Aussi,
comme au bon vieux temps du partage de la Conférence de Berlin et des
conquêtes coloniales, le souci du bien-être des populations locales
avait été mis au centre d’une rhétorique justifiant l’incongrue présence
de militaires français sur le sol africain, en ce début de XXIème
siècle.
Malgré quelques réticences d’un exécutif malien faiblard,
sans forces de défense dignes de ce nom, et ne devant sa bonne fortune
qu’à l’interventionnisme du gouvernement français, l’ouverture d’une
base française à Tessalit avait été entérinée par un accord de
« Partenariat de défense » signé à la mi-juillet 2014 (
Lire ici).
Lisant
entre les lignes, nous annoncions un retour en force et durable d’une
France, à genoux économiquement, sur le sol africain.
Les
dialectiques de la lutte contre le terrorisme, de celle de l’aide au
développement et de la lutte contre le trafic de drogue nous
apparaissaient alors comme le minuscule cache-sexe d’ambitions
néocoloniales.
Les dernières décisions et actions françaises dans
la région, prises comme il se doit en catimini, valident notre
lecture-diagnostic d’hier et fondent nos propectives-antidotes de
demain.
Comme souvent en matière françafricaine, c’est sous
couvert d’anonymat qu’un responsable du ministère français de la Défense
a annoncé le renforcement du dispositif militaire tricolore. On notera
la persistance des autorités françaises à traiter leurs partenaires (ou
subordonnés) africains avec la plus grande des condescendances.
Méprisant
toute prérogative étatique ou exercice de souveraineté, le choix du
moment et du vecteur de l’annonce n’est même pas laissé au pays
concerné, celui-ci n’ayant qu’à se taire et obtempérer.
Ainsi, la
source anonyme s’étant confiée à l’AFP, a informé nigériens et français
qu’une nouvelle base militaire serait sise au Niger, plus précisément en
la ville de Madama, distante d’une centaine de kilomètres de la
frontière libyenne.
Resserrant le maillage militaire français au
Sahel, l’emplacement de cette base, qualifié de « stratégique » a pour
but avoué de contrôler l’accès à la Libye aux djihadistes et
trafiquants. L’ex-Jamahiriya étant devenue, depuis le renversement de
Mouammar Kadhafi, une oasis et un marché d’armes à ciel ouvert pour
terroristes.
A toutes fins utiles, il nous faut soulever le
heureux hasard que constitue l’annonce de l’ouverture d’une base
militaire au nord du Niger, dix jours à peine après l’officialisation de
la mise en œuvre d’un accord signé le 26 mai 2014, entre le
gouvernement local et la société française Areva.
Hasard heureux,
mais des plus troublants, puisque les mines d’uranium, pour lesquelles
la multinationale tricolore a obtenu des conventions d’exploitations, se
trouvent elles aussi au nord du Niger.
Areva ayant accepté, dans
la plus pure tradition coloniale, de financer la construction de la
route permettant d’évacuer le produit de son pillage, l’armée française,
en plus de poursuivre les djihadistes et trafiquants de drogue, aura la
mission de protéger le convoyage d’un précieux minerai obtenu à vil
prix garantissant l’indépendance énergétique du pays des droits de
l’homme, et au passage, de juteux dividendes aux actionnaires d’Areva...
Apparaissant
au grand jour, les véritables raisons de la présence française au Sahel
et les incohérences dans l’exposé de ses missions successives dans la
région, nécessitent cependant un rapide rappel chronologique, permettant
une contextualisation nécessaire à l’établissement des fondements
crapuleux de l’interventionnisme hexagonal sur la terre d’Afrique en
général, au Sahel en particulier.
Soucieuse de sauver le peuple
libyen de la folie sanguinaire d’un tyran, auquel elle avait réservé un
accueil grandiose dans les jardins de l’Élysée en décembre 2007, la
France soutenue par l’OTAN, avait procédé, avec la barbarie distinguée
des démocraties occidentales, au renversement le 20 Octobre 2011 de
Mouammar Kadhafi.
Le résultat de cette croisade blanche pour
l’avènement de la démocratie chez les arabes s’était soldée par un
fiasco équivalant à celui du précédent irakien : un pays divisé, plongé
dans le chaos, en proie à une violence politique aveugle, et bientôt
déserté par ses libérateurs.
Français et américains, après avoir
mis le pays à feu et à sang, mais s’étant d’abord assurés que leurs
intérêts économiques seraient correctement gérés par la bourgeoisie
compradore qu’ils avaient contribué à installer aux commandes de cet
état en guerre civile permanente, s’étaient enfuis.
Las, comme en
Irak, les feux qu’ils avaient initiés en Libye n’allaient pas tarder à
faire tâche d’huile dans la sous-région et menacer les intérêts
économiques français : les mines d’or et d’uranium (Faléa) au Mali et
les mines d’uranium (Arlit et Imouraren) du Niger.
L’aspect
économique de cet interventionnisme prédateur a toujours été sciemment
éludé par les responsables politiques français, et pire encore,
largement ignoré par des médias encore plus incompétents qu’à
l’accoutumée.
