« Les changements en Amérique Latine : une lueur d’espoir pour le monde »
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26 septembre 2014
L’ère digitale ne change en rien l’essence de la mission du journalisme engagé et indépendant, surtout dans ces moments où l’on a besoin de citoyens conscients et engagés pour faire face aux systèmes de pouvoir qui poussent notre monde au bord d’un désastre apocalyptique, a commenté Noam Chomsky lors d’une interview accordée à La Jornada.
Malgré le sombre panorama que représente la conjoncture actuelle,
Chomsky signale qu’il existe quand même quelques lueurs d’espoir pour le
monde qui proviennent des changements historiques que connaît
l’Amérique Latine.
Chomsky, l’intellectuel vivant le plus cité dans le monde et l’un des
10 les plus cités dans l’histoire, est un fervent critique du modèle
néolibéral, des politiques impériales des Etats-Unis et de celles
d’Israël contre le peuple palestinien, ainsi que de l’utilisation et de
l’abus de la communication et des médias.
Au niveau académique, Chomsky n’est pas seulement considéré comme le père de la linguistique moderne, le professeur émérite du Massachussetts Institute of Technology s’est aussi distingué pour ses apports à la philosophie et aux sciences sociales.
Profondément convaincu que le fait de dire la vérité face au pouvoir est une obligation morale, Chomsky déshabille l’empereur tous les jours et il reste, du haut de ses 85 ans, l’un des rares intellectuels en qui les nouvelles générations font confiance et respectent, malgré le fait qu’il soit virtuellement boycotté par les grands médias traditionnels de ce pays ainsi que dans le monde. Il représente quand même un danger pour le pouvoir, et c’est pourquoi il continue de représenter une voix importante pour le présent et pour notre futur.
Au niveau académique, Chomsky n’est pas seulement considéré comme le père de la linguistique moderne, le professeur émérite du Massachussetts Institute of Technology s’est aussi distingué pour ses apports à la philosophie et aux sciences sociales.
Profondément convaincu que le fait de dire la vérité face au pouvoir est une obligation morale, Chomsky déshabille l’empereur tous les jours et il reste, du haut de ses 85 ans, l’un des rares intellectuels en qui les nouvelles générations font confiance et respectent, malgré le fait qu’il soit virtuellement boycotté par les grands médias traditionnels de ce pays ainsi que dans le monde. Il représente quand même un danger pour le pouvoir, et c’est pourquoi il continue de représenter une voix importante pour le présent et pour notre futur.
Chomsky, collaborateur de La Jornada durant plusieurs années, a
partagé ses réflexions sur la situation actuelle dans un entretien
accordé à ce journal pour son trentième anniversaire.
* * *
Comment percevez-vous ce que certaines personnes appellent
des changements révolutionnaires dans le panorama des médias avec le
surgissement de l’ère digitale, laquelle -ce sont les arguments de
certaines personnes- promet une démocratisation du journalisme et ouvre
les portes d’une ère de communication et d’information massive ? Quelque
chose a changé ?
Bien sûr qu’il y a des changements, mais je crois que les bases
restent les mêmes. Internet offre sans aucun doute une opportunité
d’accès à une riche variété d’information et d’analyses, comme la
production de ce type de matériel, avec plus de facilités qu’avant. Il
offre aussi de nouvelles opportunités pour la diversion, la distraction,
la formation de cultes, la pensée désorganisée, naviguer sans but clair
etc. Une bonne bibliothèque peut offrir une opportunité pour qu’une
personne devienne un biologiste créatif ou un lecteur sensible à la
littérature, ou pour perdre le temps. Tout cela dépend de la façon de
choisir ce qui est disponible. Les résultats de la nouvelle ère digitale
sont mixtes.
Pour les organisateurs et les activistes, Internet a été un outil
indispensable. Mais il faut faire ici attention : un des observateurs
les plus habiles et informé du monde arabe, Patrick Cockburn, écrit que
durant les soulèvements du Printemps arabe, « des membres des cerces
intellectuels paraissaient [souvent] vivre et penser dans la chambre des
échos de l’Internet. Peu d’entre eux ont exprimé des idées pratiques
pour aller de l’avant, ou, ont prêté suffisamment d’attention aux
réalités politiques, de classe ou militaires. Les résultats sont à la
vue, et ses leçons peuvent être généralisées.
Quel devrait être le rôle des médias progressistes dans ce contexte ?
Nous dépendons tous des reportages directs de journalistes courageux
et honnêtes, ceux qui font leur travail avec intégrité. Aucune
technologie ne pourra changer cela. Le rôle des médias progressistes est
toujours le même : essayer de chercher la vérité dans les grands
dossiers, rompre le torrent de propagande et de mensonges qui sont
enracinés dans les systèmes de pouvoir et donner les moyens aux gens
pour qu’ils puissent avancer dans les différentes luttes pour al
liberté, la justice et même notre survie face à ce qui met en péril
[notre humanité].
Vous persistez à aborder les effets dévastateurs des
politiques du gouvernement des Etats-Unis et du monde de l’entreprise,
lesquelles se manifestent à travers des guerres et des injustices
sociales et économiques, et plus récemment vous avez prévenu que nous en
arrivons à un point où nous mettons en danger la survie de notre
civilisation. Pour ceux qui s’intéressent aux Etats-Unis et à l’Amérique
Latine en ce moment, quels sont les principaux défis d’aujourd’hui ? Où
percevez-vous le plus grand potentiel pour faire face à ces défis ?
