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Ce que révèle la vague actuelle de fusions-acquisitions
Posted By Philippe Béchade On 29 avr 2014 @ 12:00 In Article,Philippe Béchade
▪ Avec l’offre de 10 milliards de dollars faite par General Electric sur Alstom, les analystes se focalisent sur le "trésor de guerre" de 2 000 milliards de dollars (cela fait plein de zéros !) des entreprises américaines. Il est douillettement cantonné hors des frontières de la mère-patrie… et surtout hors de portée des appétits du fisc américain — lequel taxe les profits à 35%, ce qui est tout à fait comparable à ce qui se pratique en France mais s’avère légèrement supérieur au taux appliqué par l’Allemagne.
Avec 2 000 milliards de dollars, les entreprises américaines peuvent s’offrir la totalité des valeurs du CAC 40 (1 200 milliards d’euros ou 1 600 milliards de dollars) plus les 80 autres composantes du 120 (paiement cash de rigueur…).
Bien sûr, on ne peut qu’être saisi de vertige devant une telle richesse des multinationales américaines alors que la croissance mondiale est loin de générer des montagnes de profits comme sur la période 2004/2007.
Difficile d’écarter l’hypothèse qu’une partie de l’argent de la Fed a effectivement été capté sous forme de réserves de liquidités — lesquelles ne sont que marginalement converties en investissements productifs… et beaucoup en rachats de leurs propres titres (450 milliards de dollars en 2013).
La vague de fusions et méga-fusions (l’offre de Pfizer dévoilée hier valorise AstraZeneca 100 milliards de dollars) tend à démontrer que la stratégie consiste bien à accroître le périmètre par croissance externe faute d’opportunités et de conjoncture porteuse pour doper la croissance organique.
Autrement dit, les fusions transnationales Publicis/Omnicom, Lafarge/Holcim, Peugeot/Dongfeng, Alstom/General Electric (peut-être Siemens récupérera-t-il au passage une activité délaissée par GE) ont une vocation "défensive". Je peux même ajouter une motivation fiscale évidente puisque ces rachats vont s’accompagner d’un déplacement du siège social de France vers des cieux plus cléments (Suisse, Royaume-Uni, Luxembourg pour Arcelor…) en termes d’imposition sur les sociétés.
▪ Pourquoi de telles opérations ?
En ce qui concerne les moratoires sur les licenciements (General Electric s’engagerait à ne licencier personne), il ne faut pas être naïf et s’imaginer qu’aucun emploi ne sera perdu dans l’opération. Les entreprises américaines sont parfaitement rodées en matière "d’incitation au départ volontaire" (avec indemnités de départ généreuses pour échapper à la requalification de licenciement déguisé).
Ce genre de pratique peut apparaître coûteux — et c’est bien le cas. Cependant, les charges afférentes sont déductibles et les actionnaires plébiscitent les licenciements boursiers s’ils sont créateurs de valeur. Dans le cas d’Alstom, cela tombe sous le sens puisqu’il s’agit de restaurer la rentabilité des activités Energie dans les délais les plus brefs (via des économies d’échelles et des délocalisations de production).
Pourquoi en si peu de temps voit-on autant d’entreprises françaises passer sous pavillon "transnational" ?
La réponse est double.
D’abord parce que les "prédateurs" sont sommés de faire quelque chose de leur excès de liquidités. Un rapatriement vers le pays d’origine étant souvent trop coûteux fiscalement, il s’avère difficile de le redistribuer directement aux actionnaires, alors la solution de la croissance externe s’impose presque naturellement (et hop, envolés les bénéfices taxables)… Cela même si l’expérience nous enseigne que les méga-fusions sont rarement créatrices de valeur.
Ensuite parce que comme le souligne avec pertinence l’économiste Elie Cohen, la France n’a pas la culture des grands conglomérats technologiques comme les Allemands, les Coréens ou les Japonais.
▪ Du colbertisme à la schizophrénie
Nos financiers et stratèges — souvent sortis de l’ENA ou diplômés de Harvard — ont adopté le principe anglo-saxon des pure players (dont General Electric, United Techno, 3M ou Procter & Gamble sont pourtant des contre-exemples marquants).
