vendredi 3 octobre 2014

Le discours de propagande d’Obama à l’ONU, par Robert Parry (les crises)

Le journaliste d’investigation Robert Parry a fait éclater de nombreuses histoires sur l’affaire Iran-Contra pour The Associated Press et Newsweek dans les années 80.
Exclusif : Plus le Président Obama avance dans son mandat, moins il est honnête. Ce problème devient de plus en plus apparent au cours de son second mandat, alors qu’il lit des discours contenant des informations dont il sait pertinemment qu’elles sont fausses ou prêtent grandement à confusion, déclare Robert Parry.
Par Robert Parry, 25 septembre 2014
Lors de son premier mandat, le Président Obama faisait en général preuve de prudence lorsqu’il s’exprimait sur les affaires internationales, non pas qu’il fût totalement honnête mais il prenait garde à ne pas proférer de mensonge flagrant. Cependant, au cours des deux dernières années, il semble avoir abandonné toute retenue.
C’est le cas même lorsqu’il se livre à un exercice aussi sérieux qu’une communication à l’Assemblée des Nations Unies sur des questions de guerre et de paix, ce qui fut le cas à la fois l’an dernier et cette année. En septembre 2013, Obama a fait, s’agissant de la mystérieuse attaque au gaz sarin du mois précédent en Syrie, un commentaire qu’il savait être fallacieux. Il fit de même mercredi dernier dans sa description de la crise en Ukraine.
Concernant le cas du sarin, Obama savait avant son discours de 2013 que beaucoup de ses propres analystes du renseignement croyaient que les rebelles étaient derrière l’attaque du 21 août qui a tué plusieurs centaines de personnes dans la banlieue de Damas. Ces analystes suspectaient l’incident de faire partie d’une machination pour accuser le gouvernement du président Bashar-el-Assad et provoquer une intervention militaire américaine contre les forces d’Assad. [Voir Consortiumnews.com "Fixing Intel Around Syria Policy" et "Was Turkey Behind Syria-Sarin Attack ?"]
Bien qu’il sache tout cela, Obama a prononcé un discours officiel à l’assemblée générale des Nations Unies le 24 septembre 2013, déclarant : « C’est une insulte à la raison humaine et à la légitimité de cette institution de suggérer que quelqu’un d’autre que le régime ait mené cette attaque. »
De même, Obama connaissait la réalité complexe de la situation en Ukraine lorsqu’il a pris la parole mercredi. Il savait que la crise avait été provoquée, non par la Russie, mais par l’Union Européenne et les États-Unis. Il savait que le président élu Victor Ianoukovitch avait été la cible d’une opération de « changement de régime » voulue par des fonctionnaires du Département d’Etat américain, menés par la Secrétaire d’Etat adjointe néoconservatrice pour les Affaires Européennes Victoria Nuland, qui a littéralement sélectionné les nouveaux dirigeants avec l’aide de l’ambassadeur américain Geoffrey Pyatt qui a décrit la nécessité « d’accoucher de ce truc. »
Obama savait que Nuland avait dit aux chefs d’entreprises ukrainiens que le gouvernement américain avait investi 5 milliards de dollars pour soutenir leurs « aspirations européennes » et que le National Endowment for Democracy, financé par les États-Unis, avait subventionné une quantité d’« organisations non gouvernementales » pour aider à déstabiliser le gouvernement Ianoukovitch. Il savait également le rôle clé joué par les milices néo-nazies ukrainiennes dans la prise des bâtiments de la Présidence le 22 février, forçant les équipes de Ianoukovitch à fuir pour sauver leurs vies.
Obama savait aussi que les Ukrainiens d’origine et de culture russe, majoritaires dans l’est de l’Ukraine, avaient rejeté ce régime né d’un coup d’état et étaient entrés en résistance contre ce que beaucoup voyaient comme une autorité illégitime. Il savait aussi que la population de Crimée – confrontée au régime putschiste de Kiev – avait, lors d’un referendum, voté massivement pour une séparation de l’Ukraine et un rattachement à la Russie, initiative que le gouvernement russe a soutenue et acceptée.
