Regards sur l’Union européenne.
René HAMM
Je m’intéresse bien davantage à l’Europe, entité géographique, riche de ses
diversités culturelles et paysagères, qu’au scrutin en vue de la composition du
Parlement dont les prérogatives se situent nettement en deçà de celles dévolues
généralement à ce type d’assemblée. Je ne commenterai pas en détails les
résultats du dimanche 25 mai, mais note que la plupart des listes que les médias
qualifient de « petites » s’alignèrent avec des handicaps rédhibitoires
(candidat(-e)s non invité(-e)s sur les plateaux de télévision et de radio, faute
d’argent, pas de profession de foi, ni de spot de campagne, bulletin de vote à
imprimer depuis un site web…). Un déni de « démocratie authentique »,
symptomatique du fonctionnement opaque des institutions européennes.
« Faut-il faire sauter Bruxelles ? » (1). La question posée
dans le titre n’est nullement farfelue. Si François Ruffin préconiserait
volontiers d’attenter (du moins symboliquement !) aux organismes gestionnaires
de l’U.E., ce qu’il décrit dans son opuscule résolument anticapitaliste a
effectivement de quoi donner des envies de réduire en poussière les « blocs
de béton armé », surtout le Berlaymont où « travaillent » vingt-huit
commissaires et deux mille sept cent cinquante fonctionnaires, répartis dans
cent trente mille mètres carrés de bureaux sur seize niveaux. Le fondateur de
l’excellent journal Fakir (2) a « enquêté en touriste »
dans le quartier d’un kilomètre carré où des « comités confidentiels » et
cinquante mille employé(-e)s préparent moult décisions qui impactent (trop
souvent négativement !) notre quotidien et notre avenir.
« Dissoudre le peuple ? »
« C’est par les discours, les débats et les votes que doivent se résoudre les grandes questions, avec détermination, patience et dénouement ». Cette déclamation ne susciterait a priori aucune méfiance, sauf qu’elle est gravée, au pied d’un arbre, sur la plaque (3) de la Society of European Affairs Professionals, la Société des affaires professionnelles européennes, un cénacle de trois cent quarante-cinq lobbyistes. Ceux-ci « sont les garants de la démocratie », aux yeux d’Yves de Lespinay, boss d’Avisa Partners (4) et vice-président, de 2009 à 2012, de la SEAP. Nous voilà donc rassérénés !... Du reste, cet organisme est hébergé à Bruxelles au 79 boulevard Saint-Michel dans les bureaux de l’Union des associations européennes des boissons non alcoolisées. Pour attirer l’attention des élu(-e)s, les farfadets fakiriens recouvrirent, le 22 mai 2009, de concert avec quelques ONG, un pan du marbre avec un message emprunté au dramaturge allemand, poète et théoricien du théâtre Bertolt Brecht : « ne serait-il pas plus simple pour un gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? », plus malléable que ces ronchons de Français, qui ne se laissèrent majoritairement pas berner par la propagande éhontée des partisans du Traité constitutionnel. Le 29 mai 2005, ils votèrent « non » à 54,68%. Le 1er juin 2005, 63,1% des Néerlandais se prononcèrent dans le même sens. Dans l’Hexagone comme au pays des tulipes, les dirigeants ne tinrent aucun compte de la vox populi. Le 12 juin 2008, les Irlandais rejetèrent à 53,4% le Traité de Lisbonne. Invités à se ressaisir, ils l’adoptèrent, le 2 octobre 2009, à 67,1%... Ailleurs, les députés avalisèrent, sans chipoter, le texte qui conforte le dogme de la « concurrence libre et non faussée » dans une « économie sociale de marché » censée apporter bien-être et prospérité. Or, le conglomérat d’États hétéroclites drapé dans la bannière étoilée sur fond bleu ne déploie pas un zèle ardu pour contrôler efficacement les établissements bancaires, renfloués par brassées de milliards après le krach de 2007/2008, ne contrecarre pas le moins du monde l’écœurant trading sur les matières premières et les denrées alimentaires, se retient bien d’imposer une taxe, même très symbolique (le chiffre de 0,001% a été avancé !), sur les transactions boursières afin de circonscrire les flux de capitaux.
