Guillaume Duval: «Pendant que nous admirons ces réformes, les Allemands, eux, cherchent à en sortir»
Par Alexandra Cagnard sur RFI
François Hollande a rencontré mardi, à l’Elysée, Peter Hartz, le père des réformes du marché du travail en Allemagne il y a dix ans. Un chef de l’Etat français qui a perdu son pari d’inverser la courbe du chômage en France fin 2013 et qui est en quête d’une politique susceptible de relancer l’activité et l’emploi. Il a proposé un pacte de responsabilité aux entreprises et voilà que le modèle allemand refait surface. Entretien avec Guillaume Duval, rédacteur en chef du magazine Alternatives Economiques, auteur de Made in Germany : le modèle allemand au-delà des mythes, paru aux éditions du Seuil, en 2013.
RFI : Peter Hartz est le père de la réforme du marché du travail en Allemagne. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’il a fait pour l’économie allemande ?
Guillaume Duval : Peter Hartz était le chef du personnel de Volkswagen. Il a réalisé un rapport qui proposait un certain nombre de réformes sur le marché du travail allemand. Et donc c’est lui qui est à l’origine des quatre lois qui ont suivi en 2003 et en 2004 en Allemagne. Ces lois portaient sur l’introduction de l’intérim qui n’existait pas du tout en Allemagne à ce stade-là, le développement de ce qu’on appelle les « mini-jobs », c’est-à-dire les boulots où les gens gagnent moins de 400 euros par mois et ne sont pas soumis à cotisations sociales, et surtout celle qui a le plus marqué, c’est celle qui a réduit la durée d’indemnisation du chômage et soumis les chômeurs à un régime très strict pour les obliger à prendre du boulot. En gros, c’est ce qu’on appelle la loi « Hartz 4 ».
Des réformes qui ont aussi et surtout permis à l’économie allemande de se redresser…
Absolument pas. Elles ont beaucoup creusé les inégalités en Allemagne, elles ont développé la pauvreté en Allemagne. L’Allemagne, c’est un pays qui a été géré par les conservateurs quasiment tout le temps. Tant qu’il était géré par les conservateurs, il y avait moins de pauvreté et moins d’inégalité qu’en France. Il y en a plus aujourd’hui et surtout ce sont des réformes aussi qui ont affaibli notablement la négociation sociale en Allemagne. Il n’y a plus qu’une grosse moitié des salariés allemands qui sont couverts par des conventions collectives. Et c’est d’ailleurs parce que c’est très embêtant pour les Allemands que quasiment tout ce qui s’est disputé dans le contexte de la dernière élection législative et du nouveau contrat de coalition entre madame Merkel et l’USPD consistait à justement comment revenir sur les réformes Hartz et les inconvénients très graves qu’elles ont causés à la société et à l’économie allemande. C’est pour cela que pendant que nous, on veut copier les réformes Hartz, les Allemands, eux, introduisent un Smic, comme la France, et ils sont en train d’adopter le système qui existe en France, le système d’extension des conventions collectives. Ils sont en train aussi de remettre en cause les « mini-jobs ». Il y a cinq millions de personnes qui gagnent moins de 400 euros par mois et qui n’ont pas cotisé pour la retraite pendant dix ans. C’est une bombe sociale qui est préparée par ces réformes. Donc ils sont en train d’obliger ces gens-là à cotiser maintenant pour les retraites. Donc pendant que nous, on admire ces réformes, c’est le paradoxe, les Allemands cherchent à en sortir.
C’est une bombe sociale, dites-vous, mais pourtant la recette a tout de même fonctionné sur la baisse du chômage…
Les Allemands ont créé depuis vingt-cinq ans deux fois moins d’emplois que la France. Et même depuis 1999, ils en ont créé moins, mais c’est vrai que sur la dernière période, il y a eu plus d’emplois créés en Allemagne qu’en France. Simplement il y a moins de chômage, parce que l’Allemagne c’est un pays qui est en déclin démographique, c’est un pays qui a perdu 400 000 habitants depuis le début des années 2 000. La France est un pays qui en a gagné 4,9 millions. C’est vrai que ça ne facilite pas les choses.
Sur quel point, la France aurait intérêt à se tourner vers l’Allemagne, à prendre modèle de l’Allemagne ?