Les
menaces sont bien réelles. La menace de la destruction due à une guerre
nucléaire est toujours présente, et nos antécédents historiques font
froid dans le dos. La situation est tout aussi compliquée, et peut-être
même plus, au niveau des menaces de catastrophe écologique. Pour la
première fois dans l’histoire de l’humanité nous faisons face à une
possibilité de détruire les conditions d’une survie convenable, et les
systèmes de pouvoir nous poussent vers un précipice.
Néanmoins, il ya des signes encourageants, qui proviennent en grande
partie de l’Amérique Latine, car ce qui s’est passé ces dernières années
a une signification vraiment historique. Pour la première fois en 500
ans, des pays latino-américains ont entrepris des avancées très
sérieuses vers l’intégration et l’indépendance des puissances impériales
étrangères (durant le siècle dernier, principalement des Etats-Unis).
Les changements, qui sont spectaculaires, prennent forment de
différentes façon. Il n’y a pas si longtemps, l’Amérique Latine était
« l’arrière cour » de Washington. Ces pays faisaient ce qu’on leur
ordonnait, ou bien, s’ils ne suivaient plus les orientations [des
Etats-Unis], ils étaient soumis à des coups d’état militaires, à la
terreur et à la destruction. Mais aujourd’hui, au sein des conférences
régionales, les Etats-Unis et le Canada sont virtuellement isolés.
Une étude récente des programmes des extraordinary rendition [1] de
la Central Intelligence Agency (CIA), une des formes les plus sauvages
et lâche de torture, montrait que cette agence avait pu collaborer
presque dans le monde entier, en incluant l’Europe, mais avec une
exception : l’Amérique Latine. C’est important pour deux raisons :
d’abord à cause de la subordination historique de cette région vis-à-vis
de Washington, et ensuite parce que durant cette période [de
subordination] la région était l’un des plus grands centres de torture
du monde.
“D’autre part, d’après le Traité de Tlatelolco [2], l’Amérique Latine
est une des rares régions du monde qui possède une zone libre d’armes
nucléaires.
Dans un autre ordre d’idées, avec des communautés indigènes qui ont
souvent un rôle de leader, plusieurs pays latino-américains ont fait des
avancées significatives pour reconnaître les droits de la nature et
chercher des modèles d’économies durables qui puissent mettre un frein
au chemin du désastre écologique.
Tout ceci est dramatique et encourageant à la fois, bien qu’il y ait aussi des défaillances et des problèmes sérieux.
Les défis auxquels nous faisons face sont immenses. Le plus grand
potentiel [pour faire face à cette situation] viendrait de la part de
citoyens actifs et engagés. Il ne reste plus beaucoup de temps à perdre.
- Qu’est ce qui vous procure encore de la joie aujourd’hui ?
Dans
la culture juive dans laquelle j’ai grandi, il y a un concept de rire à
travers les larmes. Malheureusement, notre monde offre beaucoup
d’opportunités pour cet exercice.
Mais il reste beaucoup de lueurs d’espoir, et plusieurs raisons pour
espérer qu’un monde meilleur est possible, le Forum Social Mondial et
ses diverses branches sont là pour nous le rappeler continuellement. Et
ce n’est pas un hasard si ses racines son latino-américaines..
– -
Entretien réalisé par David Brooks
Source : La era digital no cambia la misión de la prensa libre – La Jornada (Mexique) – 19/09/2014
Traduit par Paúl Hernandez pour La Voie Bolivarienne, blog d’information alternatif sur l’Amérique Latine (http://voiebolivarienne.wordpress.com/).
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Un grand merci au réseau international de traducteurs Tlaxcala qui a
repris cette traduction, l’a améliorée et l’a diffusée sur son site que
je vous encourage à visiter :
NOTES DU TRADUCTEUR
[1] – « Le terme rendition (qu’on peut vaguement traduire par
« restitution ») désigne l’action de transférer un prisonnier d’un pays à
un autre hors du cadre judiciaire, notamment hors des procédures
normales d’extradition. Ce terme a été médiatisé dans le cadre de la
« guerre contre le terrorisme », notamment à propos d’opérations de la
CIA de transport clandestin de prisonniers, parfois précédé d’un
enlèvement et parfois associé à une sorte « d’externalisation » de la
torture, les États-Unis faisant torturer des prisonniers dans des pays
alliés tout en l’interdisant sur leur territoire. Lorsque le sujet est
d’abord enlevé au cours d’une opération clandestine avant d’être
transféré, on parle d’extraordinary rendition. Les personnes concernées
sont parfois détenues dans des prisons secrètes de la CIA hors du
territoire des États-Unis. » Wikipedia / Extraordinary rendition.
[2] – Le Traité pour la prohibition des armes nucléaires en Amérique
Latine et la Caraïbe a été signe à Tlatelolco, dans la ville de Mexico
le 14 février 1967 et est entré en vigueur en avril 1969. Cuba a été le
dernier État à ratifier le traité, en 2002. 33 pays ont donc aujourd’hui
signé et ratifié le traité. L’Organisme pour la Proscription des Armes
Nucléaires en Amérique Latine et la Caraïbe est l’organisme
intergouvernemental créé par le Traité de Tlatelolco pour en assurer
l’accomplissement des obligations du Traité. Voir http://www.presidencia.gob.mx/trata... et http://www.opanal.org/opanal/about/....