Le péché originel de l’euro
Par Michel Santi sur son site
La débâcle n’était que trop prévisible, du fait de l’absence de tout contrôle sur leur taux d’intérêt comme sur leur monnaie. Dans ces conditions, comment les diverses économies nationales des membres de l’euro auraient-elles pu ne pas diverger ? Quel aurait été le levier qui aurait permis d’y harmoniser la consommation et l’activité économique ? Et que faire pour éviter les écarts – souvent massifs – de compétitivité qui devaient par la suite –et qui ne pouvaient – être corrigés qu’à force de sacrifices ?
Il était certes tout à fait possible de mettre en place une politique budgétaire et fiscale contre-cyclique qui aurait eu pour effet de lisser ces différences, et de combler les fossés qui régnaient entre Nord et Sud, entre « coeur » et périphérie. Éventualité balayée d’un revers de main, tout à la fois par ignorance des mécanismes macro-économiques, mais également du fait d’un esprit moralisateur exigeant de remettre sur le droit chemin les nations inconséquentes du Sud…ayant pourtant largement contribué à la prospérité du Nord et de ses banques à l’orée du siècle.
C’est de ce refus obstiné d’utiliser certains instruments à disposition, et c’est de ce mépris de faire appel à cette politique (qui aurait présenté le défaut d’éviter d’infliger une bonne « correction » aux cigales) que découle l’obsession des déficits et les politiques d’austérité ayant ravagé l’Union européenne. Pas tout à fait, en fait, puisque la liquéfaction européenne est née – en même temps que le lancement de l’euro – tout bonnement du « chacun pour soi » induit par un Pacte de Stabilité qui autorisait les nations à regarder dans des directions différentes. L’honneur n’était-il effectivement pas sauf tant que les fameux critères étaient respectés ?
Le lancement de la monnaie unique fut donc le point de départ de la formation de déséquilibres et d’écarts de compétitivité désastreux entre nations, ou blocs de nations, membres. Autant de graines de discorde, de bulles spéculatives en gestation et de dysfonctionnements qu’il aurait été aisé de réduire ou de réguler par l’entremise d’une politique budgétaire et fiscale commune, harmonieuse et coordonnée. Ce n’est donc pas les excès des nations européennes périphériques, ni leur mauvaise gestion, qui ont engendré écarts de compétitivité, déséquilibres et déficits par la suite stigmatisés par le Nord. Non, car ce tout premier choc asymétrique ayant percuté violemment l’euro et ses pays membres est la sécrétion naturelle de la création de l’euro. En tout cas de cet euro-là !
Le cauchemar européen est ainsi – et en tout premier lieu – le fiasco d’une politique monétaire parfaitement inadaptée. La création de l’euro ne fut-elle en effet pas immédiatement précédée – et suivie – d’une baisse généralisée des taux d’intérêt et de financement des pays périphériques ? L’aujourd’hui tristement fameuse – et déraisonnable – convergence ne put, de fait, avoir lieu en douceur qu’à la faveur d’une perception aberrante des marchés financiers, qui considérèrent que le risque afférent aux nations du Sud ne différait pas notablement de celui de l’Allemagne. Dès lors, les liquidités affluèrent en direction de ces nations, qui bénéficièrent de facto d’une politique monétaire largement expansionniste. Conditions monétaires qui furent d’autant plus déstabilisantes que ces pays – qui avaient consenti des privations pour remettre leur maison en ordre comme condition à leur intégration – furent graduellement inondés de liquidités selon une amplitude diamétralement opposée, voire inversement proportionnelle, aux conditions ayant régné avant leur intégration dans l’euro.
