dimanche 28 septembre 2014

« Les changements en Amérique Latine : une lueur d’espoir pour le monde » Noam Chomsky (investig'action)

« Les changements en Amérique Latine : une lueur d’espoir pour le monde » Noam Chomsky

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26 septembre 2014

L’ère digitale ne change en rien l’essence de la mission du journalisme engagé et indépendant, surtout dans ces moments où l’on a besoin de citoyens conscients et engagés pour faire face aux systèmes de pouvoir qui poussent notre monde au bord d’un désastre apocalyptique, a commenté Noam Chomsky lors d’une interview accordée à La Jornada.

Malgré le sombre panorama que représente la conjoncture actuelle, Chomsky signale qu’il existe quand même quelques lueurs d’espoir pour le monde qui proviennent des changements historiques que connaît l’Amérique Latine.
Chomsky, l’intellectuel vivant le plus cité dans le monde et l’un des 10 les plus cités dans l’histoire, est un fervent critique du modèle néolibéral, des politiques impériales des Etats-Unis et de celles d’Israël contre le peuple palestinien, ainsi que de l’utilisation et de l’abus de la communication et des médias.
Au niveau académique, Chomsky n’est pas seulement considéré comme le père de la linguistique moderne, le professeur émérite du Massachussetts Institute of Technology s’est aussi distingué pour ses apports à la philosophie et aux sciences sociales.
Profondément convaincu que le fait de dire la vérité face au pouvoir est une obligation morale, Chomsky déshabille l’empereur tous les jours et il reste, du haut de ses 85 ans, l’un des rares intellectuels en qui les nouvelles générations font confiance et respectent, malgré le fait qu’il soit virtuellement boycotté par les grands médias traditionnels de ce pays ainsi que dans le monde. Il représente quand même un danger pour le pouvoir, et c’est pourquoi il continue de représenter une voix importante pour le présent et pour notre futur.
Chomsky, collaborateur de La Jornada durant plusieurs années, a partagé ses réflexions sur la situation actuelle dans un entretien accordé à ce journal pour son trentième anniversaire.
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Comment percevez-vous ce que certaines personnes appellent des changements révolutionnaires dans le panorama des médias avec le surgissement de l’ère digitale, laquelle -ce sont les arguments de certaines personnes- promet une démocratisation du journalisme et ouvre les portes d’une ère de communication et d’information massive ? Quelque chose a changé ?
Bien sûr qu’il y a des changements, mais je crois que les bases restent les mêmes. Internet offre sans aucun doute une opportunité d’accès à une riche variété d’information et d’analyses, comme la production de ce type de matériel, avec plus de facilités qu’avant. Il offre aussi de nouvelles opportunités pour la diversion, la distraction, la formation de cultes, la pensée désorganisée, naviguer sans but clair etc. Une bonne bibliothèque peut offrir une opportunité pour qu’une personne devienne un biologiste créatif ou un lecteur sensible à la littérature, ou pour perdre le temps. Tout cela dépend de la façon de choisir ce qui est disponible. Les résultats de la nouvelle ère digitale sont mixtes.
Pour les organisateurs et les activistes, Internet a été un outil indispensable. Mais il faut faire ici attention : un des observateurs les plus habiles et informé du monde arabe, Patrick Cockburn, écrit que durant les soulèvements du Printemps arabe, « des membres des cerces intellectuels paraissaient [souvent] vivre et penser dans la chambre des échos de l’Internet. Peu d’entre eux ont exprimé des idées pratiques pour aller de l’avant, ou, ont prêté suffisamment d’attention aux réalités politiques, de classe ou militaires. Les résultats sont à la vue, et ses leçons peuvent être généralisées.
Quel devrait être le rôle des médias progressistes dans ce contexte ?
Nous dépendons tous des reportages directs de journalistes courageux et honnêtes, ceux qui font leur travail avec intégrité. Aucune technologie ne pourra changer cela. Le rôle des médias progressistes est toujours le même : essayer de chercher la vérité dans les grands dossiers, rompre le torrent de propagande et de mensonges qui sont enracinés dans les systèmes de pouvoir et donner les moyens aux gens pour qu’ils puissent avancer dans les différentes luttes pour al liberté, la justice et même notre survie face à ce qui met en péril [notre humanité].
Vous persistez à aborder les effets dévastateurs des politiques du gouvernement des Etats-Unis et du monde de l’entreprise, lesquelles se manifestent à travers des guerres et des injustices sociales et économiques, et plus récemment vous avez prévenu que nous en arrivons à un point où nous mettons en danger la survie de notre civilisation. Pour ceux qui s’intéressent aux Etats-Unis et à l’Amérique Latine en ce moment, quels sont les principaux défis d’aujourd’hui ? Où percevez-vous le plus grand potentiel pour faire face à ces défis ?
