Ebola : « Les firmes pharmaceutiques ne s’intéressent pas à une maladie qui ne touche que les pauvres »
Depuis des mois, l’épidémie d’Ebola fait l’actualité. On en voit certes des images-choc, mais guère d’analyse du fond du problème. Pourquoi une épidémie d’une telle ampleur ? Pour Solidaire, des étudiants en médecine se sont plongés dans la question. Résumé.
L’épidémie d’Ebola qui sévit actuellement en Afrique de l’Ouest est
de loin la plus importante que l’Afrique ait jamais connue. Ce 26
septembre, on dénombrait déjà 6 263 victimes, dont 2 917 sont décédées.
Mais les conséquences vont bien plus loin. Tout le système de soins de
santé dans les pays concernés est à l’arrêt. Les médecins et le
personnel infirmier fuient par peur d’être contaminés : il n’y a en
effet pas assez de moyens de protection. C’est pourquoi, ces derniers
mois, on a également constaté une augmentation des autres maladies,
comme par exemple la malaria.
Quel est donc ce virus qui cause tant de morts et pourquoi ne réussit-on
pas à contrôler l’épidémie ?
Ebola, une maladie de la pauvreté
Des maladies infectieuses comme Ebola sont ce qu’on appelle des
« maladies de la pauvreté » : elles se produisent principalement dans
des pays, régions ou groupes de population pauvres. Ce n’est pas un
hasard si l’actuelle épidémie d’Ebola touche précisément trois des pays
les plus pauvres du monde. Le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone
figurent respectivement aux numéros 175, 179 et 183 sur la liste des 187
pays de l’Index de développement humain des Nations unies. Plusieurs
facteurs rendent ces pays plus vulnérables.
Tout d’abord, en Afrique de l’Ouest, la population est en général
moins résistante aux germes pathogènes. Les gens souffrent en effet de
malnutrition, ce qui affaiblit leur système immunitaire. Ensuite, la
propagation est favorisée par le manque d’eau pure et des conditions de
vie peu hygiéniques. Et, enfin, le système de soins de santé est
fortement sous-développé.
C’est là la clé dans le traitement de cette épidémie. La stratégie la
plus efficace pour enrayer l’actuelle épidémie d’Ebola est
l’identification des personnes infectées afin de les isoler et de les
soigner, suivie de la recherche et de l’examen de leurs contacts pour
arrêter la chaîne de transmission. C’est aussi de cette manière que les
précédentes apparitions d’Ebola ont été combattues. Il s’agit donc de
mesures qui, en soi, sont simples, mais qui exigent une parfaite
coordination. La structure des soins de santé de première ligne est,
ici, cruciale.
Question de solidarité
En d’autres mots, les pays d’Afrique de l’Ouest manquent de moyens.
De moyens, mais aussi de gens. Médecins sans Frontières a été la
première organisation à tirer la sonnette d’alarme. Le 24 juin déjà,
elle lançait l’alerte : l’épidémie n’était plus contrôlable et les
équipes sur place avaient atteint les limites de leurs possibilités.
Elle a lancé un appel à une mobilisation massive pour fournir des moyens
matériels et humains à la région.
Mais le silence est resté assourdissant. Ce n’est que le 31 juillet que
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a réagi. L’Occident a, à
contrecœur, libéré de l’argent, mais ce n’était pas suffisant. Le 28
août, l’OMS et sa directrice générale Margaret Chan ont lancé un nouvel
appel au secours : « L’argent et le matériel sont importants mais,
seuls, ils ne vont pas arrêter l’épidémie d’Ebola. »
Le seul pays qui a immédiatement réagi est Cuba. Une nouvelle qui
fait chaud au cœur. Tout comme lors des inondations au Pakistan ou du
tremblement de terre en Haïti, le petit pays du Tiers Monde a montré ce
que peut faire une société solidaire. 165 professionnels de la santé
vont aller, durant une demi-année, renforcer à la base la lutte des
autorités – ce qui va doubler le nombre de professionnels étrangers
présents sur place. Margaret Chan a remercié les Cubains et leur a rendu
hommage : « Cuba est mondialement réputé pour former d’excellents
médecins et infirmiers et pour la générosité de son aide aux autres pays
en développement. »
Un médecin Cubain en Haïti après le tremblement de terre. 165
professionnels de la santé ont été envoyés en Afrique par Cuba pour
aider à combattre l’épidémie. (Photo kulturekritic.com)
Maladies « négligées »
Amit Sengupta, du mouvement international People’s Health Movement, a
suivi de près les événements. « Le problème ne réside pas dans la
pathologie de la maladie, mais dans la pathologie de notre société et de
l’architecture politique et économique globale », explique-t-il. Comme
exemple, il cite le désintérêt de la recherche pharmaceutique : « Nous
connaissons le virus Ebola depuis déjà quarante ans. Pourtant il n’y a
jamais eu de vaccin ou de remède mis sur le marché. Aucune firme
pharmaceutique n’est intéressée par un médicament pour une maladie qui
touche seulement les pauvres. » Un seul médicament contre Ebola a été
développé ces dernières années, le fameux ZMapp, toujours au stade
expérimental.
