Consciente de la menace que le projet de traité transatlantique (TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership) fait peser sur notre démocratie ainsi que sur nos législations sociales autant qu’environnementales et sanitaires, j’avais décidé de me joindre le 15 mai dernier à l’action « Je cours pour nos droits », dans l’optique de participer concrètement à l’encerclement symbolique du Palais d’Egmont où se tenait ce jour-là le Business European Summit.
Tandis qu’elles autorisaient sur leur territoire une réunion susceptible de conduire au contrôle des institutions démocratiques par les entreprises multinationales, les autorités bruxelloises ont voulu confiner en un rassemblement place Poelaert la manifestation de la réprobation citoyenne contre la tenue de cette réunion, nous condamnant à rester invisibles de ceux à qui nous voulions clairement signifier notre refus de laisser nos droits se dissoudre dans le libre échange.
Ne souhaitant nullement la confrontation avec les forces de l’ordre, mais considérant légitime une action non violente fondée sur la défense de la démocratie, j’ai quitté la place Poelaert, brandissant un petit panneau « Je cours pour l’accès de tous aux soins de santé » et entamant avec une dizaine d’autres personnes munies elles aussi de leur pancarte une course relais en direction du Palais d’Egmont.
Nous engageant dans la rue du Grand Cerf vers le boulevard de Waterloo, nous apercevons une rangée de policiers barrant la rue à hauteur de son intersection avec ce boulevard. Les voyant s’écarter lorsque nous nous approchons d’eux, je pense, bien naïve, qu’ils ont compris que nous manifestons pacifiquement et acceptent de nous laisser passer. Mais aussitôt, ils nous rabattent vers un autre groupe encerclé sur la droite, devant l’entrée de la station de métro Louise : la souricière… et sans qu’il y ait eu la moindre sommation, nous voilà d’emblée piégés !
D’autres personnes - dont plusieurs manifestants qui étaient en chemin pour rallier le rassemblement place Poelaert, mais également de simples passants totalement étrangers à la manifestation - se font encore coincer de la sorte après nous. Et plus nous devenons nombreux à l’intérieur du cercle, plus les policiers resserrent le cordon qu’ils forment autour de nous, l’un d’eux usant de sa matraque tenue à l’horizontale pour me pousser violemment dans les reins tout en m’invectivant avec hargne.
Au bout d’un moment, un groupe de manifestants arrive de la place Poelaert par la rue des Quatre Bras et, toujours pacifiquement, interpelle les policiers pour tenter d’obtenir qu’ils nous relâchent. Rien n’y fait, pas même les frasques d’une petite troupe de clowns inoffensifs venus détendre l’atmosphère ! Au contraire, la répression policière s’intensifie de tous côtés et le canon à eau anti-émeute s’avance, aspergeant d’un jet puissant pour les disperser, tous les manifestants regroupés de l’autre côté de la barrière policière qui nous encercle. Tandis que commencent parmi nous des arrestations tout à fait arbitraires, musclées quelquefois lorsque d’aucuns font mine de résister.
Je fus arrêtée peu avant 11h par un jeune policier casqué, m’empoignant le bras gauche avec une force démesurée que rien dans mon attitude ne justifiait, puisqu’étant l’une des deux dernières personnes de notre groupe à se faire emmener, je ne tentais absolument pas de résister. Comme je lui répétais qu’il me faisait mal, il déserra toutefois progressivement son emprise. Plus loin sur le boulevard, à hauteur d’un magasin Hermes, je fus fouillée par une policière avant que mes mains soient menottées dans mon dos à l’aide de trois colsons en plastique. Je fus alors contrainte d’aller m’asseoir par terre, jambes écartées pour me coller en file indienne derrière d’autres femmes déjà au sol. Pendant près d’1 heure, il nous fallut attendre dans cette position très inconfortable qu’arrive le car de police à bord duquel nous allions nous faire embarquer.
J’assiste là à une interpellation policière d’une violence totalement gratuite : une dame se tenant à une dizaine de mètres de nous s’enquiert amicalement de notre sort et nous encourage, lorsqu’un policier lui ayant intimé l’ordre de s’éloigner l’arrête également pour n’avoir pas obtempéré sur-le-champ ; et bien qu’elle ne lui oppose aucune résistance, il l’attrape en l’enserrant avec ses bras par la gorge, la traîne ainsi jusqu’à nous où il la plaque au sol visage contre terre, lui appuyant fortement un pied sur le corps pendant que des collègues lui menottent les mains dans le dos avant de l’emmener.
En mode Fangio, ralentissant à peine au passage des brise-vitesse, le car nous conduira aux casernes d’Etterbeek, où nous resterons de longues heures dans des cellules glaciales, sans pouvoir ni boire, ni manger, ni même nous rendre aux toilettes. Tout cela ne fut possible que peu avant le terme de notre détention, survenu vers 17h30, après que tous aient été fouillés une nouvelle fois et dûment fichés.
Pendant quelques jours s’ensuivirent dans mon cas des contractures musculaires au niveau des jambes et de l’abdomen, ainsi qu’un sentiment d’insécurité en croisant en ville des policiers en uniforme - un comble alors qu’ils sont supposés assurer notre sécurité !
Je reste profondément scandalisée de la disproportion de cette intervention policière, tant par le nombre d’arrestations (près de 300 aux dires d’un policier à Etterbeek) que par la débauche de moyens mis en œuvre.
Mon impression est que les autorités, anticipant peut-être des mouvements sociaux de plus grande ampleur, aient voulu se servir de notre action pour rôder un dispositif répressif…
Je conclus ici mon témoignage, appelant à ne pas nous laisser intimider par de telles manœuvres, et à continuer de nous mobiliser ensemble chaque fois qu’il s’agira de défendre le droit inaliénable à une vie digne pour toutes et tous !
Marie-Françoise Cordemans, le 30 mai 2014
Plus d'infos sur le Traité Transatlantique USA-UE :
http://www.d19-20.be/fr/