Le Trésor américain fait face à une redoutable proie avec la Russie, le plus grand producteur mondial d’énergie avec une économie de 2000 Md$, de grands scientifiques et un arsenal nucléaire de première frappeLes États Unis ont construit une bombe financière à neutrons. Au cours des 12 dernières années, une équipe d’élite au sein du Trésor Américain a mis au point les outils d’une guerre économique, élaborant des plans pour mettre presque n’importe quel pays à ses pieds, sans avoir à tirer une seule balle.
La stratégie repose sur un contrôle hégémonique du système bancaire mondial, renforcé par un réseau d’alliés avec l’accord contraint des états neutres récalcitrants. Appelons cela le projet Manhattan du début du 21e siècle.
« C’est un nouveau genre de guerre, comme une insurrection financière rampante, qui a pour but d’enserrer le système financier vital, de nos ennemis, ce système est sans précédent dans sa portée et son efficacité », dixit Juan Zarate, agent de la Maison Blanche et du Trésor qui a participé à l’élaboration de la politique adoptée après le 11 septembre 2001.
« Le nouveau jeu géo-économique est probablement plus efficace et subtil que la compétition géo-politique passée mais il n’est pas moins brutal et destructeur » écrit-il dans son livre « La guerre menée par le Trésor : la libération d’une nouvelle ère de guerre économique ».
Gardez cela à l’esprit dans le même temps où Washington resserre l’étau sur la Russie de Vladimir Poutine, fermant lentement l’accès au marché pour les banques russes, les entreprises et autres entités d’états avec 714 milliards de dettes en dollars (donnée de Sberbank).
L’arme furtive est un « chapitre écarlate », inscrit dans la section 311 du Patriot Act. Une fois qu’une banque est marquée dans le collimateur – accusée de blanchissement d’argent ou de participer indirectement à des activités terroristes, une accusation suffisamment large – cette arme devient radioactive, prise dans « l’étreinte mortelle du boa constrictor », comme M. Zarate le dit.
Cela peut être une peine de mort, même si le prêteur n’a pas d’activités aux US. Les banques européennes n’osent pas défier les régulateurs américains. Ils coupent toute relation avec la victime.
C’est ce que les chinois ont fait, comme cela a été le cas en 2005, lorsque les US ont accusé Banco Delta Asia (BDA) à Macao de servir de vecteur au piratage commercial venu de la Corée du Nord. La Chine leur a retiré son soutien. BDA s’est effondrée en deux semaines. La Chine a aussi renseigné Washington lorsque M. Poutine a proposé une attaque coordonnée avec la Chine contre les actions de Fannie Mae et Freddie Mac en 2008, avec le but de précipiter la chute du dollar.
M. Zarate m’a dit que les US peuvent « faire cavalier seul » avec des sanctions si nécessaire. Donc, cela les importe peu que l’UE traîne ses pieds jusqu’en Ukraine, choisissant le plus petit dénominateur commun entre la Bulgarie, Chypre, la Hongrie et le Luxembourg pour les garder dans leur alliance. Washington a le pouvoir de leur dicter la marche à suivre.
Ce nouvel arsenal a dans un premier temps était employé contre l’Ukraine en décembre 2002. Leurs banques furent accusées de blanchir de l’argent provenant des milieux du crime organisé russe. Kiev a rapidement capitulé.
Nairu, la Birmanie, la Chypre du Nord, la Biélorussie et Latvia sont tombés un par un, tous forcés de se plier aux exigences des US. La Corée du Nord était à l’époque paralysée.
Le gros lot jusqu’à ce jour a été l’Iran, finalement acculé. Une guerre cachée est en cours, à l’échelle mondiale la plus large. « C’est un type de guerre où l’ennemi pense qu’il peut défaire la nation iranienne », a déclaré le président Mahmoud Ahmadinejad devant le Majlis iranien (Ndt : équivalent iranien du parlement). Il l’affirmait avec défiance. En réalité c’était une bonne prédiction.
Le Trésor US chasse une proie beaucoup plus grosse avec la Russie, le plus gros producteur d’énergie avec une économie de 2 000 milliards de dollars, de grands scientifiques et un arsenal nucléaire de premier rang. La Russie s’est aussi liée étroitement aux économies Allemandes et celles de l’Europe de l’Est. Les US risquent également de mettre à mal leurs propres alliances s’ils malmènent leurs alliés européens. C’est à peu près la même situation dans laquelle se trouvait l’Angleterre de la moitié du 19e siècle avec sa suprématie navale, grâce au transport d’esclaves maritimes présumé, dans le monde entier, sous tous les drapeaux, elle dépassait toutes les autres flottes.
Le Président Poutine sait exactement ce que le gouvernement US peut faire avec ses armes financières. La Russie était dans la confidence pendant que les deux pays étaient « alliés » pour un temps dans le combat contre le terrorisme Jihadiste. M. Poutine désigna le loyal Viktor Zubkov – ancien premier ministre – pour conduire les négociations avec le Trésor US.
M. Zarate a déclaré que la Maison Blanche sous Obama avait attendu trop longtemps pour réussir une frappe efficace (Ndt : contre la Russie), s’accrochant à l’idée que Poutine s’arrêterait pour de bon de vouloir remettre en cause l’ordre mondial.
« Ils devraient retirer les gants. Plus ils attendent, plus ils devront être brutal » a t-il déclaré.
Cela devrait être une montée en pression progressive, conduisant à l’application du chapitre écarlate aux banques russes qui ont aidé le régime syrien.