Delors en barre
Le siège du Conseil économique et social (5) européen sis au 99 rue Belliard porte le nom de « Jacques Delors ». L’auteur se remémore l’émission « La Marche du Siècle » du 18 septembre 1991 sur France 3, animée par Jean-Marie Cavada. Trois pontes se virent convier à égrener leurs doléances : Jérôme Monod (Lyonnaise des Eaux), Peht Gyllenhammar (Volvo) et Umberto Agnelli (Fiat). Le banquier Bernard Esambert (Compagnie Financière Edmond de Rothschild) n’avait pas reçu de carton pour ferrailler… En duplex depuis la capitale d’outre-Quiévrain, le président de la Commission (6) loue « cette poussée salutaire » et approuve la nécessité impérieuse, invoquée par les membres de la Table ronde européenne (7) des industriels, d’enclencher le turbo pour « aller à 140 à l’heure ». Le papa de Martine Aubry a toujours préféré prêter ses deux oreilles favorables aux grands patrons plutôt que de se préoccuper des revendications des syndicats et de s’appuyer sur les préoccupations des peuples. Durant trente-sept mois (8), il avait piloté les finances et l’économie de la France. Le champion de la rigueur (pour les classes populaire et moyenne, pas pour les ploutocrates !) avait refusé toute « rupture » (pourtant lancée durant la campagne électorale par François Mitterrand dans un de ses élans de lyrisme avec lesquels le « sphinx » nous avait embobinés), gelé le SMIC et désindexé les salaires. Le 29 novembre 1981, n’avait-il pas plaidé en faveur d’une « pause dans l’annonce des réformes », recueillant les applaudissements d’Edmond Maire, le leader de la CFDT, à une époque où le peu « d’état de grâce » s’était déjà complètement effiloché. Il avait convaincu ses amis socialistes d’instaurer « la primauté du marché » et de ne pas hésiter à rétrocéder au privé des services publics non régaliens. Dans son bureau capitonné du 200 rue de la Loi avait germé le réseau transeuropéen, douze mille kilomètres de voies rapides pour les 40 et 60 tonnes. À l’encontre de la phraséologie « reconversionnelle », le fret par rail déclina à grande vitesse. L’accroissement des marchandises par la route alla de pair, plus tard, avec la si catastrophique ouverture à l’est… Serge Le Quéau, un ancien de la CFDT, trouvant auprès de Solidaires une organisation conforme à ses aspirations, avait gratifié le liquidateur de la gauche d’une apostrophe bien sentie qui lui valut l’expulsion du salon du Parlement strasbourgeois, le 25 novembre 1988.
« Endogamie et fusion »
François Ruffin écharpe aussi la Confédération européenne des syndicats, qui se complaît dans une « faiblesse tranquille », se profilant bien plus comme « la gardienne du temple » (9) que comme la défenderesse de la cause des salarié(-e)s. Son « état d’esprit lymphatique » prédispose la CES « au compromis, à la reddition » (10). Les quatre vingt-cinq confédérations (11) qui la composent adhèrent aux schèmes du libéralisme et ont adopté le mot d’ordre de « croissance », s’imaginant qu’il suffirait d’augmenter la part du gâteau pour donner à chacun(-e) selon ses besoins. Une erreur funeste dont se régalent leurs partenaires de « négociations » ! La politologue belge Corinne Gobin dresse un parallèle entre le déménagement de la CES du quartier de Sainte Gudule dans un building luxueux du boulevard du roi Albert II et le ripage d’un discours contestataire vers « l’accompagnement » (des mourants ?...), la « culture du consensus ». Le « projet des Pères fondateurs » qui serait « perverti » aujourd’hui ? Une baudruche à dégonfler dare-dare. Les spéculateurs et magnats de l’industrie furent à l’œuvre dès la signature du Traité de Rome, le 25 mars 1957. L’universitaire et essayiste belge Geoffrey Geuens, auteur de « La finance imaginaire. Anatomie du capitalisme : des « marchés financiers à l’oligarchie » (12), réfute le terme « lobby » auquel il substitue ceux « d’endogamie » et de « fusion », tant les diverses officines, uniquement mues par la maximisation des profits et « les intérêts des bourgeoisies nationales », jouissent, sans