Le journaliste d’investigation Robert Parry a fait éclater de
nombreuses histoires sur l’affaire Iran-Contra pour The Associated Press
et Newsweek dans les années 80.
Exclusif : Plus le Président Obama avance dans son
mandat, moins il est honnête. Ce problème devient de plus en plus
apparent au cours de son second mandat, alors qu’il lit des discours
contenant des informations dont il sait pertinemment qu’elles sont
fausses ou prêtent grandement à confusion, déclare Robert Parry.
Par Robert Parry, 25 septembre 2014
Lors de son premier mandat, le Président Obama faisait en général
preuve de prudence lorsqu’il s’exprimait sur les affaires
internationales, non pas qu’il fût totalement honnête mais il prenait
garde à ne pas proférer de mensonge flagrant. Cependant, au cours des
deux dernières années, il semble avoir abandonné toute retenue.
C’est le cas même lorsqu’il se livre à un exercice aussi sérieux
qu’une communication à l’Assemblée des Nations Unies sur des questions
de guerre et de paix, ce qui fut le cas à la fois l’an dernier et cette
année. En septembre 2013, Obama a fait, s’agissant de la mystérieuse
attaque au gaz sarin du mois précédent en Syrie, un commentaire qu’il
savait être fallacieux. Il fit de même mercredi dernier dans sa
description de la crise en Ukraine.
Concernant le cas du sarin, Obama savait avant son discours de 2013
que beaucoup de ses propres analystes du renseignement croyaient que les
rebelles étaient derrière l’attaque du 21 août qui a tué plusieurs
centaines de personnes dans la banlieue de Damas. Ces analystes
suspectaient l’incident de faire partie d’une machination pour accuser
le gouvernement du président Bashar-el-Assad et provoquer une
intervention militaire américaine contre les forces d’Assad. [Voir
Consortiumnews.com "Fixing Intel Around Syria Policy" et "Was Turkey Behind Syria-Sarin Attack ?"]
Bien qu’il sache tout cela, Obama a prononcé un discours
officiel à l’assemblée générale des Nations Unies le 24 septembre 2013,
déclarant : « C’est une insulte à la raison humaine et à la légitimité
de cette institution de suggérer que quelqu’un d’autre que le régime ait
mené cette attaque. »
De même, Obama connaissait la réalité complexe de la situation en
Ukraine lorsqu’il a pris la parole mercredi. Il savait que la crise
avait été provoquée, non par la Russie, mais par l’Union Européenne et
les États-Unis. Il savait que le président élu Victor Ianoukovitch avait
été la cible d’une opération de « changement de régime » voulue par des
fonctionnaires du Département d’Etat américain, menés par la Secrétaire
d’Etat adjointe néoconservatrice pour les Affaires Européennes Victoria
Nuland, qui a littéralement sélectionné les nouveaux dirigeants avec l’aide de l’ambassadeur américain Geoffrey Pyatt qui a décrit la nécessité « d’accoucher de ce truc. »
Obama savait que Nuland avait dit aux chefs d’entreprises ukrainiens
que le gouvernement américain avait investi 5 milliards de dollars pour
soutenir leurs « aspirations européennes » et que le National Endowment
for Democracy, financé par les États-Unis, avait subventionné une
quantité d’« organisations non gouvernementales » pour aider à
déstabiliser le gouvernement Ianoukovitch. Il savait également le rôle
clé joué par les milices néo-nazies ukrainiennes dans la prise des
bâtiments de la Présidence le 22 février, forçant les équipes de
Ianoukovitch à fuir pour sauver leurs vies.
Obama savait aussi que les Ukrainiens d’origine et de culture russe,
majoritaires dans l’est de l’Ukraine, avaient rejeté ce régime né d’un
coup d’état et étaient entrés en résistance contre ce que beaucoup
voyaient comme une autorité illégitime. Il savait aussi que la
population de Crimée – confrontée au régime putschiste de Kiev – avait,
lors d’un referendum, voté massivement pour une séparation de l’Ukraine
et un rattachement à la Russie, initiative que le gouvernement russe a
soutenue et acceptée.
