et extérieur de la nation et ne distingue plus infraction pénale et gestion de l’hostilité. Ce processus omniprésent n’est pas seulement identifiable à l’intérieur du pays, mais aussi au niveau des conflits internationaux. Les engagements de la France en Libye et en Syrie procèdent à une indifférenciation entre action de guerre et fonction de police. La guerre n’est plus engagée, afin de se défendre ou de procéder à une conquête, mais pour "punir un dictateur".
Afin de procéder à cette fusion du pénal et du militaire, la loi de programmation évince le pouvoir judiciaire et concentre les pouvoirs aux mains de l’exécutif. Non seulement le troisième pouvoir est totalement contourné, mais le seul dispositif de contrôle a posteriori (Commission de contrôle des écoutes et interceptions) relevant de l’exécutif ne pourra émettre qu’une "recommandation" au Premier ministre.
La collecte de données porte sur les numéros de téléphone, les adresses IP, ou les listes de contact de correspondants téléphoniques, ainsi que sur les données de géolocalisation en temps réel. Seulement dans ce dernier cas, l’autorisation préalable du Juge des libertés ou de la CNCIS, l’autorité de contrôle relevant du pouvoir exécutif, reste nécessaire.
Ainsi, l’article 13 de loi donne à l’administration le droit de collecter, en temps réel, sans recours à un juge et même sans autorisation préalable de l’organe administratif de contrôle, des informations sur les utilisateurs de réseaux de communication. Des agents individuellement désignés, relevant des ministères de la Défense, de l’Intérieur, de l’Economie et du Budget, ainsi que des "chargés de mission", peuvent désormais accéder directement aux données. La loi étend également le droit de regard à toutes informations et aux documents stockés par l’hébergeur et plus seulement aux données techniques.
De plus, les administrations vont pouvoir exiger des données pour motifs très larges, notamment ceux prévus à l’article 241-2 du code de la sécurité intérieure, c’est-à-dire concernant : "la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée".
Ainsi, l’article 13 permet la capture en temps réel sur simple demande administrative, sur "sollicitation du réseau", des informations et documents traités dans ceux-ci et non plus seulement les données de connexion des utilisateurs. La collecte directe d’informations se fera non seulement auprès des fournisseurs d’accès (FAI et opérateurs de télécommunication), mais aussi auprès de tous les hébergeurs et fournisseurs de services en ligne. Aucune disposition ne limite le volume des collectes. Celles-ci pourraient passer par l’installation directe de dispositifs de capture de signaux ou de données chez les opérateurs et les hébergeurs. L’inscription des termes "sollicitation du réseau" signifie que les autorités souhaitent donner un cadre juridique à une interconnexion directe. Cette loi rend également permanents des dispositifs qui n’étaient que temporaires. Si cette loi française peut être comparée aux dispositions du Patriot Act américain, on doit alors faire référence au Patriot Act Improvement and Reautorisation Act de 2006 qui rend permanentes les mesures temporaires prises immédiatement après les attentats du 11 septembre 2001.
En opérant un déni de l’extension, à la fois dans l’espace et le temps, des procédures utilisées, les défenseurs de la loi soutiennent que la nouvelle législation ne fait qu’inscrire et rationaliser des dispositifs existants, notamment ceux de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme qui, dans un cadre plus limité, permet des interceptions de données. De manière générale, la concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif et la neutralisation du pouvoir judiciaire sont justifiées au nom d’une interprétation pervertie qui identifie la collecte d’informations par la police et par des agences de renseignements avec la phase d’enquête d’une procédure judiciaire. Autrefois, celle-ci relevait de l’initiative et du contrôle du troisième pouvoir, avant que la notion "d’enquête préliminaire" écorne déjà ce principe en donnant des pouvoirs accrus à la police et au procureur de la République, un magistrat relié directement au pouvoir exécutif.
(*) Dernier ouvrage paru  : l’Emprise de l’image. 
De Guantanamo à Tarnac. Éditions Yves Michel, 2012.