Il fallait donc une bonne raison pour envoyer la
troupe dans cette zone méconnue des français et qui ne leur semblerait
pas, de prime abord, ressortir des intérêts vitaux de l’hexagone.
Arrivèrent alors, et à point nommé, des djihadistes menaçant la république malienne : l’opération Serval pouvait être lancée.
Faisant
d’une pierre deux coups, François Hollande sauvait les maliens de
l’instauration d’un califat, tout en épongeant la dette de la France
envers l’Afrique (le ridicule ne tue pas !).
Il repositionnait
corrélativement l’armée française au cœur d’une zone stratégique, en
prévision de tensions qui découleront à coup sûr dans un futur proche,
de la nouvelle ruée vers l’Afrique.
Mais aussi et surtout dans l’optique immédiate de protéger les intérêts locaux de l’ex-puissance coloniale.
Si
le triomphe de Serval fut rapide et total, le suspens fut maintenu par
les autorités françaises. Celles-ci, poussant leur avantage, en
profitèrent pour maintenir le gouvernement malien sous pression. En
soutenant discrètement les irrédentistes touaregs et en gonflant la
menace djihadiste, elles obtinrent de ce dernier, dont la faiblesse et
le dénuement en matière de défense confinent au pathétique, la signature
d’un « Partenariat de défense » portant création d’un base militaire
française à Tessalit.
Dans ce monde plus sûr était lancée par surprise l’opération Barkhane : l’enfumage se révélera final et définitif.
Se
positionnant sur une ligne partant du Sénégal/Mauritanie et passant par
le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan pour finir en Érythrée, la
France s’était octroyée le rôle de puissance régionale, elle qui se
situe pourtant en Europe.
Contre toute attente, ce
repositionnement s’avère être insuffisant. On apprend aujourd’hui que
les djihadistes chassés du Mali, s’étant réfugiés dans une Libye
devenue, depuis l’intervention de le l’OTAN, un havre pour terroriste et
un marché d’armes à ciel ouvert, il est nécessaire d’ouvrir une base au
Niger, dans la localité de Madama.
En clair, la France déclenche
un chaos en Libye d’où émergent des fous d’Allah qu’elle chasse du Mali.
Ceux-ci se réfugient dans une Libye en proie au désordre, leur offrant
un sanctuaire ce qui « contraint » la France à surveiller les environs,
de crainte qu’ils ne reviennent.
Gageons qu’ils reviendront au Mali ou au Niger et qu’il faudra encore les en déloger.
Notons que pour 200 djihadistes (selon l’AFP), la France a dépêché sur
place de 3 à 4000 soldats et personnels militaires. Que la zone d’action
des djihadistes soit immense, personne n’en disconvient, mais
l’asymétrie des forces en présence (il faut ajouter les 8200 hommes de
la Minusma stationnés au Mali) rendent encore moins plausibles les
motifs avancés par Paris, afin de justifier une présence suintant le
néocolonialisme, matérialisée par les deux nouvelles bases militaires
ouvertes au Mali et au Niger.
C’est donc à un jeu à sommes nulles auquel participe l’Afrique à son corps défendant.
Le chaos installé par l’OTAN en Libye étant appelé à durer, les
va-et-vient incessants des barbus dans la bande sahélienne ne sont pas
prêts de s’arrêter et la France, de par l’ampleur de ses méfaits dans la
région, a rendu incontournable pour plusieurs années une présence
urticante et prédatrice.
Présence qu’elle souhaite étendre vers
l’Afrique de l’Ouest et centrale, puisqu’elle a proposé ses services au
Nigeria et au Cameroun, confrontés à Boko Haram.
Boko Haram, terme générique désignant tout à la fois la persistance de
particularismes religieux, de déséquilibres économiques et sociaux au
nord du Nigeria, la cristallisation de règlements de comptes politiques
internes préfigurant une lutte acharnée lors de l’élection
présidentielle à venir, et d’une lutte non moins acharnée pour
l’obtention de la place du vieillissant président-fainéant Paul Biya.
Arrive
le moment où, en tant qu’africain conscient, sain de corps et d’esprit,
l’on doive s’arrêter pour apporter réponse à une question de bon sens,
voire d’application du sain principe de réciprocité.
Alors que
Nicolas Sarkozy, le maître-d’œuvre du pandémonium libyen, dans une
tentative désespérée d’échapper à la justice de son pays, opère un
retour en politique et use d’une rhétorique raciste visant, entre autres
cibles, les africains (l’immigration menacerait la l’identité et la
façon de vivre des français), ne devons-nous pas repenser les voies et
moyens entraînant la fin de la présence non désirée et non désirable de
l’armée française, où qu’elle se trouve sur le sol africain ?
Alors
que la France quasi-unanime, se répand en pleurs et hommages mielleux à
la mémoire d’un ennemi objectif des peuples africains, feu Monsieur de
Margerie, pouvons-nous persister à tolérer la présence invasive et
prédatrice d’un État qui canonise l’ordure économique, et par là,
légitime le pillage de nos matières premières ?