La réponse des divers gouvernements en charge de ces nouveaux eldorados financiers fut globalement inadaptée puisque, selon les travaux de l’O.C.D.E., la contrainte fiscale y fut à peine plus lourde entre les années 2000 à 2007. Voire plus laxiste dans des pays, comme la Grèce, qui se « lâchèrent » donc à tous les niveaux, c’est-à-dire tant du point de vue de la politique monétaire hyper expansionniste que de la politique fiscale nationale qui devait revenir à ses déficiences d’avant son intégration. Il est donc fondamental de dresser un constat troublant : à savoir que nombre de pays d’Europe périphérique auraient de toute manière été aujourd’hui en récession, avec ou sans crise de l’euro. Le péché originel de l’Union européenne étant précisément et nommément ce Pacte de Stabilité qui, contre toute attente, a éclipsé la discipline fiscale ! Effectivement, en focalisant leurs attentions et leurs efforts à le respecter – ou à tenter de s’en approcher –, les gouvernements successifs sont passés à côté de politiques contre-cycliques précieuses. En axant leur politique sur la seule lutte contre les déficits publics afin de satisfaire au Pacte. En se focalisant sur leurs seuls comptes publics, excédentaires pour nombre de ces nations du Sud. Leurs dirigeants ont ainsi omis de faire usage du levier fiscal censé modérer les enthousiasmes, calmer les ardeurs spéculatives et contrôler l’envolée de la consommation.
Du reste, pourquoi ces États auraient-ils mis en place de telles politiques, qui se seraient traduites par un tassement de leur croissance, alors même que leurs ratios dettes/ P.I.B. ne faisaient que s’améliorer entre 2000 et 2007 ? Après tout, du fait même de ce Pacte de Stabilité qu’ils respectaient, nulle pression ne s’exerçait sur eux dans le sens d’une mise en place de mesures menant à une contraction de leur économie. Ce Pacte a donc brouillé la vision et le jugement de nos autorités qui ne juraient plus que par ces critères, et qui jaugèrent l’ensemble des données et des statistiques de leurs économies nationales respectives au prisme de ce Pacte. À l’exclusion de tout esprit critique, de toute analyse qualitative, comme de toute anticipation macroéconomique élémentaire.
Pour autant, ce sont sensiblement les mêmes erreurs qui sont réitérées aujourd’hui. En concentrant leurs tirs sur les seuls déficits de ces pays, les autorités européennes (et l’Allemagne) pensent se payer le luxe d’éviter toute politique fiscale contre-cyclique, dont l’objectif et dont les effets seraient de relancer la croissance. Tandis que le levier de la fiscalité avait été négligé afin de modérer des économies en surchauffe à l’occasion du lancement de l’euro, ce même levier est aujourd’hui encore ignoré, alors même qu’il serait à même de neutraliser la récession. Comme il n’est pas dans les attributions de la Banque centrale européenne de plaider en faveur de telle ou de telle mesure fiscale dans tel ou dans tel pays. L’idéal serait donc que l’Union européenne soit également une union fiscale où les citoyens d’un pays membre à forte croissance paient des impôts qui iraient aux citoyens de pays à la croissance molle. Comme de tels mécanismes automatiques sont aujourd’hui impossibles à mettre en place pour des raisons essentiellement politiques, les membres de l’Union n’ont donc aucun autre choix, si ce n’est celui de mesures fiscales contre-cycliques afin d’éviter à l’Union et à ses citoyens des crises récurrentes.
Ce péché originel de l’euro a donc conduit les responsables politiques et économiques des divers pays membres de l’Union à focaliser leurs attentions sur le quantitatif, c’est-à-dire sur ces fameux critères qui étaient précisément respectés dans nombre de nations périphériques. En effet, pourquoi se lancer dans une analyse qualitative dès lors que les comptes sont excédentaires ? Et pourquoi se creuser les méninges à faire un travail de discernement macro-économique si le sacro-saint Pacte est respecté ? Dans le cas de l’Espagne ou de l’Irlande, il aurait pourtant été basique de reconnaître que les excédents budgétaires dont ces deux pays jouissaient étaient quasi obligatoires en période de boom immobilier. En mettant l’accent sur l’orthodoxie budgétaire, le Pacte a donc forcé à regarder dans la mauvaise direction et à analyser les mauvais indicateurs. En fait, les architectes du Pacte de Stabilité et de croissance n’ont fait qu’envoyer de mauvais signaux.
