Examiné sans a priori, le cas cubain suggère qu’après tout, une autre voie est peut être possible.
Cuba Inattendue (New Left Review)
Emily MORRIS
Quel
est le verdict sur l’économie cubaine, près d’un quart de siècle après
l’effondrement du bloc soviétique ? L’histoire que l’on raconte en
général est simple, avec un message clair. C’est celle d’une alternance
cyclique de la politique gouvernementale entre des moments de
capitulation pragmatique devant les forces du marché, qui représentent
le progrès, et des périodes de rigidité idéologique et de ré-affirmation
du contrôle de l’État, qui représentent toutes les difficultés
économiques. [1] Après la dissolution du bloc commercial Comecon, les
observateurs de Cuba étaient persuadés que l’économie socialiste
étatique faisait face à un effondrement imminent. « Cuba a besoin d’une thérapie de choc, une évolution rapide vers la libéralisation des marchés », déclarèrent-ils. La restauration du capitalisme dans l’île était « inévitable » ;
tout retard non seulement nuirait à la performance économique, mais
infligerait des coûts humains graves et discréditerait les réalisations
sociales de Cuba. Compte tenu de son refus obstiné de se lancer dans la
voie de la libéralisation et des privatisations, la « dernière heure »
de Fidel Castro avait enfin sonné. [2]
Le problème avec cette version est que la réalité a manifestement refusé de se plier aux prédictions. Bien que Cuba faisait face à des conditions exceptionnellement difficiles – en subissant le pire choc exogène de tous les pays membres du bloc soviétique et, grâce à l’embargo commercial américain de longue date, confrontée à un environnement international unique en son genre - son économie a eu des performances similaires aux autres pays de l’ex-Comecon, se classant13ème sur 27 pour lesquelles la Banque Mondiale dispose de données complètes. Comme montre la figure 1, sa courbe de croissance a suivi la tendance générale des « économies en transition » : une profonde récession au début des années 1990, suivie d’une reprise qui a mis une dizaine d’années pour retrouver le niveau de revenu national réel par habitant de 1990, avec une augmentation d’environ 40 pour cent jusqu’en 2013. [3]
Il ne fait aucun doute que les Cubains ont souffert de graves difficultés depuis 1990, mais en termes de résultats sociaux, d’autres pays de l’ex-Comecon ont vu pire. Comme le montre la figure 2, le taux de mortalité infantile à Cuba en 1990 était de 11 pour mille, déjà beaucoup mieux que la norme Comecon ; en 2000, il était tombé à seulement 6 pour mille, une amélioration plus rapide que la plupart des pays d’Europe centrale qui ont été pris sous l’aile de l’UE. Aujourd’hui, il est de 5 pour mille - mieux que les États-Unis, selon les estimations de l’ONU, et bien au-dessous de la moyenne latino-américaine. Les données sur l’espérance de vie, voir figure 3, brossent un tableau semblable : à Cuba, l’espérance de vie a augmenté de 74 à 78 ans au cours des années 1990, malgré une légère hausse des taux de mortalité pour les groupes vulnérables au cours des années les plus difficiles. [4] Dans les autres pays de l’ex-Comecon, l’augmentation de la pauvreté a contribué à une baisse moyenne de 69 à 68 ans au cours des années 1990. Aujourd’hui, Cuba a l’une des espérances de vie les plus élevées de l’ex-bloc soviétique et parmi les plus élevées en Amérique latine.
Le jugement de Miami
Ces résultats ont été largement négligés par les commentateurs habituels à l’extérieur de l’île, en grande partie basés et financés aux États-Unis et largement dominés par des « Cubanologues » émigrés, comme ils aiment à se présenter, profondément hostiles au régime de La Havane. [5] Parmi les personnalités depuis les années 1970, on trouve Carmelo Mesa-Lago à l’Université de Pittsburgh, « le doyen des études cubaines » et auteur de plus de trente livres ; et son habituel co-auteur Jorge Pérez-López, directeur des affaires économiques internationales pour le ministère américain du Travail, négociateur clé de l’ALENA de longue date à la tête de l’Association pour l’étude de l’économie cubaine. La publication annuelle de l’AEEC Cuba en transition, publiée à Miami, a proposé une série de plans de restructuration de l’économie de l’île selon des lignes capitalistes. Comme le titre de leur journal l’indique, les Cubanologues ont oeuvré selon les hypothèses de « l’économie de transition », une branche de l’économie du développement qui est apparue au début des années 1990 pour gérer l’ouverture des anciens pays du Comecon au capital occidental. Ce modèle s’appuyait à son tour sur le Consensus de Washington qui s’était cristallisé autour des réformes néolibérales imposées aux pays endettés d’Amérique latine par le FMI et la Banque Mondiale dans les années 1980. [6] Ses prescriptions étaient centrées sur l’ouverture de l’économie aux flux mondiaux de capitaux, la privatisation des actifs de l’État, la déréglementation des salaires et des prix et la réduction des dépenses sociales - programme mis en œuvre à travers l’Europe centrale et orientale, ainsi que dans une bonne partie de l’ancienne Union Soviétique, par les technocrates et conseillers du FMI, de la Banque Mondiale, de la BERD, de l’USAID et d’autres institutions internationales. Parmi les premiers dans le domaine était The Road to a Free Economy (1990) de János Kornai ; en quelques années une industrie florissante de « transition » s’était développée, qui tenait pour acquis qu’il n’y avait qu’une seule voie à suivre – le passage d’une économie planifiée socialiste d’Etat au capitalisme de marché. Toute résistance était non seulement inutile mais coûteuse, car toute réforme partielle était « vouée à l’échec ». [7] Lorsque les « pays en transition » ont plongé dans la récession à partir de 1990, leurs difficultés étaient attribuées à la tiédeur des élites politiques : « rapidité et ampleur » étaient les clés de la réussite ; il était impératif de profiter des « politiques extraordinaires » de la période. [8]
À la fin des années 1990, plusieurs facteurs ont conduit à une modification de l’orthodoxie de « transition ». Tout d’abord, la stabilisation des régimes pro-occidentaux dans la plupart des pays de l’ex-bloc soviétique a atténué le sentiment d’urgence. Deuxièmement, le contraste entre la forte contraction des économies privatisées de l’ex-Comecon - ainsi que les résultats décevants des programmes d’ajustements structurels en Amérique latine et en Afrique – et le plein essor d’un développement dirigé par l’État en Chine et les pays nouvellement industrialisés d’Asie de l’Est étaient trop flagrants pour être ignorés. Un post-Consensus de Washington émergeait en mettant davantage l’accent sur les institutions et la « bonne gouvernance ». Les économistes de transition étaient à la traîne de leurs collègues dans la prise en compte de ce changement, mais au tournant du millénaire un manuel influent a reconnu « humblement » les écarts entre leurs prévisions et les résultats concrets ; les études de transition ont continué à développer leur propre théorie post-Consensus de Washington. [9] Mais s’il mettait désormais moins l’accent sur la rapidité de la réforme, le « progrès de la transition » était toujours considéré comme la principale explication de la réussite et les problèmes économiques étaient régulièrement attribués à une libéralisation insuffisante.
La Cubanologie dominante a largement adhéré au modèle du Consensus de Washington. La profonde récession de 1990-1993 était attribuée au caractère « anti-marché » de la politique cubaine et aux privations de la período especial (période spéciale) ; les facteurs exogènes jouaient un rôle secondaire. En accord avec la critique de réformes partielles, Mesa-Lago a critiqué les mesures prises en 1994 par Cuba comme des « demi-mesures ». [10] L’explication habituelle de la politique cubaine est très simple : c’est le résultat du « dogmatisme borné » du Président, son « aversion pour les réformes de marché, sa volonté d’écraser ceux qui s’opposent à lui et d’entraîner toute la nation avec lui dans son opposition ». Quelques commentateurs ont fait partager les responsabilités : Rubén Berrios fustige une direction bureaucrate vieillissante et rigide, qui s’accroche à de vieilles habitudes ; Mauricio de Miranda Parrondo décèle une résistance aux réformes dans toute la couche dirigeante. [11] L’absence de politiques de « transition » auraient mené l’économie cubaine à la faillite ou, plus récemment, rendue simplement dépendante du Venezuela.
Vue de La Havane
L’axe Pittsburgh-Miami a tendance à négliger deux aspects importants de l’expérience des Cubains qui a différé de celles des populations de l’ex-Comecon en Europe centrale. Tout d’abord, les souvenirs de l’extrême pauvreté et privations associées au système pré-communiste, couplés avec les réussites relatives des réalisations cubaines en matière de santé et d’éducation avant 1989, ont laissé moins d’appétit pour des réformes radicales de libéralisation. Deuxièmement, alors que le sentiment nationaliste en Europe centrale pouvait intégrer la « transition » comme une libération de la domination russe, à Cuba la « transition » est largement perçue comme une menace contre la souveraineté nationale émanant de son prédateur historique, les Etats-Unis. C’est dans ce cadre-là que les économistes et décideurs cubains travaillent. [12] Les conseillers et les fonctionnaires ne parlent pas en termes de « transition » mais plutôt d’ « ajustement » - c’est-à-dire une réponse à un changement radical des conditions extérieures, dans le cadre des paramètres fixés par l’idéologie nationaliste et socialiste. Ce qui implique un cadre plus souple que le rejet idéologique rigide à toute réforme que les Cubanologues nous présentent. Les économistes et décideurs politiques ont exprimé ces paramètres en termes de principios, plutôt qu’en termes de dogme marxiste-léniniste ou de « ligne de parti ». Parmi ces principes figurent invariablement le respect de la souveraineté nationale, la préservation de los logros de la Revolución - les apports ou les réalisations en matière de santé, d’éducation, d’égalité sociale et de plein emploi ; souvent appelés simplement los logros - et le maintien d’une « éthique révolutionnaire », ce qui a impliqué une position officielle forte contre la corruption et la désapprobation de toute affichage ostentatoire. [13] Ces principes imposent des contraintes différentes sur les choix politiques.
Les débats internes sur la politique économique ont été largement invisibles aux yeux des observateurs étrangers, y compris les Cubanologues des États-Unis. Ceci est du en partie à processus politique fermé et le contrôle étatique des médias, ne laissant aux nombreux commentateurs extérieurs que des rumeurs ; beaucoup de ce qui nous arrive vient de rapports sélectifs de groupes dissidents, financés par des organisations d’émigrés ou des programmes US, et sert principalement à confirmer les idées préconçues et consensuelles. Les processus complexes de discussion, d’élaboration des politiques et d’adaptation, où les préférences des dirigeants ne sont pas toujours pris en compte, sont fermés aux étrangers. En plus des incessantes réunions de quartier, régionales et nationales structurées par le système de Poder Popular, il y a eu des débats chez les économistes qui ont alimenté les discussions politiques.
Les chercheurs du Centro de Estudios de la Economía Cubana (CEEC) , du Centro de Investigaciones sobre la Economía Internacional (CIEI), du Centro de Investigaciones de la Economía Mundial (CIEM), de l’Instituto Nacional de Investigaciones Económicas (INIE) au ministère de l’économie et de la planification et, jusqu’en 1996, le Centro de Estudias de las Americas (CEA), ont participé à des séminaires réguliers avec les décideurs politiques, pour identifier les faiblesses du système actuel et débattre des remèdes. Des groupes de travail créés par un programme de recherche de l’Université de La Havane ont examiné différents modèles de socialisme et leur application à Cuba ; les problèmes économiques sectoriels ; des propositions de réforme dans la gestion des entreprises ; et les implications, à la fois politiques et philosophiques, de la fin du bloc soviétique. Leurs écrits - publiés dans Economía Cubana : Boletín Informativo du CIEM Cubana : Boletín Informativo, Cuba : Investigación Económica du INIE et ailleurs - ont tendance à adhérer aux styles officiels de discours, ce qui peut obscurcir leur importance pour les observateurs extérieurs ; des idées analytiques importantes peuvent être enterrées parmi des considérations historiques, des citations de discours et des louanges aux dirigeants pour leurs réalisations. Le vocabulaire aussi n’est pas familier : au lieu du jargon FMI, les économistes cubains parlent d’ « adaptation », de « mise à jour », de « l’utilisation des mécanismes du marché », d’« ajustement » du contrôle des prix, de mesures « décentralisées » et de processus économiques « émergents ». Lus à travers le filtre idéologique du « libéralisme ou la mort » des Cubanologues, de tels échanges ne constituent aucunement un débat et ne font que confirmer leurs soupçons que la politique à Cuba est entièrement décidée selon le bon vouloir du président. [14]
Il est, bien sûr, une variété de commentaires à l’extérieur de l’île qui ne suivent pas la pensée dominante ; ici on peut distinguer trois approches. Premièrement, des sympathisants ou des apologistes de régime, qui combattent le parti-pris négatif des Cubanologues en recouvrant la réalité cubaine d’un vernis fortement positif. En accord avec le consensus, ils présentent le choix comme étant celui entre défiance ou transition vers le capitalisme, mais louent la première et déplorent toute ouverture au marché comme un « abandon devant l’inévitable ». [15] Un deuxième groupe pourrait être décrit comme des amis critiques : ils sont plus positifs sur les objectifs des décideurs cubains, et plus disposés à reconnaître les problèmes auxquels le pays est confronté ; mais comme les Cubanologues, ils lient les progrès de « transition » à la performance économique et affirment qu’un « changement systémique » insuffisant est responsable des malheurs de Cuba. [16] Enfin, un petit nombre d’économistes ont tenté d’analyser le développement de Cuba selon ses propres termes, sans hypothèses téléologiques, dans une perspective comparative. Sur la base de ces enquêtes, José Mars-Poquet a suggéré que la politique économique cubaine pouvait offrir une alternative à celle des pays « en transition », une politique en évolution et de nature expérimentale ; Claes Brundenius, comparant ses forces et ses faiblesses avec celles du Vietnam et de la Chine, ainsi que l’Europe centrale et de l’Est, conclut provisoirement qu’il pourrait produire « une économie de marché avec des caractéristiques cubaines ». [17]
Compte tenu de la comparaison implicite dans les commentaires traditionnels entre l’économie de Cuba et celles des économies « en transition », il convient de noter que les véritables études comparatives sont relativement rares. Ceci pourrait être en partie dû à un problème d’identification de données comparables, mais aussi à une tendance générale parmi les Cubanologues à se ficaliser exclusivement sur leur île natale. [18] Dans le même temps, la majorité des économistes de « transition » qui font largement appel aux cadres comparatifs - un de leurs points forts - ont tendance à se concentrer sur l’Europe centrale et orientale, l’ex-URSS, ou les contrastes entre la Russie et la Chine, ignorant l’éclairage que pourrait leur apporter la voie originale suivie par Cuba. Par conséquent, ce qui suit est un récit analytique qui retrace l’évolution de la politique d’ajustement - de la prise en charge initiale de crise à la stabilisation, la restructuration de Cuba et de la plus récente série de réformes sous Raúl Castro - dans une perspective comparative. [19] Il vise non seulement à mettre en évidence les problèmes d’interprétation existants, mais à contribuer à une discussion plus fructueuse sur la trajectoire de Cuba et, plus généralement, à rouvrir la question des stratégies de développement alternatives pour les petits pays dans un monde globalisé.
Dans le cas de Cuba, les revenus des exportations ont été particulièrement touchés car ils dépendaient du prix du sucre, et les possibilités de diversification à d’autres partenaires commerciaux étaient extrêmement rares. Dans la plupart des pays de l’ex-Comecon, les revenus d’exportation ont presque retrouvé en 1993 leur niveau de 1990 ; dans le cas de Cuba, ils étaient de 79% plus bas – passant de $5,4 milliards à $1,2 milliards. La Havane était aussi la plus durement touchée en termes de financement externe. Le choc fut aggravé par la perte soudaine de crédit externe et le manque de nouvelles sources de financement. Alors que les pays « en transition » bénéficient de l’appui du FMI, de la Banque Mondiale et de la BERD pour faciliter leur adaptation à l’ère post-Comecon, les sanctions imposées par les Etats-Unis signifiaient qu’il n’y avait pas une telle assistance pour Cuba. Le total des prêts officiels nets aux économies de « transition » pour la période de 1991-1996 s’est élevé à $112 par habitant, alors que pour Cuba, le chiffre était de $26. [21] Avec l’agence Office of Foreign Assets Control (OFAC) des Etats-Unis qui menaçait les institutions financières des pays tiers de poursuites en cas de relations avec La Havane, l’accès de Cuba au crédit commercial pendant la crise a été aussi extrêmement limité.
Le résultat de l’effondrement des revenus d’exportation et du crédit externe fut un effondrement brutal des capacités d’importation de Cuba, un effondrement inégalé dans tout autre pays post-Comecon. Entre 1990 et 1993, une baisse de 70 % des dépenses d’importation a réduit le ratio importations/PIB de Cuba qui était d’environ 40%, un des plus élevés du groupe, à 15%, un des plus faibles, selon la BERD. En 1993, Cuba avait moins d’argent pour couvrir la totalité de ses importations qu’elle n’en avait en 1990 pour couvrir uniquement l’importation de carburant et des aliments. Dans le même temps, les tentatives de Cuba pour reconstruire les recettes en devises ont été obstruées par les sanctions US, qui ont bloqué l’accès non seulement aux marchés états-uniens, mais aussi aux prêts ou aides au développement de la plupart des institutions multilatérales, tout en rendant le financement commercial coûteux et difficile à obtenir. En conséquence, Cuba a fait face aux plus dures contraintes de change qu’aucun autre pays de l’ex-Comecon ; ce qui a limité les investissements et la croissance, et laissé l’économie exceptionnellement vulnérable aux fluctuations des taux de change ou des récoltes.
Mesures d’urgence
Les allégations de Cubanologues selon lesquelles des facteurs internes étaient responsables de la gravité de la récession en 1990-1993 ignorent l’impact extraordinairement grave qu’à eu l’effondrement du Comecon. En considérant que le seul choix était entre transition ou rigidité, ils ont caractérisé la politique du gouvernement après 1990 comme un simple prolongement de sa stratégie « anti-marché » de rectificación en 1986 - une série de mesures adoptées pour résoudre le ralentissement des années 1980 qui a touché tous les pays du Comecon, accompagné d’un renforcement de la lutte contre la corruption, de changements dans les marchés agricoles, et des investissements dans le tourisme et les entreprises-mixtes. La Havane a été accusée de ne pas « prendre des mesures pour remédier à la profonde crise économique ». [22] Mais face au choc externe de 1990 à 1991, le gouvernement cubain a bien pris des mesures. Des mesures d’urgence qui ont été rapidement adoptées pour orienter les ressources qui diminuaient rapidement à des priorités économiques et sociales. En effet, la gravité du choc rendait toute continuité impossible : sans fournitures, le plan économique a rapidement cessé de fonctionner. Mais plutôt que de se lancer dans un processus de libéralisation et de privatisation, comme ses anciens partenaires du Comecon, l’approche cubaine a préservé, et construit sur ses actifs institutionnels existants. Il s’agit notamment non seulement de l’État-providence, du contrôle des prix, du monopole dans les échanges internationaux et du contrôle des moyens de production, mais aussi d’une capacité à organiser une réponse collective dirigée par l’État, qui a bénéficié d’une longue tradition de galvanisation du soutien volontaire par le biais de mobilisations de masse et un processus politique qui pouvait s’appuyer sur les mécanismes de participation et de débats publics.
Lorsque Fidel Castro a qualifié les années de crise de período especial en tiempo de paz – une période spéciale en temps de paix – les observateurs extérieurs n’ont vu qu’un euphémisme, à la différence des Cubains qui ont immédiatement compris la référence aux procédures établies de défense civile, en cas de catastrophe naturelle ou d’agression US. L’Exercice de Défense Economique de l’année 1990 – où l’électricité et l’eau ont été coupées pendant de courtes périodes en guise d’exercices de réponses collectives d’urgence touchant les usines, les bureaux, les foyers, les écoles et les hôpitaux – a employé des méthodes d’organisation collective et de coordination inter-agences similaires à celles employées lors des ouragans ou d’exercices de défense militaire. Les mêmes types de mobilisations étaient évidents lors du Programme Alimentaire de 1991, dans lequel les agriculteurs et les citadins ont été appelés à contribuer à la production alimentaire ; le Forum sur les Pièces de Rechange de Décembre 1991, un forum sur les idées de recyclage des machines et sur les substituts aux importations ; et le Plan Energie de Janvier 1992, dans lequel les ménages, les entreprises et les autorités locales ont identifié les façons de réduire la consommation de carburant.
Les efforts de Cuba pour maintenir l’emploi et la protection sociale pendant la crise, et de pouvoir répondre aux besoins fondamentaux, étaient là encore en fort contraste avec les pays « en transition », où le chômage officiel a grimpé à une moyenne de 20% au début des années 1990. [23] À Cuba, où 98% de la main-d’œuvre officielle était employée par l’Etat, le nombre total d’emplois a en fait augmenté de 40 000 entre 1990 et 1993 et le taux de chômage officiel est tombé de 5,4 à 4,3 % [24] – alors même que l’économie s’était contractée d’un tiers, que des projets d’investissement étaient abandonnés, les allocations de carburant coupées, les transports publics réduits, la semaine de travail raccourcie (de 5,5 à 5 jours), et les usines fermées ou fonctionnant à un niveau d’activité extrêmement réduit. Un décret du ministère du Travail et de la Sécurité sociale d’avril 1991 a formellement assuré la sécurité d’emploi, précisant que les travailleurs mis à pied en raison de l’absence de revenus continueraient à toucher les deux-tiers de leur salaire jusqu’à ce qu’ils soient reclassés. La responsabilité de l’Etat pour garantir les besoins de base signifie que le coût supplémentaire de garder les travailleurs employés dans cette façon, plutôt que de toucher des prestations de chômage, était relativement faible.