Ebola fait en effet partie des maladies dites « négligées ». Comme la
malaria, la tuberculose, le Kala Azar, la maladie de Chagas et bien
d’autres. Ces maladies sont délaissées par l’industrie de la recherche
parce qu’elles ne peuvent étancher suffisamment la soif de profit des
multinationales pharmaceutiques. La gynécologue Marleen Temmerman,
directrice du département de Santé reproductive et de Recherche de l’OMS
et qui a travaillé pendant des années en Afrique, a réagi fin juillet
dans De Morgen : « Il faudrait porter davantage d’attention à ces
“maladies négligées” qui touchent principalement l’Afrique. Et cela, pas
seulement au moment des pics. Actuellement, l’Occident accorde une
large attention à Ebola parce que la maladie, par la mondialisation,
pourrait également arriver chez nous. Et si, dans deux ans, un nouveau
virus éclatait, il y aurait à nouveau cette réaction de panique. Mais
c’est de manière continue qu’il faudrait s’occuper du problème. »
Sans la contrainte économique des dettes et des rapports
commerciaux inéquitables, ces pays auraient pu se développer depuis
longtemps : dispositifs sociaux, système d’enseignement bien organisé,
améliorations de l’infrastructure, soins de santé de première ligne
accessibles… (Photo Shack Dwellers International / Flickr)
Responsabilité
La lenteur de la réaction de l’OMS est aussi le symptôme d’un plus
grand problème. La célèbre revue médicale The Lancet en attribue la
responsabilité aux Etats membres, qui financent l’OMS. Ces dernières
années, ils ont réduit son budget. En conséquence, ces deux dernières
années, le budget pour les crises et les épidémies a été diminué de
moitié, passant de 469 millions en 2012-2013 à 228 millions en
2014-2015. La crise Ebola montre ce qui peut se passer lorsque la santé
publique n’est plus une priorité pour l’Etat.
La responsabilité de l’Occident ne peut être suffisamment soulignée.
Pour la réduction des contributions à l’OMS, pour le désinvestissement
de la recherche pharmaceutique, pour avoir ignoré les appels d’urgence
de MSF, de l’OMS et des pays concernés. Mais surtout : pour l’histoire
séculaire d’exploitation, de colonialisme et de néocolonialisme. Sans la
contrainte économique des dettes et des rapports commerciaux
inéquitables, ces pays auraient pu se développer depuis longtemps :
dispositifs sociaux, système d’enseignement bien organisé, améliorations
de l’infrastructure, soins de santé de première ligne accessibles… Ce
n’est que si l’Afrique de l’Ouest peut se développer qu’elle pourra
graduellement reprendre des forces et affronter des épidémies comme
Ebola.
Ou, comme le dit Rabatiou Sérah Diallo, secrétaire général de la
Confédération nationale des travailleurs de Guinée (DeWereldMorgen, 2
avril 2014) : « Comment allons-nous éviter à l’avenir une épidémie comme
celle-ci ? Donnez aux gens l’accès à un enseignement et à des soins de
santé de bonne qualité, donnez-leur un revenu correct pour leur travail.
Des citoyens conscients s’occuperont eux-mêmes du reste. »
Une nouvelle maladie ?
Ebola n’est pas une nouvelle maladie. Elle a été enregistrée pour la
première fois en 1976 au Soudan et en République démocratique du Congo.
Le Belge Peter Piot a été un des premiers à s’occuper de la question. Au
Congo, l’infection est apparue près de la rivière Ebola, d’où le nom
donné au virus. Depuis 1976, 24 foyers d’infection ont été enregistrés.
On suppose que la population africaine est affectée par des infections
d’Ebola depuis plus de quarante ans. Pendant longtemps, elles sont
restées non enregistrées dans les communautés rurales.
Transmission
Le mode de transmission le plus connu pour Ebola est la contamination
d’humain à humain, via le sang et les autres liquides corporels. Le
traitement des patients décédés est à cet égard très à risque. Selon
certaines hypothèses, l’homme pourrait aussi contracter le virus par une
espèce spécifique de chauve-souris frugivore (via la salive et les
déjections sur les fruits). Les chimpanzés, les gorilles, les petits
singes, les antilopes et les porc-épics sont également avancés comme
sources animales. Comme la possibilité d’une source animale n’a pas
encore suffisamment été étayée scientifiquement, la prévention et le
contrôle restent très difficiles.
Quels sont les symptômes d’Ebola ?
Ebola commence de manière typique par une montée de fièvre abrupte,
des frissons et un malaise général. D’autres signes et symptômes sont un
sentiment de faiblesse, une diminution d’appétit et de forts maux de
tête. La manifestation clinique de l’Ebola est spectaculaire, avec une
rapide progression de l’infection vers la mort des cellules et des
symptômes comme des saignements internes et externes, des vomissements
et des diarrhées. Le chiffre de mortalité est élevé, variant entre 50 et
90%.
Source : Solidaire=39027&cHash=91d232b916c6cc1fddf17399ed7168fa]