La ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que de leur nom même, les latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille.
Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux, et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images brillantes. »