Remaniement
« Garder le cap » des marchés financiers ou reconstruire une gauche en perpétuel chantier ?
Une débâcle électorale, des éditorialistes qui appellent à « garder le cap » de l’austérité, la nomination de Manuel Valls à Matignon, une gauche perplexe et trop dispersée pour peser… Et les droites extrêmes qui montent, qui montent. Entre « garder le cap » des marchés financiers, voter pour la xénophobie ou reconstruire une gauche en perpétuel chantier, que choisir ? Jusqu’où nous emmènera cet attentisme infernal ?
Dessins : Rodho pour Basta !
« La défaite est, en réalité, une déroute, sans précédent ou presque depuis un demi-siècle. » Telle est l’analyse que tire Le Monde du résultat des élections municipales. La gauche – principalement le PS – a perdu 151 villes de plus de 10 000 habitants, et l’extrême droite en conquiert onze. On ne peut donc que partager ce constat. Les élans vites oubliés du « changement c’est maintenant » se sont traduits en bérézina. La débâcle annoncée dès le 1er tour n’a pas ému les électeurs qui avaient voté pour la gauche en 2008 et 2012. Avec un record de 36,3% d’abstention, ils ne se sont pas davantage mobilisés au second pour sauver le « socialisme municipal », y compris dans plusieurs bastions historiques, de Dunkerque à Limoges en passant par Bobigny. A ce niveau-là, ce n’est plus de l’« impatience » que les électeurs ont exprimée, comme le croit le ministre du Travail Michel Sapin, c’est une gigantesque raclée.
Rassurer les marchés financiers
Mais les conclusions du principal quotidien français sont pour le moins étonnantes : « Le chef de l’État ne saurait (…) changer de cap ou de calendrier sans mettre en péril ce qui lui reste de crédit à Bruxelles, sur les marchés financiers et, au bout du compte, dans le pays. »Première surprise : les intérêts des marchés financiers et ceux du pays – et donc de sa population – pourraient donc se concilier ! Un petit tour aux Etats-Unis, en Grèce ou en Espagne, ou, plus près, à Gandrange, Florange ou Géménos s’avère peut-être nécessaire.
Quant au « cap » évoqué, ce sont le « pacte de responsabilité » – 30 milliards de baisse de cotisations sociales pour les entreprises, sans contrepartie claire – et le « programme de désendettement et d’économies budgétaires » – comprenez : les mesures d’austérité, à hauteur de 50 milliards. Un cap dont personne, une fois qu’il sera franchi, ne sait où il mène. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons de la profonde défiance. Des efforts, oui, mais pour quoi faire ensuite ? Pour les éditorialistes du Monde, comme d’ailleurs de Libération et du Nouvel Observateur, qui tous appellent à « garder le cap », cette question triviale est hors sujet. L’argent pour les entreprises et l’austérité pour les citoyens constituent autant de courageuses politiques auxquelles, « au bout du compte », le pays fera crédit à François Hollande et à son nouveau Premier ministre.
Ne pas écouter la gauche
On aurait pu ajouter la révolutionnaire réforme bancaire ou l’alléchant accord commercial que l’Union européenne, donc le gouvernement français, et les États-Unis sont en train de négocier dans un ahurissant silence médiatique hexagonal. Sans oublier les « nouvelles menaces » climatiques (auxquelles Le Monde consacre un article) : le gouvernement s’est-il empressé d’y répondre en mettant en œuvre un ambitieux programme de transition énergétique et de transformation écologique, et créateur d’emplois de surcroît ? Chacun a la réponse.
Les éditorialistes de la « presse de gauche » ont donc exhorté François Hollande à ne pas écouter le Front de gauche, les écologistes et la gauche du PS. Ceux-ci souhaitent au contraire limiter l’austérité aveugle, ces coupes budgétaires qui concernent aussi bien de réelles gabegies que des investissements en matière de santé, d’éducation ou de vie associative, veulent en plus imposer des contreparties précises aux allègements et aides publiques dont pourraient bénéficier les entreprises, ou – pire ! – osent proposer des mesures pour encadrer la finance qui, n’en déplaise au naïf édito du Monde, porte une légère responsabilité dans la crise.