contrainte, des « clés de l’Europe ». Une des innombrables illustrations de cette imbrication connivente : Gerhard Schröder, l’ex-chancelier allemand (13). Le « camarade des patrons » avait siégé entre mi-janvier 2011 et décembre 2012 au Conseil de surveillance du trust pétrolier russo-britannique TNK-BP. Il perçoit depuis janvier 2006 des émoluments du groupe de presse suisse Ringier ; fin mars 2006, la banque Rothschild l’avait embauché comme conseiller. À la tête du consortium germano-russe Nord Stream AG, il avait, dès son retrait de la scène politique, ficelé le projet de gazoduc en Mer Baltique, sous l’égide de Gazprom. Le premier exportateur de gaz au monde a augmenté, le mois dernier, de…80% le tarif pour les livraisons à l’Ukraine. Herr Schröder palpe plus d’un million cinq cent mille euros par an (six fois plus qu’Angela Merkel). Pour une conférence, il réclame un minimum de cinquante mille euros. À ceux qui lui reprochent son amitié ostentatoire avec Vladimir Poutine, il rétorque « allez vous faire foutre ! ». Gérard Depardieu ne dirait pas mieux…
Empreinte néfaste
Le bimestriel sardonique Pour Lire Pas Lu (14) décernait régulièrement une « laisse d’or » pour distinguer un « chien de garde » (15) du système particulièrement méritant. La Décroissance désigne « l’écotartuffe du mois ». Dans le numéro d’avril 2014, Vincent Cheynet écrit la laudatio pour le lauréat : José Bové, « à la fois dissident et notable », propriétaire d’un pavillon californien new-age sur le Larzac ainsi que d’un voilier, « une belle saloperie très (très) chère en aluminium ». Le « caniche de Daniel Cohn-Bendit » prône un « Green New Deal », via une « relance du processus industriel » (16). Son essai « Hold-up à Bruxelles. Les lobbies au cœur de l’Europe » (17) mérite quelques heures d’attention. Zappez la préface imbuvable de son pote susnommé, lequel, en sept lignes et demie, mentionne à six reprises le vocable « projet » ! L’ex-démonteur de Mc Donald’s n’apparaît qu’au 603ème rang, sur 766 membres du Parlement européen (18), au classement officiel quant aux activités en séance plénière durant la législature du 14 juillet 2009 au 17 avril 2014. Pourtant, le député, élu le 7 juin 2009 sur la liste Europe Écologie, se dépense sans compter dans l’exercice de son mandat, qu’il connecte aux requêtes des citoyens comme à des luttes sur le terrain. Les connivences, collusions, combines, manœuvres, qu’il dépeint par le menu, effraient et courroucent quiconque appréhende la « démocratie » dans son acception originelle. Les quinze mille lobbyistes qui grouillent dans la capitale belge (19) n’impriment leur empreinte néfaste qu’avec l’aval des décideurs, dont l’omnipotente Commission et ses trente trois mille trente-neuf collaborateur(-trice)s, tous statuts confondus. Ce beau monde pratique l’art consommé de « l’entre-soi » dans une ambiance feutrée. Les businesswomen (-men) atteignent rapidement un « degré d’intimité » avec les cadres des Directions générales. « Ce n’est plus la raison qui occupe leur cerveau, mais le volume des affaires ». José Bové relate « la bataille du gaz de schiste » et celle du « libre-échange » avec le Canada et les States. Le chapitre sur « le plan fumeux du lobby du tabac » s’apparente presque à un thriller. Réjouissons-nous avec le natif de Talence de quelques « victoires » : par exemple l’interdiction, le 1er décembre 2013 pour…deux ans, de trois néonicotinoïdes fatals aux abeilles (l’imidaclopride, la clothianidine, le théaméthoxame) ou le refus, le 13 décembre 2013, par la Cour européenne de Justice à Luxembourg, de mettre sur le marché la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora, mise au point par BASF pour produire plus d’amidon destiné à la fabrication de papier, de textiles et d’adhésifs.
Drainages et blablatages
Pour le vice-président de la commission parlementaire « Agriculture et développement rural », « l’Europe demeure un rêve subversif et pragmatique ». Combien de conditions sine qua non pour le concrétiser !...