Nos grands patrons et leurs banquiers/conseil ont procédé ces dernières décennies au démantèlement de nos plus grands groupes industriels. Lorsqu’ils se sont avisés de succomber à des "visionnaires" comme Jean-Marie Messier — qui voulut faire de Vivendi un opérateur global (un conglomérat multinational de la communication) –, cela s’est effectivement très mal terminé.
Elie Cohen ajoute : "notre pays est passé d’un modèle colbertiste et de noyaux durs à un système de marchés financiers ouvert mais dépourvu de fonds de pension, c’est-à-dire d’investisseurs institutionnels locaux capables de gérer leurs portefeuilles dans la durée [...] et Bouygues n’a pas les poches assez profondes pour accompagner Alstom dans la durée".
L’Etat français, quant à lui, balance en permanence entre la mise en avant du credo de l’attractivité — en ouvrant le capital de nos fleurons industriels à tous les types d’investisseurs — et l’ambition créer des champions nationaux (en prenant soin de les mettre à l’abris des appétits capitalistiques de leurs concurrents pour cause d’intérêt stratégique majeur, comme Areva, France Telecom).
Cette forme de schizophrénie n’est pas propre à la France. Les Etats-Unis ne sont pas moins frileux lorsqu’il s’agit de secteurs sensibles (ayant le plus souvent trait à la sûreté nationale) et intrusifs dans l’activité de certaines entreprises (Facebook, Google, Twitter…) obligées de collaborer avec la NSA et autres agences de renseignement.
Manifestement, depuis 18 mois, le gouvernement français a décidé de ne bloquer aucune grande opération capitalistique impliquant des entreprises françaises, de peur d’envoyer un "signal négatif" aux marchés… même si Arcelor Mittal s’en plaint d’avoir été persécuté par Arnaud Montebourg.
Le résultat, c’est un sentiment d’impuissance de la France — et de bien d’autres pays d’Europe — face à la montée en puissance de groupes financiers transnationaux qui apparaissent plus puissants que des Etats. Sans oublier les marchés financiers, qui peuvent décider à tout moment d’asphyxier le pays s’il n’adopte pas les mesures d’austérité qui leur conviennent (quitte à changer d’avis au bout de quelques mois s’il apparait que ça ne marche pas).
Le plus rageant, c’est qu’une bonne partie des milliers de milliards de liquidités des multinationales résultent en grande partie des sommes habilement soustraites au fisc des pays dans lesquels ils réalisent leurs bénéfices !
[NDLR : Plus d'analyses et de conseils de la part de Philippe Béchade ? C'est par ici : avis aux amateurs de points de vue... mordants ! [2]]
Avec 2 000 milliards de dollars, les entreprises américaines peuvent s’offrir la totalité des valeurs du CAC 40 (1 200 milliards d’euros ou 1 600 milliards de dollars) plus les 80 autres composantes du 120 (paiement cash de rigueur…).
Bien sûr, on ne peut qu’être saisi de vertige devant une telle richesse des multinationales américaines alors que la croissance mondiale est loin de générer des montagnes de profits comme sur la période 2004/2007.
Difficile d’écarter l’hypothèse qu’une partie de l’argent de la Fed a effectivement été capté sous forme de réserves de liquidités — lesquelles ne sont que marginalement converties en investissements productifs… et beaucoup en rachats de leurs propres titres (450 milliards de dollars en 2013).
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La stratégie consiste bien à accroître le périmètre par croissance externe faute d’opportunités et de conjoncture porteuse
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Autrement dit, les fusions transnationales Publicis/Omnicom, Lafarge/Holcim, Peugeot/Dongfeng, Alstom/General Electric (peut-être Siemens récupérera-t-il au passage une activité délaissée par GE) ont une vocation "défensive". Je peux même ajouter une motivation fiscale évidente puisque ces rachats vont s’accompagner d’un déplacement du siège social de France vers des cieux plus cléments (Suisse, Royaume-Uni, Luxembourg pour Arcelor…) en termes d’imposition sur les sociétés.
▪ Pourquoi de telles opérations ?