- Les menaces sont bien réelles. La menace de la destruction due à une guerre nucléaire est toujours présente, et nos antécédents historiques font froid dans le dos. La situation est tout aussi compliquée, et peut-être même plus, au niveau des menaces de catastrophe écologique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité nous faisons face à une possibilité de détruire les conditions d’une survie convenable, et les systèmes de pouvoir nous poussent vers un précipice.
Néanmoins, il ya des signes encourageants, qui proviennent en grande partie de l’Amérique Latine, car ce qui s’est passé ces dernières années a une signification vraiment historique. Pour la première fois en 500 ans, des pays latino-américains ont entrepris des avancées très sérieuses vers l’intégration et l’indépendance des puissances impériales étrangères (durant le siècle dernier, principalement des Etats-Unis).
Les changements, qui sont spectaculaires, prennent forment de différentes façon. Il n’y a pas si longtemps, l’Amérique Latine était « l’arrière cour » de Washington. Ces pays faisaient ce qu’on leur ordonnait, ou bien, s’ils ne suivaient plus les orientations [des Etats-Unis], ils étaient soumis à des coups d’état militaires, à la terreur et à la destruction. Mais aujourd’hui, au sein des conférences régionales, les Etats-Unis et le Canada sont virtuellement isolés.
Une étude récente des programmes des extraordinary rendition [1] de la Central Intelligence Agency (CIA), une des formes les plus sauvages et lâche de torture, montrait que cette agence avait pu collaborer presque dans le monde entier, en incluant l’Europe, mais avec une exception : l’Amérique Latine. C’est important pour deux raisons : d’abord à cause de la subordination historique de cette région vis-à-vis de Washington, et ensuite parce que durant cette période [de subordination] la région était l’un des plus grands centres de torture du monde.
“D’autre part, d’après le Traité de Tlatelolco [2], l’Amérique Latine est une des rares régions du monde qui possède une zone libre d’armes nucléaires.
Dans un autre ordre d’idées, avec des communautés indigènes qui ont souvent un rôle de leader, plusieurs pays latino-américains ont fait des avancées significatives pour reconnaître les droits de la nature et chercher des modèles d’économies durables qui puissent mettre un frein au chemin du désastre écologique.
Tout ceci est dramatique et encourageant à la fois, bien qu’il y ait aussi des défaillances et des problèmes sérieux.
Les défis auxquels nous faisons face sont immenses. Le plus grand potentiel [pour faire face à cette situation] viendrait de la part de citoyens actifs et engagés. Il ne reste plus beaucoup de temps à perdre.
- Qu’est ce qui vous procure encore de la joie aujourd’hui ?
- Dans la culture juive dans laquelle j’ai grandi, il y a un concept de rire à travers les larmes. Malheureusement, notre monde offre beaucoup d’opportunités pour cet exercice.
Mais il reste beaucoup de lueurs d’espoir, et plusieurs raisons pour espérer qu’un monde meilleur est possible, le Forum Social Mondial et ses diverses branches sont là pour nous le rappeler continuellement. Et ce n’est pas un hasard si ses racines son latino-américaines..
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Entretien réalisé par David Brooks
Source : La era digital no cambia la misión de la prensa libre – La Jornada (Mexique) – 19/09/2014
Traduit par Paúl Hernandez pour La Voie Bolivarienne, blog d’information alternatif sur l’Amérique Latine (http://voiebolivarienne.wordpress.com/).
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Un grand merci au réseau international de traducteurs Tlaxcala qui a repris cette traduction, l’a améliorée et l’a diffusée sur son site que je vous encourage à visiter :
NOTES DU TRADUCTEUR
[1] – « Le terme rendition (qu’on peut vaguement traduire par « restitution ») désigne l’action de transférer un prisonnier d’un pays à un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures normales d’extradition. Ce terme a été médiatisé dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », notamment à propos d’opérations de la CIA de transport clandestin de prisonniers, parfois précédé d’un enlèvement et parfois associé à une sorte « d’externalisation » de la torture, les États-Unis faisant torturer des prisonniers dans des pays alliés tout en l’interdisant sur leur territoire. Lorsque le sujet est d’abord enlevé au cours d’une opération clandestine avant d’être transféré, on parle d’extraordinary rendition. Les personnes concernées sont parfois détenues dans des prisons secrètes de la CIA hors du territoire des États-Unis. » Wikipedia / Extraordinary rendition.
[2] – Le Traité pour la prohibition des armes nucléaires en Amérique Latine et la Caraïbe a été signe à Tlatelolco, dans la ville de Mexico le 14 février 1967 et est entré en vigueur en avril 1969. Cuba a été le dernier État à ratifier le traité, en 2002. 33 pays ont donc aujourd’hui signé et ratifié le traité. L’Organisme pour la Proscription des Armes Nucléaires en Amérique Latine et la Caraïbe est l’organisme intergouvernemental créé par le Traité de Tlatelolco pour en assurer l’accomplissement des obligations du Traité. Voir http://www.presidencia.gob.mx/trata... et http://www.opanal.org/opanal/about/....