« La crise fait le lit du Front national, d’autant plus sûrement que, nourrie par les excès de l’ouverture, elle rend plus attrayantes les sirènes du repli…Plongé dans le grand bain immatériel et poisseux du supranational, le peuple est totalement incapable de s’imaginer un destin ». Ces constats, stipulés avant le « séisme » d’avant-hier, émanent de Coralie Delaume dans « Europe. Les États désunis » (20). « Si l’Union européenne est de plus en plus objet de défiance, ce n’est pas parce que le public se trompe de colère », mais « parce qu’il l’a identifiée comme la cause profonde de nombreux maux ». Cette sorte « d’impuissance » que révèle « la paralysie générale du politique » draine « fatalisme, découragement, exaspération et ressentiment ». Pour marquer leur ras-le-bol, leur dégoût, de très nombreux(-ses) citoyen(-ne)s boycottent l’isoloir : 56,84% d’abstentions dans l’Hexagone (21), un léger reflux par rapport au 7 juin 2009 où 59,37% des inscrit(-e)s n’avaient pas participé. Les leaders de l’UMP et moult commentateur(-trice)s qui blablatent sur les plateaux des télés, notamment à « C dans l’air » (France 5), et des radios, insistent péremptoirement sur la corrélation entre le P.S. gouvernant le pays et la montée en puissance du F.N., sans esquisser la moindre once d’analyse validée par la réalité. L’audience de l’extrême-droite intégrée à l’establishment n’est-elle pas imputable avant tout aux reniements, par les solfériniens, de leurs principes les plus basiques, à leurs promesses (22) vite remisées aux oubliettes, à leur incapacité d’esquisser une autocritique salutaire ? « L’Europe sert de cache-misère et d’idéologie de substitution » pour tenter de masquer (qui se laisse encore duper ?) « un ralliement sans condition aux préceptes néolibéraux ». Une autre assertion de Coralie Delaume à laquelle j’acquiesce. Tous ces preux chantres de « l’intégration » feignent de ne pas cerner que la Commission, la Banque centrale et la Cour de justice de Luxembourg « sont les temples dans lesquels se célèbrent désormais la lente agonie des souverainetés nationales et l’escamotage patient de la démocratie ». Qui se soucie de la primauté du droit communautaire sur les législations spécifiques des différents États membres sous les coups de boutoir uniformisateurs répétés des vingt-huit juges et des neuf « avocats généraux » composant la troisième instance citée ci-dessus ?... Le livre très instructif de l’initiatrice du blog « L’arène nue » complète utilement les deux autres recensés (23) en ces lignes.
René HAMM
Bischoffsheim (Bas-Rhin)
Le 27 mai 2014
« Dissoudre le peuple ? »
« C’est par les discours, les débats et les votes que doivent se résoudre les grandes questions, avec détermination, patience et dénouement ». Cette déclamation ne susciterait a priori aucune méfiance, sauf qu’elle est gravée, au pied d’un arbre, sur la plaque (3) de la Society of European Affairs Professionals, la Société des affaires professionnelles européennes, un cénacle de trois cent quarante-cinq lobbyistes. Ceux-ci « sont les garants de la démocratie », aux yeux d’Yves de Lespinay, boss d’Avisa Partners (4) et vice-président, de 2009 à 2012, de la SEAP. Nous voilà donc rassérénés !... Du reste, cet organisme est hébergé à Bruxelles au 79 boulevard Saint-Michel dans les bureaux de l’Union des associations européennes des boissons non alcoolisées. Pour attirer l’attention des élu(-e)s, les farfadets fakiriens recouvrirent, le 22 mai 2009, de concert avec quelques ONG, un pan du marbre avec un message emprunté au dramaturge allemand, poète et théoricien du théâtre Bertolt Brecht : « ne serait-il pas plus simple pour un gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? », plus malléable que ces ronchons de Français, qui ne se laissèrent majoritairement pas berner par la propagande éhontée des partisans du Traité constitutionnel. Le 29 mai 2005, ils votèrent « non » à 54,68%. Le 1er juin 2005, 63,1% des Néerlandais se prononcèrent dans le même sens. Dans l’Hexagone comme au pays des tulipes, les dirigeants ne tinrent aucun compte de la vox populi. Le 12 juin 2008, les Irlandais rejetèrent à 53,4% le Traité de Lisbonne. Invités à se ressaisir, ils l’adoptèrent, le 2 octobre 2009, à 67,1%... Ailleurs, les députés avalisèrent, sans chipoter, le texte qui conforte le dogme de la « concurrence libre et non faussée » dans une « économie sociale de marché » censée apporter bien-être et prospérité. Or, le conglomérat d’États hétéroclites drapé dans la bannière étoilée sur fond bleu ne déploie pas un zèle ardu pour contrôler efficacement les établissements bancaires, renfloués par brassées de milliards après le krach de 2007/2008, ne contrecarre pas le moins du monde l’écœurant trading sur les matières premières et les denrées alimentaires, se retient bien d’imposer une taxe, même très symbolique (le chiffre de 0,001% a été avancé !), sur les transactions boursières afin de circonscrire les flux de capitaux.