Il pense qu’il pourrait déjà être trop tard pour empêcher que l’Ukraine de l’Est échappe à tout contrôle, mais qu’il n’est pas trop tard pour que la Russie paie un prix élevé. « Si le Trésor US dit que trois banques russes sont « des entreprises de blanchiment d’argent de premier ordre », pensez-vous que UBS ou Standard Chartered (Ndt : banque anglaise) conserveront quelques liens avec ces dernières ? »
Cette logique engendrera une escalade de sanctions, contre les entreprises russes de la défense, les exportateurs de minerais et d’énergie – essayant de pas trop fragiliser les intérêts de BP en Russie, ajoute t-il avec tact – le point culminant étant la prise en étau de Gazprom, mais tout ceci devrait échouer au bout du compte.
Que vous soyez pour ou contre de tels actes, ne vous faites pas d’illusions sur ce que cela signifie. Nous vivrions dans un monde différent, et le S&P 500 de Wall Street ne devrait plus du tout valoir ses 1 850 points.
C’est vrai que la Russie n’a plus la puissance qu’elle avait autrefois, comme vous pouvez le voir sur graphiques de Sberbank illustrant la taille de l’économie russe par rapport à la Chine et à l’Europe.
Ce n’est pas une redite de la guerre froide. Il n’y a aucune équivalence plausible entre la Russie et l’Ouest, pas plus que d’opposition idéologique de fond.
La Russie avait 470 milliards de dollars de réserves de devises étrangères mais elles sont déjà tombées à 35 milliards de dollars depuis que la crise a commencé, étant donné que la banque centrale se bat contre la fuite des capitaux et défend le rouble. Moscou ne peut pas utiliser ses réserves sans que sa masse monétaire s’effondre, aggravant une récession qui a très probablement déjà commencée. Le ministre des finances Anton Siluanov a déclaré que la croissance pourrait être de zéro cette année. La banque mondiale redoute une contraction de 1,8% du PIB alors que la banque Danske prévoit que la contraction puisse atteindre 4%.
Poutine ne peut pas compter sur des alliés solides pour le soutenir à travers cette crise. Seuls le Vénézuela, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, le Belarusse, la Corée du Nord, la Syrie, le Zimbabwe et l’Arménie font corps derrière M. Poutine aux Nations Unis dans l’affaire de la Crimée.
Pourtant, comme le dit le proverbe : « La Russie n’est jamais aussi forte qu’elle ne le paraît mais elle n’est jamais aussi faible qu’elle ne le semble ».
Le Professeur Harold James y voit des échos de certains événements datant d’avant la première guerre mondiale lorsque les Anglais et la France imaginaient qu’ils pouvaient utiliser une guerre financière pour contrôler la puissance allemande.
Il affirme que les fortes interconnexions du monde prouvent que cela ne peut pas être contenu. Les sanctions mises en œuvre font courir le risque de réactions en chaîne qui pourraient égaler la crise de 2008. « Lehman était une petite institution comparée aux banques autrichiennes, françaises et allemandes qui sont très exposées au système financier russe. Un gel des avoirs financiers russes pourrait être catastrophique pour les marchés financiers européens, et en réalité pour le système financier mondial » a t-il écrit dans le cadre du « Project Syndicate ».
Le Chancelier George Osborne doit être au courant à l’heure qu’il est des plans secrets des US. Peut-être que c’est la raison pour laquelle il a lancé une alerte depuis Washington la semaine dernière, avertissant les banquiers de la City qu’ils devaient se préparer aux retombées des sanctions. La City est précieuse, déclara t-il, « mais cela ne signifie pas que ses intérêts passeront devant la sécurité nationale et les intérêts du pays ».
Le plus grand risque est sûrement une réponse « asymétrique » du Kremlin.
Les experts en cyber-guerre russes comptent parmi les meilleurs, et ils ont eu leur propre galop d’essai avec l’Estonie en 2007. L’origine du Cyber Shutdown d’un des systèmes de gestion de l’eau de l’Illinois a été identifié comme provenant de Russie en 2011. Nous ne savons pas si la sécurité nationale des US peut contrer une attaque à grande échelle du type « déni de service » sur le système de gestion de l’électricité, des systèmes de gestion de l’eau, du contrôle du trafic aérien, sur le New York Stock Exchange ou encore sur Washington.
« Si nous étions dans une cyber guerre aujourd’hui, les US devraient perdre. Nous sommes les plus dépendant et les plus vulnérables, » déclara le Chef de l’espionnage US Mike McConnell en 2010.
Le secrétaire de la défense Léon Panetta a averti d’un cyber Pearl Harbor en 2012. « Ils peuvent condamner temporairement le système de gestion de l’électricité dans une grande partie des US. Ils peuvent faire dérailler des trains avec des passagers ou pire encore, des trains chargés de cargaisons chimiques mortelles, » déclarait-il. Est-ce une exagération caricaturale pour obtenir plus de fonds de la part du Congrès ? Nous le saurons peut-être un jour …
Les sanctions sont aussi vieilles que la nuit des temps. Voici quelques leçons salutaires. Périclès essaya d’intimider la cité de Mégara en 432 avant JC en bloquant les accès au marché de l’empire athénien. Il initia les guerres du Péloponnèse, amenant l’infanterie des hoplites de Sparte à s’abattre sur Athènes. Le système économique de la Grèce fut laissé en ruine, à la merci de la Perse. C’était un goût de l’asymétrie.
Source : The Telegraph, 16/04/2014