Indignés
Mouvement contre l’austérité et la corruption : vers un nouveau printemps espagnol ?
Plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté contre l’austérité et le remboursement d’une dette jugée « odieuse », à Madrid le 22 mars. Trois ans après le « mouvement des indignés », collectifs citoyens, syndicats et partis de gauche ont réussi à s’unir pour « le droit à une vie digne pour tous ». La mobilisation réussira-t-elle à dépasser les dissensions et les nombreuses défiances vis-à-vis des organisations traditionnelles ? Une grève générale se prépare pour avril.
C’est une mobilisation sans précédent dans l’histoire de la démocratie espagnole. Près de deux millions de personnes, selon les organisateurs – 50 000 d’après les chiffres officiels... – ont convergé le 22 mars sur Madrid pour une « Marches pour la Dignité ». Objectif : reprendre le flambeau du formidable élan contestataire, le mouvement des « indignés », né le 15 mai 2011 sur la Puerta del Sol madrilène et tenter de contrer la politique d’austérité menée par le gouvernement conservateur.
Les trois années qui séparent la naissance du 15-M de celle du 22-M ont montré les limites d’un mouvement citoyen dont l’énergie transformatrice s’est épuisée dans des assemblées interminables et dont l’horizontalité intégrale a conduit à l’atomisation des luttes (voir notre analyse). « Le 22 M est une avancée manifeste par rapport à un 15-M qui n’a jamais proposé d’alternative clairement définie au gouvernement actuel », explique l’économiste d’origine argentine Jorge Fonseca, professeur à l’Université autonome de Madrid et membre du comité scientifique de l’association altermondialiste Attac.
L’économiste n’y va pas de main morte : « Avec cette formidable mobilisation, le 22-M donne un bon coup au foie de tous ces technocrates et collaborateurs des gouvernements espagnol et européen qui violent les droits de l’homme ». Il fait notamment allusion aux dernières réformes législatives du gouvernement du Parti populaire, la droite espagnole, qui creusent le fossé des inégalités et répriment toujours plus les libertés et les droits fondamentaux, pourtant inscrits dans la Constitution.
Un projet réforme de la loi du travail prévoit d’abaisser les indemnités de licenciement. En parallèle, la Justice voit son champs d’actions limité par une restriction des conditions dans lesquelles un juge espagnol peut enquêter sur des délits commis hors du territoire national. Des scandales de corruption ont récemment marqué la vie politique, comme l’affaire « Barcenas », du nom de l’ancien trésorier du Parti populaire (PP), soupçonné de fraude fiscale, corruption et blanchiment d’argent. Ou encore l’arnaque aux petits épargnants du conglomérat bancaire Bankia (lire ici) par la vente de produits financiers toxiques, vente qui a bénéficié à ses anciens dirigeants et membres du PP. Si l’on ajoute l’augmentation de taxes, comme la TVA ou les cotisations sociales, exigée par l’Union européenne pour juguler le déficit, les espagnols se sentent de plus en plus roulés dans la farine par un gouvernement, entaché par la corruption.
« Il faut maintenir cette unité coûte que coûte pour parvenir à nos objectifs », prévient Ginès Fernández, du Front civique. Cela ne se fera pas sans difficultés. Dès le 23 mars, les manifestants à peine rentrés chez eux, les premières dissensions n’ont pas tardé à apparaître... En particulier sur le financement des syndicats, un sujet également épineux en France. Les syndicalistes alternatifs considèrent que vivre de subventions n’est jamais gratuit. Les deux syndicats majoritaires – et subventionnés par l’État –, la confédération syndicale CCOO et l’UGT (chacun revendique près d’un million de membres) n’ont pas été invités à participer aux marches. « Les gens ont fini par se rendre compte que ces deux grands syndicats ne font pas partie de la solution mais qu’ils contribuent au problème. Je ne fais pas là allusion à la base, aux militants, mais plutôt aux dirigeants [Ignacio Fernández Toxo, secrétaire général de la CCOO et Cándido Méndez, secrétaire général de UGT] qui tout au long de ces dernières années ont signé la reddition des travailleurs dans toutes les luttes auxquelles ils ont participé », remarque l’artiste engagé Willie Toledo.