Source: Michel Santi
La débâcle n’était que trop prévisible, du fait de l’absence de tout contrôle sur leur taux d’intérêt comme sur leur monnaie. Dans ces conditions, comment les diverses économies nationales des membres de l’euro auraient-elles pu ne pas diverger ? Quel aurait été le levier qui aurait permis d’y harmoniser la consommation et l’activité économique ? Et que faire pour éviter les écarts – souvent massifs – de compétitivité qui devaient par la suite –et qui ne pouvaient – être corrigés qu’à force de sacrifices ?
Il était certes tout à fait possible de mettre en place une politique budgétaire et fiscale contre-cyclique qui aurait eu pour effet de lisser ces différences, et de combler les fossés qui régnaient entre Nord et Sud, entre « coeur » et périphérie. Éventualité balayée d’un revers de main, tout à la fois par ignorance des mécanismes macro-économiques, mais également du fait d’un esprit moralisateur exigeant de remettre sur le droit chemin les nations inconséquentes du Sud…ayant pourtant largement contribué à la prospérité du Nord et de ses banques à l’orée du siècle.
C’est de ce refus obstiné d’utiliser certains instruments à disposition, et c’est de ce mépris de faire appel à cette politique (qui aurait présenté le défaut d’éviter d’infliger une bonne « correction » aux cigales) que découle l’obsession des déficits et les politiques d’austérité ayant ravagé l’Union européenne. Pas tout à fait, en fait, puisque la liquéfaction européenne est née – en même temps que le lancement de l’euro – tout bonnement du « chacun pour soi » induit par un Pacte de Stabilité qui autorisait les nations à regarder dans des directions différentes. L’honneur n’était-il effectivement pas sauf tant que les fameux critères étaient respectés ?
Le lancement de la monnaie unique fut donc le point de départ de la formation de déséquilibres et d’écarts de compétitivité désastreux entre nations, ou blocs de nations, membres. Autant de graines de discorde, de bulles spéculatives en gestation et de dysfonctionnements qu’il aurait été aisé de réduire ou de réguler par l’entremise d’une politique budgétaire et fiscale commune, harmonieuse et coordonnée. Ce n’est donc pas les excès des nations européennes périphériques, ni leur mauvaise gestion, qui ont engendré écarts de compétitivité, déséquilibres et déficits par la suite stigmatisés par le Nord. Non, car ce tout premier choc asymétrique ayant percuté violemment l’euro et ses pays membres est la sécrétion naturelle de la création de l’euro. En tout cas de cet euro-là !
Le cauchemar européen est ainsi – et en tout premier lieu – le fiasco d’une politique monétaire parfaitement inadaptée. La création de l’euro ne fut-elle en effet pas immédiatement précédée – et suivie – d’une baisse généralisée des taux d’intérêt et de financement des pays périphériques ? L’aujourd’hui tristement fameuse – et déraisonnable – convergence ne put, de fait, avoir lieu en douceur qu’à la faveur d’une perception aberrante des marchés financiers, qui considérèrent que le risque afférent aux nations du Sud ne différait pas notablement de celui de l’Allemagne. Dès lors, les liquidités affluèrent en direction de ces nations, qui bénéficièrent de facto d’une politique monétaire largement expansionniste. Conditions monétaires qui furent d’autant plus déstabilisantes que ces pays – qui avaient consenti des privations pour remettre leur maison en ordre comme condition à leur intégration – furent graduellement inondés de liquidités selon une amplitude diamétralement opposée, voire inversement proportionnelle, aux conditions ayant régné avant leur intégration dans l’euro.