Delors en barre
Le siège du Conseil économique et social (5) européen sis au 99 rue Belliard porte le nom de « Jacques Delors ». L’auteur se remémore l’émission « La Marche du Siècle » du 18 septembre 1991 sur France 3, animée par Jean-Marie Cavada. Trois pontes se virent convier à égrener leurs doléances : Jérôme Monod (Lyonnaise des Eaux), Peht Gyllenhammar (Volvo) et Umberto Agnelli (Fiat). Le banquier Bernard Esambert (Compagnie Financière Edmond de Rothschild) n’avait pas reçu de carton pour ferrailler… En duplex depuis la capitale d’outre-Quiévrain, le président de la Commission (6) loue « cette poussée salutaire » et approuve la nécessité impérieuse, invoquée par les membres de la Table ronde européenne (7) des industriels, d’enclencher le turbo pour « aller à 140 à l’heure ». Le papa de Martine Aubry a toujours préféré prêter ses deux oreilles favorables aux grands patrons plutôt que de se préoccuper des revendications des syndicats et de s’appuyer sur les préoccupations des peuples. Durant trente-sept mois (8), il avait piloté les finances et l’économie de la France. Le champion de la rigueur (pour les classes populaire et moyenne, pas pour les ploutocrates !) avait refusé toute « rupture » (pourtant lancée durant la campagne électorale par François Mitterrand dans un de ses élans de lyrisme avec lesquels le « sphinx » nous avait embobinés), gelé le SMIC et désindexé les salaires. Le 29 novembre 1981, n’avait-il pas plaidé en faveur d’une « pause dans l’annonce des réformes », recueillant les applaudissements d’Edmond Maire, le leader de la CFDT, à une époque où le peu « d’état de grâce » s’était déjà complètement effiloché. Il avait convaincu ses amis socialistes d’instaurer « la primauté du marché » et de ne pas hésiter à rétrocéder au privé des services publics non régaliens. Dans son bureau capitonné du 200 rue de la Loi avait germé le réseau transeuropéen, douze mille kilomètres de voies rapides pour les 40 et 60 tonnes. À l’encontre de la phraséologie « reconversionnelle », le fret par rail déclina à grande vitesse. L’accroissement des marchandises par la route alla de pair, plus tard, avec la si catastrophique ouverture à l’est… Serge Le Quéau, un ancien de la CFDT, trouvant auprès de Solidaires une organisation conforme à ses aspirations, avait gratifié le liquidateur de la gauche d’une apostrophe bien sentie qui lui valut l’expulsion du salon du Parlement strasbourgeois, le 25 novembre 1988.
« Endogamie et fusion »
François Ruffin écharpe aussi la Confédération européenne des syndicats, qui se complaît dans une « faiblesse tranquille », se profilant bien plus comme « la gardienne du temple » (9) que comme la défenderesse de la cause des salarié(-e)s. Son « état d’esprit lymphatique » prédispose la CES « au compromis, à la reddition » (10). Les quatre vingt-cinq confédérations (11) qui la composent adhèrent aux schèmes du libéralisme et ont adopté le mot d’ordre de « croissance », s’imaginant qu’il suffirait d’augmenter la part du gâteau pour donner à chacun(-e) selon ses besoins. Une erreur funeste dont se régalent leurs partenaires de « négociations » ! La politologue belge Corinne Gobin dresse un parallèle entre le déménagement de la CES du quartier de Sainte Gudule dans un building luxueux du boulevard du roi Albert II et le ripage d’un discours contestataire vers « l’accompagnement » (des mourants ?...), la « culture du consensus ». Le « projet des Pères fondateurs » qui serait « perverti » aujourd’hui ? Une baudruche à dégonfler dare-dare. Les spéculateurs et magnats de l’industrie furent à l’œuvre dès la signature du Traité de Rome, le 25 mars 1957. L’universitaire et essayiste belge Geoffrey Geuens, auteur de « La finance imaginaire. Anatomie du capitalisme : des « marchés financiers à l’oligarchie » (12), réfute le terme « lobby » auquel il substitue ceux « d’endogamie » et de « fusion », tant les diverses officines, uniquement mues par la maximisation des profits et « les intérêts des bourgeoisies nationales », jouissent, sans contrainte, des « clés de l’Europe ». Une des innombrables illustrations de cette imbrication connivente : Gerhard Schröder, l’ex-chancelier allemand (13). Le « camarade des patrons » avait siégé entre mi-janvier 2011 et décembre 2012 au Conseil de surveillance du trust pétrolier russo-britannique TNK-BP. Il perçoit depuis janvier 2006 des émoluments du groupe de presse suisse Ringier ; fin mars 2006, la banque Rothschild l’avait embauché comme conseiller. À la tête du consortium germano-russe Nord Stream AG, il avait, dès son retrait de la scène politique, ficelé le projet de gazoduc en Mer Baltique, sous l’égide de Gazprom. Le premier exportateur de gaz au monde a augmenté, le mois dernier, de…80% le tarif pour les livraisons à l’Ukraine. Herr Schröder palpe plus d’un million cinq cent mille euros par an (six fois plus qu’Angela Merkel). Pour une conférence, il réclame un minimum de cinquante mille euros. À ceux qui lui reprochent son amitié ostentatoire avec Vladimir Poutine, il rétorque « allez vous faire foutre ! ». Gérard Depardieu ne dirait pas mieux…
Empreinte néfaste