En ce qui concerne les moratoires sur les licenciements (General Electric s’engagerait à ne licencier personne), il ne faut pas être naïf et s’imaginer qu’aucun emploi ne sera perdu dans l’opération. Les entreprises américaines sont parfaitement rodées en matière "d’incitation au départ volontaire" (avec indemnités de départ généreuses pour échapper à la requalification de licenciement déguisé).
Ce genre de pratique peut apparaître coûteux — et c’est bien le cas. Cependant, les charges afférentes sont déductibles et les actionnaires plébiscitent les licenciements boursiers s’ils sont créateurs de valeur. Dans le cas d’Alstom, cela tombe sous le sens puisqu’il s’agit de restaurer la rentabilité des activités Energie dans les délais les plus brefs (via des économies d’échelles et des délocalisations de production).
Pourquoi en si peu de temps voit-on autant d’entreprises françaises passer sous pavillon "transnational" ?
La réponse est double.
D’abord parce que les "prédateurs" sont sommés de faire quelque chose de leur excès de liquidités. Un rapatriement vers le pays d’origine étant souvent trop coûteux fiscalement, il s’avère difficile de le redistribuer directement aux actionnaires, alors la solution de la croissance externe s’impose presque naturellement (et hop, envolés les bénéfices taxables)… Cela même si l’expérience nous enseigne que les méga-fusions sont rarement créatrices de valeur.
Ensuite parce que comme le souligne avec pertinence l’économiste Elie Cohen, la France n’a pas la culture des grands conglomérats technologiques comme les Allemands, les Coréens ou les Japonais.
▪ Du colbertisme à la schizophrénie
Nos financiers et stratèges — souvent sortis de l’ENA ou diplômés de Harvard — ont adopté le principe anglo-saxon des pure players (dont General Electric, United Techno, 3M ou Procter & Gamble sont pourtant des contre-exemples marquants).
Nos grands patrons et leurs banquiers/conseil ont procédé ces dernières décennies au démantèlement de nos plus grands groupes industriels
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Elie Cohen ajoute : "notre pays est passé d’un modèle colbertiste et de noyaux durs à un système de marchés financiers ouvert mais dépourvu de fonds de pension, c’est-à-dire d’investisseurs institutionnels locaux capables de gérer leurs portefeuilles dans la durée [...] et Bouygues n’a pas les poches assez profondes pour accompagner Alstom dans la durée".
L’Etat français, quant à lui, balance en permanence entre la mise en avant du credo de l’attractivité — en ouvrant le capital de nos fleurons industriels à tous les types d’investisseurs — et l’ambition créer des champions nationaux (en prenant soin de les mettre à l’abris des appétits capitalistiques de leurs concurrents pour cause d’intérêt stratégique majeur, comme Areva, France Telecom).
Cette forme de schizophrénie n’est pas propre à la France. Les Etats-Unis ne sont pas moins frileux lorsqu’il s’agit de secteurs sensibles (ayant le plus souvent trait à la sûreté nationale) et intrusifs dans l’activité de certaines entreprises (Facebook, Google, Twitter…) obligées de collaborer avec la NSA et autres agences de renseignement.
Manifestement, depuis 18 mois, le gouvernement français a décidé de ne bloquer aucune grande opération capitalistique impliquant des entreprises françaises, de peur d’envoyer un "signal négatif" aux marchés… même si Arcelor Mittal s’en plaint d’avoir été persécuté par Arnaud Montebourg.
Le résultat, c’est un sentiment d’impuissance de la France — et de bien d’autres pays d’Europe — face à la montée en puissance de groupes financiers transnationaux qui apparaissent plus puissants que des Etats. Sans oublier les marchés financiers, qui peuvent décider à tout moment d’asphyxier le pays s’il n’adopte pas les mesures d’austérité qui leur conviennent (quitte à changer d’avis au bout de quelques mois s’il apparait que ça ne marche pas).
Le plus rageant, c’est qu’une bonne partie des milliers de milliards de liquidités des multinationales résultent en grande partie des sommes habilement soustraites au fisc des pays dans lesquels ils réalisent leurs bénéfices !
[NDLR : Plus d'analyses et de conseils de la part de Philippe Béchade ? C'est par ici : avis aux amateurs de points de vue... mordants ! [2]]
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