La sécurité alimentaire de base a été maintenue dans des conditions de pénurie au début des années 1990. Le acopio, l’organisme d’Etat chargé de la distribution, procurait de la nourriture à la fois par des importations et les fermes cubaines et canalisait sa distribution à travers le système de rationnement alimentaire et d’autres réseaux, comme les vías sociales, qui fournissaient des repas gratuits ou subventionnés sur les lieux de travail, les écoles et les centres de santé. Grâce aux prix fixés par le système de rationnement, le coût par habitant de la satisfaction des besoins alimentaires de base, autour de 40 pesos par mois, a été maintenu en dessous de l’allocation minimale de sécurité sociale de 85 pesos par mois. [25] Au début de la crise, les magasins d’Etat qui avaient vendu plus de nourriture que fixé par le rationnement - por la libre - à des prix plus proches de ceux du marché ont été fermés. [26] Le Programme alimentaire encouragea l’auto-approvisionnement local et l’expérimentation à petite échelle, y compris l’utilisation de la traction animale, des engrais organiques, le contrôle biologique des parasites et la culture des terres en friche. [27]
La décentralisation et le débat
La narrative des Cubanologues sur la rigidité de la politique et le contrôle étroit et centralisé n’a que peu de rapport avec la manière dont l’État cubain s’est adapté aux fluctuations des circonstances, même au pire moment de la situation d’urgence. La décentralisation de la prise de décision au niveau local a commencé au sein de l’État-providence lorsque l’approvisionnement alimentaire pour le système de rationnement et autres vías sociales est devenu moins fiable. [28] La protection sociale dépendait désormais d’un éventail d’organismes locaux de l’Etat, y compris le Sistema de Vigilancia Alimentaria y Nutricional (SISVAN) – chargé de surveiller les niveaux de nutrition, d’allouer des rations supplémentaires et maintenir les réseaux de soutien aux mères et aux bébés, avec le soutien de l’UNICEF - et des professionnels de la santé qui connaissaient les personnes les plus vulnérables dans leurs communautés. Dans le cadre de ce processus, le réseau Consejos Populares, créé en 1991, a contribué à identifier les ménages « à risque » et à administrer des programmes de secours. [29] Cette adaptation et décentralisation des organismes de protection sociale a été accompagnée par un relâchement du contrôle central sur l’économie en général. Au fur et à mesure que les approvisionnements se tarissaient, les dirigeants des entreprises ont dû trouver des solutions locales aux problèmes ; dans le même temps, le Ministère du Commerce extérieur, qui avait autrefois un quasi-monopole, a cédé le droit de s’approvisionner et trouver des marchés à des centaines d’entreprises. [30]
Un discours qui rejette Cuba comme l’unique « non-démocratie » dans les Amériques ne laisse aucune place pour un examen de l’ensemble des organisations de masse qui contribuent à créer un système « participatif » ; mais l’histoire de la période post-1990 ne peut être comprise sans faire référence à ces processus. Des débats nationaux ont été lancés dans les moments critiques, impliquant des assemblées à travers toute l’île, ouvertes à tous – un autre contraste avec les pays du Comecon. En 1990, au moment de l’amplification de la crise, les préparatifs étaient déjà en cours pour le Quatrième Congrès du Partido Comunista de Cuba d’octobre 1991. Tandis que les problèmes économiques s’aggravaient, la portée et l’étendue des discussions précédant le Congrès se sont amplifiées ; des milliers de réunions ont eu lieu non seulement dans les branches du PCC, mais aussi dans les assemblées de travail et les organisations de masse.
Le Congrès, que s’est tenu trois mois seulement après la dissolution finale du Comecon, a produit une résolution sur l’économie en 18 points qui constituait la première déclaration officielle complète d’un nouveau cadre politique. [31] Contrairement aux programmes de transition rédigés pour les autres anciens pays du Comecon avec l’aide de conseillers occidentaux, la résolution du PCC n’était pas un plan de libéralisation, mais une liste de grands principes et objectifs ; aucune mesure précise n’était annoncée, ni aucun calendrier ou plan de mise en oeuvre. Mais la caractérisation du texte du PCC par les Cubanologues comme simplement « anti-marché » est trompeuse. La résolution a réitéré un engagement envers les principes de base de la souveraineté et de la protection sociale, et a conservé un cadre global de la propriété de l’État ; mais au-delà, il a inclus un mélange de libéralisation et d’approches dirigistes. Certains éléments - « développer le tourisme », « promouvoir les exportations », « réduire les importations », « rechercher de nouvelles formes d’investissements étrangers », « contrôler les dépenses de l’Etat et entrées d’argent », suggèrent une libéralisation partielle en réponse à de nouvelles conditions internationales, tandis que d’autres - « poursuivre le programme alimentaire », « donner la priorité à la santé, l’éducation et le travail scientifique », « centraliser la planification pour l’intérêt public », « protéger les acquis de la Révolution » - indiquent un maintien du rôle important de l’Etat. Une réforme constitutionnelle l’année suivante a confirmé l’ensemble des priorités sociales, politiques et économiques tout en maintenant le flou sur les détails de cette politique. Les deux documents révèlent une approche hétérodoxe et flexible de la politique économique, à travers un processus de décision politique complexe qui - bien qu’ayant été soigneusement documenté par au moins un chercheur états-unien à l’époque - fut largement ignorée dans les commentaires à l’extérieur sur l’île. [32]
Une telle dépréciation de la monnaie n’était pas exceptionnelle parmi les anciens pays du Comecon, mais dans le cas de Cuba, parce que l’inflation était supprimée par les contrôles de l’Etat, elle a produit un modèle unique de variations entre prix relatifs et revenus. Dans les autres pays de l’ex-Comecon, la libéralisation des salaires, des prix et des taux de change a déclenché des spirales de dépréciation-inflation-décapitalisation qui ont entraîné une forte baisse des salaires réels, en particulier pour les plus bas, de sorte que l’inégalité des salaires réels s’est rapidement creusée. [34] A Cuba, la chute de la valeur du peso s’est limitée aux prix et taux de change dans l’économie informelle ; au sein de l’économie formelle dominée par l’État, l’inégalité des salaires réels s’est en fait réduit, parce que ceux à l’extrémité supérieure de l’échelle qui pouvaient se permettre d’importer des produits sur le marché noir subissaient la flambée des prix, tandis que pour ceux avec les salaires les plus bas ou qui vivaient des prestations de l’Etat, et qui ne pouvaient s’acheter que les produits dont le prix était fixé par l’Etat, le coût de la vie est resté relativement stable au début.
Toutefois, la baisse du peso a créé un fossé croissant entre ceux qui avaient accès aux devises fortes et ceux qui dépendaient de revenus en pesos. Les travailleurs du secteur public sont devenus plus conscients de l’écart entre leurs revenus réels et ceux des personnes opérant sur le marché noir, créant ainsi un tiraillement entre incitations matérielles et incitations morales. L’effondrement de la valeur du peso par rapport au dollar devint aussi un symbole de l’érosion de la fierté nationale cubaine, ceux qui dépendaient de salaires en pesos devenaient progressivement plus pauvres par rapport non seulement aux étrangers - les gusanos qui avaient émigré aux États-Unis et le nouvel afflux de touristes - mais aussi par rapport aux voleurs et jineteros [terme cubain pour désigner ceux qui « profitent des touristes » NdT] à l’intérieur. Il y avait aussi un fossé grandissant entre la rhétorique héroïque officielle sur l’unité et le partage des difficultés et la réalité quotidienne de la pauvreté et des inégalités - del dicho al hecho hay un gran trecho, comme on disait. Plus corrosif du discours de la morale révolutionnaire est le fait que beaucoup de ceux qui avaient initialement refusé de s’engager dans l’activité du marché noir, ou même d’acheter sur les marchés informels, étaient maintenant eux-mêmes obligés de le faire. Leur participation réticente, reflétée dans un vocabulaire apologétique, a marqué une acceptation involontaire que la nécessité de resolver ou sobrevivir devait remplacer toute autre considération. [35] Au fil du temps, ce double système a miné les incitations au travail et la solidarité sociale ; il a augmenté les pressions pour le vol, l’absentéisme et la corruption qui étaient un fardeau pour l’économie formelle.
En 1993-1994, il y avait des impératifs sociaux, économiques et politiques urgents pour rétablir la stabilité monétaire : les approvisionnements alimentaires étaient des plus précaires ; le désespoir allait conduire à la crise des « balseros » [ceux qui partent en mer avec des embarcations de fortune – NDT] et une émeute dans la capitale, le habanazo. Cependant, contrairement aux autres pays de l’ex-Comecon, mais en accord avec l’objectif de préserver los logros, le gouvernement a refusé d’adopter un plan de stabilisation thérapeutique de choc. Les cubanologues ont désigné cet « entêtement » comme la cause de la chute du peso, et accusé le gouvernement de refuser de reconnaître les problèmes. Mais même si le discours officiel cubain a continué de se référer à la baisse du pouvoir d’achat non pas comme une inflation, ce qui laisserait entendre une perte permanente de pouvoir d’achat, mais comme le résultat d’une « pénurie », le gouvernement n’était pas dans le déni. Parce que les difficultés, qui étaient devenues aiguës en 1993, étaient partagées par tous les fonctionnaires en dehors de la petite minorité qui recevaient des fonds [généralement des familles à l’étranger - NDT], il était inutile d’insister sur la réalité des problèmes, et les conseillers économiques étaient aux prises avec de véritables défis. [36] Une série de réformes ont été introduites en 1993-1994 ; mais comme elles étaient très loin des prescriptions du Consensus de Washington pour la stabilisation, elles ont été rejetées comme insuffisantes par les Cubanologues. Cependant, elles ont réussi à produire un redressement remarquable.
Le retour du dollar
Les nouvelles mesures n’ont pas été présentées comme des réformes de stabilisation, ni principalement destinées à lutter contre la dépréciation monétaire. Elles ont cherché à faire entrer les activités du marché noir dans le secteur formel, pour à la fois redresser l’activité économique et réduire le déficit budgétaire grâce à une augmentation des revenus. La première mesure, en Juillet 1993, a été la suppression de l’interdiction de détenir des dollars. Les dollars pouvaient désormais être échangés contre des pesos cubains (PC) et vice-versa, pour les transactions personnelles. Jusque-là, le peso cubain était la seule monnaie en circulation dans l’économie officielle, à l’exception d’un petit nombre de magasins appartenant à l’Etat et appelés diplotiendas qui approvisionnaient principalement les diplomates, les étudiants étrangers et quelques Cubains, principalement des musiciens et des sportifs, qui avaient gagné de l’argent à l’étranger.
Mais maintenant, un nombre croissant de Cubains recevaient des dollars ou des devises fortes de leurs familles ou par des voies informelles ou illégales à travers le tourisme. Ils étaient censés les échanger au taux officiel de 1 peso pour 1 dollar ; mais avec l’effondrement de la valeur du peso, la plupart des gens les utilisaient pour faire du shopping dans les diplotiendas via des intermédiaires, ou les échangeaient sur le marché noir. Avec l’élargissement du déséquilibre monétaire, l’interdiction d’utiliser des dollars devenait intenable : la police y perdait son temps, et elle stimulait la petite corruption et créait la frustration parmi un nombre croissant de Cubains qui devaient enfreindre la loi afin de dépenser leurs devises fortes. Grâce à la légalisation, et ensuite un change facilité par la création d’un peso convertible (le CUC, évalué à parité avec le dollar) et la création par l’Etat de Casas de Cambio (connu sous le nom Cadecas) en 1995, le gouvernement a encouragé les envois de fonds comme une nouvelle source de devises qui étaient désespérément en manque. Le mouvement a également stimulé les recettes fiscales, par le biais de taxes sur les ventes dans les magasins de dollars, et a atténué l’érosion de l’autorité de l’Etat causée par ses efforts de plus en plus futiles pour empêcher les Cubains d’utiliser leurs dollars US.
La réforme était loin d’une libéralisation des marchés de change mises en œuvre sous la tutelle occidentale dans les autres pays de l’ex-Comecon car elle s’appliquait uniquement aux transactions individuelles au sein de l’économie nationale ; toutes les autres opérations de change sont restées sous le contrôle de l’Etat. Mais même si elle était limitée dans sa portée et sa fonction, elle eut pour effet d’incorporer le système de double monnaie dans l’économie formelle : la dichotomie n’était plus entre le marché noir et le secteur formel, mais entre les transactions individuelles - où les dollars US circulaient et pouvaient être échangés dans les Cadecas au taux de marché « officieux », à l’époque autour de 100 pesos/dollar – et le secteur public, qui utilisait le taux de change « officiel » de parité 1 dollar/1 peso.
En révélant au grand jour la dichotomie du système à double monnaie, les Cadecas ont également changé la façon dont les Cubains comprenaient la baisse des revenus réels, car la diminution du peso ne pouvait plus être niée. Le manque de pouvoir d’achat était maintenant officiellement quantifiable comme une question de la pauvreté plutôt que de pénurie, et le fossé entre la minorité qui avait accès à des devises fortes et les autres devenait un problème d’inégalité plutôt que d’illégalité. Dans le même temps, la tâche de restaurer les revenus réels et le niveau de vie fut perçue sous un nouveau jour : un ajustement impliquait désormais la nécessité de restaurer la valeur de marché du peso cubain, ce qui signifiait que le déséquilibre monétaire devait être mis sous contrôle en réduisant le déficit budgétaire ; et l’offre de biens, en particulier les aliments, disponibles à l’achat en pesos, devait augmenter.
La deuxième mesure, instaurée en septembre 1993, a étendu la portée de l’auto-entreprise en vertu du décret-loi 141. La gamme des activités de cuentapropista s’est élargie, passant de 41 à 158, ce qui a entraîné une augmentation des personnes enregistrées comme travailleurs indépendants de 15000 à la fin de 1992 à plus de 150000 en 1999. Cela a été accueilli par les Cubanologues comme une mesure de libéralisation, mais critiqué pour sa portée limitée. Les travailleurs indépendants ne constituaient toujours que de 5% de la main-d’œuvre ; les licences n’étaient accordées que pour deux ans et devaient être obtenues auprès du bureau local du ministère du Travail ; la gamme des activités approuvées a été principalement limitée aux services aux personnes. Pourtant, la réforme a innové en établissant un système d’imposition pour ces entreprises, avec au début un barème forfaitaire – et souvent régressif - qui a été amélioré au fur et à mesure que les capacités d’imposition et de recouvrement se sont accrues.
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Alors que la dépénalisation du dollar et l’ouverture à l’auto-entreprise ont été introduites par décret, le régime a procédé avec plus de prudence pour la question de l’ajustement budgétaire, dont la nécessité a été reconnue à l’Assemblée Nationale en Décembre 1993. Plutôt que d’imposer un plan d’austérité de réduction des dépenses, le gouvernement a une fois de plus lancé un débat national et a établi un nouveau processus de consultation, parlamentos Obreros, pour débattre des changements. Ces forums se sont réunis au cours des mois qui ont suivi pour examiner les propositions de réductions ; le plan final n’a été présenté qu’après la fin de leurs délibérations, en mai 1994. Un tel retard était incompréhensible au yeux des conseillers économiques en herbe à l’extérieur de l’île, qui insistaient sur la nécessité urgente d’une stabilisation. Mais le processus de consultation était important pour la réussite de l’ajustement. Il avait certainement ses défauts, mais il ne s’agissait pas de simplement approuver des mesures de réduction des dépenses qui avaient déjà été décidées : certaines des réductions proposées ont été abandonnées devant le critiques formulées.
Tandis que l’impôt sur le revenu avait était accepté dans son principe, il fut rejeté pour les employés de l’État ; et tandis que de fortes hausses de prix ont été approuvées pour les cigarettes, l’alcool, l’essence, l’électricité et certaines formes de transport, [37] ceux des biens de base sont restés fixés bien en deçà de leur coût, quelles que soient les implications fiscales. Il a également été confirmé que si des emplois devaient être supprimés, le processus devait être progressif, afin de permettre aux travailleurs licenciés de se recaser. La participation des travailleurs à l’élaboration des mesures de stabilisation signifie que, même si la sécurité de l’emploi était amoindrie, la détermination à prévenir le chômage de masse est restée intacte. La réouverture soudaine des marchés de paysans - agromercados - annoncée en septembre 1994 à la suite du habanazo, a également contribué à la stabilisation, même si ce ne était pas son objectif principal. Les détails des discussions entre les dirigeants du gouvernement n’ont pas été rendus publics, mais l’opinion largement partagée est que Fidel Castro s’y opposait, considérant les agromercados comme un « médium culturel pour une foule de maux et des déformations », alors qu’elle était défendue par Raúl et l’Asociación Nacional de Agricultores Pequeños (ANAP, Association des petits agriculteurs) au motif qu’ils pouvaient contribuer à accroître les approvisionnements alimentaires. [38] Une fois de plus, les observateurs de Cuba, de Pittsburgh à Miami, ont vue une réforme insuffisante, car elle ne représentait qu’une libéralisation partielle du marché des produits agricoles : l’Etat continuait à jouer un rôle majeur dans la distribution de nourriture pour satisfaire les besoins de base. Le système de rationnement est resté en place et les agriculteurs étaient encore tenus de fournir des quotas à l’acopio et ne pouvaient vendre leurs surplus sur les marchés ; les nouveaux points de vente ont été fortement réglementés, inspectés et taxés. Officiellement, les prix étaient déterminés librement par l’offre et la demande, mais le gouvernement a néanmoins cherché à les freiner en imposant des restrictions sur la flexibilité des prix et de les dévaluant dans les magasins de l’Etat.
Ensemble, ces quatre politiques ont apporté une dose importante de stabilisation budgétaire et monétaire, mais la nature de l’ajustement contrastait fortement avec celle des autres économies de l’ex-Comecon. La première différence est que, plutôt que de réduire le déficit budgétaire en réduisant les dépenses de l’État, comme c’est arrivé dans l’ancienne Union Soviétique et en Europe de l’Est, le gouvernement cubain a réduit l’écart principalement par l’augmentation des recettes de l’Etat. Entre 1993 et 1995, les recettes fiscales nominales ont augmenté de 37%, tandis que les dépenses ont diminué de seulement 5%. Deux tiers de la nouvelle hausse des revenus provenaient de ventes dans les magasins en devises publics, maintenant appelés Tiendas de Recaudación de Divisas (trds), et le reste de nouveaux impôts indirects et droits d’usage. La deuxième différence est que les budgets de l’aide sociale cubains sont restés intacts, avec des coupures limitées principalement à l’armée, l’administration de l’Etat et aux subventions aux entreprises. [39] En maintenant le niveau des dépense pendant l’augmentation du PIB, le ratio dépenses publiques/PIB de Cuba est tombé d’un niveau record de 87% du PIB en 1993 à 57% en 1997 - ce qui était encore largement supérieur à la moyenne d’environ 40% des « pays en transition ». [40] De cette manière, Cuba a réussi à combiner la protection sociale avec le rétrécissement rapide du déficit budgétaire, de 5,1 milliards de pesos en 1993 à moins de 800 millions de pesos en 1995. Ce qui représente un redressement beaucoup plus radical que ceux obtenus ailleurs : en 1991-1993, le déficit de Cuba était en moyenne de 30% du PIB, à comparer avec la moyenne de 8,8% pour les pays de l’ex-Comecon ; en 1995, il avait été réduit à 5,5%, et stabilisé à environ 3% par la suite. [41]
Les mesures de 1993-1994 ont également contribué à stabiliser le peso : la dépénalisation du dollar a attiré de nouveaux afflux de devises, l’auto-entreprise a stimulé l’offre de services, l’ajustement budgétaire a réduit le déficit et les agromercados ont atténué les pénuries alimentaires [42] et fait baisser les prix. [43] A la fin de 1994, la dépréciation de la monnaie avait non seulement été arrêté, mais partiellement inversée, avec un taux d’environ 60 pesos pour un dollar : plus du double de sa valeur de 150 pesos pour un dollar en février 1994. Au cours des 18 mois qui ont suivi, il a continué à monter, pour atteindre 18 pesos pour un dollar à la mi-1996. Aucun autre des pays « en transition » n’a réussi une telle réévaluation : alors que la plupart ont réussi à stopper la dépréciation, aucun n’a connu un rebond. [44] Mais bien que l’inflation à Cuba ait été tenue sous contrôle, les déséquilibres monétaires graves ont persisté alors que la valeur du peso restait bien en deçà de son niveau de 1990. Cela signifiait que les salaires et les prix de l’Etat, relativement stables en termes nominaux, sont restés faibles par rapport aux devises fortes et aux prix du marché. Le taux de change sous-évalué des Cadeca a servi de moyen de supprimer la demande à l’importation en faisant partager les difficultés au cours de la décennie suivante, tandis que le gouvernement se concentrait sur la nécessité urgente de trouver des sources de revenus en devises.
L’animosité des Etats-Unis
Pourtant, alors même que l’économie se stabilisait, l’environnement extérieur se détériorait. L’embargo commercial imposé par Kennedy en 1962 avait été confirmé par décrets successifs au cours des décennies qui ont suivi. Mais en 1992, au pire moment de la período especial, il a été durci par la Loi Torricelli. En 1996, l’embargo a été renforcé encore davantage lorsque Clinton a signé la loi Helms-Burton, en augmentant les amendes contre les entreprises des pays tiers pour le « trafic » avec d’anciens actifs états-uniens et confisqués après 1959 ; et il a interdit l’entrée aux États-Unis à ceux qui avaient travaillé pour ces entreprises. L’interdiction s’est étendue aux paiements en dollars passés par le bourse de New York, même lorsque les transactions n’impliquaient aucune entité US. La loi oblige les pays qui commercent avec les États-Unis de certifier que leurs produits ne contiennent aucune matière première ou produit semi-fini d’origine Cubaine. [45]
[note du traducteur : l’auteur ici commet deux erreurs importantes. 1) il sous-estime gravement la portée de la loi Helms-Burton qui constitue une véritable déclaration de guerre politique et économique contre Cuba, et prévoit la mise sous tutelle de l’île par un comité ad hoc désigné par les Etats et pendant une période indéterminée. La loi prévoit aussi que l’embargo ne pourra être levé que lorsque Cuba aura « remboursé » les dommages occasionnés aux Etats-Unis (montant non précisé) et lorsque le président en exercice des Etats-Unis aura décidé que Cuba est devenue une démocratie (conditions non précisées)... Et, enfin, la loi fait obligation au pouvoir exécutif US de renverser le régime cubain et le président US doit présenter tous les six mois devant le Congrès l’avancement du projet... 2) les biens états-uniens n’ont jamais été « confisqués » par la révolution cubaine. Les indemnisations pour « nationalisations » ont été dûment offertes, comme aux autres entreprises étrangères, mais ont été refusées par les Etats-Unis, en partie à cause de... l’embargo qui venait d’être mis en place par... les Etats-Unis.]
L’importance accordée au principe de souveraineté et de sécurité nationale à Cuba est facilement compréhensible dans ce contexte. Pourtant, il a également imposé des contraintes néfastes aux discussions internes. Le gouvernement Castro a répondu à la loi Helms-Burton avec une loi « réaffirmant la dignité et la souveraineté cubaines », qui a rendu illégal pour tout Cubain de divulguer des informations, en particulier sur l’économie, qui pourraient porter atteinte à la sécurité nationale. Un résultat a été la fermeture d’un important programme de recherche au Centro de Estudias de las Amériques (CEA) après que ses chercheurs ont publié la première analyse détaillée de l’ajustement cubain en anglais. [46] Ce genre de défensive - les chercheurs se considéraient comme des révolutionnaires loyaux mais critiques – ne fait qu’affaiblir la capacité de Cuba de répondre de façon créative aux conditions changeantes.