Les médias ont aussi été accusés d’imposer un « black-out » sur le mouvement et de ne pas rendre compte des violences policières qui ont marqué la fin de la manifestation. Une journaliste de El Mundo, qui a souhaité garder l’anonymat, confirme qu’il existe bel et bien « un intérêt, de la part du ministère de l’Intérieur, à ce que sa version des faits soit en priorité connue des médias ». « Cela fait partie du jeu. Les grands médias servent de canal de communication au gouvernement qui, en échange, leur donne des scoops dont ils dépendent. Il faudra donc être attentif aux prochaines unes... », dit-elle.
Les jeunes, en particulier, réclament des mesures concrètes et soupirent discrètement pendant que leurs aînés empoignent le micro pour se lancer dans de longues diatribes messianiques... « Il faut renforcer les contacts avec les collectifs sociaux qui existent déjà dans toutes les régions et concrétiser des projets avec eux, sinon nous n’arriverons à rien », râle un autre étudiant. 19 des 20 manifestants arrêtés le 22 mars lors des affrontements avec la police ont été libérés grâce à une manifestation devant les tribunaux. Une première victoire. Une grève générale est en préparation pour la fin du mois d’avril.
Nathalie Pédestarres, à Madrid
Photo : source
Un mouvement social contre l’austérité
L’initiative, en préparation depuis six mois, vient d’une alliance improbable : celle de syndicats, de mouvements sociaux, de collectifs spontanés, et de partis politiques. Chacun s’était jusqu’alors tenu à une distance respectable les uns des autres. « Cette union d’organisations aussi diverses dans leurs doctrines, leurs pratiques et leurs stratégies représente un moment historique dans l’histoire de la démocratie espagnole ! », s’enthousiasme Ginès Fernández du Front civique (Frente Cívico), un collectif d’inspiration marxiste, créé récemment par l’ancien secrétaire général du PC espagnol, Julio Anguita. L’objectif de ces centaines de milliers de personnes ? Refuser de payer la dette « odieuse » de l’Espagne, de subir une coupe budgétaire de plus, de se laisser gouverner par la « troïka » (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international) et garantir à chaque citoyen les droits fondamentaux de subsistance, de travail et d’accès à un logement digne.Les trois années qui séparent la naissance du 15-M de celle du 22-M ont montré les limites d’un mouvement citoyen dont l’énergie transformatrice s’est épuisée dans des assemblées interminables et dont l’horizontalité intégrale a conduit à l’atomisation des luttes (voir notre analyse). « Le 22 M est une avancée manifeste par rapport à un 15-M qui n’a jamais proposé d’alternative clairement définie au gouvernement actuel », explique l’économiste d’origine argentine Jorge Fonseca, professeur à l’Université autonome de Madrid et membre du comité scientifique de l’association altermondialiste Attac.
L’économiste n’y va pas de main morte : « Avec cette formidable mobilisation, le 22-M donne un bon coup au foie de tous ces technocrates et collaborateurs des gouvernements espagnol et européen qui violent les droits de l’homme ». Il fait notamment allusion aux dernières réformes législatives du gouvernement du Parti populaire, la droite espagnole, qui creusent le fossé des inégalités et répriment toujours plus les libertés et les droits fondamentaux, pourtant inscrits dans la Constitution.
Privatisation, répression, corruption
Outre la privatisation rampante des services publics dans la gestion de l’eau, l’éducation et la santé, le gouvernement souhaite un durcissement de la loi sur l’avortement, n’autorisant l’interruption de grossesse qu’en cas de viol ou de danger pour la santé de la mère. Côté répression, les nouvelles lois de « Sécurité citoyenne » (sic) imposent des amendes exorbitantes aux manifestations « non autorisées par les autorités municipales ». Celles relatives à la protection des débiteurs hypothécaires n’introduisent pas la dation en paiement – le fait de se libérer d’une dette par une prestation ou un bien différent de celui qui était initialement dû – comme le réclamaient les plateformes citoyennes de défense des personnes expulsées de leurs logements (lire notre article : Les Indignés espagnols se battent contre l’endettement à vie).Un projet réforme de la loi du travail prévoit d’abaisser les indemnités de licenciement. En parallèle, la Justice voit son champs d’actions limité par une restriction des conditions dans lesquelles un juge espagnol peut enquêter sur des délits commis hors du territoire national. Des scandales de corruption ont récemment marqué la vie politique, comme l’affaire « Barcenas », du nom de l’ancien trésorier du Parti populaire (PP), soupçonné de fraude fiscale, corruption et blanchiment d’argent. Ou encore l’arnaque aux petits épargnants du conglomérat bancaire Bankia (lire ici) par la vente de produits financiers toxiques, vente qui a bénéficié à ses anciens dirigeants et membres du PP. Si l’on ajoute l’augmentation de taxes, comme la TVA ou les cotisations sociales, exigée par l’Union européenne pour juguler le déficit, les espagnols se sentent de plus en plus roulés dans la farine par un gouvernement, entaché par la corruption.