Obama savait que le régime de Kiev avait brutalisé le sud et l’est de l’Ukraine, les activistes du régime brûlant vifs des douzaines de manifestants pro-russes à Odessa, et ses militaires tuant des milliers de personnes par des tirs à l’arme lourde sur les villages et les villes de l’Est ukrainien. Le régime putschiste de Kiev a même envoyé des milices nazies, comme le bataillon Azov, mener de sanglants combats de rues – c’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un gouvernement a déployé des forces nazies armées pour attaquer une population européenne. Cela aussi, Obama le savait. [Voir Consortiumnews.com - "Ukraine's 'Romantic' Nazi Storm Troopers."]
Obama savait également que certains de ses propres analystes des renseignements avaient conclu que les probables responsables de la destruction du vol 17 de la Malaysia Airlines (MH17) le 17 juillet étaient des éléments extrémistes au sein du gouvernement ukrainien, utilisant probablement des missiles anti-aériens postés très près du territoire contrôlé par les rebelles, et appuyés en vol par un ou plusieurs chasseurs ukrainiens. Obama savait tout aussi bien que les militaires ukrainiens attaquaient le site du crash, repoussant les enquêteurs et mettant apparemment le feu à un champ de blé contenant les restes de l’avion. [Voir Consortiumnews.com - "Flight 17 Shoot-down Scenario Shifts."]
Le conte ukrainien d’Obama
Pourtant, c’est ainsi qu’Obama a présenté la crise d’Ukraine au monde : « Récemment, les actions russes en Ukraine ébranlent l’équilibre post-Seconde Guerre mondiale. Voici les faits. Le peuple d’Ukraine s’est mobilisé contre ses dirigeants, des protestations populaires appelant à des réformes ont eu lieu, le président ukrainien, corrompu, a fui. Contre la volonté du gouvernement de Kiev, la Crimée a été annexée. La Russie a déversé des armes dans l’Est ukrainien, alimentant un mouvement séparatiste violent et un conflit qui a tué des milliers de personnes.
Quand un vol civil a été abattu par un tir parti des zones contrôlées par ces alliés, ces derniers ont refusé de permettre l’accès au crash pendant des jours. Quand l’Ukraine a commencé à reprendre le contrôle de son territoire, la Russie a cessé de prétendre qu’elle se contentait de soutenir les séparatistes, elle a envoyé des troupes en violant la frontière ukrainienne. »
« C’est une vision du monde selon laquelle la force fait droit – un monde dans lequel les frontières d’une nation peuvent être redessinées par une autre, où des personnes civilisées n’ont pas l’autorisation de récupérer les restes de leurs proches, parce que la vérité sur le drame pourrait être révélée. »
« L’Amérique se bat pour d’autres valeurs. Nous croyons que le droit fait la force – que les grandes nations ne devraient pas pouvoir intimider les petites et que les peuples doivent pouvoir choisir leur propre avenir. Et ce sont de simples vérités, mais qui doivent être défendues. L’Amérique et ses alliés aideront le peuple d’Ukraine dans le développement de sa démocratie et de son économie. »
« Nous renforcerons nos alliés de l’OTAN et respecterons notre engagement de défense collective. Nous ferons payer un prix à la Russie pour son agression et nous combattrons le mensonge par la vérité. Et nous appelons les autres à nous rejoindre du bon côté de l’histoire. Car si en effet de petits avantages peuvent être gagnés par le feu du canon, ils seront finalement reperdus pour peu que suffisamment de voix soutiennent la liberté des nations et des peuples à prendre leurs propres décisions. »
Devenir Bush
Une personne honnête aurait décrit ces événements bien autrement, y compris en ce qui concerne « ce pour quoi l’Amérique se bat ». Il aurait pu y avoir au moins une sorte de reconnaissance de cette façon qu’ont eu les Etats-Unis, dans l’après Seconde Guerre mondiale, de souvent compter sur « le feu du canon » – ou les missiles de croisière et bombes intelligentes – pour imposer leurs volontés aux autres pays, y compris un « changement de régime » en Irak en 2003 et en Libye en 2011.