Il y a beaucoup de choses intéressantes en Allemagne, mais ce ne sont pas les réformes Hartz. C’est en particulier la gouvernance d’entreprise. Ce qui fait que ça marche bien du point de vue industriel en Allemagne, c’est notamment que les comités d’entreprise en Allemagne ne sont pas consultés pour avis. Ils ont un droit de veto sur beaucoup de décisions managériales importantes. Et d’autre part dans les conseils d’administration des grandes entreprises allemandes, vous avez une moitié de représentants des salariés à côté d’une moitié de représentants des actionnaires. C’est pour cela que les entreprises allemandes ont des politiques « longtermistes » et ne cèdent pas simplement à la dictature du profit pour le prochain trimestre. Les patrons allemands sont obligés de négocier avec leurs salariés et c’est pour cela que c’est solide.
Peter Hartz, nommé conseiller auprès de François Hollande, comme on l’a vu dans la presse. Bien évidemment, vous n’y croyez absolument pas ?
Non. François Hollande a rencontré Peter Hartz et il est certain que les réformes Schröder animent le débat public en France et y compris au plus haut niveau. Mais non, c’est une information qui a été démentie par l’Elysée, je ne pense pas que ça se passe comme ça. Et il n’y a pas besoin que ça se passe comme ça d’ailleurs même y compris pour copier ces réformes.
Politiquement, qu’est-ce que pourrait engendrer un rapprochement profond avec les méthodes allemandes ? On l’a entendu ce mercredi matin sur notre antenne, Thierry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, parle d’un Hollande dans « les jupons de Merkel ». Qu’en pensez-vous ?
Le rapprochement avec l’Allemagne est fait depuis 2012, depuis l’élection. Simplement le problème, c’est que c’est une dynamique qui risque d’emmener l’ensemble de la zone euro dans la déflation, puisque le gouvernement allemand maintient sa politique qui veut que les autres pays d’Europe aient des politiques très restrictives sans que l’Allemagne elle-même desserre vraiment sa ceinture et relance sa consommation intérieure. C’est ce qui a causé déjà la récession de 2013 dans la zone euro. C’est ce qui empêche de sortir réellement de la récession avec une croissance suffisante pour recréer des emplois. Donc le gros risque, c’est que la zone euro s’enfonce maintenant dans la déflation, une période qui peut être très longue, ça a duré vingt ans au Japon avant qu’il commence tout juste maintenant à s’en sortir. Mais le problème, c’est qu’on aura sans doute pas vingt ans sur le plan politique, ça risque de péter beaucoup plus vite que ça sur le plan social et politique. On risque de le voir notamment au niveau des élections européennes avec les scores qui sont annoncés pour l’extrême droite, non seulement en France, mais aussi dans le reste de l’Europe.
Source: RFI
Guillaume Duval : Peter Hartz était le chef du personnel de Volkswagen. Il a réalisé un rapport qui proposait un certain nombre de réformes sur le marché du travail allemand. Et donc c’est lui qui est à l’origine des quatre lois qui ont suivi en 2003 et en 2004 en Allemagne. Ces lois portaient sur l’introduction de l’intérim qui n’existait pas du tout en Allemagne à ce stade-là, le développement de ce qu’on appelle les « mini-jobs », c’est-à-dire les boulots où les gens gagnent moins de 400 euros par mois et ne sont pas soumis à cotisations sociales, et surtout celle qui a le plus marqué, c’est celle qui a réduit la durée d’indemnisation du chômage et soumis les chômeurs à un régime très strict pour les obliger à prendre du boulot. En gros, c’est ce qu’on appelle la loi « Hartz 4 ».
Des réformes qui ont aussi et surtout permis à l’économie allemande de se redresser…
Absolument pas. Elles ont beaucoup creusé les inégalités en Allemagne, elles ont développé la pauvreté en Allemagne. L’Allemagne, c’est un pays qui a été géré par les conservateurs quasiment tout le temps. Tant qu’il était géré par les conservateurs, il y avait moins de pauvreté et moins d’inégalité qu’en France. Il y en a plus aujourd’hui et surtout ce sont des réformes aussi qui ont affaibli notablement la négociation sociale en Allemagne. Il n’y a plus qu’une grosse moitié des salariés allemands qui sont couverts par des conventions collectives. Et c’est d’ailleurs parce que c’est très embêtant pour les Allemands que quasiment tout ce qui s’est disputé dans le contexte de la dernière élection législative et du nouveau contrat de coalition entre madame Merkel et l’USPD consistait à justement comment revenir sur les réformes Hartz et les inconvénients très graves qu’elles ont causés à la société et à l’économie allemande. C’est pour cela que pendant que nous, on veut copier les réformes Hartz, les Allemands, eux, introduisent un Smic, comme la France, et ils sont en train d’adopter le système qui existe en France, le système d’extension des conventions collectives. Ils sont en train aussi de remettre en cause les « mini-jobs ». Il y a cinq millions de personnes qui gagnent moins de 400 euros par mois et qui n’ont pas cotisé pour la retraite pendant dix ans. C’est une bombe sociale qui est préparée par ces réformes. Donc ils sont en train d’obliger ces gens-là à cotiser maintenant pour les retraites. Donc pendant que nous, on admire ces réformes, c’est le paradoxe, les Allemands cherchent à en sortir.