Attirer les investissements
En raison des sanctions, l’investissement étranger direct offrait la voie la moins coûteuse et souvent unique pour Cuba de lever des fonds en devises fortes. Il permettait aussi aux fonctionnaires cubains de tenir des conversations avec des partenaires étrangers derrière des portes closes, et éviter ainsi l’attention de l’US Office of Foreign Assets Control. Il a fallu faire face aux défis d’investisseurs soupçonneux, aux réticences au sein du gouvernement cubain - ’La inversión extranjera no nos gustaba mucho’, a ironiquement admis Fidel au Congrès du PCC en 1997, avant de passer à l’explication de son importance et la nécessité d’adapter les structures juridiques, financières et techniques de Cuba. Depuis 1990, la politique en matière d’investissements étrangers directs a évolué pour s’adapter à ces contraintes. [48] Le processus d’ajustement des attitudes, des règlements, de comptabilité, d’arbitrage, d’assurance et du droit du travail a commencé dès que Cuba a perdu ses partenaires du Comecon. Les entreprises mixtes avec des entreprises privées étrangères avaient été légalisées en 1982, et le premier projet pilote mis en place en 1988 ; mais en réponse à la nécessité urgente de nouveaux accords, cinquante autres ont été signées à la fin de 1991. Une réforme constitutionnelle de Juillet 1992 a redéfini la propriété de l’Etat comme s’appliquant uniquement aux moyens de production « fondamentaux » ; une loi de 1995 sur l’investissement étranger a précisé le cadre réglementaire.
Mais si l’objectif était d’attirer de nouveaux investissements, l’Etat cubain n’abandonnait pas le contrôle. Il a continué à restreindre la portée de l’investissement étranger direct, et tout transfert majeur de biens de l’Etat à la propriété étrangère exige que le Comité exécutif du Conseil des ministres soit convaincu que cela « contribuera à la capacité économique et au développement durable du pays, sur la base du respect de la souveraineté et de l’indépendance du pays », en fournissant des capitaux frais, de nouveaux marchés, de la technologie ou de compétences, y compris l’expertise en gestion. Des autorisations ont été accordées au cas par cas, et au fil des années, et de nombreuses propositions ont été rejetées, avec un processus de révision permanente de la politique. Les règles ont été établis pour veiller à ce que l’ouverture à l’investissement étranger direct soit contrôlé par le système de gestion économique de l’Etat socialiste.
L’évolution de la politique des investissements étrangers directs a répondu à l’évolution des circonstances. Au début des années 1990, certaines occasions ont été manquées, en raison de retards ou de malentendus ; une fois les problèmes identifiés, les autorités ont cherché à simplifier les procédures. En 1997, la capacité d’importation avait suffisamment récupéré pour réduire le besoin urgent de devises étrangères, tandis que la loi Helms-Burton s’employait à dissuader les investisseurs étrangers. En conséquence, la libéralisation du régime des investissements étrangers directs n’a pas évolué au Congrès du PCC de 1997, mais l’approche existante fut simplement approuvée, en précisant que le capital devait être recherché en particulier pour les infrastructures, les mines et le développement de l’énergie. Ceci a été suivi par une évolution vers des projets plus importants, entraînant le non-renouvellement des contrats pour les petits investisseurs. Bien que les Cubanologues aient déploré un renversement de politique, la nature essentielle de la stratégie des investissements étrangers directs est resté inchangée. Alors que le nombre d’accords sur des entreprises mixtes (joint-ventures) est passé d’environ 40 par an en 1991-1997 à une moyenne de 25 à la fin de la décennie, des contrats plus importants signifiaient que l’afflux annuel net moyen des capitaux étrangers est passé de 180 millions de dollars en 1993-1996 à 320 millions de dollars en 1997-2000.
Cette période a également vu la première privatisation partielle d’actifs cubains - en 1999, une société française, Altadis, a pris 50% de Habanos, le distributeur international de cigares cubains, pour $500 millions - et la première joint-venture entièrement sous contrôle étranger, une centrale de $15 millions construite par une société panaméenne. De 2001-2008, la politique des investissements étrangers directs a de nouveau été affecté par la détérioration des relations avec les États-Unis au cours de la « guerre contre le terrorisme » - Cuba avait été désignée comme un « parrain du terrorisme d’Etat » par l’Administration Reagan – par une augmentation de la surveillance et des poursuites par les Etats-Unis. Bush Jr mit en place un Projet de Transition pour une Cuba post-communiste et le Département d’Etat intensifia ses efforts pour détecter et poursuivre les auteurs de violations des sanctions américaines, ce qui découragea les entreprises étrangères. En 2004, Washington infligea une amende $100 millions à la banque suisse UBS pour avoir fournir un lot de billets de dollars à Cuba. La Havane a réagi en annulant l’utilisation de dollars dans les transactions nationales, même s’ils pouvaient encore être détenus et échangés contre des pesos convertibles (CUCs) avec un supplément de 10 pour cent. Dans le même temps, les relations de Cuba avec le Venezuela étaient florissantes. Hugo Chávez avait d’abord été invité à Cuba comme un leader de l’opposition en 1994. Après la victoire électorale de Chávez en 1998 - et surtout après l’échec de la tentative de coup d’Etat de 2002 et la grève patronale contre le gouvernement – les échanges entre les deux pays ont été renforcés, aboutissant à un accord bilatéral en décembre 2004 d’échange de pétrole vénézuélien - environ 53 000 barils par jour - contre des services professionnels cubains, travailleurs de la santé et enseignants. Pour la première fois depuis 1990, Cuba a reçu un financement important à des conditions préférentielles, augmentant l’investissement et la croissance annuelle du PIB, qui est passé à une moyenne de 10% en 2005-2007. Avec le Venezuela, Cuba fut un membre fondateur d’un nouvel accord commercial, Allianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (ALBA) rejoints ensuite par la Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua et quatre nations insulaires des Caraïbes. La croissance annuelle moyenne des recettes d’exportation est montée à 30% en 2005-2007, par rapport aux 9 % de la décennie précédente.
Bien que les statistiques cubaines sur les flux de capitaux internationaux sont très rares, les éléments disponibles confirment la restructuration radicale de la production et du commerce international avec relativement peu de financement. Les investissements étrangers directs à Cuba s’élèvent à seulement 1% du PIB depuis le milieu des années 90, contre une moyenne pour les pays de l’ex-Comecon en Europe de l’ordre de 4%. [49] La Havane a réussi à obtenir un rendement élevé par dollar de capital investi en choisissant soigneusement ses partenaires et en négociant directement les contrats. Pourtant, la réinsertion de Cuba dans l’économie mondiale a été menée par seulement une poignée d’industries. Les figures 4 et 5, ci-dessous, soulignent la base étroite de la restructuration et du redressement économique de Cuba depuis 1990. La Figure 4 montre les quatre principales sources de croissance des échanges en devises depuis 1990 : d’abord le tourisme dans les années 1990, puis le nickel et l’énergie et, dans la dernière décennie, les services professionnels mènent la reprise. Dans le Comecon, le sucre représentait 73% de toutes les recettes d’exportation ; le déficit commercial était autour de $2 milliards. En 2012, le sucre ne représentait plus que 3% des recettes d’exportation, tandis que les industries nouvellement développées, le tourisme, le nickel, le raffinage et les services, rapportaient suffisamment pour produire un excédent annuel des échanges de produits et services combinés de plus de $1 milliard. L’exploitation de l’industrie touristique et le nickel ont été recapitalisés par des investissements étrangers directs privés ; le raffinage et les services à travers l’accord Cuba-Venezuela de 2004. Ce dernier est la principale source de recettes en devises – en fait, les revenus tirés de la vente de services au Venezuela ont dépassé ceux de l’ensemble des exportations tous produits confondus depuis 2005 - bien que le plus forte croissance depuis 2008 est venue de la raffinerie de pétrole de Cienfuegos, un joint-venture entre des compagnies pétrolières étatiques cubaines et vénézuéliennes. Le secteur de la biotechnologie, où beaucoup d’espoirs ont été placés, connaît depuis récemment une bonne croissance stable - ses exportations ont doublé entre 2008 et 2012 - mais, à seulement 3% du total des recettes d’exportation, ce secteur est encore trop marginal pour être un moteur de l’économie nationale. En 2012, l’excédent commercial de Cuba (tous biens et services confondus), avec les envois de fonds de l’étranger qui sont estimés à environ $2 milliards, semble avoir apporté suffisamment de devises pour permettre une accumulation de réserves internationales, montré par le solde négatif de la valeur estimée hors « financement externe » de la figure 4.
La Figure 5, qui montre la destination géographique des exportations, révèle l’étendue de la réorientation du commerce de biens. En 1990, quelque 75% des exportations étaient vendues à d’anciens pays du Comecon, mais en 2012 elles représentaient moins de 5%. Autour de 2000, Cuba a réussi à atteindre un degré de diversification sans précédent de ses partenaires à l’exportation, avec l’Europe de l’Ouest représentant 32% du total, les anciens pays du Comecon 27%, le Canada 17%, l’Asie 12%, et le reste des Amériques - hors États-Unis, qui reste fermé aux exportations cubaines - à 10%. Depuis, la dépendance envers un partenaire unique a de nouveau augmenté : en 2012, le Venezuela représentait non seulement 45% des exportations de biens - en grande partie des produits pétroliers de la raffinerie de Cienfuegos - mais aussi la plupart des services non-touristiques de Cuba.
En plus de creuser les inégalités, cette bifurcations de l’économie avait entravé le développement par la croissance d’un secteur informel parasitaire, qui drainait les ressources de l’économie formelle en offrant des incitations pour les travailleurs qualifiés, y compris les enseignants, à prendre des emplois peu qualifiés pour les salaires en CUC et encourageant le pillage des ressources de l’Etat pour les revendre sur le marché noir à des prix élevés. La prévalence de la corruption et l’inégalité croissante des revenus a progressivement sapé l’éthique égalitaire et la crédibilité de la rhétorique socialiste, un effet renforcé par le fait que les Cubains riches pouvaient désormais s’offrir un accès préférentiel aux emplois, à l’éducation et à la santé en payant via des canaux informels. Pendant ce temps, le coût des subventions drainaient des fonds qui auraient pu être employés pour des investissements.
Lineamentos
Le premier problème pour la nouvelle équipe de Raúl Castro, dirigée par le ministre de l’Economie Marino Murillo, était de rétablir l’équilibre externe, après les chocs de 2008. Ceci a été réalisé par une forte réduction des importations, ce qui réduit la croissance du PIB officiel de seulement 1,4%. [50] Depuis lors, la stratégie économique a été définie comme « la mise à jour » du modèle - diversifier la production, ranimer l’économie nationale décapitalisée, réaligner les prix, les taux de change et les revenus - plutôt que de lancer un processus à la chinoise d’accumulation capitaliste sous la houlette du Parti Communiste. Bien que le style de Raúl soit très différent de celui de son frère, il a pris soin de lier cette révision à la politique de Fidel, en utilisant de façon répétée des citations de ses discours, avec un faible pour celle-ci : « Revolución es sentido del momento histórico ; es cambiar todo lo que debe ser cambiado ». [La Révolution est le sens du moment historique ; c’est changer tout ce qui doit être changé – NdT] [51] Après quelques premières réformes modestes, Raúl a préparé le terrain pour une approche plus radicale en lançant un nouveau débat national dans la perspective du sixième Congrès du PCC en avril 2011. Un projet de document, « Lineamientos de la Política Económica y social del Partido y la Revolución », fut diffusé en novembre 2010 pour discussion lors de réunions à travers le pays, où les commentaires et les révisions proposées ont été notés. Un nouveau texte a été soumis au Congrès, modifié puis publié en mai 2011. [52] Bien que ces « lignes directrices » étaient destinées à orienter la politique jusqu’en 2016, le document n’était en rien un plan sur cinq ans. A l’instar de la résolution 1991 du PCC sur l’économie, il a présenté un ensemble de principes et d’objectifs plutôt que des mesures précises d’un programme de réforme.
Malgré toutes les lacunes du système de participation, celui-ci a continué à servir à la fois de cadre et pilote de la politique officielle. Ceci a été illustré par la manière dont une directive de licenciements massifs dans le secteur public a été examinée et révisée, avec la participation des syndicats officiels, après que les employés de l’Etat aient rejeté le rythme trop rapide de l’ajustement et l’impossible et inéquitable façon dont il était mis en œuvre. Les événements ont démontré que, bien que loin d’être « indépendants », les syndicats cubains ont joué un rôle important dans l’établissement de limites à la politique et dans l’application pratique de la « rationalisation » ou fermetures d’entreprises. [53] Le processus de consultation sur les « lignes directrices » a également fourni l’occasion d’un examen public, ce qui a entraîné d’importantes modifications jusqu’au document final. Et tandis que la mise en œuvre depuis mai 2011 a été coordonnée de manière centralisée par une commission sous la direction de Murillo, avec des rapports réguliers sur les progrès consciencieusement présentés au Parti et à l’Assemblée Nationale, il a impliqué un éventail d’organismes beaucoup plus large, avec des interactions complexes entre le Parti, le gouvernement et les commissions d’experts. Le processus de mise en œuvre a intégré toute une série d’expériences et de projets pilotes, ainsi que des programmes de recyclage, de recherche et de contrôle/surveillance.
Les « lignes directrices » et les discours officiels font beaucoup référence à « utiliser les mécanismes du marché », mais considèrent cela comme une composante de la politique dirigée par l’Etat, contrairement à la doxa néolibérale sous-jacente dans les stratégies de « transition » appliquées ailleurs. Les mesures prises jusqu’ici comportent des éléments de libéralisation, y compris l’expansion du secteur non étatique, un élargissement des investissements étrangers, des concessions fiscales pour des zones de développement spéciaux et la déréglementation du marché d’occasion pour les logements et les voitures. Mais plutôt que de céder le contrôle de l’économie au secteur privé, le gouvernement a accompagné ces changements pas des mesures explicitement conçues pour renforcer le contrôle de l’Etat. Depuis l’accession de Raúl à la présidence, il a augmenté les ressources et l’autorité du contrôleur général, Gladys Bejerano, un personnage clé qui a toujours été négligé par les commentateurs extérieurs. Le travail du contrôleur général a non seulement été de renforcer la lutte contre la corruption - avec une attention toute particulière aux abus les plus pernicieux de haut niveau, ce qui a valu de longues peines de prison pour certains hauts fonctionnaires - mais aussi à améliorer la conformité fiscale, grâce à la diffusion de l’information et un programme de formation à l’échelle nationale pour les fonctionnaires, les gestionnaires, les comptables et les travailleurs indépendants. C’est-à-dire en utilisant les moyens institutionnels de l’Etat pour construire l’appareil et la culture nécessaire pour renforcer l’efficacité et l’équité dans le secteur formel, où les marchés jouent un rôle plus important que par le passé.
La performance économique cubaine depuis la crise financière mondiale a été plus faible que prévu, avec une croissance annuelle moyenne du PIB de moins de 3%, et les objectifs sont régulièrement ratés. L’aide du Venezuela se poursuit, mais l’impulsion initiale s’est stabilisée depuis 2008, et l’exclusion de Cuba du marché états-unien et de la plupart des sources de financement internationales constitue un frein à sa croissance. Il y a eu peu d’amélioration des salaires réels dans le secteur public, à l’exception des travailleurs de la santé qui ont connu une hausse au début de 2014. Une déception particulière a été l’absence de reprise significative de la production agricole, en dépit de la distribution de terres aux agriculteurs privés et une série de mesures visant à améliorer leurs incitations, réseaux de distribution, fournitures et possibilités de financement. Dans une perspective comparative, la croissance du PIB cubain n’a pas été pire que la moyenne des pays « en transition » depuis 2008, en dépit d’une réduction substantielle de la masse salariale du secteur public ; l’ajustement a été suffisamment lent pour éviter un choc de la demande ou une forte hausse du chômage. Mais les résultats sont en deçà de l’amélioration attendue des réformes de 2011. Au-delà de bricoler avec les règlements pour améliorer le fonctionnement des nouveaux marchés, des avancées plus audacieuses sont actuellement à l’étude pour augmenter l’investissement étranger et s’attaquer aux difficultés persistantes créées par le système de double monnaie.
L’initiative récente la plus importante a été la mise à niveau du port de Mariel, à 45 km à l’ouest de La Havane. Le projet, une entreprise mixte créée en 2009 et financée par un prêt de $1 milliard de la banque de développement brésilienne, BNDES, est le plus grand investissement dans l’infrastructure depuis 1990. Le port offre un mouillage de 18 mètres, suffisamment profond pour accueillir les porte-conteneurs géants « post-Panamax » qui passeront par le canal de Panama [en cours d’élargissement – NdT] lorsque celui-ci sera achevé en 2015. A l’heure actuelle, l’embargo US non seulement interdit toutes les importations en provenance de Cuba, mais interdit aussi aux navires qui passent par Cuba d’accoster dans les ports US pendant 6 mois ; l’activité à Mariel se démultiplierait clairement si ces restrictions étaient levées, même partiellement, et le projet peut avoir été conçu en partie comme un signal de la volonté de Cuba d’améliorer les relations bilatérales. Mais même sans les Etats-Unis, l’installation est prête à servir les échanges croissants entre la Chine, le Brésil et l’Europe, comme une plaque tournante où les conteneurs peuvent être transférés sur des navires plus petits pour leur transport vers les ports régionaux.
Une deuxième initiative, l’ouverture d’une zone spéciale de développement à Mariel à la fin de 2013, reliée par une nouvelle ligne de chemin de fer à La Havane, est destinée à la fois à promouvoir un « complexe » industriel destiné à gérer les activités autour du port et à attirer des entreprises cubaines et étrangères qui servent le marché intérieur. Parallèlement à ces deux évolutions, il y a une nouvelle loi sur les investissements étrangers, qui a pris effet à fin Juin 2014, après de nombreuses années de discussion. A la grande déception des Cubanologues, il ne s’agit que d’une révision de la loi de 1995 : s’il comporte des ajustements aux impôts et autres incitations, et un appel plus explicite aux investisseurs des États-Unis, les principes fondamentaux demeurent : c’est l’Etat cubain qui contrôlera les entrées et devra être convaincu que chaque investissement étranger contribue à ses objectifs de développement.
Jour Zéro
Néanmoins, réussir à attirer l’investissement étranger ne fera que perpétuer un modèle de croissance déformée, tant que l’écart entre les taux de change - le taux « officiel » de la parité peso-CUC-dollar , et le taux de Cadeca « officieux » mais légal de 24 pesos pour 1 CUC/dollar - créera une gamme de prix officiels, officieux, en dollars et en pesos non convertibles, qui empêche l’intégration entre les économies nationales et externes. Avec le développement du secteur non étatique, il est devenu de plus en plus clair que des entreprises privées relativement inefficaces ont pu prospérer dans l’économie nationale, que leurs coûts en pesos cubains, y compris le coût du travail, sont sous-évalués au taux de change Cadeca/CUC qu’elles utilisent pour leurs transactions. En effet, l’Etat cubain subventionne le nouveau secteur non étatique à travers le taux Cadeca sous-évalué. Pendant ce temps, les entreprises d’Etat doivent utiliser le taux de change officiel surévalué, une situation désavantageuse en termes de compétitivité. Une forme d’« illusion monétaire » signifie que les entreprises efficaces de l’Etat signalent des pertes et ne peuvent donc pas lever des capitaux pour des investissements, tandis que les entrepreneurs privés opérant à de très faibles niveaux de productivité bénéficient de lourdes subventions cachées de l’Etat, tout en se plaignant d’être trop taxés.
La ligne directrice 55 des « Lineamentos » de 2011 stipule clairement que le système de double monnaie doit être abordée, mais sa formulation est obscure et le changement a été lent à venir. [54] Le retard est en partie attribuable à l’aversion au risque. Tout réalignement monétaire impliquera une réévaluation perturbatrice et, dans le sillage de l’effondrement brutal du peso dans les années 1990, la Banque Centrale a mis l’accent sur le maintien de la stabilité. La crainte de nouvelles difficultés créé une préférence pour la prudence, non seulement au sein du gouvernement et de la bureaucratie, mais aussi au sein de la population dans son ensemble ; de nombreux ménages se sont adaptés aux structures de prix déformées, et en sont donc devenus dépendants. Entre le milieu des années 90 et 2008, la perception de l’amélioration progressive par l’ajustement était suffisante pour atténuer l’impératif de rétablir l’équilibre du système monétaire ; mais le ralentissement qui a suivi a porté la question sur le devant de la scène.
Enfin, au début de 2013, les premières mesures ont été prises. Après deux années d’études, un programme pilote a été lancé pour permettre à certaines entreprises d’État d’utiliser les taux de change Pesos-CUC d’environ 10 pesos pour 1 CUC pour les achats de l’Etat à des fournisseurs - nationaux, coopératifs ou privés. En Octobre 2013, le gouvernement a annoncé qu’un calendrier pour la réforme monétaire avait été établi. En Mars 2014, il a publié des instructions détaillées pour la fixation des prix et de règlement des comptes pour « Dia Cero » - jour zéro - lorsque le CUC sera aboli. [55] Le peso cubain sera alors vraisemblablement directement convertible en devises, bien que les détails de tous les contrôles de change prévus ne sont pas encore connus. Afin de minimiser les perturbations, l’Etat définira les paramètres pour les nouveaux prix en pesos cubains et fournira des subventions pour couvrir les pertes initiales ; les nouveaux prix, libellés dans la monnaie unique, tiendront alors compte de la perte de pouvoir d’achat international du peso depuis 1990, et les « subvention cachées » au secteur privé seront supprimées.
La question vitale de ce que sera la valeur de ce nouveau taux de change unique n’a pas encore été précisée. Le taux de Cadeca actuel de 24 pesos pour un dollar - qui sous-évalue le peso - pourrait être le moins perturbateur et, grâce à son énorme dévaluation du taux de change officiel, pourrait radicalement améliorer la compétitivité des entreprises. Mais il présenterait l’économie cubaine sur le marché mondial comme un producteur aux salaires extrêmement bas et créerait un écart démesuré entre les revenus en ex-CUC et les échelles de salaire en pesos cubains. Un taux de 20, 15 ou même 10 pesos pour 1 CUC/dollar offrirait une correction partielle des revenus réels, tout en améliorant la compétitivité et permettant un ajustement supplémentaire une fois que les choses se sont installées et la confiance restaurée. [56]
Au moment de rédiger ces lignes, aucune date pour Dia Cero n’a été annoncée, et il n’y a toujours pas de certitude quant à la façon dont une réévaluation du peso sera gérée. En abordant le processus d’unification monétaire avec prudence, le gouvernement espère bien qu’il sera possible de minimiser les coûts de réalignement des prix. Il y a aucun cas directement comparable à celui de Cuba, parce que les unifications de devises dans d’autres pays ont été menées soit lorsque des balances commerciales excédentaires fournissaient une abondance de devises, soit avec un soutien extérieur ; et aucun n’a connu la structure très particulière à Cuba de fragmentation des marchés et des prix. Sans les données monétaires nécessaires pour bien comprendre les conditions cubaines, nous ne pouvons que spéculer sur l’impact probable d’un tel changement. Mais il semble clair que cette réforme aura de grandes conséquences au cours des prochaines années, non seulement pour les prix relatifs et la répartition des revenus, mais aussi pour la dynamique de la croissance économique cubaine.