Total, ce joyau du CAC 40, synonyme de corruption, de pollution, de
spoliation sur le sol africain, est, au même titre qu’Areva, Bouygues ou
les entreprises Bolloré, le fer d’une lance aux mains de l’état
français, plantée dans les reins de l’Afrique.
Peut-on en
conséquence ajouter foi aux déclarations grandiloquentes de François
Hollande ou de son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, lorsqu’ils
prétendent envoyer soldats, ouvrir bases militaires à chaque croisement
de rue africaine pour lutter contre le terrorisme, et suprême injure,
nous aider ?
Aux questions du bon sens et de la réciprocité,
s’ajoutent celles qui portent sur l’essence même de notre refus : que
voulons-nous atteindre collectivement et quel est le degré de notre
volonté ?
Que faut-il pour que, collectivement, nous décidions de
changer de fusil d’épaule, pour cette fois le charger et nous en
servir ?
Que faut-il pour que collectivement, nous choisissions de
nous opposer à la persistance de la mainmise sur nos états de ce
parasite que constitue la France en Afrique ?
Cette dernière a
assez menti et triché, a assez pillé et et tué, a suffisamment menacé et
attaqué nos identités et façons de vivre pour qu’il n’y ait plus
d’ambiguïté sur la marche à suivre et surtout la direction à lui faire
prendre : la reconduite immédiate à nos frontières de cet immigré voleur
et assassin.
Il n’y a pas de générosité à chercher et encore
moins à trouver dans les actions de la patrie des droits de l’homme en
Afrique. On se souviendra avec profit de la réaction de son exécutif,
lors du refus manifesté par la Guinée de Sékou Touré d’intégrer, en
1958, une Communauté Française voulue par De Gaulle, continuation du
droit de cuissage économique de la métropole.
L’histoire du
continent est jalonnée des forfaitures et trahisons françaises, toutes
enrobées dans des concepts séduisants mais trompeurs, tels que l’apport
de la civilisation, le développement économique, la promotion de la
démocratie et aujourd’hui la lutte contre le fondamentalisme musulman.
Dans
l’optique de ce changement de logiciel dans les relations pays
Africains/France, un préalable est nécessaire et indispensable : la mise
à l’écart du jeu politique d’une élite complice de la France et tout
comme elle prédatrice.
Il ne peut y avoir d’émancipation véritable, si reste accrochée aux plus
hauts cercles du pouvoir la classe politique corrompue qui, se
perpétuant depuis plus de cinquante ans, est responsable du retard de
l’Afrique, et de son statut de marionnette sur la scène internationale.
Ce
pouvoir confisqué par des laquais, il nous faut, peuples d’Afrique
avoir le courage et la volonté collective de s’employer à le récupérer.
Il n’y aura pas d’homme providentiel, laissons derrière nous la chimère
du leader charismatique, détenant à lui seul la solution à nos
problèmes.
Le salut, comme le marasme actuel, sera collectif, et
c’est d’un peuple devenu providentiel pour lui-même qu’émergeront le
changement et le remplacement des élites défaillantes nous ayant
représenté, à notre corps défendant, depuis si longtemps.
Se
dessine à cet égard, un test déterminant pouvant potentiellement marquer
une étape importante, préfigurant la fin d’un cycle. Blaise Compaoré,
l’assassin de Thomas Sankara, souhaitant pérenniser sa présence
pernicieuse à la tête de l’État burkinabé et usant de tours de
passe-passe éculés, a décidé de modifier l’article 37 de la constitution
de son pays, portant sur la limitation du nombre de mandat
présidentiel.
L’opposition a d’ores et déjà notifié qu’elle ne laissera pas
l’autocrate agir à sa guise, et le peuple semble prêt à la désobéissance
civile. Il est à espérer que les États-Unis, ayant déjà manifesté leur
opposition à Compaoré, ne s’octroient le contrôle du Burkina Faso, par
un des coups tordus dont ils sont coutumiers, en favorisant la prise du
pouvoir par une marionnette, qui comme celle occupant actuellement la
présidence ivoirienne, et tenue en laisse par Paris, rendra des comptes à
Washington.
Ce test, s’il est passé avec succès peut être, (non pas le déclic, car
l’avenir du continent ne se joue ni sur un homme, ni sur un moment), une
base sur laquelle repenser le rôle politique de peuples africains,
ayant appris à dire non et le faisant savoir.
Cette étape passée,
alors il nous sera possible de faire entendre à la France et aux autres
nations impérialistes, le rugissement que nous retenons tant bien que
mal par-devers nous depuis des générations : allez-vous en !
Ceux
suffisamment sages, parmi les autoproclamés maîtres du monde, mesurant
alors la force de notre détermination, d’eux-mêmes s’en iront.
Aux
autres, bornés et têtus, il sera toujours temps d’imposer un dilemme
naguère synonyme d’une Algérie brûlante luttant pour accéder à son
l’indépendance : la valise ou le cercueil...