La difficile union des syndicats
Cette situation a décidé plusieurs syndicats de monter au créneau, comme le Syndicat andalou des travailleurs (SAT), incarné par son dirigeant charismatique Diego Cañamero et dont plus de 400 militants encourent des peines de prison et des amendes extrêmement lourdes, notamment pour des occupations de terres [1]. C’est sous l’impulsion de Diego Cañamero, que de nombreux syndicats minoritaires se sont ralliés aux marches pour la dignité.« Il faut maintenir cette unité coûte que coûte pour parvenir à nos objectifs », prévient Ginès Fernández, du Front civique. Cela ne se fera pas sans difficultés. Dès le 23 mars, les manifestants à peine rentrés chez eux, les premières dissensions n’ont pas tardé à apparaître... En particulier sur le financement des syndicats, un sujet également épineux en France. Les syndicalistes alternatifs considèrent que vivre de subventions n’est jamais gratuit. Les deux syndicats majoritaires – et subventionnés par l’État –, la confédération syndicale CCOO et l’UGT (chacun revendique près d’un million de membres) n’ont pas été invités à participer aux marches. « Les gens ont fini par se rendre compte que ces deux grands syndicats ne font pas partie de la solution mais qu’ils contribuent au problème. Je ne fais pas là allusion à la base, aux militants, mais plutôt aux dirigeants [Ignacio Fernández Toxo, secrétaire général de la CCOO et Cándido Méndez, secrétaire général de UGT] qui tout au long de ces dernières années ont signé la reddition des travailleurs dans toutes les luttes auxquelles ils ont participé », remarque l’artiste engagé Willie Toledo.
Défiance vis-à-vis des partis de gauche et des médias
La défiance vis-à-vis des formations politiques, y compris de la gauche radicale, est encore grande. Le Parti socialiste espagnol (PSOE), au pouvoir jusqu’en 2011, n’a bien évidemment pas été invité à la marche. Au sein même des participants, des syndicats alternatifs, des collectifs non partisans et des plateformes citoyennes reprochent au SAT (également subventionné par l’État) et à la Gauche unie (Izquierda Unida), sorte de Front de gauche espagnol, de « voler la vedette » aux dépens du travail commun. Lors de la marche, aucun candidat n’était autorisé à prendre la parole pour éviter tout « racolage » électoral.Les médias ont aussi été accusés d’imposer un « black-out » sur le mouvement et de ne pas rendre compte des violences policières qui ont marqué la fin de la manifestation. Une journaliste de El Mundo, qui a souhaité garder l’anonymat, confirme qu’il existe bel et bien « un intérêt, de la part du ministère de l’Intérieur, à ce que sa version des faits soit en priorité connue des médias ». « Cela fait partie du jeu. Les grands médias servent de canal de communication au gouvernement qui, en échange, leur donne des scoops dont ils dépendent. Il faudra donc être attentif aux prochaines unes... », dit-elle.
« Nous avons assez perdu de temps »
Malgré ces obstacles, le mouvement social est relancé. Depuis le samedi 22 mars, les campements et les manifestations se succèdent, à Madrid, devant différents ministères, en dépit de la présence policière et de la désinformation. Celle ci est d’ailleurs contournée grâce au renouveau de médias alternatifs (Diagonal, Publico...) et des réseaux sociaux. Des assemblées populaires se sont tenues sur la Puerta del Sol et sur le parvis du Musée Reina Sofia mais cette fois pour réclamer du concret : « Nous avons assez perdu de temps à nous organiser, maintenant il faut traduire les luttes politiquement ! », s’exclame un étudiant en droit.Les jeunes, en particulier, réclament des mesures concrètes et soupirent discrètement pendant que leurs aînés empoignent le micro pour se lancer dans de longues diatribes messianiques... « Il faut renforcer les contacts avec les collectifs sociaux qui existent déjà dans toutes les régions et concrétiser des projets avec eux, sinon nous n’arriverons à rien », râle un autre étudiant. 19 des 20 manifestants arrêtés le 22 mars lors des affrontements avec la police ont été libérés grâce à une manifestation devant les tribunaux. Une première victoire. Une grève générale est en préparation pour la fin du mois d’avril.
Nathalie Pédestarres, à Madrid
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