Les divisions sociales
Il n’est pas facile d’évaluer quelle proportion de la population a accès aux CUC ou aux devises étrangères, ni en quelles quantités. Certaines estimations suggèrent que la moitié de la population a accès aux CUCS, mais dans de nombreux cas, le montant serait minime. La concentration de l’épargne dans les comptes en banque est très élevée mais ceux qui réussissent sur le marché noir, par exemple, gardent leur argent ailleurs. Ce qui peut être identifié avec certitude, ce sont les groupes sociaux qui ont le plus accès aux CUC, et les autres. Les plus pauvres sont ceux qui dépendent des pensions de l’État ou de l’aide sociale, sans soutien familial. Les pensions sont à peine suffisantes pour leur subsistance, et les services sociaux doivent les compléter là où il n’y a pas de famille ou parce que la famille est trop pauvre. Bien qu’il y ait plus d’argent en circulation à La Havane, et donc plus de possibilités pour les jeunes et bien portants pour gagner leur vie, pour les personnes âgées incapables de se déplacer, elle peut se révéler l’un des pires endroits parce que les prix du marché y sont les plus élevés. Ceux qui ont de très bas salaires, sans accès à des bonus, sans possibilité de chaparder, de travailler au noir ou de recevoir des fonds de l’étranger, sont aux limites de la subsistance.
L’autre catégorie à souffrir le plus - probablement plus que la moitié de la population - sont ceux qui parviennent à s’en sortir car ils peuvent compléter leurs revenus d’une façon ou d’une autre, mais vivent au jour le jour sans possibilité d’épargner. On y trouve les fonctionnaires du gouvernement, et ceux qui vivent avec un soutien financier modeste de l’extérieur ou qui sont engagés dans une petite activité privée, légale ou illégale. Les écarts salariaux sont importants, mais ne sont pas le facteur principal qui détermine la consommation réelle ; cela dépend de l’accès aux CUC. Certains employés de l’Etat les plus touchés ont été les membres et les fonctionnaires du PCC, qui ne sont pas censés se livrer à une activité non officielle. Ils peuvent avoir des privilèges en nature, mais pas en revenus. Pour certains professionnels, les voyages de travail à l’étranger peuvent offrir la possibilité d’obtenir de l’argent supplémentaire pour des dépenses importantes, comme la réparation d’une maison. Avec le temps, la proportion de travailleurs de l’Etat qui recoivent une sorte de bonus a augmenté. D’abord, il y a eu les javas mensuels, ou sacs, de produits de base, comme l’eau de Javel ou la dentifrice ; maintenant des primes de 10 à 25 CUC, ou plus, sont courants. Au cours de la dernière décennie, les revenus d’un nombre croissant de ménages ont augmenté suffisamment pour acquérir un téléphone portable, améliorer leurs maisons ou acheter une voiture d’occasion. Mais les revenus nominaux de l’Etat n’ont pas augmenté avec le coût de la vie, de sorte que ceux qui dépendent encore d’un salaire en pesos ont beaucoup de mal à joindre les deux bouts.
La minorité riche constitue un groupe à part. Ce sont ceux qui reçoivent des fonds généreux de l’étranger, certains agriculteurs privés, quelques propriétaires d’entreprises privées légales ou illégales, des personnalités sportives ou culturelles internationales, des chefs d’entreprise corrompus et ici ou là quelques fonctionnaires corrompus. Autrement dit, ils ne reçoivent pas leur privilège de revenus en pesos payés par l’État cubain. Ils vivent dans un monde différent de la majorité de la population. La politique envers ce groupe consiste à essayer de détecter et punir le délit économique et renforcer le système fiscal, pour s’assurer que les hauts revenus soient lourdement taxés, à la fois par l’impôt sur le revenu et les taxes sur le chiffre d’affaires ; mais le gouvernement ne cherche plus à empêcher de hauts revenus provenant d’une activité légale. Ainsi, les restrictions sur les joueurs de baseball qui vont jouer à l’étranger sont en train d’être levées, et les Cubains sont désormais plus libres de voyager à l’étranger pour y travailler et ensuite revenir.
Cependant, pour la majorité, l’amélioration du niveau de vie a été faible et douloureusement lente ; d’autant plus difficile à supporter, surtout à La Havane, lorsqu’ils peuvent constater le confort dont bénéficient certains, confort souvent tiré d’une activité pas très honnête. Les produits de base sont encore subventionnés, mais certains produits de base ont été retirés de la ration et doivent être achetés dans les agro-marchés. Cela a été un processus graduel, accompagné d’une hausse lente des salaires nominaux et une extension des bonus. La fourniture de l’électricité s’est améliorée, mais il y a eu des augmentations de prix pour l’eau et l’électricité, ce qui a tendance à annuler la hausse des salaires ; donc, pour beaucoup de gens, l’amélioration du niveau de vie est à peine perceptible. Pourtant, le filet de sécurité reste en place, et les infrastructures et les services publics sont certainement mieux qu’avant, reflétant les priorités du gouvernement en termes d’affectation des nouveaux revenus tirés des taxes et exportations de services.
Une alternative ?
Le deuxième et dernier mandat présidentiel de Raúl Castro se terminera au plus tard en 2018. En 2016, lorsque le processus de cinq ans de « mise à jour » en vertu des Lignes Directrices actuelles prendra fin, l’objectif est donner à l’économie une base de production et un secteur privé plus large, tout en conservant la santé, l’éducation et les services sociaux pour tous. Pour atteindre cet objectif, le taux d’investissement devra augmenter. Compte tenu de la réussite de Cuba à établir des relations officielles avec de nouveaux partenaires, dont la Chine, le Brésil et la Russie, l’aspiration à augmenter le flux des investissements étrangers semble faisable. Augmenter l’efficacité et le dynamisme au sein de l’économie nationale, tout en empêchant l’élargissement des écarts de revenus et les divisions sociales qui menacent le projet d’Etat socialiste, paraît plus compliqué.
Cuba n’a pas dit son dernier mot, et l’ampleur des réalisations à ce jour doit être reconnue. Tout en reconnaissant que les mécanismes de marché peuvent contribuer à une économie plus diversifiée et dynamique, les décideurs politiques cubains n’ont pas avalé les promesses de privatisations à grande échelle et de libéralisation, et ont toujours été attentifs aux coûts sociaux. Cette approche, imposée en partie par les conditions internationales exceptionnellement difficiles, a eu plus de succès en termes de croissance économique et de protection sociale que les modèles du Consensus de Washington pouvaient prédire. En comparant l’expérience de Cuba avec celle des anciens pays du Comecon en Europe de l’Est - ou même avec la Chine et le Vietnam - il est possible d’identifier certains traits caractéristiques de la voie suivie.
Premièrement, Cuba a réussi à maintenir un filet de sécurité sociale au cours de la crise, en contraste frappant avec les autres pays. Dans un contexte unique d’un choc exogène grave et d’un environnement extérieur hostile, un engagement à préserver la protection sociale universelle a sans aucun doute limité les difficultés sociales. En relation à ça, il y a le vaste processus de consultation populaire, en particulier à trois moments critiques – le début de la crise, le processus de stabilisation, et le prélude à la nouvelle phase d’ajustement de Raúl Castro. Troisièmement, en conservant le contrôle des salaires et des prix au cours de la première période de choc et de redressement, il a été possible de rétablir relativement vite la stabilité en limitant la spirale inflationniste. Bien que les salaires fixes et le contrôle des prix ont créé les conditions d’une économie informelle florissante, ils ont également servi à minimiser les perturbations et de limiter l’écart de revenu au sein de l’économie formelle. Bien que les deux sont tout à fait distinctes, cette stratégie peut être comparée à celle de la « double voie » de la Chine, où la voie « planifiée » est préservée tandis que la voie « du marché » se développe en parallèle, offrant des possibilités d’expérimentation et d’apprentissage. Malgré toutes ses inefficacités et confusions, « la bifurcation » et « économie parallèle » à Cuba ont joué un rôle dans l’adaptation aux nouvelles conditions.
Quatrièmement, l’Etat a conservé le contrôle du processus de restructuration économique, ce qui lui permet de canaliser les ressources en devises fortes très limitées vers certaines industries, de réaliser une reprise remarquable de recettes en devises par rapport à la quantité de capital disponible. Ces entreprises ont également servi comme « opportunités d’apprentissage » pour les planificateurs, gestionnaires et travailleurs cubains pour réfléchir à la façon de s’adapter aux nouvelles conditions internationales. La base d’exportation créée par cette approche peut être trop étroite pour stimuler une croissance durable sur le long terme, mais c’était un moyen efficace de redressement après la période de crise. Enfin, le rejet par Cuba de l’habituelle voie « de transition vers le capitalisme » a ouvert un espace pour un processus d’ajustement - décrit par un officiel comme une « évolution permanente » [57] - qui a été souple et réactif devant l’évolution des conditions et des contraintes. Ceci contraste fortement avec les recettes plus rigides de libéralisation et privatisation servies par les hordes de consultants ès-transitions dans les autres anciens pays du Comecon. Cuba est un pays pauvre, mais ses systèmes de santé et d’éducation sont des phares dans la région. Son approche a montré que, malgré les contradictions et les difficultés, il est possible d’intégrer des mécanismes de marché dans un modèle de développement dirigé par l’État avec des résultats relativement positifs en termes de performance économique et résultats sociaux.
Ce qui soulève la question suivante : pourquoi devrions-nous supposer que l’État se retire de son rôle dominant dans l’économie, ou que l’approche actuelle de la politique devrait un jour céder la place à une transition vers le capitalisme ? Une hypothèse fondamentale de l’économie de transition a été l’affirmation de Kornai qu’une « modification partielle du système » est vouée à l’échec ; l’efficacité et le dynamisme ne seraient maximisés que lorsque la transformation d’un système économique « socialiste planifié » vers un « marché capitaliste » sera achevée, parce que le premier serait trop rigide pour survivre à long terme. Mais l’expérience des anciens pays du Comecon a démontré que le succès est loin d’être garanti et que les coûts sociaux peuvent être élevés. Examiné sans a priori, le cas cubain suggère qu’après tout, une autre voie est peut être possible.
Emily Morris
Traduction "depuis le temps que je vous le dis..." par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.
EN COMPLEMENT : deux ouvrages,
Cuba est une île
http://www.legrandsoir.info/cuba-est-une-ile.html
et
Les Etats-Unis de mal empire : Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud http://www.legrandsoir.info/les-etats-unis-de-mal-empire-ces-lecons-de...
Le problème avec cette version est que la réalité a manifestement refusé de se plier aux prédictions. Bien que Cuba faisait face à des conditions exceptionnellement difficiles – en subissant le pire choc exogène de tous les pays membres du bloc soviétique et, grâce à l’embargo commercial américain de longue date, confrontée à un environnement international unique en son genre - son économie a eu des performances similaires aux autres pays de l’ex-Comecon, se classant13ème sur 27 pour lesquelles la Banque Mondiale dispose de données complètes. Comme montre la figure 1, sa courbe de croissance a suivi la tendance générale des « économies en transition » : une profonde récession au début des années 1990, suivie d’une reprise qui a mis une dizaine d’années pour retrouver le niveau de revenu national réel par habitant de 1990, avec une augmentation d’environ 40 pour cent jusqu’en 2013. [3]
Il ne fait aucun doute que les Cubains ont souffert de graves difficultés depuis 1990, mais en termes de résultats sociaux, d’autres pays de l’ex-Comecon ont vu pire. Comme le montre la figure 2, le taux de mortalité infantile à Cuba en 1990 était de 11 pour mille, déjà beaucoup mieux que la norme Comecon ; en 2000, il était tombé à seulement 6 pour mille, une amélioration plus rapide que la plupart des pays d’Europe centrale qui ont été pris sous l’aile de l’UE. Aujourd’hui, il est de 5 pour mille - mieux que les États-Unis, selon les estimations de l’ONU, et bien au-dessous de la moyenne latino-américaine. Les données sur l’espérance de vie, voir figure 3, brossent un tableau semblable : à Cuba, l’espérance de vie a augmenté de 74 à 78 ans au cours des années 1990, malgré une légère hausse des taux de mortalité pour les groupes vulnérables au cours des années les plus difficiles. [4] Dans les autres pays de l’ex-Comecon, l’augmentation de la pauvreté a contribué à une baisse moyenne de 69 à 68 ans au cours des années 1990. Aujourd’hui, Cuba a l’une des espérances de vie les plus élevées de l’ex-bloc soviétique et parmi les plus élevées en Amérique latine.
Le jugement de Miami
Ces résultats ont été largement négligés par les commentateurs habituels à l’extérieur de l’île, en grande partie basés et financés aux États-Unis et largement dominés par des « Cubanologues » émigrés, comme ils aiment à se présenter, profondément hostiles au régime de La Havane. [5] Parmi les personnalités depuis les années 1970, on trouve Carmelo Mesa-Lago à l’Université de Pittsburgh, « le doyen des études cubaines » et auteur de plus de trente livres ; et son habituel co-auteur Jorge Pérez-López, directeur des affaires économiques internationales pour le ministère américain du Travail, négociateur clé de l’ALENA de longue date à la tête de l’Association pour l’étude de l’économie cubaine. La publication annuelle de l’AEEC Cuba en transition, publiée à Miami, a proposé une série de plans de restructuration de l’économie de l’île selon des lignes capitalistes. Comme le titre de leur journal l’indique, les Cubanologues ont oeuvré selon les hypothèses de « l’économie de transition », une branche de l’économie du développement qui est apparue au début des années 1990 pour gérer l’ouverture des anciens pays du Comecon au capital occidental. Ce modèle s’appuyait à son tour sur le Consensus de Washington qui s’était cristallisé autour des réformes néolibérales imposées aux pays endettés d’Amérique latine par le FMI et la Banque Mondiale dans les années 1980. [6] Ses prescriptions étaient centrées sur l’ouverture de l’économie aux flux mondiaux de capitaux, la privatisation des actifs de l’État, la déréglementation des salaires et des prix et la réduction des dépenses sociales - programme mis en œuvre à travers l’Europe centrale et orientale, ainsi que dans une bonne partie de l’ancienne Union Soviétique, par les technocrates et conseillers du FMI, de la Banque Mondiale, de la BERD, de l’USAID et d’autres institutions internationales. Parmi les premiers dans le domaine était The Road to a Free Economy (1990) de János Kornai ; en quelques années une industrie florissante de « transition » s’était développée, qui tenait pour acquis qu’il n’y avait qu’une seule voie à suivre – le passage d’une économie planifiée socialiste d’Etat au capitalisme de marché. Toute résistance était non seulement inutile mais coûteuse, car toute réforme partielle était « vouée à l’échec ». [7] Lorsque les « pays en transition » ont plongé dans la récession à partir de 1990, leurs difficultés étaient attribuées à la tiédeur des élites politiques : « rapidité et ampleur » étaient les clés de la réussite ; il était impératif de profiter des « politiques extraordinaires » de la période. [8]
À la fin des années 1990, plusieurs facteurs ont conduit à une modification de l’orthodoxie de « transition ». Tout d’abord, la stabilisation des régimes pro-occidentaux dans la plupart des pays de l’ex-bloc soviétique a atténué le sentiment d’urgence. Deuxièmement, le contraste entre la forte contraction des économies privatisées de l’ex-Comecon - ainsi que les résultats décevants des programmes d’ajustements structurels en Amérique latine et en Afrique – et le plein essor d’un développement dirigé par l’État en Chine et les pays nouvellement industrialisés d’Asie de l’Est étaient trop flagrants pour être ignorés. Un post-Consensus de Washington émergeait en mettant davantage l’accent sur les institutions et la « bonne gouvernance ». Les économistes de transition étaient à la traîne de leurs collègues dans la prise en compte de ce changement, mais au tournant du millénaire un manuel influent a reconnu « humblement » les écarts entre leurs prévisions et les résultats concrets ; les études de transition ont continué à développer leur propre théorie post-Consensus de Washington. [9] Mais s’il mettait désormais moins l’accent sur la rapidité de la réforme, le « progrès de la transition » était toujours considéré comme la principale explication de la réussite et les problèmes économiques étaient régulièrement attribués à une libéralisation insuffisante.
La Cubanologie dominante a largement adhéré au modèle du Consensus de Washington. La profonde récession de 1990-1993 était attribuée au caractère « anti-marché » de la politique cubaine et aux privations de la período especial (période spéciale) ; les facteurs exogènes jouaient un rôle secondaire. En accord avec la critique de réformes partielles, Mesa-Lago a critiqué les mesures prises en 1994 par Cuba comme des « demi-mesures ». [10] L’explication habituelle de la politique cubaine est très simple : c’est le résultat du « dogmatisme borné » du Président, son « aversion pour les réformes de marché, sa volonté d’écraser ceux qui s’opposent à lui et d’entraîner toute la nation avec lui dans son opposition ». Quelques commentateurs ont fait partager les responsabilités : Rubén Berrios fustige une direction bureaucrate vieillissante et rigide, qui s’accroche à de vieilles habitudes ; Mauricio de Miranda Parrondo décèle une résistance aux réformes dans toute la couche dirigeante. [11] L’absence de politiques de « transition » auraient mené l’économie cubaine à la faillite ou, plus récemment, rendue simplement dépendante du Venezuela.
Vue de La Havane
L’axe Pittsburgh-Miami a tendance à négliger deux aspects importants de l’expérience des Cubains qui a différé de celles des populations de l’ex-Comecon en Europe centrale. Tout d’abord, les souvenirs de l’extrême pauvreté et privations associées au système pré-communiste, couplés avec les réussites relatives des réalisations cubaines en matière de santé et d’éducation avant 1989, ont laissé moins d’appétit pour des réformes radicales de libéralisation. Deuxièmement, alors que le sentiment nationaliste en Europe centrale pouvait intégrer la « transition » comme une libération de la domination russe, à Cuba la « transition » est largement perçue comme une menace contre la souveraineté nationale émanant de son prédateur historique, les Etats-Unis. C’est dans ce cadre-là que les économistes et décideurs cubains travaillent. [12] Les conseillers et les fonctionnaires ne parlent pas en termes de « transition » mais plutôt d’ « ajustement » - c’est-à-dire une réponse à un changement radical des conditions extérieures, dans le cadre des paramètres fixés par l’idéologie nationaliste et socialiste. Ce qui implique un cadre plus souple que le rejet idéologique rigide à toute réforme que les Cubanologues nous présentent. Les économistes et décideurs politiques ont exprimé ces paramètres en termes de principios, plutôt qu’en termes de dogme marxiste-léniniste ou de « ligne de parti ». Parmi ces principes figurent invariablement le respect de la souveraineté nationale, la préservation de los logros de la Revolución - les apports ou les réalisations en matière de santé, d’éducation, d’égalité sociale et de plein emploi ; souvent appelés simplement los logros - et le maintien d’une « éthique révolutionnaire », ce qui a impliqué une position officielle forte contre la corruption et la désapprobation de toute affichage ostentatoire. [13] Ces principes imposent des contraintes différentes sur les choix politiques.
Les débats internes sur la politique économique ont été largement invisibles aux yeux des observateurs étrangers, y compris les Cubanologues des États-Unis. Ceci est du en partie à processus politique fermé et le contrôle étatique des médias, ne laissant aux nombreux commentateurs extérieurs que des rumeurs ; beaucoup de ce qui nous arrive vient de rapports sélectifs de groupes dissidents, financés par des organisations d’émigrés ou des programmes US, et sert principalement à confirmer les idées préconçues et consensuelles. Les processus complexes de discussion, d’élaboration des politiques et d’adaptation, où les préférences des dirigeants ne sont pas toujours pris en compte, sont fermés aux étrangers. En plus des incessantes réunions de quartier, régionales et nationales structurées par le système de Poder Popular, il y a eu des débats chez les économistes qui ont alimenté les discussions politiques.
Les chercheurs du Centro de Estudios de la Economía Cubana (CEEC) , du Centro de Investigaciones sobre la Economía Internacional (CIEI), du Centro de Investigaciones de la Economía Mundial (CIEM), de l’Instituto Nacional de Investigaciones Económicas (INIE) au ministère de l’économie et de la planification et, jusqu’en 1996, le Centro de Estudias de las Americas (CEA), ont participé à des séminaires réguliers avec les décideurs politiques, pour identifier les faiblesses du système actuel et débattre des remèdes. Des groupes de travail créés par un programme de recherche de l’Université de La Havane ont examiné différents modèles de socialisme et leur application à Cuba ; les problèmes économiques sectoriels ; des propositions de réforme dans la gestion des entreprises ; et les implications, à la fois politiques et philosophiques, de la fin du bloc soviétique. Leurs écrits - publiés dans Economía Cubana : Boletín Informativo du CIEM Cubana : Boletín Informativo, Cuba : Investigación Económica du INIE et ailleurs - ont tendance à adhérer aux styles officiels de discours, ce qui peut obscurcir leur importance pour les observateurs extérieurs ; des idées analytiques importantes peuvent être enterrées parmi des considérations historiques, des citations de discours et des louanges aux dirigeants pour leurs réalisations. Le vocabulaire aussi n’est pas familier : au lieu du jargon FMI, les économistes cubains parlent d’ « adaptation », de « mise à jour », de « l’utilisation des mécanismes du marché », d’« ajustement » du contrôle des prix, de mesures « décentralisées » et de processus économiques « émergents ». Lus à travers le filtre idéologique du « libéralisme ou la mort » des Cubanologues, de tels échanges ne constituent aucunement un débat et ne font que confirmer leurs soupçons que la politique à Cuba est entièrement décidée selon le bon vouloir du président. [14]
Il est, bien sûr, une variété de commentaires à l’extérieur de l’île qui ne suivent pas la pensée dominante ; ici on peut distinguer trois approches. Premièrement, des sympathisants ou des apologistes de régime, qui combattent le parti-pris négatif des Cubanologues en recouvrant la réalité cubaine d’un vernis fortement positif. En accord avec le consensus, ils présentent le choix comme étant celui entre défiance ou transition vers le capitalisme, mais louent la première et déplorent toute ouverture au marché comme un « abandon devant l’inévitable ». [15] Un deuxième groupe pourrait être décrit comme des amis critiques : ils sont plus positifs sur les objectifs des décideurs cubains, et plus disposés à reconnaître les problèmes auxquels le pays est confronté ; mais comme les Cubanologues, ils lient les progrès de « transition » à la performance économique et affirment qu’un « changement systémique » insuffisant est responsable des malheurs de Cuba. [16] Enfin, un petit nombre d’économistes ont tenté d’analyser le développement de Cuba selon ses propres termes, sans hypothèses téléologiques, dans une perspective comparative. Sur la base de ces enquêtes, José Mars-Poquet a suggéré que la politique économique cubaine pouvait offrir une alternative à celle des pays « en transition », une politique en évolution et de nature expérimentale ; Claes Brundenius, comparant ses forces et ses faiblesses avec celles du Vietnam et de la Chine, ainsi que l’Europe centrale et de l’Est, conclut provisoirement qu’il pourrait produire « une économie de marché avec des caractéristiques cubaines ». [17]
Compte tenu de la comparaison implicite dans les commentaires traditionnels entre l’économie de Cuba et celles des économies « en transition », il convient de noter que les véritables études comparatives sont relativement rares. Ceci pourrait être en partie dû à un problème d’identification de données comparables, mais aussi à une tendance générale parmi les Cubanologues à se ficaliser exclusivement sur leur île natale. [18] Dans le même temps, la majorité des économistes de « transition » qui font largement appel aux cadres comparatifs - un de leurs points forts - ont tendance à se concentrer sur l’Europe centrale et orientale, l’ex-URSS, ou les contrastes entre la Russie et la Chine, ignorant l’éclairage que pourrait leur apporter la voie originale suivie par Cuba. Par conséquent, ce qui suit est un récit analytique qui retrace l’évolution de la politique d’ajustement - de la prise en charge initiale de crise à la stabilisation, la restructuration de Cuba et de la plus récente série de réformes sous Raúl Castro - dans une perspective comparative. [19] Il vise non seulement à mettre en évidence les problèmes d’interprétation existants, mais à contribuer à une discussion plus fructueuse sur la trajectoire de Cuba et, plus généralement, à rouvrir la question des stratégies de développement alternatives pour les petits pays dans un monde globalisé.