Obama aurait aussi pu reconnaître que les États-Unis ont souvent fait usage de coups d’état pour renverser les gouvernements qui n’étaient pas à leur goût, même quand les dirigeants avaient été élus par la population. Une liste non exhaustive comprendrait Mossadegh en Iran en 1953, Arbenz au Guatémala en 1954, Allende au Chili en 1973, Aristide à Haïti par deux fois, Chavez au Venezuela brièvement en 2002, Zelaya au Honduras en 2009, Morsi en Egypte en 2013, et maintenant Ianoukovitch en Ukraine en 2014.
Mais au lieu de cela, Obama a préféré présenter une version simpliste et propagandiste de ce qui s’est passé en Ukraine. Essentiellement il dit ceci : tout est la faute de la Russie et tous ceux qui sont du côté des États-Unis sont les gentils, ils sont du « bon côté de l’histoire ».
Il est intéressant néanmoins, qu’Obama ne soit pas allé jusqu’à impliquer directement la Russie et les rebelles de l’Est ukrainien dans l’attentat du vol MH17 de la Malaysia Airlines. Compte tenu de son accès direct aux informations recueillies par la CIA sur le sujet, il aurait été en mesure de les désigner sans détour, si bien sûr c’était ce que montraient les faits. Au lieu de cela, il a joué sur les mots pour créer l’impression que les rebelles et la Russie étaient à blâmer, sans pour autant donner une preuve quelconque à leur encontre.
Cela ressemble à la façon dont le président W. Bush a manipulé l’opinion en 2002 et 2003, juxtaposant les noms de Saddam Hussein et d’Oussama Ben Laden pour faire croire aux Américains que les deux étaient des frères siamois alors qu’en réalité ils étaient des ennemis acharnés. Maintenant le président Obama en est venu à reproduire ces manipulations bushiennes.
Il existe une nouvelle preuve de la manière dont le gouvernement supposé « populaire » de Kiev développe sa démocratie : en incarcérant des personnes qui osent protester contre sa politique. Comme Andrew E. Kramer, du New York Times, l’indiquait jeudi, le régime de Kiev étoffe ses échanges de prisonniers de dissidents politiques arrêtés loin de tout champ de bataille.
Kramer écrit : « Les Ukrainiens, … ont largement compris qu’ils manquaient de prisonniers de leur côté pour effectuer des échanges à un contre un. Ils ont libéré un groupe hétéroclite d’hommes, de femmes et d’adolescents, vêtus de survêtements ou de jeans sales, qui ont déclaré venir de prisons aussi éloignées que Kiev.
« Assez rapidement, beaucoup d’entre eux se mirent à faire remarquer à tous ceux qui voulaient bien les entendre, là, sur l’autoroute, qu’ils n’avaient jamais combattu pour les séparatistes, et qu’ils n’avaient aucune idée de la raison pour laquelle ils s’étaient retrouvés dans un échange de prisonniers dans l’est de l’Ukraine… Dans les interviews sur leur lieu de libération, dans un dortoir où les anciens détenus sont logés à Donetsk, une douzaine d’hommes libérés dans les échanges durant le week-end par l’armée ukrainienne donnèrent des témoignages similaires. Certains ont dit qu’ils avaient été arrêtés des mois auparavant dans d’autres parties de l’Ukraine pour des actions politiques pro-russes, comme la participation à des manifestations pour l’autonomie de l’est ukrainien, ou pour avoir distribué des tracts ». Autrement dit, le régime de Kiev n’envoie pas seulement des troupes d’assaut nazies attaquer les gens dans l’est de l’Ukraine, mais il emprisonne des citoyens qui distribuent des tracts. La reconnaissance de certaines de ces sombres vérités – plutôt que la simple récitation d’une litanie de propagande clinquante – aurait pu rendre plus crédible la déclaration du Président Obama auprès de l’ONU. Peut-être que l’ancien Obama se serait essayé à une plus grande honnêteté intellectuelle, mais l’Obama actuel endosse désormais la personnalité du Président précédent, qui n’était pas réputé pour faire dans la nuance.
Source : Robert Parry, Consortiumnews.com, 25/09/2014
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.