Le bimestriel sardonique Pour Lire Pas Lu (14) décernait régulièrement une « laisse d’or » pour distinguer un « chien de garde » (15) du système particulièrement méritant. La Décroissance désigne « l’écotartuffe du mois ». Dans le numéro d’avril 2014, Vincent Cheynet écrit la laudatio pour le lauréat : José Bové, « à la fois dissident et notable », propriétaire d’un pavillon californien new-age sur le Larzac ainsi que d’un voilier, « une belle saloperie très (très) chère en aluminium ». Le « caniche de Daniel Cohn-Bendit » prône un « Green New Deal », via une « relance du processus industriel » (16). Son essai « Hold-up à Bruxelles. Les lobbies au cœur de l’Europe » (17) mérite quelques heures d’attention. Zappez la préface imbuvable de son pote susnommé, lequel, en sept lignes et demie, mentionne à six reprises le vocable « projet » ! L’ex-démonteur de Mc Donald’s n’apparaît qu’au 603ème rang, sur 766 membres du Parlement européen (18), au classement officiel quant aux activités en séance plénière durant la législature du 14 juillet 2009 au 17 avril 2014. Pourtant, le député, élu le 7 juin 2009 sur la liste Europe Écologie, se dépense sans compter dans l’exercice de son mandat, qu’il connecte aux requêtes des citoyens comme à des luttes sur le terrain. Les connivences, collusions, combines, manœuvres, qu’il dépeint par le menu, effraient et courroucent quiconque appréhende la « démocratie » dans son acception originelle. Les quinze mille lobbyistes qui grouillent dans la capitale belge (19) n’impriment leur empreinte néfaste qu’avec l’aval des décideurs, dont l’omnipotente Commission et ses trente trois mille trente-neuf collaborateur(-trice)s, tous statuts confondus. Ce beau monde pratique l’art consommé de « l’entre-soi » dans une ambiance feutrée. Les businesswomen (-men) atteignent rapidement un « degré d’intimité » avec les cadres des Directions générales. « Ce n’est plus la raison qui occupe leur cerveau, mais le volume des affaires ». José Bové relate « la bataille du gaz de schiste » et celle du « libre-échange » avec le Canada et les States. Le chapitre sur « le plan fumeux du lobby du tabac » s’apparente presque à un thriller. Réjouissons-nous avec le natif de Talence de quelques « victoires » : par exemple l’interdiction, le 1er décembre 2013 pour…deux ans, de trois néonicotinoïdes fatals aux abeilles (l’imidaclopride, la clothianidine, le théaméthoxame) ou le refus, le 13 décembre 2013, par la Cour européenne de Justice à Luxembourg, de mettre sur le marché la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora, mise au point par BASF pour produire plus d’amidon destiné à la fabrication de papier, de textiles et d’adhésifs.
Drainages et blablatages
Pour le vice-président de la commission parlementaire « Agriculture et développement rural », « l’Europe demeure un rêve subversif et pragmatique ». Combien de conditions sine qua non pour le concrétiser !...
« La crise fait le lit du Front national, d’autant plus sûrement que, nourrie par les excès de l’ouverture, elle rend plus attrayantes les sirènes du repli…Plongé dans le grand bain immatériel et poisseux du supranational, le peuple est totalement incapable de s’imaginer un destin ». Ces constats, stipulés avant le « séisme » d’avant-hier, émanent de Coralie Delaume dans « Europe. Les États désunis » (20). « Si l’Union européenne est de plus en plus objet de défiance, ce n’est pas parce que le public se trompe de colère », mais « parce qu’il l’a identifiée comme la cause profonde de nombreux maux ». Cette sorte « d’impuissance » que révèle « la paralysie générale du politique » draine « fatalisme, découragement, exaspération et ressentiment ». Pour marquer leur ras-le-bol, leur dégoût, de très nombreux(-ses) citoyen(-ne)s boycottent l’isoloir : 56,84% d’abstentions dans l’Hexagone (21), un léger reflux par rapport au 7 juin 2009 où 59,37% des inscrit(-e)s n’avaient pas participé. Les leaders de l’UMP et moult commentateur(-trice)s qui blablatent sur les plateaux des télés, notamment à « C dans l’air » (France 5), et des radios, insistent péremptoirement sur la corrélation entre le P.S. gouvernant le pays et la montée en puissance du F.N., sans esquisser la moindre once d’analyse validée par la réalité. L’audience de l’extrême-droite intégrée à l’establishment n’est-elle pas imputable avant tout aux reniements, par les solfériniens, de leurs principes les plus basiques, à leurs promesses (22) vite remisées aux oubliettes, à leur incapacité d’esquisser une autocritique salutaire ? « L’Europe sert de cache-misère et d’idéologie de substitution » pour tenter de masquer (qui se laisse encore duper ?) « un ralliement sans condition aux préceptes néolibéraux ». Une autre assertion de Coralie Delaume à laquelle j’acquiesce. Tous ces preux chantres de « l’intégration » feignent de ne pas cerner que la Commission, la Banque centrale et la Cour de justice de Luxembourg « sont les temples dans lesquels se célèbrent désormais la lente agonie des souverainetés nationales et l’escamotage patient de la démocratie ». Qui se soucie de la primauté du droit communautaire sur les législations spécifiques des différents États membres sous les coups de boutoir uniformisateurs répétés des vingt-huit juges et des neuf « avocats généraux » composant la troisième instance citée ci-dessus ?... Le livre très instructif de l’initiatrice du blog « L’arène nue » complète utilement les deux autres recensés (23) en ces lignes.