1. Gérer la Crise
De tous les pays du bloc soviétique, Cuba était particulièrement vulnérable à l’effondrement de l’URSS. Elle avait été pratiquement obligée d’entrer dans le Comecon, qu’elle a rejoint en 1970, par l’embargo américain, imposé par Kennedy en 1962 après l’échec de l’invasion militaire soutenu par la CIA l’année précédente, ce qui a provoqué une rupture des relations avec son partenaire commercial historique. Au cours des années 70 et 80, Cuba était devenue de plus en plus dépendante de l’URSS pour le commerce et la finance. L’économie était devenue fortement tributaire des exportations de sucre, pour lesquelles Cuba recevait un prix préférentiel - $0,42 par livre au début des années 90, par rapport à un prix sur le marché mondial de $0,09. Les importations s’élevaient à 40% du PIB et comprenaient 50% de l’approvisionnement alimentaire de l’île, 90% de son pétrole et des approvisionnements essentiels pour l’agriculture et la manufacture ; un déficit commercial de $3 milliards fut financé par l’Union soviétique à des conditions généreuses. Après des tentatives en Janvier 1990 de convertir les accords Comecon en des échanges en devises fortes, les accords bilatéraux avec l’URSS se sont rompus en 1991. [20] Aliments, carburant et fournitures n’arrivaient plus. L’ampleur de ce choc exogène est évident à partir des données comparatives sur les revenus d’exportation, le crédit externe et la capacité d’importation.Dans le cas de Cuba, les revenus des exportations ont été particulièrement touchés car ils dépendaient du prix du sucre, et les possibilités de diversification à d’autres partenaires commerciaux étaient extrêmement rares. Dans la plupart des pays de l’ex-Comecon, les revenus d’exportation ont presque retrouvé en 1993 leur niveau de 1990 ; dans le cas de Cuba, ils étaient de 79% plus bas – passant de $5,4 milliards à $1,2 milliards. La Havane était aussi la plus durement touchée en termes de financement externe. Le choc fut aggravé par la perte soudaine de crédit externe et le manque de nouvelles sources de financement. Alors que les pays « en transition » bénéficient de l’appui du FMI, de la Banque Mondiale et de la BERD pour faciliter leur adaptation à l’ère post-Comecon, les sanctions imposées par les Etats-Unis signifiaient qu’il n’y avait pas une telle assistance pour Cuba. Le total des prêts officiels nets aux économies de « transition » pour la période de 1991-1996 s’est élevé à $112 par habitant, alors que pour Cuba, le chiffre était de $26. [21] Avec l’agence Office of Foreign Assets Control (OFAC) des Etats-Unis qui menaçait les institutions financières des pays tiers de poursuites en cas de relations avec La Havane, l’accès de Cuba au crédit commercial pendant la crise a été aussi extrêmement limité.
Le résultat de l’effondrement des revenus d’exportation et du crédit externe fut un effondrement brutal des capacités d’importation de Cuba, un effondrement inégalé dans tout autre pays post-Comecon. Entre 1990 et 1993, une baisse de 70 % des dépenses d’importation a réduit le ratio importations/PIB de Cuba qui était d’environ 40%, un des plus élevés du groupe, à 15%, un des plus faibles, selon la BERD. En 1993, Cuba avait moins d’argent pour couvrir la totalité de ses importations qu’elle n’en avait en 1990 pour couvrir uniquement l’importation de carburant et des aliments. Dans le même temps, les tentatives de Cuba pour reconstruire les recettes en devises ont été obstruées par les sanctions US, qui ont bloqué l’accès non seulement aux marchés états-uniens, mais aussi aux prêts ou aides au développement de la plupart des institutions multilatérales, tout en rendant le financement commercial coûteux et difficile à obtenir. En conséquence, Cuba a fait face aux plus dures contraintes de change qu’aucun autre pays de l’ex-Comecon ; ce qui a limité les investissements et la croissance, et laissé l’économie exceptionnellement vulnérable aux fluctuations des taux de change ou des récoltes.
Mesures d’urgence
Les allégations de Cubanologues selon lesquelles des facteurs internes étaient responsables de la gravité de la récession en 1990-1993 ignorent l’impact extraordinairement grave qu’à eu l’effondrement du Comecon. En considérant que le seul choix était entre transition ou rigidité, ils ont caractérisé la politique du gouvernement après 1990 comme un simple prolongement de sa stratégie « anti-marché » de rectificación en 1986 - une série de mesures adoptées pour résoudre le ralentissement des années 1980 qui a touché tous les pays du Comecon, accompagné d’un renforcement de la lutte contre la corruption, de changements dans les marchés agricoles, et des investissements dans le tourisme et les entreprises-mixtes. La Havane a été accusée de ne pas « prendre des mesures pour remédier à la profonde crise économique ». [22] Mais face au choc externe de 1990 à 1991, le gouvernement cubain a bien pris des mesures. Des mesures d’urgence qui ont été rapidement adoptées pour orienter les ressources qui diminuaient rapidement à des priorités économiques et sociales. En effet, la gravité du choc rendait toute continuité impossible : sans fournitures, le plan économique a rapidement cessé de fonctionner. Mais plutôt que de se lancer dans un processus de libéralisation et de privatisation, comme ses anciens partenaires du Comecon, l’approche cubaine a préservé, et construit sur ses actifs institutionnels existants. Il s’agit notamment non seulement de l’État-providence, du contrôle des prix, du monopole dans les échanges internationaux et du contrôle des moyens de production, mais aussi d’une capacité à organiser une réponse collective dirigée par l’État, qui a bénéficié d’une longue tradition de galvanisation du soutien volontaire par le biais de mobilisations de masse et un processus politique qui pouvait s’appuyer sur les mécanismes de participation et de débats publics.
Lorsque Fidel Castro a qualifié les années de crise de período especial en tiempo de paz – une période spéciale en temps de paix – les observateurs extérieurs n’ont vu qu’un euphémisme, à la différence des Cubains qui ont immédiatement compris la référence aux procédures établies de défense civile, en cas de catastrophe naturelle ou d’agression US. L’Exercice de Défense Economique de l’année 1990 – où l’électricité et l’eau ont été coupées pendant de courtes périodes en guise d’exercices de réponses collectives d’urgence touchant les usines, les bureaux, les foyers, les écoles et les hôpitaux – a employé des méthodes d’organisation collective et de coordination inter-agences similaires à celles employées lors des ouragans ou d’exercices de défense militaire. Les mêmes types de mobilisations étaient évidents lors du Programme Alimentaire de 1991, dans lequel les agriculteurs et les citadins ont été appelés à contribuer à la production alimentaire ; le Forum sur les Pièces de Rechange de Décembre 1991, un forum sur les idées de recyclage des machines et sur les substituts aux importations ; et le Plan Energie de Janvier 1992, dans lequel les ménages, les entreprises et les autorités locales ont identifié les façons de réduire la consommation de carburant.
Les efforts de Cuba pour maintenir l’emploi et la protection sociale pendant la crise, et de pouvoir répondre aux besoins fondamentaux, étaient là encore en fort contraste avec les pays « en transition », où le chômage officiel a grimpé à une moyenne de 20% au début des années 1990. [23] À Cuba, où 98% de la main-d’œuvre officielle était employée par l’Etat, le nombre total d’emplois a en fait augmenté de 40 000 entre 1990 et 1993 et le taux de chômage officiel est tombé de 5,4 à 4,3 % [24] – alors même que l’économie s’était contractée d’un tiers, que des projets d’investissement étaient abandonnés, les allocations de carburant coupées, les transports publics réduits, la semaine de travail raccourcie (de 5,5 à 5 jours), et les usines fermées ou fonctionnant à un niveau d’activité extrêmement réduit. Un décret du ministère du Travail et de la Sécurité sociale d’avril 1991 a formellement assuré la sécurité d’emploi, précisant que les travailleurs mis à pied en raison de l’absence de revenus continueraient à toucher les deux-tiers de leur salaire jusqu’à ce qu’ils soient reclassés. La responsabilité de l’Etat pour garantir les besoins de base signifie que le coût supplémentaire de garder les travailleurs employés dans cette façon, plutôt que de toucher des prestations de chômage, était relativement faible.
La sécurité alimentaire de base a été maintenue dans des conditions de pénurie au début des années 1990. Le acopio, l’organisme d’Etat chargé de la distribution, procurait de la nourriture à la fois par des importations et les fermes cubaines et canalisait sa distribution à travers le système de rationnement alimentaire et d’autres réseaux, comme les vías sociales, qui fournissaient des repas gratuits ou subventionnés sur les lieux de travail, les écoles et les centres de santé. Grâce aux prix fixés par le système de rationnement, le coût par habitant de la satisfaction des besoins alimentaires de base, autour de 40 pesos par mois, a été maintenu en dessous de l’allocation minimale de sécurité sociale de 85 pesos par mois. [25] Au début de la crise, les magasins d’Etat qui avaient vendu plus de nourriture que fixé par le rationnement - por la libre - à des prix plus proches de ceux du marché ont été fermés. [26] Le Programme alimentaire encouragea l’auto-approvisionnement local et l’expérimentation à petite échelle, y compris l’utilisation de la traction animale, des engrais organiques, le contrôle biologique des parasites et la culture des terres en friche. [27]
La décentralisation et le débat
La narrative des Cubanologues sur la rigidité de la politique et le contrôle étroit et centralisé n’a que peu de rapport avec la manière dont l’État cubain s’est adapté aux fluctuations des circonstances, même au pire moment de la situation d’urgence. La décentralisation de la prise de décision au niveau local a commencé au sein de l’État-providence lorsque l’approvisionnement alimentaire pour le système de rationnement et autres vías sociales est devenu moins fiable. [28] La protection sociale dépendait désormais d’un éventail d’organismes locaux de l’Etat, y compris le Sistema de Vigilancia Alimentaria y Nutricional (SISVAN) – chargé de surveiller les niveaux de nutrition, d’allouer des rations supplémentaires et maintenir les réseaux de soutien aux mères et aux bébés, avec le soutien de l’UNICEF - et des professionnels de la santé qui connaissaient les personnes les plus vulnérables dans leurs communautés. Dans le cadre de ce processus, le réseau Consejos Populares, créé en 1991, a contribué à identifier les ménages « à risque » et à administrer des programmes de secours. [29] Cette adaptation et décentralisation des organismes de protection sociale a été accompagnée par un relâchement du contrôle central sur l’économie en général. Au fur et à mesure que les approvisionnements se tarissaient, les dirigeants des entreprises ont dû trouver des solutions locales aux problèmes ; dans le même temps, le Ministère du Commerce extérieur, qui avait autrefois un quasi-monopole, a cédé le droit de s’approvisionner et trouver des marchés à des centaines d’entreprises. [30]
Un discours qui rejette Cuba comme l’unique « non-démocratie » dans les Amériques ne laisse aucune place pour un examen de l’ensemble des organisations de masse qui contribuent à créer un système « participatif » ; mais l’histoire de la période post-1990 ne peut être comprise sans faire référence à ces processus. Des débats nationaux ont été lancés dans les moments critiques, impliquant des assemblées à travers toute l’île, ouvertes à tous – un autre contraste avec les pays du Comecon. En 1990, au moment de l’amplification de la crise, les préparatifs étaient déjà en cours pour le Quatrième Congrès du Partido Comunista de Cuba d’octobre 1991. Tandis que les problèmes économiques s’aggravaient, la portée et l’étendue des discussions précédant le Congrès se sont amplifiées ; des milliers de réunions ont eu lieu non seulement dans les branches du PCC, mais aussi dans les assemblées de travail et les organisations de masse.
Le Congrès, que s’est tenu trois mois seulement après la dissolution finale du Comecon, a produit une résolution sur l’économie en 18 points qui constituait la première déclaration officielle complète d’un nouveau cadre politique. [31] Contrairement aux programmes de transition rédigés pour les autres anciens pays du Comecon avec l’aide de conseillers occidentaux, la résolution du PCC n’était pas un plan de libéralisation, mais une liste de grands principes et objectifs ; aucune mesure précise n’était annoncée, ni aucun calendrier ou plan de mise en oeuvre. Mais la caractérisation du texte du PCC par les Cubanologues comme simplement « anti-marché » est trompeuse. La résolution a réitéré un engagement envers les principes de base de la souveraineté et de la protection sociale, et a conservé un cadre global de la propriété de l’État ; mais au-delà, il a inclus un mélange de libéralisation et d’approches dirigistes. Certains éléments - « développer le tourisme », « promouvoir les exportations », « réduire les importations », « rechercher de nouvelles formes d’investissements étrangers », « contrôler les dépenses de l’Etat et entrées d’argent », suggèrent une libéralisation partielle en réponse à de nouvelles conditions internationales, tandis que d’autres - « poursuivre le programme alimentaire », « donner la priorité à la santé, l’éducation et le travail scientifique », « centraliser la planification pour l’intérêt public », « protéger les acquis de la Révolution » - indiquent un maintien du rôle important de l’Etat. Une réforme constitutionnelle l’année suivante a confirmé l’ensemble des priorités sociales, politiques et économiques tout en maintenant le flou sur les détails de cette politique. Les deux documents révèlent une approche hétérodoxe et flexible de la politique économique, à travers un processus de décision politique complexe qui - bien qu’ayant été soigneusement documenté par au moins un chercheur états-unien à l’époque - fut largement ignorée dans les commentaires à l’extérieur sur l’île. [32]
2. Les déséquilibres et de stabilisation
Les forces ainsi que les faiblesses de la réponse initiale de Cuba à la crise sont évidentes dans les comptes budgétaires. Contrairement à la forte réduction des dépenses publiques dans les pays en transition, [33] Cuba a autorisé une légère augmentation globale des dépenses de 14,2 milliards de pesos en 1990 à une moyenne de 14,5 milliards de pesos pour 1991-1993. Les priorités du gouvernement ont été révélées dans l’augmentation des dépenses de santé (+19%) et les subventions (+80 %), qui a servi à financer une hausse de 40% du personnel médical et maintenu la distribution alimentaire subventionnée. Ces augmentations ont été partiellement compensées par des coupes sombres dans la défense, en baisse de 43% entre 1989 et 1993, et l’investissement, qui a chuté de plus de la moitié. Avec le PIB et les recettes publiques en baisse, le déficit budgétaire a gonflé de 10% du PIB en 1990 à 34% en 1993. A l’évidence, les équilibres macroéconomiques n’étaient pas une priorité pendant la phase initiale de la crise. L’avantage d’un déficit budgétaire pendant la crise était clair - il servait à la fois à atténuer la récession et à minimiser le coût social du choc. Cependant, cette politique présentait des problèmes à plus long terme : en l’absence de financement extérieur ou de tout marché financier national, le déficit fut entièrement monétisé, résultant en une forte baisse de la valeur de l’argent : le taux du marché noir a chuté d’environ 7 pesos pour un dollar en 1990 à plus de 100 pesos pour un dollar en 1993.Une telle dépréciation de la monnaie n’était pas exceptionnelle parmi les anciens pays du Comecon, mais dans le cas de Cuba, parce que l’inflation était supprimée par les contrôles de l’Etat, elle a produit un modèle unique de variations entre prix relatifs et revenus. Dans les autres pays de l’ex-Comecon, la libéralisation des salaires, des prix et des taux de change a déclenché des spirales de dépréciation-inflation-décapitalisation qui ont entraîné une forte baisse des salaires réels, en particulier pour les plus bas, de sorte que l’inégalité des salaires réels s’est rapidement creusée. [34] A Cuba, la chute de la valeur du peso s’est limitée aux prix et taux de change dans l’économie informelle ; au sein de l’économie formelle dominée par l’État, l’inégalité des salaires réels s’est en fait réduit, parce que ceux à l’extrémité supérieure de l’échelle qui pouvaient se permettre d’importer des produits sur le marché noir subissaient la flambée des prix, tandis que pour ceux avec les salaires les plus bas ou qui vivaient des prestations de l’Etat, et qui ne pouvaient s’acheter que les produits dont le prix était fixé par l’Etat, le coût de la vie est resté relativement stable au début.
Toutefois, la baisse du peso a créé un fossé croissant entre ceux qui avaient accès aux devises fortes et ceux qui dépendaient de revenus en pesos. Les travailleurs du secteur public sont devenus plus conscients de l’écart entre leurs revenus réels et ceux des personnes opérant sur le marché noir, créant ainsi un tiraillement entre incitations matérielles et incitations morales. L’effondrement de la valeur du peso par rapport au dollar devint aussi un symbole de l’érosion de la fierté nationale cubaine, ceux qui dépendaient de salaires en pesos devenaient progressivement plus pauvres par rapport non seulement aux étrangers - les gusanos qui avaient émigré aux États-Unis et le nouvel afflux de touristes - mais aussi par rapport aux voleurs et jineteros [terme cubain pour désigner ceux qui « profitent des touristes » NdT] à l’intérieur. Il y avait aussi un fossé grandissant entre la rhétorique héroïque officielle sur l’unité et le partage des difficultés et la réalité quotidienne de la pauvreté et des inégalités - del dicho al hecho hay un gran trecho, comme on disait. Plus corrosif du discours de la morale révolutionnaire est le fait que beaucoup de ceux qui avaient initialement refusé de s’engager dans l’activité du marché noir, ou même d’acheter sur les marchés informels, étaient maintenant eux-mêmes obligés de le faire. Leur participation réticente, reflétée dans un vocabulaire apologétique, a marqué une acceptation involontaire que la nécessité de resolver ou sobrevivir devait remplacer toute autre considération. [35] Au fil du temps, ce double système a miné les incitations au travail et la solidarité sociale ; il a augmenté les pressions pour le vol, l’absentéisme et la corruption qui étaient un fardeau pour l’économie formelle.
En 1993-1994, il y avait des impératifs sociaux, économiques et politiques urgents pour rétablir la stabilité monétaire : les approvisionnements alimentaires étaient des plus précaires ; le désespoir allait conduire à la crise des « balseros » [ceux qui partent en mer avec des embarcations de fortune – NDT] et une émeute dans la capitale, le habanazo. Cependant, contrairement aux autres pays de l’ex-Comecon, mais en accord avec l’objectif de préserver los logros, le gouvernement a refusé d’adopter un plan de stabilisation thérapeutique de choc. Les cubanologues ont désigné cet « entêtement » comme la cause de la chute du peso, et accusé le gouvernement de refuser de reconnaître les problèmes. Mais même si le discours officiel cubain a continué de se référer à la baisse du pouvoir d’achat non pas comme une inflation, ce qui laisserait entendre une perte permanente de pouvoir d’achat, mais comme le résultat d’une « pénurie », le gouvernement n’était pas dans le déni. Parce que les difficultés, qui étaient devenues aiguës en 1993, étaient partagées par tous les fonctionnaires en dehors de la petite minorité qui recevaient des fonds [généralement des familles à l’étranger - NDT], il était inutile d’insister sur la réalité des problèmes, et les conseillers économiques étaient aux prises avec de véritables défis. [36] Une série de réformes ont été introduites en 1993-1994 ; mais comme elles étaient très loin des prescriptions du Consensus de Washington pour la stabilisation, elles ont été rejetées comme insuffisantes par les Cubanologues. Cependant, elles ont réussi à produire un redressement remarquable.
Le retour du dollar
Les nouvelles mesures n’ont pas été présentées comme des réformes de stabilisation, ni principalement destinées à lutter contre la dépréciation monétaire. Elles ont cherché à faire entrer les activités du marché noir dans le secteur formel, pour à la fois redresser l’activité économique et réduire le déficit budgétaire grâce à une augmentation des revenus. La première mesure, en Juillet 1993, a été la suppression de l’interdiction de détenir des dollars. Les dollars pouvaient désormais être échangés contre des pesos cubains (PC) et vice-versa, pour les transactions personnelles. Jusque-là, le peso cubain était la seule monnaie en circulation dans l’économie officielle, à l’exception d’un petit nombre de magasins appartenant à l’Etat et appelés diplotiendas qui approvisionnaient principalement les diplomates, les étudiants étrangers et quelques Cubains, principalement des musiciens et des sportifs, qui avaient gagné de l’argent à l’étranger.
Mais maintenant, un nombre croissant de Cubains recevaient des dollars ou des devises fortes de leurs familles ou par des voies informelles ou illégales à travers le tourisme. Ils étaient censés les échanger au taux officiel de 1 peso pour 1 dollar ; mais avec l’effondrement de la valeur du peso, la plupart des gens les utilisaient pour faire du shopping dans les diplotiendas via des intermédiaires, ou les échangeaient sur le marché noir. Avec l’élargissement du déséquilibre monétaire, l’interdiction d’utiliser des dollars devenait intenable : la police y perdait son temps, et elle stimulait la petite corruption et créait la frustration parmi un nombre croissant de Cubains qui devaient enfreindre la loi afin de dépenser leurs devises fortes. Grâce à la légalisation, et ensuite un change facilité par la création d’un peso convertible (le CUC, évalué à parité avec le dollar) et la création par l’Etat de Casas de Cambio (connu sous le nom Cadecas) en 1995, le gouvernement a encouragé les envois de fonds comme une nouvelle source de devises qui étaient désespérément en manque. Le mouvement a également stimulé les recettes fiscales, par le biais de taxes sur les ventes dans les magasins de dollars, et a atténué l’érosion de l’autorité de l’Etat causée par ses efforts de plus en plus futiles pour empêcher les Cubains d’utiliser leurs dollars US.
La réforme était loin d’une libéralisation des marchés de change mises en œuvre sous la tutelle occidentale dans les autres pays de l’ex-Comecon car elle s’appliquait uniquement aux transactions individuelles au sein de l’économie nationale ; toutes les autres opérations de change sont restées sous le contrôle de l’Etat. Mais même si elle était limitée dans sa portée et sa fonction, elle eut pour effet d’incorporer le système de double monnaie dans l’économie formelle : la dichotomie n’était plus entre le marché noir et le secteur formel, mais entre les transactions individuelles - où les dollars US circulaient et pouvaient être échangés dans les Cadecas au taux de marché « officieux », à l’époque autour de 100 pesos/dollar – et le secteur public, qui utilisait le taux de change « officiel » de parité 1 dollar/1 peso.
