Reprise d’un article de Dedefensa
Commençons par ce qui n’est pas d’actualité. Il s’agit d’un article du professeur James Petras, Bartle Professor (Emeritus) de sociologie à l’université de Birmingham dans l’État de New York, USA, le 12 novembre 2014 sur le site 4thMedia.org.
 Il s’agit d’une analyse de l’évolution de la Russie depuis la chute du 
Mur et la fin de l’URSS, pour aboutir aux possibilités de l’actuelle 
Russie de Poutine de s’adapter de façon constructive, voire offensive 
(ou contre-offensive) aux conditions créées par les sanctions 
économiques. Petras est de l’avis de Yevgeny Primakov (qui n’est 
pourtant pas un conservateur poutinien), dite sur Itar-Tass le 27 octobre 2014, qui confirme la version de l’agression du bloc BAO au travers de sa politique des sanctions perçue comme un acte de guerre («The
 aim of anti-Russian economic sanctions is to weaken Russia, corner us, 
put into practice the idea of a “color revolution” in our country»)
Petras développe une analyse extrêmement
 stricte, qui prend en compte tous les événements de l’ère eltsinienne, 
l’intervention du capitalisme sauvage international sous coordination 
américaniste, l’effondrement des conditions économiques et sociales, 
etc. Il reconnaît à Poutine une très grande réussite dans son entreprise
 de relèvement du pays mais juge que la méthode employée a comporté 
plusieurs points de faiblesse qui rendent aujourd’hui la Russie 
vulnérable aux sanctions. L’illustration de la faiblesse principale de 
la méthode poutinienne a été son comportement vis-à-vis des oligarques 
qui avaient amassé leur fortune durant les années 1990. Poutine a 
attaqué les “politiques” (ceux qui ont fait de l’activisme globalisant 
et considéré comme antirusse, et antipoutinien, à partir de leurs 
fortunes), les éliminant souvent en les forçant à émigrer, mais il n’a 
guère pris de mesures contre les oligarques “économiques”, ceux qui 
n’avaient pas de projet politique et se sont rangés du côté du pouvoir 
poutinien. Aujourd’hui, ces oligarques “économiques” sont en difficultés
 ou deviennent suspects du point de vue politique, parce que l’essentiel
 de leurs fortunes est investie dans le bloc BAO. Finalement, la méthode
 poutinienne n’a pas été très différente pour l’économie russe 
elle-même, et elle montre aujourd’hui sa faiblesse à cause des liens de 
dépendance économique établis avec le bloc BAO. Voici comment Petras 
conclut cette longue analyse de la situation russe face aux sanctions, –
 ou comment s’en sortir…
»First and foremost Russia must 
diversify its economy; it must industrialize its raw materials and 
invest heavily in substituting local production for Western imports. 
While shifting its trade to China is a positive step, it mustnot 
replicate the previous commodities (oil and gas) for manufactured goods 
trading pattern of the past.
»Secondly, Russia must 
re-nationalize its banking, foreign trade and strategic industries, 
ending the dubious political and economic loyalties and rentier behavior
 of the current dysfunctional private ‘capitalist’ class. The Putin 
Administration must shift from oligarchs to technocrats, from rentiers 
to entrepreneurs, from speculators who earn in Russia and invest in the 
West to workers co-participation– in a word it must deepen the 
national,public, and productive character of the economy. It is not 
enough to claim that oligarchs who remain in Russia and declare loyalty 
to the Putin Administration are legitimate economic agents. They have 
generally disinvested from Russia, transferred their wealth abroad and 
have questioned legitimate state authority under pressure from Western 
sanctions.
»Russia needs a new economic and 
political revolution – in which the government recognizes the West as an
 imperial threat and in which it counts on the organized Russian working
 class and not on dubious oligarchs. The Putin Administration has pulled
 Russia from the abyss and has instilled dignity and self-respect among 
Russians at home and abroad by standing up to Western aggression in the 
Ukraine. From this point on, President Putin needs to move forward and 
dismantle the entire Yeltsin klepto-state and economy and 
re-industrialize, diversify and develop its own high technology for a 
diversified economy. And above all Russia needs to create new 
democratic, popular forms of democracy to sustain the transition to a 
secure, anti-imperialist and sovereign state.
