Solidaires : un congrès pour un syndicalisme de luttes
Lors de son sixième congrès, qui s’ouvre lundi à Dunkerque, l’Union syndicale Solidaires annoncera des changements à sa tête et réaffirmera sa volonté de transformation sociale.
Manifestation pour la défense des retraites, 2 octobre 2010.
Un slogan, « Les capitalistes nous coûtent cher », est assuré de son succès tout au long du sixième congrès de l’Union syndicale Solidaires, qui se tiendra du 2 au 5 juin à Dunkerque. Affiches, affichettes et autocollants déclineront ce thème de la campagne lancé fin mars « sur tous les lieux de travail » avec la volonté de rendre « coups pour coûts ». Chacune des pages des projets de résolution mis en discussion le rappellera au cours d’un congrès qui vivra une transition notoire à la tête de Solidaires, sur fond de syndicalisme « de luttes et de transformation sociale » réaffirmé, mais confronté aux résultats du FN aux élections européennes.« Dans ce congrès, nous avons la volonté commune d’avancer. Il n’y a pas de gros clivage, malgré l’agrégation d’histoires singulières », assure Eric Beynel, de Solidaires Douanes, secrétaire national depuis six ans. À l’issue des débats, il deviendra, avec Cécile Gondard-Lalanne (SUD-PTT), l’un des porte-parole d’une organisation qui a nettement développé ses troupes et a enregistré une vingtaine de nouveaux syndicats en moins de dix ans (voir encadré). Les deux « quadra » succèderont à Annick Coupé, une des « moutons noirs » ayant quitté la CFDT à la fin des années 1980 pour lancer SUD-PTT, et à Christian Mahieux, un des fondateurs de SUD-Rail. « Un passage de témoin difficile, puisque ceux qui s’en vont à la retraite sont les créateurs des syndicats SUD », observe Jean-Michel Denis, sociologue qui étudie depuis plus de dix ans l’évolution de l’engagement syndical dans Solidaires [1].
Annick Coupé et Christian Mahieux, le 1er mai 2009 (BERTRAND LANGLOIS / AFP).
Offrir des réponses alternatives clairement en rupture
De plus en plus de Solidaires
L’Union syndicale Solidaires revendique une progression de près de 3 000 adhérents chaque année et une nette ouverture sur les secteurs privés (commerce, services, prévention-sécurité, restauration, assurances, industrie, chimie, convoyeurs de fonds, associations). Selon le rapport d’activité présenté au congrès de Dunkerque, le syndicat compte plus de 110 000 adhérents et est passé en dix ans de 38 à 55 structures. Quatre organisations (Solidaires Finance publiques, SUD Santé Sociaux, SUD-PTT, SUD Rail) dépassent les 10 000 adhérents et continuent de progresser « en moyenne de 300 adhérents par an ». Elles représentaient près de 60 000 adhérents en 2012. Jeune syndicat dans le secteur privé, Solidaires est reconnu représentatif dans plus de 40 conventions collectives nationales et locales.Un jeune salarié du privé, Julien Gonthier, adhérent de Solidaires industrie, siègera dans les instances nationales. Pour Jean-Michel Denis, c’est la traduction qu’un « gros changement prend forme avec l’arrivée des salariés du privé. On ne peut plus dire que Solidaires est un syndicalisme “d’ex”, c’est-à-dire de militants qui ont quitté leur organisation syndicale pour rejoindre Solidaires. Désormais, ce sont majoritairement des primo-adhérents. De plus, les jeunes générations n’ont pas le même capital militant et sont dans des organisations de travail qui ont énormément évolué par rapport aux fondateurs. Du coup, des questions se posent sur la culture syndicale et la défense des services publics ».