René HAMM
Bischoffsheim (Bas-Rhin)
Le 27 mai 2014
(1) Fakir Éditions, 1er trimestre 2014, 132 pages, 7 €.
(2) 303 rue de Paris 80000 Amiens.
(3) Inaugurée le 6 décembre 2001 par Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen et Freddy Thielemans, le bourgmestre de Bruxelles.
(4) Boîte de conseils et d’expertises dans différents domaines (énergie, transports, logistique, santé, environnement, défense, sécurité…) des secteurs public et privé, se targuant d’une « compréhension des deux côtés de l’arène de la compétition ».
(5) Cette manie d’ajouter l’adjectif « social » à des organismes ou des théories qui ne le sont pas !
(6) Du 6 janvier 1985 au 22 janvier 1995.
(7) Actuellement, Leif Johansson (Ericsson) préside cet aréopage de cinquante-deux PDG de grandes entreprises, dont sept Français.
(8) Du 22 mai 1981 au 19 juillet 1984.
(9) La Décroissance de mars 2014.
(10) Idem.
(11) Pour la France, la CFDT, la CFTC, la CGT, FO, l’UNSA.
(12) Chez Aden à Bruxelles, septembre 2011, 368 pages, 25 €.
(13) Du 27 octobre 1998 au 18 octobre 2005.
(14) Remplacé, en mars 2006, après vingt-six numéros, par Le Plan B, lequel cassa sa parution après son édition de mai-juin 2010.
(15) Le dimanche 25 mai, à 14 heures, la Chaîne parlementaire a rediffusé « Les nouveaux chiens de garde » de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Dans la foulée, la reprise du « débat », animé par Emilie Aubry, sur le thème « Médias, politiques, le même discrédit ? » avec les inénarrables Élie Cohen, Franz-Olivier Giesbert et Dominique Wolton, vingt-trois minutes trente deux de faux-culerie !
(16) Sur France Inter, le 20 février 2014, interviewé par Bruno Duvic.
(17) Éditions La Découverte, février 2014, 261 pages, 17 €.
(18) Harlem Désir occupe la peu glorieuse 752ème place. Son absentéisme chronique et ses glandouillages n’ont pas retenu François Hollande et Manuel Valls de le nommer secrétaire d’État aux Affaires européennes… « L’exfiltrage » d’un foutriquet !...
(19) Si vous ne l’avez pas vu lors de sa diffusion, les 12 et 24 février, ainsi que le 5 mars 2013 sur Arte, je vous recommande plus que chaudement de « streamer » sur Youtube le très remarquable documentaire, fruit d’investigations poussées, « The Brussels business » du Belge Matthieu Lietaert et de l’Autrichien Friedrich Moser. Il sera projeté, le jeudi 29 mai à 19 heures, et suivi d’une discussion, dans le cadre de la Foire éco-bio de Colmar (Haut-Rhin) qui s’annonce d’un cru exceptionnel.
(20) Chez Michalon, mars 2014, 220 pages, 17 €.
(21) 57,68% à l’échelle du continent. 87% des Slovaques, 80,5% des Tchèques et 79,04% des Slovènes ne se sont pas déplacés.