»President Putin has the backing of 
the vast majority of Russian people; he has the scientific and 
professional cadre; he has allies in China and among the BRICs; and he 
has the will and the power to “do the right thing”. The question remains
 whether Putin will succeed in this historical mission or whether, out 
of fear and indecision, he will capitulate before the threats of a 
dangerous and decaying West.»
Cette voie que recommande Petras, la 
réunion du G20 de Brisbane a montré à Poutine qu’elle était de plus en 
plus inévitable. Rien, absolument rien ne peut être attendu des 
dirigeants du bloc BAO, qui se tiennent les uns les autres dans un même 
réseau serré d’obligations fondamentales de radicalisme dont la crise 
ukrainienne a fait une prison hermétique. Il n’y a aucun argument, 
aucune raison, aucun espoir de négociation à attendre, et même, à notre 
sens, l’idée de diviser l’Europe et les USA, – qui sont également 
fautifs, avec l’UE en tête, dans cette affaire, – est complètement 
vaine. Le départ avancé de Poutine de Brisbane (voir le Guardian du 16 novembre 2014),
 d’ailleurs présenté comme étant une mesure de simple efficacité, sans 
aucune appréciation officielle de critique, ne fait finalement qu’acter 
une évidence. Tous les sommets et rencontres des processus 
internationaux et transnationaux dans lesquels le bloc BAO est partie 
prenante, et où le bloc BAO parvient, soit par le nombre, soit par la 
préséance de l’organisation (si un membre du bloc est organisateur de la
 rencontre), à maîtriser et à orienter la communication, devient 
automatiquement un théâtre de communication dont le seul but est 
d’accréditer la narrative du bloc BAO. Les arguments sont d’une
 nullité consternante, les attitudes dignes de l’agitation de jeunes 
élèves dans une cour de récréation d’école primaire, lorsque se font les
 rassemblements conformistes où chacun veut briller plus que l’autre en 
rajoutant sur la sottise originelle.
Ce phénomène quasi-stupéfiant 
d’infantilisme de comportement est devenu aujourd’hui écrasant, 
étouffant, bloquant tout dialogue possible, parce que la narrative
 dominante est celle de l’Ukraine, et qu’elle est absolument construite 
sur des fondations sans aucun rapport avec la réalité, illustrant des 
événements également sans rapport avec la réalité. Lorsque deux 
interlocuteurs se rencontrent et que l’un dit à l’autre “Je vous serre 
la main mais n’entame une conversation constructive que si vous retirez 
vos troupes d’Ukraine”, et que l’autre lui répond “Mais je n’ai aucune 
troupe en Ukraine, comment voulez-vous que je rencontre votre demande” 
(on notera qu’en exposant cela, nous ne prenons pas position, même si 
notre position est connue), – on se trouve dans une situation 
schizophrénique qui n’a aucune issue, où les deux mondes ainsi définis 
n’ont aucune chance de se rencontrer. Et ce phénomène n’est pas 
accessoire, il n’est pas “pour la galerie”, “pour les médias”, etc., il 
est fondamental notamment dans l’attitude du bloc BAO, – parce que le 
bloc BAO ne peut tenir sa cohésion, sa position, son standing, son “rang” si l’on veut qu’en ne cédant pas un pouce de sa narrative.
 Il en est aujourd’hui le prisonnier plus que jamais, alors qu’il en a 
été au départ la dupe plus encore que le constructeur conscient.