En révélant au grand jour la dichotomie du système à double monnaie, les Cadecas ont également changé la façon dont les Cubains comprenaient la baisse des revenus réels, car la diminution du peso ne pouvait plus être niée. Le manque de pouvoir d’achat était maintenant officiellement quantifiable comme une question de la pauvreté plutôt que de pénurie, et le fossé entre la minorité qui avait accès à des devises fortes et les autres devenait un problème d’inégalité plutôt que d’illégalité. Dans le même temps, la tâche de restaurer les revenus réels et le niveau de vie fut perçue sous un nouveau jour : un ajustement impliquait désormais la nécessité de restaurer la valeur de marché du peso cubain, ce qui signifiait que le déséquilibre monétaire devait être mis sous contrôle en réduisant le déficit budgétaire ; et l’offre de biens, en particulier les aliments, disponibles à l’achat en pesos, devait augmenter.
La deuxième mesure, instaurée en septembre 1993, a étendu la portée de l’auto-entreprise en vertu du décret-loi 141. La gamme des activités de cuentapropista s’est élargie, passant de 41 à 158, ce qui a entraîné une augmentation des personnes enregistrées comme travailleurs indépendants de 15000 à la fin de 1992 à plus de 150000 en 1999. Cela a été accueilli par les Cubanologues comme une mesure de libéralisation, mais critiqué pour sa portée limitée. Les travailleurs indépendants ne constituaient toujours que de 5% de la main-d’œuvre ; les licences n’étaient accordées que pour deux ans et devaient être obtenues auprès du bureau local du ministère du Travail ; la gamme des activités approuvées a été principalement limitée aux services aux personnes. Pourtant, la réforme a innové en établissant un système d’imposition pour ces entreprises, avec au début un barème forfaitaire – et souvent régressif - qui a été amélioré au fur et à mesure que les capacités d’imposition et de recouvrement se sont accrues.
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Alors que la dépénalisation du dollar et l’ouverture à l’auto-entreprise ont été introduites par décret, le régime a procédé avec plus de prudence pour la question de l’ajustement budgétaire, dont la nécessité a été reconnue à l’Assemblée Nationale en Décembre 1993. Plutôt que d’imposer un plan d’austérité de réduction des dépenses, le gouvernement a une fois de plus lancé un débat national et a établi un nouveau processus de consultation, parlamentos Obreros, pour débattre des changements. Ces forums se sont réunis au cours des mois qui ont suivi pour examiner les propositions de réductions ; le plan final n’a été présenté qu’après la fin de leurs délibérations, en mai 1994. Un tel retard était incompréhensible au yeux des conseillers économiques en herbe à l’extérieur de l’île, qui insistaient sur la nécessité urgente d’une stabilisation. Mais le processus de consultation était important pour la réussite de l’ajustement. Il avait certainement ses défauts, mais il ne s’agissait pas de simplement approuver des mesures de réduction des dépenses qui avaient déjà été décidées : certaines des réductions proposées ont été abandonnées devant le critiques formulées.
Tandis que l’impôt sur le revenu avait était accepté dans son principe, il fut rejeté pour les employés de l’État ; et tandis que de fortes hausses de prix ont été approuvées pour les cigarettes, l’alcool, l’essence, l’électricité et certaines formes de transport, [37] ceux des biens de base sont restés fixés bien en deçà de leur coût, quelles que soient les implications fiscales. Il a également été confirmé que si des emplois devaient être supprimés, le processus devait être progressif, afin de permettre aux travailleurs licenciés de se recaser. La participation des travailleurs à l’élaboration des mesures de stabilisation signifie que, même si la sécurité de l’emploi était amoindrie, la détermination à prévenir le chômage de masse est restée intacte. La réouverture soudaine des marchés de paysans - agromercados - annoncée en septembre 1994 à la suite du habanazo, a également contribué à la stabilisation, même si ce ne était pas son objectif principal. Les détails des discussions entre les dirigeants du gouvernement n’ont pas été rendus publics, mais l’opinion largement partagée est que Fidel Castro s’y opposait, considérant les agromercados comme un « médium culturel pour une foule de maux et des déformations », alors qu’elle était défendue par Raúl et l’Asociación Nacional de Agricultores Pequeños (ANAP, Association des petits agriculteurs) au motif qu’ils pouvaient contribuer à accroître les approvisionnements alimentaires. [38] Une fois de plus, les observateurs de Cuba, de Pittsburgh à Miami, ont vue une réforme insuffisante, car elle ne représentait qu’une libéralisation partielle du marché des produits agricoles : l’Etat continuait à jouer un rôle majeur dans la distribution de nourriture pour satisfaire les besoins de base. Le système de rationnement est resté en place et les agriculteurs étaient encore tenus de fournir des quotas à l’acopio et ne pouvaient vendre leurs surplus sur les marchés ; les nouveaux points de vente ont été fortement réglementés, inspectés et taxés. Officiellement, les prix étaient déterminés librement par l’offre et la demande, mais le gouvernement a néanmoins cherché à les freiner en imposant des restrictions sur la flexibilité des prix et de les dévaluant dans les magasins de l’Etat.
Ensemble, ces quatre politiques ont apporté une dose importante de stabilisation budgétaire et monétaire, mais la nature de l’ajustement contrastait fortement avec celle des autres économies de l’ex-Comecon. La première différence est que, plutôt que de réduire le déficit budgétaire en réduisant les dépenses de l’État, comme c’est arrivé dans l’ancienne Union Soviétique et en Europe de l’Est, le gouvernement cubain a réduit l’écart principalement par l’augmentation des recettes de l’Etat. Entre 1993 et 1995, les recettes fiscales nominales ont augmenté de 37%, tandis que les dépenses ont diminué de seulement 5%. Deux tiers de la nouvelle hausse des revenus provenaient de ventes dans les magasins en devises publics, maintenant appelés Tiendas de Recaudación de Divisas (trds), et le reste de nouveaux impôts indirects et droits d’usage. La deuxième différence est que les budgets de l’aide sociale cubains sont restés intacts, avec des coupures limitées principalement à l’armée, l’administration de l’Etat et aux subventions aux entreprises. [39] En maintenant le niveau des dépense pendant l’augmentation du PIB, le ratio dépenses publiques/PIB de Cuba est tombé d’un niveau record de 87% du PIB en 1993 à 57% en 1997 - ce qui était encore largement supérieur à la moyenne d’environ 40% des « pays en transition ». [40] De cette manière, Cuba a réussi à combiner la protection sociale avec le rétrécissement rapide du déficit budgétaire, de 5,1 milliards de pesos en 1993 à moins de 800 millions de pesos en 1995. Ce qui représente un redressement beaucoup plus radical que ceux obtenus ailleurs : en 1991-1993, le déficit de Cuba était en moyenne de 30% du PIB, à comparer avec la moyenne de 8,8% pour les pays de l’ex-Comecon ; en 1995, il avait été réduit à 5,5%, et stabilisé à environ 3% par la suite. [41]
Les mesures de 1993-1994 ont également contribué à stabiliser le peso : la dépénalisation du dollar a attiré de nouveaux afflux de devises, l’auto-entreprise a stimulé l’offre de services, l’ajustement budgétaire a réduit le déficit et les agromercados ont atténué les pénuries alimentaires [42] et fait baisser les prix. [43] A la fin de 1994, la dépréciation de la monnaie avait non seulement été arrêté, mais partiellement inversée, avec un taux d’environ 60 pesos pour un dollar : plus du double de sa valeur de 150 pesos pour un dollar en février 1994. Au cours des 18 mois qui ont suivi, il a continué à monter, pour atteindre 18 pesos pour un dollar à la mi-1996. Aucun autre des pays « en transition » n’a réussi une telle réévaluation : alors que la plupart ont réussi à stopper la dépréciation, aucun n’a connu un rebond. [44] Mais bien que l’inflation à Cuba ait été tenue sous contrôle, les déséquilibres monétaires graves ont persisté alors que la valeur du peso restait bien en deçà de son niveau de 1990. Cela signifiait que les salaires et les prix de l’Etat, relativement stables en termes nominaux, sont restés faibles par rapport aux devises fortes et aux prix du marché. Le taux de change sous-évalué des Cadeca a servi de moyen de supprimer la demande à l’importation en faisant partager les difficultés au cours de la décennie suivante, tandis que le gouvernement se concentrait sur la nécessité urgente de trouver des sources de revenus en devises.
L’animosité des Etats-Unis
Pourtant, alors même que l’économie se stabilisait, l’environnement extérieur se détériorait. L’embargo commercial imposé par Kennedy en 1962 avait été confirmé par décrets successifs au cours des décennies qui ont suivi. Mais en 1992, au pire moment de la período especial, il a été durci par la Loi Torricelli. En 1996, l’embargo a été renforcé encore davantage lorsque Clinton a signé la loi Helms-Burton, en augmentant les amendes contre les entreprises des pays tiers pour le « trafic » avec d’anciens actifs états-uniens et confisqués après 1959 ; et il a interdit l’entrée aux États-Unis à ceux qui avaient travaillé pour ces entreprises. L’interdiction s’est étendue aux paiements en dollars passés par le bourse de New York, même lorsque les transactions n’impliquaient aucune entité US. La loi oblige les pays qui commercent avec les États-Unis de certifier que leurs produits ne contiennent aucune matière première ou produit semi-fini d’origine Cubaine. [45]
[note du traducteur : l’auteur ici commet deux erreurs importantes. 1) il sous-estime gravement la portée de la loi Helms-Burton qui constitue une véritable déclaration de guerre politique et économique contre Cuba, et prévoit la mise sous tutelle de l’île par un comité ad hoc désigné par les Etats et pendant une période indéterminée. La loi prévoit aussi que l’embargo ne pourra être levé que lorsque Cuba aura « remboursé » les dommages occasionnés aux Etats-Unis (montant non précisé) et lorsque le président en exercice des Etats-Unis aura décidé que Cuba est devenue une démocratie (conditions non précisées)... Et, enfin, la loi fait obligation au pouvoir exécutif US de renverser le régime cubain et le président US doit présenter tous les six mois devant le Congrès l’avancement du projet... 2) les biens états-uniens n’ont jamais été « confisqués » par la révolution cubaine. Les indemnisations pour « nationalisations » ont été dûment offertes, comme aux autres entreprises étrangères, mais ont été refusées par les Etats-Unis, en partie à cause de... l’embargo qui venait d’être mis en place par... les Etats-Unis.]
L’importance accordée au principe de souveraineté et de sécurité nationale à Cuba est facilement compréhensible dans ce contexte. Pourtant, il a également imposé des contraintes néfastes aux discussions internes. Le gouvernement Castro a répondu à la loi Helms-Burton avec une loi « réaffirmant la dignité et la souveraineté cubaines », qui a rendu illégal pour tout Cubain de divulguer des informations, en particulier sur l’économie, qui pourraient porter atteinte à la sécurité nationale. Un résultat a été la fermeture d’un important programme de recherche au Centro de Estudias de las Amériques (CEA) après que ses chercheurs ont publié la première analyse détaillée de l’ajustement cubain en anglais. [46] Ce genre de défensive - les chercheurs se considéraient comme des révolutionnaires loyaux mais critiques – ne fait qu’affaiblir la capacité de Cuba de répondre de façon créative aux conditions changeantes.
3. La Restructuration
Avec l’embargo américain bloquant l’accès aux financements qui étaient déversés sur les autres pays de l’ex-Comecon, Cuba a dû créer de nouvelles industries entières avec des ressources extrêmement limitées. Le niveau de l’investissement global, qui a chuté de plus de 85% entre 1990 et 1993, est resté extrêmement faible. Selon les chiffres officiels, en 2012, il n’était encore qu’à la moitié du niveau de 1990, avec un ratio investissement/PIB de l’ordre de 10%, comparé à une moyenne pour les membres de l’ex-Comecon de 20-25%. [47] Avec un taux d’investissement global si faible, il est d’autant plus surprenant que la reprise du PIB cubain et la croissance aient été comparables à la moyenne des « pays en transition ». L’accent a été mis sur l’amélioration des réserves de change par le développement de nouvelles industries d’exportation, la réduction de la dépendance aux importations de produits alimentaires et d’énergie, la découverte de nouveaux marchés et d’autres sources de financement externe, le tout dans les limites imposées par les sanctions américaines. Leur succès relatif, en termes de degré de restructuration réalisée pour le montant de financement disponible, peut être attribuée à une approche de l’État de « choisir ses partenaires ».Attirer les investissements
En raison des sanctions, l’investissement étranger direct offrait la voie la moins coûteuse et souvent unique pour Cuba de lever des fonds en devises fortes. Il permettait aussi aux fonctionnaires cubains de tenir des conversations avec des partenaires étrangers derrière des portes closes, et éviter ainsi l’attention de l’US Office of Foreign Assets Control. Il a fallu faire face aux défis d’investisseurs soupçonneux, aux réticences au sein du gouvernement cubain - ’La inversión extranjera no nos gustaba mucho’, a ironiquement admis Fidel au Congrès du PCC en 1997, avant de passer à l’explication de son importance et la nécessité d’adapter les structures juridiques, financières et techniques de Cuba. Depuis 1990, la politique en matière d’investissements étrangers directs a évolué pour s’adapter à ces contraintes. [48] Le processus d’ajustement des attitudes, des règlements, de comptabilité, d’arbitrage, d’assurance et du droit du travail a commencé dès que Cuba a perdu ses partenaires du Comecon. Les entreprises mixtes avec des entreprises privées étrangères avaient été légalisées en 1982, et le premier projet pilote mis en place en 1988 ; mais en réponse à la nécessité urgente de nouveaux accords, cinquante autres ont été signées à la fin de 1991. Une réforme constitutionnelle de Juillet 1992 a redéfini la propriété de l’Etat comme s’appliquant uniquement aux moyens de production « fondamentaux » ; une loi de 1995 sur l’investissement étranger a précisé le cadre réglementaire.
Mais si l’objectif était d’attirer de nouveaux investissements, l’Etat cubain n’abandonnait pas le contrôle. Il a continué à restreindre la portée de l’investissement étranger direct, et tout transfert majeur de biens de l’Etat à la propriété étrangère exige que le Comité exécutif du Conseil des ministres soit convaincu que cela « contribuera à la capacité économique et au développement durable du pays, sur la base du respect de la souveraineté et de l’indépendance du pays », en fournissant des capitaux frais, de nouveaux marchés, de la technologie ou de compétences, y compris l’expertise en gestion. Des autorisations ont été accordées au cas par cas, et au fil des années, et de nombreuses propositions ont été rejetées, avec un processus de révision permanente de la politique. Les règles ont été établis pour veiller à ce que l’ouverture à l’investissement étranger direct soit contrôlé par le système de gestion économique de l’Etat socialiste.
L’évolution de la politique des investissements étrangers directs a répondu à l’évolution des circonstances. Au début des années 1990, certaines occasions ont été manquées, en raison de retards ou de malentendus ; une fois les problèmes identifiés, les autorités ont cherché à simplifier les procédures. En 1997, la capacité d’importation avait suffisamment récupéré pour réduire le besoin urgent de devises étrangères, tandis que la loi Helms-Burton s’employait à dissuader les investisseurs étrangers. En conséquence, la libéralisation du régime des investissements étrangers directs n’a pas évolué au Congrès du PCC de 1997, mais l’approche existante fut simplement approuvée, en précisant que le capital devait être recherché en particulier pour les infrastructures, les mines et le développement de l’énergie. Ceci a été suivi par une évolution vers des projets plus importants, entraînant le non-renouvellement des contrats pour les petits investisseurs. Bien que les Cubanologues aient déploré un renversement de politique, la nature essentielle de la stratégie des investissements étrangers directs est resté inchangée. Alors que le nombre d’accords sur des entreprises mixtes (joint-ventures) est passé d’environ 40 par an en 1991-1997 à une moyenne de 25 à la fin de la décennie, des contrats plus importants signifiaient que l’afflux annuel net moyen des capitaux étrangers est passé de 180 millions de dollars en 1993-1996 à 320 millions de dollars en 1997-2000.
Cette période a également vu la première privatisation partielle d’actifs cubains - en 1999, une société française, Altadis, a pris 50% de Habanos, le distributeur international de cigares cubains, pour $500 millions - et la première joint-venture entièrement sous contrôle étranger, une centrale de $15 millions construite par une société panaméenne. De 2001-2008, la politique des investissements étrangers directs a de nouveau été affecté par la détérioration des relations avec les États-Unis au cours de la « guerre contre le terrorisme » - Cuba avait été désignée comme un « parrain du terrorisme d’Etat » par l’Administration Reagan – par une augmentation de la surveillance et des poursuites par les Etats-Unis. Bush Jr mit en place un Projet de Transition pour une Cuba post-communiste et le Département d’Etat intensifia ses efforts pour détecter et poursuivre les auteurs de violations des sanctions américaines, ce qui découragea les entreprises étrangères. En 2004, Washington infligea une amende $100 millions à la banque suisse UBS pour avoir fournir un lot de billets de dollars à Cuba. La Havane a réagi en annulant l’utilisation de dollars dans les transactions nationales, même s’ils pouvaient encore être détenus et échangés contre des pesos convertibles (CUCs) avec un supplément de 10 pour cent. Dans le même temps, les relations de Cuba avec le Venezuela étaient florissantes. Hugo Chávez avait d’abord été invité à Cuba comme un leader de l’opposition en 1994. Après la victoire électorale de Chávez en 1998 - et surtout après l’échec de la tentative de coup d’Etat de 2002 et la grève patronale contre le gouvernement – les échanges entre les deux pays ont été renforcés, aboutissant à un accord bilatéral en décembre 2004 d’échange de pétrole vénézuélien - environ 53 000 barils par jour - contre des services professionnels cubains, travailleurs de la santé et enseignants. Pour la première fois depuis 1990, Cuba a reçu un financement important à des conditions préférentielles, augmentant l’investissement et la croissance annuelle du PIB, qui est passé à une moyenne de 10% en 2005-2007. Avec le Venezuela, Cuba fut un membre fondateur d’un nouvel accord commercial, Allianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (ALBA) rejoints ensuite par la Bolivie, l’Équateur, le Nicaragua et quatre nations insulaires des Caraïbes. La croissance annuelle moyenne des recettes d’exportation est montée à 30% en 2005-2007, par rapport aux 9 % de la décennie précédente.
Bien que les statistiques cubaines sur les flux de capitaux internationaux sont très rares, les éléments disponibles confirment la restructuration radicale de la production et du commerce international avec relativement peu de financement. Les investissements étrangers directs à Cuba s’élèvent à seulement 1% du PIB depuis le milieu des années 90, contre une moyenne pour les pays de l’ex-Comecon en Europe de l’ordre de 4%. [49] La Havane a réussi à obtenir un rendement élevé par dollar de capital investi en choisissant soigneusement ses partenaires et en négociant directement les contrats. Pourtant, la réinsertion de Cuba dans l’économie mondiale a été menée par seulement une poignée d’industries. Les figures 4 et 5, ci-dessous, soulignent la base étroite de la restructuration et du redressement économique de Cuba depuis 1990. La Figure 4 montre les quatre principales sources de croissance des échanges en devises depuis 1990 : d’abord le tourisme dans les années 1990, puis le nickel et l’énergie et, dans la dernière décennie, les services professionnels mènent la reprise. Dans le Comecon, le sucre représentait 73% de toutes les recettes d’exportation ; le déficit commercial était autour de $2 milliards. En 2012, le sucre ne représentait plus que 3% des recettes d’exportation, tandis que les industries nouvellement développées, le tourisme, le nickel, le raffinage et les services, rapportaient suffisamment pour produire un excédent annuel des échanges de produits et services combinés de plus de $1 milliard. L’exploitation de l’industrie touristique et le nickel ont été recapitalisés par des investissements étrangers directs privés ; le raffinage et les services à travers l’accord Cuba-Venezuela de 2004. Ce dernier est la principale source de recettes en devises – en fait, les revenus tirés de la vente de services au Venezuela ont dépassé ceux de l’ensemble des exportations tous produits confondus depuis 2005 - bien que le plus forte croissance depuis 2008 est venue de la raffinerie de pétrole de Cienfuegos, un joint-venture entre des compagnies pétrolières étatiques cubaines et vénézuéliennes. Le secteur de la biotechnologie, où beaucoup d’espoirs ont été placés, connaît depuis récemment une bonne croissance stable - ses exportations ont doublé entre 2008 et 2012 - mais, à seulement 3% du total des recettes d’exportation, ce secteur est encore trop marginal pour être un moteur de l’économie nationale. En 2012, l’excédent commercial de Cuba (tous biens et services confondus), avec les envois de fonds de l’étranger qui sont estimés à environ $2 milliards, semble avoir apporté suffisamment de devises pour permettre une accumulation de réserves internationales, montré par le solde négatif de la valeur estimée hors « financement externe » de la figure 4.
La Figure 5, qui montre la destination géographique des exportations, révèle l’étendue de la réorientation du commerce de biens. En 1990, quelque 75% des exportations étaient vendues à d’anciens pays du Comecon, mais en 2012 elles représentaient moins de 5%. Autour de 2000, Cuba a réussi à atteindre un degré de diversification sans précédent de ses partenaires à l’exportation, avec l’Europe de l’Ouest représentant 32% du total, les anciens pays du Comecon 27%, le Canada 17%, l’Asie 12%, et le reste des Amériques - hors États-Unis, qui reste fermé aux exportations cubaines - à 10%. Depuis, la dépendance envers un partenaire unique a de nouveau augmenté : en 2012, le Venezuela représentait non seulement 45% des exportations de biens - en grande partie des produits pétroliers de la raffinerie de Cienfuegos - mais aussi la plupart des services non-touristiques de Cuba.
4. Les réformes de Raul
La hausse des recettes en devises en 2005-2007 par le commerce avec le Venezuela a apporté un soulagement. Mais le temps que Raúl Castro et son équipe prennent officiellement leurs fonctions en 2008, la hausse s’était interrompue. Trois ouragans très destructeurs et la chute du prix du nickel après la crise financière mondiale ont éliminé l’excédent commercial et drainé les réserves de change, rendant Cuba incapable de respecter ses obligations en matière de dette. La protection sociale était intacte, l’offre de monnaie stabilisée et la discipline budgétaire respectée, mais il était clair que c’était encore insuffisant pour récupérer des recettes en devises pour permettre au peso cubain de retrouver son niveau antérieur et ainsi restaurer la valeur réelle des salaires, des prestations sociales et des prix. Le déséquilibre monétaire était devenu structurel ; la co-existence de deux grilles de prix, de revenus et de taux de change, officiels et informels, a bloqué l’intégration entre les économies nationales et externes, résultant en une structure bancale et déformée de la production. En termes réels, les salaires de l’État cubain étaient restés en dessous de leur niveau de 1990 pendant de nombreuses années, le taux de change Cadeca maintenant à 24 pesos pour un dollar, par rapport à l’ancien taux du marché noir de 7 pesos en 1990 (figures 6 et 7). Les inégalités et incitations malsaines persistaient. Seule une petite partie privilégiée de la population ayant accès à une monnaie forte pouvait se permettre d’acheter régulièrement dans les marchés libres ; pour le reste, les avantages du « trickle-down » [retombées ou redistribution vers le bas de richesses accumulées en haut – NdT] du nouveau secteur non étatique étaient faibles et indirectes, venant principalement par la perception des impôts servant à financer les dépenses sociales.En plus de creuser les inégalités, cette bifurcations de l’économie avait entravé le développement par la croissance d’un secteur informel parasitaire, qui drainait les ressources de l’économie formelle en offrant des incitations pour les travailleurs qualifiés, y compris les enseignants, à prendre des emplois peu qualifiés pour les salaires en CUC et encourageant le pillage des ressources de l’Etat pour les revendre sur le marché noir à des prix élevés. La prévalence de la corruption et l’inégalité croissante des revenus a progressivement sapé l’éthique égalitaire et la crédibilité de la rhétorique socialiste, un effet renforcé par le fait que les Cubains riches pouvaient désormais s’offrir un accès préférentiel aux emplois, à l’éducation et à la santé en payant via des canaux informels. Pendant ce temps, le coût des subventions drainaient des fonds qui auraient pu être employés pour des investissements.