Alternatives en ordre dispersé
Cet appel à « garder le cap » a bien été entendu : Manuel Valls a Matignon n’augure pas d’une quelconque rupture avec le social-néolibéralisme appliqué depuis deux ans. A la décharge de François Hollande, il est vrai que sa gauche est difficilement audible. Elle s’exprime et apparaît en ordre dispersé, parfois avec le PS, parfois sans, critique le gouvernement tout en y participant, s’oppose tout en s’abstenant à l’Assemblée nationale, se débat entre de multiples courants. Cela fait désordre. Alors qu’en face, le FN avance méthodiquement, prônant le repli sur soi, la peur de l’autre, du migrant qui arrive à l’euro frappé de l’aigle allemand, en passant par l’ouvrier chinois.
Au contraire, la gauche de François Hollande n’a pas réglé nombre de contradictions et d’ambiguïtés, toutes susceptibles de laisser perplexe l’électeur le plus enthousiaste. Comment prôner la sobriété écologique sans basculer dans l’austérité économique et sociale ? Comment sortir du productivisme destructeur (de la santé des salariés et de la planète) sans fabriquer de nouveaux chômeurs ? Comment augmenter les salaires sans favoriser la consommation de masse ? Comment articuler planification à long terme et liberté d’entreprendre ? Comment relocaliser l’économie sans nuire au développement des pays émergents, et de leurs populations ? Pour ne citer que quelques exemples.
Cette dispersion risque bien de ne pas s’arranger d’ici les élections européennes (une liste EELV, une liste du Front de gauche, une liste Nouvelle donne...). Et ces questions mettront du temps à trouver des réponses concrètes et cohérentes en matière de politiques à mener, de cap à fixer. Le problème, c’est qu’avec l’aggravation des inégalités, et la poussée des droites extrêmes partout en Europe, le temps manque. Pour avancer, la multiplication d’expérimentations alternatives, souvent en dehors du champ politique traditionnel, ou les « laboratoires » municipaux qui s’installent à Grenoble (150 000 hab.) ou Montreuil (100 000 hab.), après la victoire d’une liste commune aux écologistes et au Front de gauche, seront très utiles.
Ivan du Roy
« La défaite est, en réalité, une déroute, sans précédent ou presque depuis un demi-siècle. » Telle est l’analyse que tire Le Monde du résultat des élections municipales. La gauche – principalement le PS – a perdu 151 villes de plus de 10 000 habitants, et l’extrême droite en conquiert onze. On ne peut donc que partager ce constat. Les élans vites oubliés du « changement c’est maintenant » se sont traduits en bérézina. La débâcle annoncée dès le 1er tour n’a pas ému les électeurs qui avaient voté pour la gauche en 2008 et 2012. Avec un record de 36,3% d’abstention, ils ne se sont pas davantage mobilisés au second pour sauver le « socialisme municipal », y compris dans plusieurs bastions historiques, de Dunkerque à Limoges en passant par Bobigny. A ce niveau-là, ce n’est plus de l’« impatience » que les électeurs ont exprimée, comme le croit le ministre du Travail Michel Sapin, c’est une gigantesque raclée.
Rassurer les marchés financiers
Mais les conclusions du principal quotidien français sont pour le moins étonnantes : « Le chef de l’État ne saurait (…) changer de cap ou de calendrier sans mettre en péril ce qui lui reste de crédit à Bruxelles, sur les marchés financiers et, au bout du compte, dans le pays. »Première surprise : les intérêts des marchés financiers et ceux du pays – et donc de sa population – pourraient donc se concilier ! Un petit tour aux Etats-Unis, en Grèce ou en Espagne, ou, plus près, à Gandrange, Florange ou Géménos s’avère peut-être nécessaire.