Cette situation générale implique que 
toutes les démarches de Poutine pour parvenir à un arrangement sont 
absolument vouées à l’échec. Ce n’est pas un constat bien nouveau, 
certes, mais ce qui est remarquablement nouveau c’est la constance avec 
laquelle ce constat ne cesse de se renforcer. Comme on observe la 
situation, nous dirions que la seule issue se trouve dans une “sortie 
vers le haut”, c’est-à-dire une tension, un affrontement, une 
crise-dans-la-crise, une crise-au-dessus-de-la-crise, etc., dans des 
domaines autres que la seule situation ukrainienne (du cas du Mistral
 à celui de la dédollarisation, à celui de l’évolution des BRICS, il ne 
manque pas de champs de manœuvre dans ce sens), où des intérêts 
essentiels de membres du bloc BAO peuvent se trouver en opposition à 
cette occasion, conduisant à des divergences significatives de position 
vis-à-vis de la Russie. En attendant, Poutine n’a qu’une seule issue, 
qui s’imposera de plus en plus à lui, qui est celle de chercher 
systématiquement un renforcement de la position russe dans des postures 
étrangères au bloc BAO, ou antagonistes du bloc BAO. Du point de vue 
russe, c’est dans ce contexte que les observations du professeur Petras 
deviennent intéressantes, notamment ce paragraphe où il recommande une 
“nouvelle révolution économique et politique”, – qui pourrait être vue 
comme une seconde démarche gorbatchévienne, – la première ayant servi à 
sortir la Russie de l’emprise du Système par l’attaque et la destruction
 de la bureaucratie soviétique, la seconde, celle de Poutine, allant 
dans le sens de sortir la Russie de l’emprise du Système par l’attaque 
et la destruction de de la restructuration capitaliste et corruptrice 
forcée des années 1990…
«La Russie a besoin d’une nouvelle 
révolution économique et politique, – à l’occasion de laquelle le 
gouvernement doit identifier l’Ouest comme une menace impérialiste et 
pour laquelle il s’appuiera sur une organisation des forces russes du 
travail et non plus sur des oligarques douteux et suspects. 
L’administration Poutine a sorti la Russie des abysses et a à réappris 
aux Russes la dignité et le respect d’eux-même, chez eux autant qu’à 
l’extérieur en tenant tête à l’agression occidentale en Ukraine. Appuyé 
sur cette fondation, le président Poutine doit aller de l’avant et 
démanteler entièrement les structures corrompues de l’État eltsinien et 
de son économie, pour ré-industrialiser, diversifier et développer ses 
hautes technologies dans une économie rénovée. Par-dessus tout, la 
Russie doit créer une nouvelle démocratie, une forme populaire de 
démocratie pour soutenir cette transition vers un État souverain et 
anti-impérialiste…»
A cette lumière, nous dirions que le 
conseil est effectivement bon, mais avec deux ajouts qui pourraient 
paraître contradictoires et qui seraient éventuellement plutôt 
complémentaires : le premier, que cette voie est en train de se dessiner
 peut-être plus vite que ne le croit Petras, sous la pression des 
événements, parce qu’elle devient la seule échappée possible pour 
Poutine qui devra s’appuyer de plus en plus et de plus en plus 
rapidement sur une sorte de souverainisme populiste en s’ouvrant sur ses
 alliés type-BRICS pour résister aux pressions du bloc BAO ; le second, 
qu’une amorce d’évolution dans ce sens, ou une évolution déjà en route, 
susciterait, si elle n’apprête déjà à le susciter, des remous suffisants
 pour précipiter certains de ces événements que nous évoquions pour une 
“sortie vers le haut” de la crise ukrainienne, c’est-à-dire vers une 
crise internationale plus grave encore qui secouerait gravement la 
cohésion du bloc BAO et certaines situations intérieures de pays du bloc
 BAO.
Quoi qu’il en soit des calculs des uns 
et des autres, le jeu de la Russie (dans le sens où l’archi-gaulliste 
Philippe de Saint-Robert parlait du Jeu de la France) est 
aujourd’hui d’une importance vitale, non seulement pour la Russie 
certes, mais bien au-delà, pour l’équilibre et le sort du Système. D’un 
point de vue absolument objectif et nécessairement métahistorique, le 
jeu de la Russie n’a de réelle importance que dans la mesure de ses 
effets sur l’équilibre et le sort du Système. Il n’est pas sûr que cela 
convienne aux plans et à la prudence de Poutine, mais cela nous paraît 
une nécessité métahistorique qui écarte tout le reste.
Source : dedefensa.org
 