Lineamentos
Le premier problème pour la nouvelle équipe de Raúl Castro, dirigée par le ministre de l’Economie Marino Murillo, était de rétablir l’équilibre externe, après les chocs de 2008. Ceci a été réalisé par une forte réduction des importations, ce qui réduit la croissance du PIB officiel de seulement 1,4%. [50] Depuis lors, la stratégie économique a été définie comme « la mise à jour » du modèle - diversifier la production, ranimer l’économie nationale décapitalisée, réaligner les prix, les taux de change et les revenus - plutôt que de lancer un processus à la chinoise d’accumulation capitaliste sous la houlette du Parti Communiste. Bien que le style de Raúl soit très différent de celui de son frère, il a pris soin de lier cette révision à la politique de Fidel, en utilisant de façon répétée des citations de ses discours, avec un faible pour celle-ci : « Revolución es sentido del momento histórico ; es cambiar todo lo que debe ser cambiado ». [La Révolution est le sens du moment historique ; c’est changer tout ce qui doit être changé – NdT] [51] Après quelques premières réformes modestes, Raúl a préparé le terrain pour une approche plus radicale en lançant un nouveau débat national dans la perspective du sixième Congrès du PCC en avril 2011. Un projet de document, « Lineamientos de la Política Económica y social del Partido y la Revolución », fut diffusé en novembre 2010 pour discussion lors de réunions à travers le pays, où les commentaires et les révisions proposées ont été notés. Un nouveau texte a été soumis au Congrès, modifié puis publié en mai 2011. [52] Bien que ces « lignes directrices » étaient destinées à orienter la politique jusqu’en 2016, le document n’était en rien un plan sur cinq ans. A l’instar de la résolution 1991 du PCC sur l’économie, il a présenté un ensemble de principes et d’objectifs plutôt que des mesures précises d’un programme de réforme.
Malgré toutes les lacunes du système de participation, celui-ci a continué à servir à la fois de cadre et pilote de la politique officielle. Ceci a été illustré par la manière dont une directive de licenciements massifs dans le secteur public a été examinée et révisée, avec la participation des syndicats officiels, après que les employés de l’Etat aient rejeté le rythme trop rapide de l’ajustement et l’impossible et inéquitable façon dont il était mis en œuvre. Les événements ont démontré que, bien que loin d’être « indépendants », les syndicats cubains ont joué un rôle important dans l’établissement de limites à la politique et dans l’application pratique de la « rationalisation » ou fermetures d’entreprises. [53] Le processus de consultation sur les « lignes directrices » a également fourni l’occasion d’un examen public, ce qui a entraîné d’importantes modifications jusqu’au document final. Et tandis que la mise en œuvre depuis mai 2011 a été coordonnée de manière centralisée par une commission sous la direction de Murillo, avec des rapports réguliers sur les progrès consciencieusement présentés au Parti et à l’Assemblée Nationale, il a impliqué un éventail d’organismes beaucoup plus large, avec des interactions complexes entre le Parti, le gouvernement et les commissions d’experts. Le processus de mise en œuvre a intégré toute une série d’expériences et de projets pilotes, ainsi que des programmes de recyclage, de recherche et de contrôle/surveillance.
Les « lignes directrices » et les discours officiels font beaucoup référence à « utiliser les mécanismes du marché », mais considèrent cela comme une composante de la politique dirigée par l’Etat, contrairement à la doxa néolibérale sous-jacente dans les stratégies de « transition » appliquées ailleurs. Les mesures prises jusqu’ici comportent des éléments de libéralisation, y compris l’expansion du secteur non étatique, un élargissement des investissements étrangers, des concessions fiscales pour des zones de développement spéciaux et la déréglementation du marché d’occasion pour les logements et les voitures. Mais plutôt que de céder le contrôle de l’économie au secteur privé, le gouvernement a accompagné ces changements pas des mesures explicitement conçues pour renforcer le contrôle de l’Etat. Depuis l’accession de Raúl à la présidence, il a augmenté les ressources et l’autorité du contrôleur général, Gladys Bejerano, un personnage clé qui a toujours été négligé par les commentateurs extérieurs. Le travail du contrôleur général a non seulement été de renforcer la lutte contre la corruption - avec une attention toute particulière aux abus les plus pernicieux de haut niveau, ce qui a valu de longues peines de prison pour certains hauts fonctionnaires - mais aussi à améliorer la conformité fiscale, grâce à la diffusion de l’information et un programme de formation à l’échelle nationale pour les fonctionnaires, les gestionnaires, les comptables et les travailleurs indépendants. C’est-à-dire en utilisant les moyens institutionnels de l’Etat pour construire l’appareil et la culture nécessaire pour renforcer l’efficacité et l’équité dans le secteur formel, où les marchés jouent un rôle plus important que par le passé.
La performance économique cubaine depuis la crise financière mondiale a été plus faible que prévu, avec une croissance annuelle moyenne du PIB de moins de 3%, et les objectifs sont régulièrement ratés. L’aide du Venezuela se poursuit, mais l’impulsion initiale s’est stabilisée depuis 2008, et l’exclusion de Cuba du marché états-unien et de la plupart des sources de financement internationales constitue un frein à sa croissance. Il y a eu peu d’amélioration des salaires réels dans le secteur public, à l’exception des travailleurs de la santé qui ont connu une hausse au début de 2014. Une déception particulière a été l’absence de reprise significative de la production agricole, en dépit de la distribution de terres aux agriculteurs privés et une série de mesures visant à améliorer leurs incitations, réseaux de distribution, fournitures et possibilités de financement. Dans une perspective comparative, la croissance du PIB cubain n’a pas été pire que la moyenne des pays « en transition » depuis 2008, en dépit d’une réduction substantielle de la masse salariale du secteur public ; l’ajustement a été suffisamment lent pour éviter un choc de la demande ou une forte hausse du chômage. Mais les résultats sont en deçà de l’amélioration attendue des réformes de 2011. Au-delà de bricoler avec les règlements pour améliorer le fonctionnement des nouveaux marchés, des avancées plus audacieuses sont actuellement à l’étude pour augmenter l’investissement étranger et s’attaquer aux difficultés persistantes créées par le système de double monnaie.
L’initiative récente la plus importante a été la mise à niveau du port de Mariel, à 45 km à l’ouest de La Havane. Le projet, une entreprise mixte créée en 2009 et financée par un prêt de $1 milliard de la banque de développement brésilienne, BNDES, est le plus grand investissement dans l’infrastructure depuis 1990. Le port offre un mouillage de 18 mètres, suffisamment profond pour accueillir les porte-conteneurs géants « post-Panamax » qui passeront par le canal de Panama [en cours d’élargissement – NdT] lorsque celui-ci sera achevé en 2015. A l’heure actuelle, l’embargo US non seulement interdit toutes les importations en provenance de Cuba, mais interdit aussi aux navires qui passent par Cuba d’accoster dans les ports US pendant 6 mois ; l’activité à Mariel se démultiplierait clairement si ces restrictions étaient levées, même partiellement, et le projet peut avoir été conçu en partie comme un signal de la volonté de Cuba d’améliorer les relations bilatérales. Mais même sans les Etats-Unis, l’installation est prête à servir les échanges croissants entre la Chine, le Brésil et l’Europe, comme une plaque tournante où les conteneurs peuvent être transférés sur des navires plus petits pour leur transport vers les ports régionaux.
Une deuxième initiative, l’ouverture d’une zone spéciale de développement à Mariel à la fin de 2013, reliée par une nouvelle ligne de chemin de fer à La Havane, est destinée à la fois à promouvoir un « complexe » industriel destiné à gérer les activités autour du port et à attirer des entreprises cubaines et étrangères qui servent le marché intérieur. Parallèlement à ces deux évolutions, il y a une nouvelle loi sur les investissements étrangers, qui a pris effet à fin Juin 2014, après de nombreuses années de discussion. A la grande déception des Cubanologues, il ne s’agit que d’une révision de la loi de 1995 : s’il comporte des ajustements aux impôts et autres incitations, et un appel plus explicite aux investisseurs des États-Unis, les principes fondamentaux demeurent : c’est l’Etat cubain qui contrôlera les entrées et devra être convaincu que chaque investissement étranger contribue à ses objectifs de développement.
Jour Zéro
Néanmoins, réussir à attirer l’investissement étranger ne fera que perpétuer un modèle de croissance déformée, tant que l’écart entre les taux de change - le taux « officiel » de la parité peso-CUC-dollar , et le taux de Cadeca « officieux » mais légal de 24 pesos pour 1 CUC/dollar - créera une gamme de prix officiels, officieux, en dollars et en pesos non convertibles, qui empêche l’intégration entre les économies nationales et externes. Avec le développement du secteur non étatique, il est devenu de plus en plus clair que des entreprises privées relativement inefficaces ont pu prospérer dans l’économie nationale, que leurs coûts en pesos cubains, y compris le coût du travail, sont sous-évalués au taux de change Cadeca/CUC qu’elles utilisent pour leurs transactions. En effet, l’Etat cubain subventionne le nouveau secteur non étatique à travers le taux Cadeca sous-évalué. Pendant ce temps, les entreprises d’Etat doivent utiliser le taux de change officiel surévalué, une situation désavantageuse en termes de compétitivité. Une forme d’« illusion monétaire » signifie que les entreprises efficaces de l’Etat signalent des pertes et ne peuvent donc pas lever des capitaux pour des investissements, tandis que les entrepreneurs privés opérant à de très faibles niveaux de productivité bénéficient de lourdes subventions cachées de l’Etat, tout en se plaignant d’être trop taxés.
La ligne directrice 55 des « Lineamentos » de 2011 stipule clairement que le système de double monnaie doit être abordée, mais sa formulation est obscure et le changement a été lent à venir. [54] Le retard est en partie attribuable à l’aversion au risque. Tout réalignement monétaire impliquera une réévaluation perturbatrice et, dans le sillage de l’effondrement brutal du peso dans les années 1990, la Banque Centrale a mis l’accent sur le maintien de la stabilité. La crainte de nouvelles difficultés créé une préférence pour la prudence, non seulement au sein du gouvernement et de la bureaucratie, mais aussi au sein de la population dans son ensemble ; de nombreux ménages se sont adaptés aux structures de prix déformées, et en sont donc devenus dépendants. Entre le milieu des années 90 et 2008, la perception de l’amélioration progressive par l’ajustement était suffisante pour atténuer l’impératif de rétablir l’équilibre du système monétaire ; mais le ralentissement qui a suivi a porté la question sur le devant de la scène.
Enfin, au début de 2013, les premières mesures ont été prises. Après deux années d’études, un programme pilote a été lancé pour permettre à certaines entreprises d’État d’utiliser les taux de change Pesos-CUC d’environ 10 pesos pour 1 CUC pour les achats de l’Etat à des fournisseurs - nationaux, coopératifs ou privés. En Octobre 2013, le gouvernement a annoncé qu’un calendrier pour la réforme monétaire avait été établi. En Mars 2014, il a publié des instructions détaillées pour la fixation des prix et de règlement des comptes pour « Dia Cero » - jour zéro - lorsque le CUC sera aboli. [55] Le peso cubain sera alors vraisemblablement directement convertible en devises, bien que les détails de tous les contrôles de change prévus ne sont pas encore connus. Afin de minimiser les perturbations, l’Etat définira les paramètres pour les nouveaux prix en pesos cubains et fournira des subventions pour couvrir les pertes initiales ; les nouveaux prix, libellés dans la monnaie unique, tiendront alors compte de la perte de pouvoir d’achat international du peso depuis 1990, et les « subvention cachées » au secteur privé seront supprimées.
La question vitale de ce que sera la valeur de ce nouveau taux de change unique n’a pas encore été précisée. Le taux de Cadeca actuel de 24 pesos pour un dollar - qui sous-évalue le peso - pourrait être le moins perturbateur et, grâce à son énorme dévaluation du taux de change officiel, pourrait radicalement améliorer la compétitivité des entreprises. Mais il présenterait l’économie cubaine sur le marché mondial comme un producteur aux salaires extrêmement bas et créerait un écart démesuré entre les revenus en ex-CUC et les échelles de salaire en pesos cubains. Un taux de 20, 15 ou même 10 pesos pour 1 CUC/dollar offrirait une correction partielle des revenus réels, tout en améliorant la compétitivité et permettant un ajustement supplémentaire une fois que les choses se sont installées et la confiance restaurée. [56]
Au moment de rédiger ces lignes, aucune date pour Dia Cero n’a été annoncée, et il n’y a toujours pas de certitude quant à la façon dont une réévaluation du peso sera gérée. En abordant le processus d’unification monétaire avec prudence, le gouvernement espère bien qu’il sera possible de minimiser les coûts de réalignement des prix. Il y a aucun cas directement comparable à celui de Cuba, parce que les unifications de devises dans d’autres pays ont été menées soit lorsque des balances commerciales excédentaires fournissaient une abondance de devises, soit avec un soutien extérieur ; et aucun n’a connu la structure très particulière à Cuba de fragmentation des marchés et des prix. Sans les données monétaires nécessaires pour bien comprendre les conditions cubaines, nous ne pouvons que spéculer sur l’impact probable d’un tel changement. Mais il semble clair que cette réforme aura de grandes conséquences au cours des prochaines années, non seulement pour les prix relatifs et la répartition des revenus, mais aussi pour la dynamique de la croissance économique cubaine.
Les divisions sociales
Il n’est pas facile d’évaluer quelle proportion de la population a accès aux CUC ou aux devises étrangères, ni en quelles quantités. Certaines estimations suggèrent que la moitié de la population a accès aux CUCS, mais dans de nombreux cas, le montant serait minime. La concentration de l’épargne dans les comptes en banque est très élevée mais ceux qui réussissent sur le marché noir, par exemple, gardent leur argent ailleurs. Ce qui peut être identifié avec certitude, ce sont les groupes sociaux qui ont le plus accès aux CUC, et les autres. Les plus pauvres sont ceux qui dépendent des pensions de l’État ou de l’aide sociale, sans soutien familial. Les pensions sont à peine suffisantes pour leur subsistance, et les services sociaux doivent les compléter là où il n’y a pas de famille ou parce que la famille est trop pauvre. Bien qu’il y ait plus d’argent en circulation à La Havane, et donc plus de possibilités pour les jeunes et bien portants pour gagner leur vie, pour les personnes âgées incapables de se déplacer, elle peut se révéler l’un des pires endroits parce que les prix du marché y sont les plus élevés. Ceux qui ont de très bas salaires, sans accès à des bonus, sans possibilité de chaparder, de travailler au noir ou de recevoir des fonds de l’étranger, sont aux limites de la subsistance.
L’autre catégorie à souffrir le plus - probablement plus que la moitié de la population - sont ceux qui parviennent à s’en sortir car ils peuvent compléter leurs revenus d’une façon ou d’une autre, mais vivent au jour le jour sans possibilité d’épargner. On y trouve les fonctionnaires du gouvernement, et ceux qui vivent avec un soutien financier modeste de l’extérieur ou qui sont engagés dans une petite activité privée, légale ou illégale. Les écarts salariaux sont importants, mais ne sont pas le facteur principal qui détermine la consommation réelle ; cela dépend de l’accès aux CUC. Certains employés de l’Etat les plus touchés ont été les membres et les fonctionnaires du PCC, qui ne sont pas censés se livrer à une activité non officielle. Ils peuvent avoir des privilèges en nature, mais pas en revenus. Pour certains professionnels, les voyages de travail à l’étranger peuvent offrir la possibilité d’obtenir de l’argent supplémentaire pour des dépenses importantes, comme la réparation d’une maison. Avec le temps, la proportion de travailleurs de l’Etat qui recoivent une sorte de bonus a augmenté. D’abord, il y a eu les javas mensuels, ou sacs, de produits de base, comme l’eau de Javel ou la dentifrice ; maintenant des primes de 10 à 25 CUC, ou plus, sont courants. Au cours de la dernière décennie, les revenus d’un nombre croissant de ménages ont augmenté suffisamment pour acquérir un téléphone portable, améliorer leurs maisons ou acheter une voiture d’occasion. Mais les revenus nominaux de l’Etat n’ont pas augmenté avec le coût de la vie, de sorte que ceux qui dépendent encore d’un salaire en pesos ont beaucoup de mal à joindre les deux bouts.
La minorité riche constitue un groupe à part. Ce sont ceux qui reçoivent des fonds généreux de l’étranger, certains agriculteurs privés, quelques propriétaires d’entreprises privées légales ou illégales, des personnalités sportives ou culturelles internationales, des chefs d’entreprise corrompus et ici ou là quelques fonctionnaires corrompus. Autrement dit, ils ne reçoivent pas leur privilège de revenus en pesos payés par l’État cubain. Ils vivent dans un monde différent de la majorité de la population. La politique envers ce groupe consiste à essayer de détecter et punir le délit économique et renforcer le système fiscal, pour s’assurer que les hauts revenus soient lourdement taxés, à la fois par l’impôt sur le revenu et les taxes sur le chiffre d’affaires ; mais le gouvernement ne cherche plus à empêcher de hauts revenus provenant d’une activité légale. Ainsi, les restrictions sur les joueurs de baseball qui vont jouer à l’étranger sont en train d’être levées, et les Cubains sont désormais plus libres de voyager à l’étranger pour y travailler et ensuite revenir.
Cependant, pour la majorité, l’amélioration du niveau de vie a été faible et douloureusement lente ; d’autant plus difficile à supporter, surtout à La Havane, lorsqu’ils peuvent constater le confort dont bénéficient certains, confort souvent tiré d’une activité pas très honnête. Les produits de base sont encore subventionnés, mais certains produits de base ont été retirés de la ration et doivent être achetés dans les agro-marchés. Cela a été un processus graduel, accompagné d’une hausse lente des salaires nominaux et une extension des bonus. La fourniture de l’électricité s’est améliorée, mais il y a eu des augmentations de prix pour l’eau et l’électricité, ce qui a tendance à annuler la hausse des salaires ; donc, pour beaucoup de gens, l’amélioration du niveau de vie est à peine perceptible. Pourtant, le filet de sécurité reste en place, et les infrastructures et les services publics sont certainement mieux qu’avant, reflétant les priorités du gouvernement en termes d’affectation des nouveaux revenus tirés des taxes et exportations de services.
Une alternative ?
Le deuxième et dernier mandat présidentiel de Raúl Castro se terminera au plus tard en 2018. En 2016, lorsque le processus de cinq ans de « mise à jour » en vertu des Lignes Directrices actuelles prendra fin, l’objectif est donner à l’économie une base de production et un secteur privé plus large, tout en conservant la santé, l’éducation et les services sociaux pour tous. Pour atteindre cet objectif, le taux d’investissement devra augmenter. Compte tenu de la réussite de Cuba à établir des relations officielles avec de nouveaux partenaires, dont la Chine, le Brésil et la Russie, l’aspiration à augmenter le flux des investissements étrangers semble faisable. Augmenter l’efficacité et le dynamisme au sein de l’économie nationale, tout en empêchant l’élargissement des écarts de revenus et les divisions sociales qui menacent le projet d’Etat socialiste, paraît plus compliqué.
Cuba n’a pas dit son dernier mot, et l’ampleur des réalisations à ce jour doit être reconnue. Tout en reconnaissant que les mécanismes de marché peuvent contribuer à une économie plus diversifiée et dynamique, les décideurs politiques cubains n’ont pas avalé les promesses de privatisations à grande échelle et de libéralisation, et ont toujours été attentifs aux coûts sociaux. Cette approche, imposée en partie par les conditions internationales exceptionnellement difficiles, a eu plus de succès en termes de croissance économique et de protection sociale que les modèles du Consensus de Washington pouvaient prédire. En comparant l’expérience de Cuba avec celle des anciens pays du Comecon en Europe de l’Est - ou même avec la Chine et le Vietnam - il est possible d’identifier certains traits caractéristiques de la voie suivie.
Premièrement, Cuba a réussi à maintenir un filet de sécurité sociale au cours de la crise, en contraste frappant avec les autres pays. Dans un contexte unique d’un choc exogène grave et d’un environnement extérieur hostile, un engagement à préserver la protection sociale universelle a sans aucun doute limité les difficultés sociales. En relation à ça, il y a le vaste processus de consultation populaire, en particulier à trois moments critiques – le début de la crise, le processus de stabilisation, et le prélude à la nouvelle phase d’ajustement de Raúl Castro. Troisièmement, en conservant le contrôle des salaires et des prix au cours de la première période de choc et de redressement, il a été possible de rétablir relativement vite la stabilité en limitant la spirale inflationniste. Bien que les salaires fixes et le contrôle des prix ont créé les conditions d’une économie informelle florissante, ils ont également servi à minimiser les perturbations et de limiter l’écart de revenu au sein de l’économie formelle. Bien que les deux sont tout à fait distinctes, cette stratégie peut être comparée à celle de la « double voie » de la Chine, où la voie « planifiée » est préservée tandis que la voie « du marché » se développe en parallèle, offrant des possibilités d’expérimentation et d’apprentissage. Malgré toutes ses inefficacités et confusions, « la bifurcation » et « économie parallèle » à Cuba ont joué un rôle dans l’adaptation aux nouvelles conditions.
Quatrièmement, l’Etat a conservé le contrôle du processus de restructuration économique, ce qui lui permet de canaliser les ressources en devises fortes très limitées vers certaines industries, de réaliser une reprise remarquable de recettes en devises par rapport à la quantité de capital disponible. Ces entreprises ont également servi comme « opportunités d’apprentissage » pour les planificateurs, gestionnaires et travailleurs cubains pour réfléchir à la façon de s’adapter aux nouvelles conditions internationales. La base d’exportation créée par cette approche peut être trop étroite pour stimuler une croissance durable sur le long terme, mais c’était un moyen efficace de redressement après la période de crise. Enfin, le rejet par Cuba de l’habituelle voie « de transition vers le capitalisme » a ouvert un espace pour un processus d’ajustement - décrit par un officiel comme une « évolution permanente » [57] - qui a été souple et réactif devant l’évolution des conditions et des contraintes. Ceci contraste fortement avec les recettes plus rigides de libéralisation et privatisation servies par les hordes de consultants ès-transitions dans les autres anciens pays du Comecon. Cuba est un pays pauvre, mais ses systèmes de santé et d’éducation sont des phares dans la région. Son approche a montré que, malgré les contradictions et les difficultés, il est possible d’intégrer des mécanismes de marché dans un modèle de développement dirigé par l’État avec des résultats relativement positifs en termes de performance économique et résultats sociaux.