C’est une bombe sociale, dites-vous, mais pourtant la recette a tout de même fonctionné sur la baisse du chômage…
Les Allemands ont créé depuis vingt-cinq ans deux fois moins d’emplois que la France. Et même depuis 1999, ils en ont créé moins, mais c’est vrai que sur la dernière période, il y a eu plus d’emplois créés en Allemagne qu’en France. Simplement il y a moins de chômage, parce que l’Allemagne c’est un pays qui est en déclin démographique, c’est un pays qui a perdu 400 000 habitants depuis le début des années 2 000. La France est un pays qui en a gagné 4,9 millions. C’est vrai que ça ne facilite pas les choses.
Sur quel point, la France aurait intérêt à se tourner vers l’Allemagne, à prendre modèle de l’Allemagne ?
Il y a beaucoup de choses intéressantes en Allemagne, mais ce ne sont pas les réformes Hartz. C’est en particulier la gouvernance d’entreprise. Ce qui fait que ça marche bien du point de vue industriel en Allemagne, c’est notamment que les comités d’entreprise en Allemagne ne sont pas consultés pour avis. Ils ont un droit de veto sur beaucoup de décisions managériales importantes. Et d’autre part dans les conseils d’administration des grandes entreprises allemandes, vous avez une moitié de représentants des salariés à côté d’une moitié de représentants des actionnaires. C’est pour cela que les entreprises allemandes ont des politiques « longtermistes » et ne cèdent pas simplement à la dictature du profit pour le prochain trimestre. Les patrons allemands sont obligés de négocier avec leurs salariés et c’est pour cela que c’est solide.
Peter Hartz, nommé conseiller auprès de François Hollande, comme on l’a vu dans la presse. Bien évidemment, vous n’y croyez absolument pas ?
Non. François Hollande a rencontré Peter Hartz et il est certain que les réformes Schröder animent le débat public en France et y compris au plus haut niveau. Mais non, c’est une information qui a été démentie par l’Elysée, je ne pense pas que ça se passe comme ça. Et il n’y a pas besoin que ça se passe comme ça d’ailleurs même y compris pour copier ces réformes.
Politiquement, qu’est-ce que pourrait engendrer un rapprochement profond avec les méthodes allemandes ? On l’a entendu ce mercredi matin sur notre antenne, Thierry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, parle d’un Hollande dans « les jupons de Merkel ». Qu’en pensez-vous ?
Le rapprochement avec l’Allemagne est fait depuis 2012, depuis l’élection. Simplement le problème, c’est que c’est une dynamique qui risque d’emmener l’ensemble de la zone euro dans la déflation, puisque le gouvernement allemand maintient sa politique qui veut que les autres pays d’Europe aient des politiques très restrictives sans que l’Allemagne elle-même desserre vraiment sa ceinture et relance sa consommation intérieure. C’est ce qui a causé déjà la récession de 2013 dans la zone euro. C’est ce qui empêche de sortir réellement de la récession avec une croissance suffisante pour recréer des emplois. Donc le gros risque, c’est que la zone euro s’enfonce maintenant dans la déflation, une période qui peut être très longue, ça a duré vingt ans au Japon avant qu’il commence tout juste maintenant à s’en sortir. Mais le problème, c’est qu’on aura sans doute pas vingt ans sur le plan politique, ça risque de péter beaucoup plus vite que ça sur le plan social et politique. On risque de le voir notamment au niveau des élections européennes avec les scores qui sont annoncés pour l’extrême droite, non seulement en France, mais aussi dans le reste de l’Europe.
Source: RFI