Obama savait que le régime de Kiev avait brutalisé le sud et l’est de
l’Ukraine, les activistes du régime brûlant vifs des douzaines de
manifestants pro-russes à Odessa, et ses militaires tuant des milliers
de personnes par des tirs à l’arme lourde sur les villages et les villes
de l’Est ukrainien. Le régime putschiste de Kiev a même envoyé des
milices nazies, comme le bataillon Azov, mener de sanglants combats de
rues – c’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un
gouvernement a déployé des forces nazies armées pour attaquer une
population européenne. Cela aussi, Obama le savait. [Voir
Consortiumnews.com - "Ukraine's 'Romantic' Nazi Storm Troopers."]
Obama savait également que certains de ses propres analystes des
renseignements avaient conclu que les probables responsables de la
destruction du vol 17 de la Malaysia Airlines (MH17) le 17 juillet
étaient des éléments extrémistes au sein du gouvernement ukrainien,
utilisant probablement des missiles anti-aériens postés très près du
territoire contrôlé par les rebelles, et appuyés en vol par un ou
plusieurs chasseurs ukrainiens. Obama savait tout aussi bien que les
militaires ukrainiens attaquaient le site du crash, repoussant les
enquêteurs et mettant apparemment le feu à un champ de blé contenant les
restes de l’avion. [Voir Consortiumnews.com - "Flight 17 Shoot-down Scenario Shifts."]
Le conte ukrainien d’Obama
Pourtant, c’est ainsi qu’Obama a présenté
la crise d’Ukraine au monde : « Récemment, les actions russes en
Ukraine ébranlent l’équilibre post-Seconde Guerre mondiale. Voici les
faits. Le peuple d’Ukraine s’est mobilisé contre ses dirigeants, des
protestations populaires appelant à des réformes ont eu lieu, le
président ukrainien, corrompu, a fui. Contre la volonté du gouvernement
de Kiev, la Crimée a été annexée. La Russie a déversé des armes dans
l’Est ukrainien, alimentant un mouvement séparatiste violent et un
conflit qui a tué des milliers de personnes.
Quand un vol civil a été abattu par un tir parti des zones contrôlées
par ces alliés, ces derniers ont refusé de permettre l’accès au crash
pendant des jours. Quand l’Ukraine a commencé à reprendre le contrôle de
son territoire, la Russie a cessé de prétendre qu’elle se contentait de
soutenir les séparatistes, elle a envoyé des troupes en violant la
frontière ukrainienne. »
« C’est une vision du monde selon laquelle la force fait droit – un
monde dans lequel les frontières d’une nation peuvent être redessinées
par une autre, où des personnes civilisées n’ont pas l’autorisation de
récupérer les restes de leurs proches, parce que la vérité sur le drame
pourrait être révélée. »
« L’Amérique se bat pour d’autres valeurs. Nous croyons que le droit
fait la force – que les grandes nations ne devraient pas pouvoir
intimider les petites et que les peuples doivent pouvoir choisir leur
propre avenir. Et ce sont de simples vérités, mais qui doivent être
défendues. L’Amérique et ses alliés aideront le peuple d’Ukraine dans le
développement de sa démocratie et de son économie. »
« Nous renforcerons nos alliés de l’OTAN et respecterons notre
engagement de défense collective. Nous ferons payer un prix à la Russie
pour son agression et nous combattrons le mensonge par la vérité. Et
nous appelons les autres à nous rejoindre du bon côté de l’histoire. Car
si en effet de petits avantages peuvent être gagnés par le feu du
canon, ils seront finalement reperdus pour peu que suffisamment de voix
soutiennent la liberté des nations et des peuples à prendre leurs
propres décisions. »
Devenir Bush
Une personne honnête aurait décrit ces événements bien autrement, y
compris en ce qui concerne « ce pour quoi l’Amérique se bat ». Il aurait
pu y avoir au moins une sorte de reconnaissance de cette façon qu’ont
eu les Etats-Unis, dans l’après Seconde Guerre mondiale, de souvent
compter sur « le feu du canon » – ou les missiles de croisière et bombes
intelligentes – pour imposer leurs volontés aux autres pays, y compris
un « changement de régime » en Irak en 2003 et en Libye en 2011.