(22) La seule qui ait connu une traduction dans les textes et faits, un tant soit peu conforme à « l’engagement » de la campagne électorale, « le mariage pour tous » (une formulation des plus stupides !), ne revêtait pas un caractère d’urgence, sauf à conférer au quinquennat de François Hollande une première estampille prétendument « progressiste ». Que, sous prétexte « d’égalité », Christiane Taubira and co aient créé une énième « niche fiscale » sans en supprimer aucune parmi les plus scandaleuses des quatre cent soixante existantes (coût : quatre-vingt milliards d’euros par an à ajouter aux quelque soixante-cinq milliards soustraits par la fraude et l’évasion) n’a pas gratouillé grand monde…
(23) Je mentionnerai aussi « Désobéissons à l’Union européenne ! » d’Aurélien Bernier, Éditions Mille et une nuits, mars 2011, 176 pages, 4,10 €. Version actualisée en janvier 2014.
(2) 303 rue de Paris 80000 Amiens.
(3) Inaugurée le 6 décembre 2001 par Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen et Freddy Thielemans, le bourgmestre de Bruxelles.
(4) Boîte de conseils et d’expertises dans différents domaines (énergie, transports, logistique, santé, environnement, défense, sécurité…) des secteurs public et privé, se targuant d’une « compréhension des deux côtés de l’arène de la compétition ».
(5) Cette manie d’ajouter l’adjectif « social » à des organismes ou des théories qui ne le sont pas !
(6) Du 6 janvier 1985 au 22 janvier 1995.
(7) Actuellement, Leif Johansson (Ericsson) préside cet aréopage de cinquante-deux PDG de grandes entreprises, dont sept Français.
(8) Du 22 mai 1981 au 19 juillet 1984.
(9) La Décroissance de mars 2014.
(10) Idem.
(11) Pour la France, la CFDT, la CFTC, la CGT, FO, l’UNSA.
(12) Chez Aden à Bruxelles, septembre 2011, 368 pages, 25 €.
(13) Du 27 octobre 1998 au 18 octobre 2005.
(14) Remplacé, en mars 2006, après vingt-six numéros, par Le Plan B, lequel cassa sa parution après son édition de mai-juin 2010.
(15) Le dimanche 25 mai, à 14 heures, la Chaîne parlementaire a rediffusé « Les nouveaux chiens de garde » de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat. Dans la foulée, la reprise du « débat », animé par Emilie Aubry, sur le thème « Médias, politiques, le même discrédit ? » avec les inénarrables Élie Cohen, Franz-Olivier Giesbert et Dominique Wolton, vingt-trois minutes trente deux de faux-culerie !
(16) Sur France Inter, le 20 février 2014, interviewé par Bruno Duvic.
(17) Éditions La Découverte, février 2014, 261 pages, 17 €.
(18) Harlem Désir occupe la peu glorieuse 752ème place. Son absentéisme chronique et ses glandouillages n’ont pas retenu François Hollande et Manuel Valls de le nommer secrétaire d’État aux Affaires européennes… « L’exfiltrage » d’un foutriquet !...
(19) Si vous ne l’avez pas vu lors de sa diffusion, les 12 et 24 février, ainsi que le 5 mars 2013 sur Arte, je vous recommande plus que chaudement de « streamer » sur Youtube le très remarquable documentaire, fruit d’investigations poussées, « The Brussels business » du Belge Matthieu Lietaert et de l’Autrichien Friedrich Moser. Il sera projeté, le jeudi 29 mai à 19 heures, et suivi d’une discussion, dans le cadre de la Foire éco-bio de Colmar (Haut-Rhin) qui s’annonce d’un cru exceptionnel.
(20) Chez Michalon, mars 2014, 220 pages, 17 €.
(21) 57,68% à l’échelle du continent. 87% des Slovaques, 80,5% des Tchèques et 79,04% des Slovènes ne se sont pas déplacés.
(22) La seule qui ait connu une traduction dans les textes et faits, un tant soit peu conforme à « l’engagement » de la campagne électorale, « le mariage pour tous » (une formulation des plus stupides !), ne revêtait pas un caractère d’urgence, sauf à conférer au quinquennat de François Hollande une première estampille prétendument « progressiste ». Que, sous prétexte « d’égalité », Christiane Taubira and co aient créé une énième « niche fiscale » sans en supprimer aucune parmi les plus scandaleuses des quatre cent soixante existantes (coût : quatre-vingt milliards d’euros par an à ajouter aux quelque soixante-cinq milliards soustraits par la fraude et l’évasion) n’a pas gratouillé grand monde…
(23) Je mentionnerai aussi « Désobéissons à l’Union européenne ! » d’Aurélien Bernier, Éditions Mille et une nuits, mars 2011, 176 pages, 4,10 €. Version actualisée en janvier 2014.
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http://www.legrandsoir.info/regards-sur-l-union-europeenne.html
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