Quant au « cap » évoqué, ce sont le « pacte de responsabilité » – 30 milliards de baisse de cotisations sociales pour les entreprises, sans contrepartie claire – et le « programme de désendettement et d’économies budgétaires » – comprenez : les mesures d’austérité, à hauteur de 50 milliards. Un cap dont personne, une fois qu’il sera franchi, ne sait où il mène. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons de la profonde défiance. Des efforts, oui, mais pour quoi faire ensuite ? Pour les éditorialistes du Monde, comme d’ailleurs de Libération et du Nouvel Observateur, qui tous appellent à « garder le cap », cette question triviale est hors sujet. L’argent pour les entreprises et l’austérité pour les citoyens constituent autant de courageuses politiques auxquelles, « au bout du compte », le pays fera crédit à François Hollande et à son nouveau Premier ministre.
Ne pas écouter la gauche
On aurait pu ajouter la révolutionnaire réforme bancaire ou l’alléchant accord commercial que l’Union européenne, donc le gouvernement français, et les États-Unis sont en train de négocier dans un ahurissant silence médiatique hexagonal. Sans oublier les « nouvelles menaces » climatiques (auxquelles Le Monde consacre un article) : le gouvernement s’est-il empressé d’y répondre en mettant en œuvre un ambitieux programme de transition énergétique et de transformation écologique, et créateur d’emplois de surcroît ? Chacun a la réponse.
Les éditorialistes de la « presse de gauche » ont donc exhorté François Hollande à ne pas écouter le Front de gauche, les écologistes et la gauche du PS. Ceux-ci souhaitent au contraire limiter l’austérité aveugle, ces coupes budgétaires qui concernent aussi bien de réelles gabegies que des investissements en matière de santé, d’éducation ou de vie associative, veulent en plus imposer des contreparties précises aux allègements et aides publiques dont pourraient bénéficier les entreprises, ou – pire ! – osent proposer des mesures pour encadrer la finance qui, n’en déplaise au naïf édito du Monde, porte une légère responsabilité dans la crise.
Alternatives en ordre dispersé
Cet appel à « garder le cap » a bien été entendu : Manuel Valls a Matignon n’augure pas d’une quelconque rupture avec le social-néolibéralisme appliqué depuis deux ans. A la décharge de François Hollande, il est vrai que sa gauche est difficilement audible. Elle s’exprime et apparaît en ordre dispersé, parfois avec le PS, parfois sans, critique le gouvernement tout en y participant, s’oppose tout en s’abstenant à l’Assemblée nationale, se débat entre de multiples courants. Cela fait désordre. Alors qu’en face, le FN avance méthodiquement, prônant le repli sur soi, la peur de l’autre, du migrant qui arrive à l’euro frappé de l’aigle allemand, en passant par l’ouvrier chinois.
Au contraire, la gauche de François Hollande n’a pas réglé nombre de contradictions et d’ambiguïtés, toutes susceptibles de laisser perplexe l’électeur le plus enthousiaste. Comment prôner la sobriété écologique sans basculer dans l’austérité économique et sociale ? Comment sortir du productivisme destructeur (de la santé des salariés et de la planète) sans fabriquer de nouveaux chômeurs ? Comment augmenter les salaires sans favoriser la consommation de masse ? Comment articuler planification à long terme et liberté d’entreprendre ? Comment relocaliser l’économie sans nuire au développement des pays émergents, et de leurs populations ? Pour ne citer que quelques exemples.
Cette dispersion risque bien de ne pas s’arranger d’ici les élections européennes (une liste EELV, une liste du Front de gauche, une liste Nouvelle donne...). Et ces questions mettront du temps à trouver des réponses concrètes et cohérentes en matière de politiques à mener, de cap à fixer. Le problème, c’est qu’avec l’aggravation des inégalités, et la poussée des droites extrêmes partout en Europe, le temps manque. Pour avancer, la multiplication d’expérimentations alternatives, souvent en dehors du champ politique traditionnel, ou les « laboratoires » municipaux qui s’installent à Grenoble (150 000 hab.) ou Montreuil (100 000 hab.), après la victoire d’une liste commune aux écologistes et au Front de gauche, seront très utiles.
Ivan du Roy