Obama aurait aussi pu reconnaître que les États-Unis ont souvent fait
usage de coups d’état pour renverser les gouvernements qui n’étaient
pas à leur goût, même quand les dirigeants avaient été élus par la
population. Une liste non exhaustive comprendrait Mossadegh en Iran en
1953, Arbenz au Guatémala en 1954, Allende au Chili en 1973, Aristide à
Haïti par deux fois, Chavez au Venezuela brièvement en 2002, Zelaya au
Honduras en 2009, Morsi en Egypte en 2013, et maintenant Ianoukovitch en
Ukraine en 2014.
Mais au lieu de cela, Obama a préféré présenter une version simpliste
et propagandiste de ce qui s’est passé en Ukraine. Essentiellement il
dit ceci : tout est la faute de la Russie et tous ceux qui sont du côté
des États-Unis sont les gentils, ils sont du « bon côté de l’histoire ».
Il est intéressant néanmoins, qu’Obama ne soit pas allé jusqu’à
impliquer directement la Russie et les rebelles de l’Est ukrainien dans
l’attentat du vol MH17 de la Malaysia Airlines. Compte tenu de son accès
direct aux informations recueillies par la CIA sur le sujet, il aurait
été en mesure de les désigner sans détour, si bien sûr c’était ce que
montraient les faits. Au lieu de cela, il a joué sur les mots pour créer
l’impression que les rebelles et la Russie étaient à blâmer, sans pour
autant donner une preuve quelconque à leur encontre.
Cela ressemble à la façon dont le président W. Bush a manipulé
l’opinion en 2002 et 2003, juxtaposant les noms de Saddam Hussein et
d’Oussama Ben Laden pour faire croire aux Américains que les deux
étaient des frères siamois alors qu’en réalité ils étaient des ennemis
acharnés. Maintenant le président Obama en est venu à reproduire ces
manipulations bushiennes.
Il existe une nouvelle preuve de la manière dont le gouvernement
supposé « populaire » de Kiev développe sa démocratie : en incarcérant
des personnes qui osent protester contre sa politique. Comme Andrew E.
Kramer, du New York Times, l’indiquait jeudi, le régime de Kiev étoffe ses échanges de prisonniers de dissidents politiques arrêtés loin de tout champ de bataille.
Kramer écrit : « Les Ukrainiens, … ont largement compris qu’ils
manquaient de prisonniers de leur côté pour effectuer des échanges à un
contre un. Ils ont libéré un groupe hétéroclite d’hommes, de femmes et
d’adolescents, vêtus de survêtements ou de jeans sales, qui ont déclaré
venir de prisons aussi éloignées que Kiev.
« Assez rapidement, beaucoup d’entre eux se mirent à faire remarquer à
tous ceux qui voulaient bien les entendre, là, sur l’autoroute, qu’ils
n’avaient jamais combattu pour les séparatistes, et qu’ils n’avaient
aucune idée de la raison pour laquelle ils s’étaient retrouvés dans un
échange de prisonniers dans l’est de l’Ukraine… Dans les interviews sur
leur lieu de libération, dans un dortoir où les anciens détenus sont
logés à Donetsk, une douzaine d’hommes libérés dans les échanges durant
le week-end par l’armée ukrainienne donnèrent des témoignages
similaires. Certains ont dit qu’ils avaient été arrêtés des mois
auparavant dans d’autres parties de l’Ukraine pour des actions
politiques pro-russes, comme la participation à des manifestations pour
l’autonomie de l’est ukrainien, ou pour avoir distribué des tracts ».
Autrement dit, le régime de Kiev n’envoie pas seulement des troupes
d’assaut nazies attaquer les gens dans l’est de l’Ukraine, mais il
emprisonne des citoyens qui distribuent des tracts. La reconnaissance de
certaines de ces sombres vérités – plutôt que la simple récitation
d’une litanie de propagande clinquante – aurait pu rendre plus crédible
la déclaration du Président Obama auprès de l’ONU. Peut-être que
l’ancien Obama se serait essayé à une plus grande honnêteté
intellectuelle, mais l’Obama actuel endosse désormais la personnalité du
Président précédent, qui n’était pas réputé pour faire dans la nuance.
Source : Robert Parry, Consortiumnews.com, 25/09/2014
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.