La réponse des divers gouvernements en charge de ces nouveaux eldorados financiers fut globalement inadaptée puisque, selon les travaux de l’O.C.D.E., la contrainte fiscale y fut à peine plus lourde entre les années 2000 à 2007. Voire plus laxiste dans des pays, comme la Grèce, qui se « lâchèrent » donc à tous les niveaux, c’est-à-dire tant du point de vue de la politique monétaire hyper expansionniste que de la politique fiscale nationale qui devait revenir à ses déficiences d’avant son intégration. Il est donc fondamental de dresser un constat troublant : à savoir que nombre de pays d’Europe périphérique auraient de toute manière été aujourd’hui en récession, avec ou sans crise de l’euro. Le péché originel de l’Union européenne étant précisément et nommément ce Pacte de Stabilité qui, contre toute attente, a éclipsé la discipline fiscale ! Effectivement, en focalisant leurs attentions et leurs efforts à le respecter – ou à tenter de s’en approcher –, les gouvernements successifs sont passés à côté de politiques contre-cycliques précieuses. En axant leur politique sur la seule lutte contre les déficits publics afin de satisfaire au Pacte. En se focalisant sur leurs seuls comptes publics, excédentaires pour nombre de ces nations du Sud. Leurs dirigeants ont ainsi omis de faire usage du levier fiscal censé modérer les enthousiasmes, calmer les ardeurs spéculatives et contrôler l’envolée de la consommation.
Du reste, pourquoi ces États auraient-ils mis en place de telles politiques, qui se seraient traduites par un tassement de leur croissance, alors même que leurs ratios dettes/ P.I.B. ne faisaient que s’améliorer entre 2000 et 2007 ? Après tout, du fait même de ce Pacte de Stabilité qu’ils respectaient, nulle pression ne s’exerçait sur eux dans le sens d’une mise en place de mesures menant à une contraction de leur économie. Ce Pacte a donc brouillé la vision et le jugement de nos autorités qui ne juraient plus que par ces critères, et qui jaugèrent l’ensemble des données et des statistiques de leurs économies nationales respectives au prisme de ce Pacte. À l’exclusion de tout esprit critique, de toute analyse qualitative, comme de toute anticipation macroéconomique élémentaire.
Pour autant, ce sont sensiblement les mêmes erreurs qui sont réitérées aujourd’hui. En concentrant leurs tirs sur les seuls déficits de ces pays, les autorités européennes (et l’Allemagne) pensent se payer le luxe d’éviter toute politique fiscale contre-cyclique, dont l’objectif et dont les effets seraient de relancer la croissance. Tandis que le levier de la fiscalité avait été négligé afin de modérer des économies en surchauffe à l’occasion du lancement de l’euro, ce même levier est aujourd’hui encore ignoré, alors même qu’il serait à même de neutraliser la récession. Comme il n’est pas dans les attributions de la Banque centrale européenne de plaider en faveur de telle ou de telle mesure fiscale dans tel ou dans tel pays. L’idéal serait donc que l’Union européenne soit également une union fiscale où les citoyens d’un pays membre à forte croissance paient des impôts qui iraient aux citoyens de pays à la croissance molle. Comme de tels mécanismes automatiques sont aujourd’hui impossibles à mettre en place pour des raisons essentiellement politiques, les membres de l’Union n’ont donc aucun autre choix, si ce n’est celui de mesures fiscales contre-cycliques afin d’éviter à l’Union et à ses citoyens des crises récurrentes.
Ce péché originel de l’euro a donc conduit les responsables politiques et économiques des divers pays membres de l’Union à focaliser leurs attentions sur le quantitatif, c’est-à-dire sur ces fameux critères qui étaient précisément respectés dans nombre de nations périphériques. En effet, pourquoi se lancer dans une analyse qualitative dès lors que les comptes sont excédentaires ? Et pourquoi se creuser les méninges à faire un travail de discernement macro-économique si le sacro-saint Pacte est respecté ? Dans le cas de l’Espagne ou de l’Irlande, il aurait pourtant été basique de reconnaître que les excédents budgétaires dont ces deux pays jouissaient étaient quasi obligatoires en période de boom immobilier. En mettant l’accent sur l’orthodoxie budgétaire, le Pacte a donc forcé à regarder dans la mauvaise direction et à analyser les mauvais indicateurs. En fait, les architectes du Pacte de Stabilité et de croissance n’ont fait qu’envoyer de mauvais signaux.
Source: Michel Santi