À cela s’ajoutent les récentes élections européennes : « Le résultat sorti des urnes confirme qu’aucune organisation syndicale n’est épargnée par la montée de certaines idées du FN, qui a mené une campagne très habile sur le terrain social, avec des réponses sur lesquelles nous sommes totalement en désaccord », constate Annick Coupé, qui pointe un « monde politique qui apparaît de plus en plus déconnecté des réalités vécues par la majorité de la population ». Les Solidaires prennent de plein fouet « la désespérance sociale que [la] politique gouvernementale [de François Hollande] nourrit », mettant le syndicalisme « face à ses responsabilités », souligne le rapport d’activité.
Les militants veulent « offrir des réponses alternatives clairement en rupture avec cette politique et construire les rapports de force pour imposer un changement radical », défend la porte-parole sortante, un enjeu « crucial » face à la montée « des courants réactionnaires et du FN », jugée « préoccupante » dans le rapport d’activité qui sera présenté au congrès. Ainsi, depuis le début de l’année, le syndicat est engagé dans une initiative contre l’extrême droite avec la CGT et la FSU.
Solidaires « répond à certaines aspirations et attentes de salariés qui veulent un syndicalisme radical et proche du terrain, explique Annick Coupé. Mais nous avons besoin de réfléchir collectivement sur cette question de l’autogestion dans notre syndicalisme. C’est important pour les plus jeunes, qui n’ont pas connu ces débats. C’est un enjeu pour nous dans un contexte de crise du capitalisme ». Les congressistes ont ainsi prévu un débat sur l’autogestion à partir d’un texte rédigé par Catherine Lebrun et Christian Mahieux, deux militants historiques, et en présence de salariés de Fralib, militants CGT de l’usine de Gémenos qui ont gagné dans leur lutte pour la sauvegarde de leur outil de travail sous la forme d’une coopérative.
« Un outil syndical qui n’a pas à rougir de ce qu’il est »
La progression de Solidaires en nombre d’adhérents et en représentativité est aussi un enjeu : « Le syndicat est dans un point de bascule, explique Jean-Michel Denis. Solidaires a renforcé sa restructuration et n’a plus les problèmes d’il y a dix ans, notamment d’homogénéisation interne ». Mais comment passer d’un syndicalisme à taille réduite à une structure plus importante ?« Nous ne voulons pas lâcher sur les fondamentaux du syndicalisme et nous voulons rester un syndicalisme proche des salariés, qui favorise le lien entre les salariés et l’auto-organisation des salariés, même si c’est difficile ces dernières années », reconnaît Annick Coupé. « Les militants sont confrontés à des tensions permanentes entre l’institutionnalisation et leur projet syndical. Les syndicats participent à des négociations collectives et signent des accords collectifs dans un certain nombre de secteurs, tout en gardant ce projet de syndicalisme contestataire », ajoute Jean-Michel Denis.
Preuve de la vitalité du syndicalisme de luttes, le syndicat a déjà prévu de plancher à la création d’une université de printemps en 2015, « qui rassemble les adhérents et sera l’occasion de réflexions de fond. C’est nécessaire pour transmettre les fondamentaux de notre syndicalisme », promet Gondard-Lalanne. Le syndicat est certes toujours un « vilain petit canard », lance Jean-Michel Denis, mais, « il y a dix ans, personne n’aurait parié un kopeck sur le fait que Solidaires existe encore aujourd’hui et soit reconnu notamment par les pouvoirs publics ».
En coulisse, les dirigeants ont aussi des objectifs ambitieux, notamment obtenir une représentativité interprofessionnelle et le développement d’un syndicat « qui n’a pas vocation à rester minoritaire ». Annick Coupé ne désarme pas : « Nous avons construit un outil syndical qui n’a pas à rougir de ce qu’il est », et ponctue froidement : « On ne peut pas se satisfaire d’un bilan plutôt positif dans un contexte catastrophique pour le mouvement social et pour une majorité de la population. »
[1] Lors du congrès de Dunkerque, Jean-Michel Denis présentera, avec la sociologue Sophie Béroud, les résultats d’une enquête sur l’engagement syndical dans Solidaires.