Ce qui soulève la question suivante : pourquoi devrions-nous supposer que l’État se retire de son rôle dominant dans l’économie, ou que l’approche actuelle de la politique devrait un jour céder la place à une transition vers le capitalisme ? Une hypothèse fondamentale de l’économie de transition a été l’affirmation de Kornai qu’une « modification partielle du système » est vouée à l’échec ; l’efficacité et le dynamisme ne seraient maximisés que lorsque la transformation d’un système économique « socialiste planifié » vers un « marché capitaliste » sera achevée, parce que le premier serait trop rigide pour survivre à long terme. Mais l’expérience des anciens pays du Comecon a démontré que le succès est loin d’être garanti et que les coûts sociaux peuvent être élevés. Examiné sans a priori, le cas cubain suggère qu’après tout, une autre voie est peut être possible.
Emily Morris
Traduction "depuis le temps que je vous le dis..." par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.
EN COMPLEMENT : deux ouvrages,
Cuba est une île
http://www.legrandsoir.info/cuba-est-une-ile.html
et
Les Etats-Unis de mal empire : Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud http://www.legrandsoir.info/les-etats-unis-de-mal-empire-ces-lecons-de...
[1] Carmelo Mesa-Lago, ‘Economic and Ideological Cycles in Cuba : Policy and Performance, 1959–2002’, in Archibald Ritter, ed., The Cuban Economy, Pittsburgh 2004.
[2] Eliana Cardoso and Ann Helwege, Cuba after Communism, Cambridge, ma 1992, pp. 51, 1, 11 ; Andrés Oppenheimer, Castro’s Final Hour, New York 1992.
[3] Cuba joined the Council for Mutual Economic Assistance, known as the cmea or Comecon, in 1970, after the us trade embargo cut off access to American markets. Other full members in 1989 were the ussr, gdr, Poland, Czechoslovakia, Hungary, Romania, Bulgaria, Mongolia and Vietnam. The term ‘transition economies’ here includes the successor states of all full Comecon members apart from Mongolia and Vietnam, whose trajectories have been determined by proximity to the prc’s economic sphere.
[4] See Manuel Franco et al., ‘Impact of Energy Intake, Physical Activity and Population-wide Weight Loss on Cardiovascular Disease and Diabetes Mortality in Cuba, 1980–2005’, American Journal of Epidemiology, vol. 166, no. 12, September 2007.
[5] The term Cubanology was coined in 1970, by analogy with Cold War Kremlinology : Helen Yaffe, Che Guevara : The Economics of Revolution, Basingstoke 2009, p. 4. Yaffe itemizes the research commissioned by the Pentagon, Special Operations Research Office, cia, ‘National Defence Education’ and the Cuban-American National Foundation, the powerful émigré lobby.
[6] See John Williamson, ‘What Washington Means by Policy Reform’, in John Williamson, ed., Latin American Adjustment : How Much Has Happened ?’, Washington, dc 1990.
[7] János Kornai, The Road to a Free Economy, New York 1990, p. 31.
[8] Anders Åslund, ‘Principles of privatization for formerly socialist countries’, Stockholm Institute of Soviet and East European Economics Working Paper 18, 1991 ; Leszek Balcerowicz, ‘Common fallacies in the debate on the transition to a market economy’, Economic Policy, vol. 9, no. 19, December 1994.
[9] Gérard Roland, Transition and Economics : Politics, Markets and Firms, Cambridge, ma 2000, p. 14.
[10] ‘Anti-market features’ : Mesa-Lago, ‘The Economic Effects on Cuba of the Downfall of Socialism in the ussr and Eastern Europe’, in Mesa-Lago, ed., Cuba after the Cold War, Pittsburgh 1993, p. 176 ; ‘half-baked’ : Mesa-Lago, Are Economic Reforms Propelling Cuba to the Market ?, Miami 1994, pp. 70–1.
[11] Mesa-Lago, Cuba after the Cold War, pp. 246–7 ; Rubén Berríos, ‘Cuba’s Economic Restructuring, 1990–1995’, Communist Economies and Economic Transformation, vol. 9, no. 1, 1997, p. 117 ; Mauricio de Miranda Parrondo, ‘The Cuban Economy : Amid Economic Stagnation and Reversal of Reforms’, Canadian Foundation for the Americas, Ontario 2005.
[12] What follows draws upon interviews conducted during a series of research trips since 1995 with officials at the Ministry of Foreign Investment (Minvec), Ministry of Tourism (Mintur), Chamber of Commerce, Ministry of Basic Industry, Ministry of Foreign Trade and the Central Bank of Cuba ; scholars at the University of Havana ; and managers at Tabagest and Cubaniquel.
[13] Although influence peddling and illicit enrichment certainly exist in Cuba, a persistent effort to maintain ethical standards is apparent not only in the formal rules governing officials’ and party members’ conduct, and severe punishments for those found guilty of corruption, but also in the behaviour and appearance of most officials. An exhaustive study which set out to demonstrate the extent of corruption in Cuba ended by doing the opposite and confirming the extent of the efforts to contain it : Sergio Díaz-Briquets and Jorge Pérez-López, Corruption in Cuba : Castro and Beyond, Austin 2006. Cuba scores relatively well on both World Bank and Transparency International corruption indices.
[14] For example, Cardoso and Helwege, Cuba after Communism, pp. 44–6.
[15] Richard Gott, Cuba : A New History, New Haven, ct 2004, p. 325. See also Isaac Saney, Cuba : A Revolution in Motion, London and New York 2004 ; Antonio Carmona Báez, State Resistance to Globalization in Cuba, London 2004.
[16] Manuel Pastor and Andrew Zimbalist, ‘Waiting for Change : Adjustment and Reform in Cuba’, World Development, vol. 23, no. 5, 1995. See also Jorge Domínguez and Daniel Erikson, ‘Cuba’s Economic Future : A Dozen Comparative Lessons’, in Shahid Javed Burki and Daniel Erikson, eds, Transforming Socialist Economies : Lessons for Cuba and Beyond, Basingstoke 2005 ; Susan Eckstein, Back from the Future : Cuba under Castro, New Brunswick 1994.
[17] José March-Poquet, ‘What Type of Transition Is Cuba Undergoing ?’, Post-Communist Economies, vol. 12, no. 1, 2000 ; Claes Brundenius, ‘Whither the Cuban Economy after Recovery ?’, Journal of Latin American Studies, vol. 34, no. 2, May 2002.
[18] An exception is a cursory comparison between Cuba and transition economies by Mesa-Lago and Pérez López (Cuba’s Aborted Reform : Socioeconomic Effects, International Comparisons, and Transition Policies, Gainsville, fl 2005, pp. 158–164). Their data confirm that Cuba’s gdp trend has been close to the average for transition economies, but the discussion reveals their purpose, focusing only on Cuba’s weakness relative to the strongest performers, and precluding the possibility that Cuban policy might have benefited growth in any way.
[19] An ‘analytical narrative’ approach, demonstrating the range of possible paths of transformation by examining how specific conditions have determined policy outcomes in each case, was explored by Dani Rodrik and others—notably Yingyi Qian, ‘How Reform Worked in China’—in Rodrik, ed., In Search of Prosperity : Analytic Narratives on Economic Growth, Princeton and Oxford 2003.
[20] See José Luis Rodríguez García’s report, ‘La Economía de Cuba ante la cambiante coyuntura internacional’, in Economía Cubana, vol. 1, nos. 1 and 2, 1991 and 1992.
[21] oecd, Geographical Distribution of Financial Flows to Developing Countries, 1998.
[22] On post-crisis strategy as rectificación, see the contributions by Mesa-Lago, Svejnar and Pérez López in Mesa-Lago’s Cuba after the Cold War ; Jorge Pérez López, ‘Castro Tries Survival Strategy’, Transition, World Bank 1995. On failure to address the crisis : Marifeli Pérez-Stable, The Cuban Revolution : Origins, Course and Legacy, Oxford 1999, p. 176.
[23] Nauro Campos and Fabrizio Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know, What We Don’t and What We Should’, Journal of Economic Literature, vol. 40, no. 3, September 2002, Table 6.
[24] Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 1, no. 2, p. 21 and vol. 1, no. 7, p. 22, 1992.
[25] José Alvarez, ‘Overview of Cuba’s Food Rationing System’, Gainsville, fl 2004, p. 4.
[26] Paul Collins, ‘Cuba’s Food Distribution System’, in Sandor Halebsky et al., Cuba in Transition : Crisis and Transformation, Boulder, co 1992.
[27] Julia Wright, Sustainable Agriculture and Food Security in an Era of Oil Scarcity : Lessons from Cuba, London 2008.
[28] Efforts to sustain basic nutrition are described by Angela Ferriol Muruaga in ‘La seguridad alimentaria en Cuba’, Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 2, no. 3, 1996 ; ‘Pobreza en condiciones de reforma económica : el reto a la equidad en Cuba’, Cuba : Investigación Económica 4, no. 1, inie, 1998 ; ‘Política social cubana : situación y transformaciones’, Temas, 1998 ; and ‘Retos de la política social’, Cuba : Investigación Económica 11, no. 2, 2005.
[29] Antoni Kapcia, Cuba in Revolution : A History Since the Fifties, London 2008, p. 165, describes the creation of the Consejos Populares, ‘a new level of barrio-level political representation’.
[30] Elena Álvarez, ‘Características de la Apertura Externa Cubana (I)’, Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 1, no. 26, 1996.
[31] pcc, iv Congreso del Partido Comunista de Cuba : Discursos y Documentos, Havana 1992.
[32] For the account, see Gail Reed, Island in the Storm : The Cuban Communist Party’s Fourth Congress, Melbourne and New York 1992.
[33] Campos and Corricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’, Table 10.
[34] Joseph Stiglitz, Globalization and Its Discontents, London 2002, pp. 133–65 ; see also Branko Milanovic´, ‘Income, Inequality and Poverty during the Transition from Planned to Market Economy’, World Bank Regional and Sectoral Studies, Washington, dc 1998.
[35] Marisa Wilson, ‘No Tenemos Viandas ! Cultural Ideas of Scarcity and Need’, International Journal of Cuban Studies 3, June 2009.
[36] Early 1990s editions of Economía Cubana : Boletín Informativo trace the shifting preoccupations and responses.
[37] George Carriazo, ‘Cuba : Apertura y adaptación a una nueva realidad’, Economía Cubana : Boletín Informativo 15, May 1994.
[38] Fidel Castro, Por el camino correcto : Recopilación de textos, Havana 1986, quoted in Díaz-Briquets and Pérez-López, Corruption in Cuba, p. 164. A proposal to reopen farmers’ markets, closed in 1986 under the rectificación programme, was rejected at the 1991 pcc Congress ; as recently as December 1993 the National Assembly had dismissed another call for their reintroduction. The issue had therefore been left off the agenda of the Parlamentos Obreros of January–May 1994.
[39] Carriazo, ‘Cuba : Apertura y adaptación a una nueva realidad’.
[40] Campos and Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’, Table 6.
[41] onei ; World Bank, World Development Indicators.
[42] Average calorie intake was back at pre-crisis level by 1999 : Franco et al, ‘Impact of Energy Intake’.
[43] The onei’s consumer prices index is not published for 1990–94, when the peso’s value was falling, so there is no official real wage index. Lower food prices will have contributed to a decline in the official consumer prices index of 11.5 per cent and 4.9 per cent respectively in 1995 and 1996.
[44] Cuba’s official average annual inflation rate was zero in 1997–2000 and just 2 per cent in 2000–12, compared with transition-country averages of 28 per cent in the late 90s and around 8 per cent in 2000–12. There is plenty of dispute about the official Cuban rate : real changes in the cost of living have varied between households, depending on what proportion of their income they spend in which type of market—official or unofficial, urban or rural, peso or hard currency—where the behaviour of prices has diverged widely. However, there is little doubt that, although purchasing power may have fallen, overall real household consumption has not declined at a rate that would match the average inflation rates of transition economies since the mid 90s.
[45] These self-granted extra-territorial powers prompted one of the few sustained protests by us allies : the eu filed a claim against Helms-Burton’s provisions with the wto, withdrawn when the us agreed not to prosecute eu countries. Canada, Mexico, Spain, France, Italy and the Netherlands have continued to trade with Cuba ; executives from Sherritt International, a Canadian mining company, have been barred from entering the us.
[46] Julio Carranza Valdés, Luis Gutiérrez Urdaneta, and Pedro Monreal González, Cuba : Restructuring the Economy : A Contribution to the Debate, London 1996. The sequence of events is documented in Mauricio Guilliano, El Caso de cea : Intelectuales e Inquisidores en Cuba. ¿Perestroika en la Isla ?, Miami 1998.
[47] Investment rates of the 1990s are provided by Campos and Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’ ; more recent data is provided by the undp and World Bank World Development Indicators.
[48] fdi policy is discussed more fully in Emily Morris, ‘Cuba’s New Relationship with Foreign Capital : Economic Policy-Making since 1990’, Journal of Latin American Studies, vol. 40, no. 4, 2008.
[49] World Bank (data are for Central and Eastern Europe).
[50] Cuba’s official real gdp series is based on 1997 prices and weightings, which implies some distortion to annual growth rates, although it makes less difference to the overall trend. Jorge Pérez-López and Carmelo Mesa-Lago initially doubted the existence of a growth surge in 2005–08, attributing it to ‘discontinuities, obfuscation, and puzzles’ : see ‘Cuban gdp statistics under the special period’, Cuba in Transition 2009, asce, pp. 153–66. They were readier to accept official gdp growth figures once these started to show stagnation.
[51] ‘Revolution senses the historical moment ; it changes everything that must be changed’ : Fidel Castro, 1 May 2000.
[52] Partido Comunista de Cuba, ‘Proyecto de Lineamientos de la Política Económica y Social del Partido y la Revolución’, 2011.
[53] On the role of trade unions see Steve Ludlam, ‘Cuban Labour at 50 : What About the Workers ?’, Bulletin of Latin American Research, vol. 28, no. 4, 2009, and ‘Aspects of Cuba’s Strategy to Revive Socialist Values’, Science and Society, vol. 76, no. 1, 2012, pp. 41–65. The latest product of deliberations between government and unions has been the Labour Code (Law 116) approved by the National Assembly in December 2013 after a consultation process reported to have involved 2.8 million workers.
[54] Literal translation : ‘There will be advances towards monetary unification, taking into account labour productivity and the effectiveness of distributive and redistributive mechanisms. Because of its complexity, this process will demand rigorous preparation and execution, on the objective as much as the subjective level.’
[55] Gaceta Oficial, 6 March 2014.
[56] For further details, see ‘Cuba prepares for exchange-rate reform’, Economist Intelligence Unit, 12 March 2014.
[57] Interview, Minister for Foreign Investment and Economic Cooperation, Havana, June 1996.
[2] Eliana Cardoso and Ann Helwege, Cuba after Communism, Cambridge, ma 1992, pp. 51, 1, 11 ; Andrés Oppenheimer, Castro’s Final Hour, New York 1992.
[3] Cuba joined the Council for Mutual Economic Assistance, known as the cmea or Comecon, in 1970, after the us trade embargo cut off access to American markets. Other full members in 1989 were the ussr, gdr, Poland, Czechoslovakia, Hungary, Romania, Bulgaria, Mongolia and Vietnam. The term ‘transition economies’ here includes the successor states of all full Comecon members apart from Mongolia and Vietnam, whose trajectories have been determined by proximity to the prc’s economic sphere.
[4] See Manuel Franco et al., ‘Impact of Energy Intake, Physical Activity and Population-wide Weight Loss on Cardiovascular Disease and Diabetes Mortality in Cuba, 1980–2005’, American Journal of Epidemiology, vol. 166, no. 12, September 2007.
[5] The term Cubanology was coined in 1970, by analogy with Cold War Kremlinology : Helen Yaffe, Che Guevara : The Economics of Revolution, Basingstoke 2009, p. 4. Yaffe itemizes the research commissioned by the Pentagon, Special Operations Research Office, cia, ‘National Defence Education’ and the Cuban-American National Foundation, the powerful émigré lobby.
[6] See John Williamson, ‘What Washington Means by Policy Reform’, in John Williamson, ed., Latin American Adjustment : How Much Has Happened ?’, Washington, dc 1990.
[7] János Kornai, The Road to a Free Economy, New York 1990, p. 31.
[8] Anders Åslund, ‘Principles of privatization for formerly socialist countries’, Stockholm Institute of Soviet and East European Economics Working Paper 18, 1991 ; Leszek Balcerowicz, ‘Common fallacies in the debate on the transition to a market economy’, Economic Policy, vol. 9, no. 19, December 1994.
[9] Gérard Roland, Transition and Economics : Politics, Markets and Firms, Cambridge, ma 2000, p. 14.
[10] ‘Anti-market features’ : Mesa-Lago, ‘The Economic Effects on Cuba of the Downfall of Socialism in the ussr and Eastern Europe’, in Mesa-Lago, ed., Cuba after the Cold War, Pittsburgh 1993, p. 176 ; ‘half-baked’ : Mesa-Lago, Are Economic Reforms Propelling Cuba to the Market ?, Miami 1994, pp. 70–1.
[11] Mesa-Lago, Cuba after the Cold War, pp. 246–7 ; Rubén Berríos, ‘Cuba’s Economic Restructuring, 1990–1995’, Communist Economies and Economic Transformation, vol. 9, no. 1, 1997, p. 117 ; Mauricio de Miranda Parrondo, ‘The Cuban Economy : Amid Economic Stagnation and Reversal of Reforms’, Canadian Foundation for the Americas, Ontario 2005.
[12] What follows draws upon interviews conducted during a series of research trips since 1995 with officials at the Ministry of Foreign Investment (Minvec), Ministry of Tourism (Mintur), Chamber of Commerce, Ministry of Basic Industry, Ministry of Foreign Trade and the Central Bank of Cuba ; scholars at the University of Havana ; and managers at Tabagest and Cubaniquel.
[13] Although influence peddling and illicit enrichment certainly exist in Cuba, a persistent effort to maintain ethical standards is apparent not only in the formal rules governing officials’ and party members’ conduct, and severe punishments for those found guilty of corruption, but also in the behaviour and appearance of most officials. An exhaustive study which set out to demonstrate the extent of corruption in Cuba ended by doing the opposite and confirming the extent of the efforts to contain it : Sergio Díaz-Briquets and Jorge Pérez-López, Corruption in Cuba : Castro and Beyond, Austin 2006. Cuba scores relatively well on both World Bank and Transparency International corruption indices.
[14] For example, Cardoso and Helwege, Cuba after Communism, pp. 44–6.
[15] Richard Gott, Cuba : A New History, New Haven, ct 2004, p. 325. See also Isaac Saney, Cuba : A Revolution in Motion, London and New York 2004 ; Antonio Carmona Báez, State Resistance to Globalization in Cuba, London 2004.
[16] Manuel Pastor and Andrew Zimbalist, ‘Waiting for Change : Adjustment and Reform in Cuba’, World Development, vol. 23, no. 5, 1995. See also Jorge Domínguez and Daniel Erikson, ‘Cuba’s Economic Future : A Dozen Comparative Lessons’, in Shahid Javed Burki and Daniel Erikson, eds, Transforming Socialist Economies : Lessons for Cuba and Beyond, Basingstoke 2005 ; Susan Eckstein, Back from the Future : Cuba under Castro, New Brunswick 1994.
[17] José March-Poquet, ‘What Type of Transition Is Cuba Undergoing ?’, Post-Communist Economies, vol. 12, no. 1, 2000 ; Claes Brundenius, ‘Whither the Cuban Economy after Recovery ?’, Journal of Latin American Studies, vol. 34, no. 2, May 2002.
[18] An exception is a cursory comparison between Cuba and transition economies by Mesa-Lago and Pérez López (Cuba’s Aborted Reform : Socioeconomic Effects, International Comparisons, and Transition Policies, Gainsville, fl 2005, pp. 158–164). Their data confirm that Cuba’s gdp trend has been close to the average for transition economies, but the discussion reveals their purpose, focusing only on Cuba’s weakness relative to the strongest performers, and precluding the possibility that Cuban policy might have benefited growth in any way.
[19] An ‘analytical narrative’ approach, demonstrating the range of possible paths of transformation by examining how specific conditions have determined policy outcomes in each case, was explored by Dani Rodrik and others—notably Yingyi Qian, ‘How Reform Worked in China’—in Rodrik, ed., In Search of Prosperity : Analytic Narratives on Economic Growth, Princeton and Oxford 2003.
[20] See José Luis Rodríguez García’s report, ‘La Economía de Cuba ante la cambiante coyuntura internacional’, in Economía Cubana, vol. 1, nos. 1 and 2, 1991 and 1992.
[21] oecd, Geographical Distribution of Financial Flows to Developing Countries, 1998.
[22] On post-crisis strategy as rectificación, see the contributions by Mesa-Lago, Svejnar and Pérez López in Mesa-Lago’s Cuba after the Cold War ; Jorge Pérez López, ‘Castro Tries Survival Strategy’, Transition, World Bank 1995. On failure to address the crisis : Marifeli Pérez-Stable, The Cuban Revolution : Origins, Course and Legacy, Oxford 1999, p. 176.
[23] Nauro Campos and Fabrizio Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know, What We Don’t and What We Should’, Journal of Economic Literature, vol. 40, no. 3, September 2002, Table 6.
[24] Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 1, no. 2, p. 21 and vol. 1, no. 7, p. 22, 1992.
[25] José Alvarez, ‘Overview of Cuba’s Food Rationing System’, Gainsville, fl 2004, p. 4.
[26] Paul Collins, ‘Cuba’s Food Distribution System’, in Sandor Halebsky et al., Cuba in Transition : Crisis and Transformation, Boulder, co 1992.
[27] Julia Wright, Sustainable Agriculture and Food Security in an Era of Oil Scarcity : Lessons from Cuba, London 2008.
[28] Efforts to sustain basic nutrition are described by Angela Ferriol Muruaga in ‘La seguridad alimentaria en Cuba’, Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 2, no. 3, 1996 ; ‘Pobreza en condiciones de reforma económica : el reto a la equidad en Cuba’, Cuba : Investigación Económica 4, no. 1, inie, 1998 ; ‘Política social cubana : situación y transformaciones’, Temas, 1998 ; and ‘Retos de la política social’, Cuba : Investigación Económica 11, no. 2, 2005.
[29] Antoni Kapcia, Cuba in Revolution : A History Since the Fifties, London 2008, p. 165, describes the creation of the Consejos Populares, ‘a new level of barrio-level political representation’.
[30] Elena Álvarez, ‘Características de la Apertura Externa Cubana (I)’, Economía Cubana : Boletín Informativo, vol. 1, no. 26, 1996.
[31] pcc, iv Congreso del Partido Comunista de Cuba : Discursos y Documentos, Havana 1992.
[32] For the account, see Gail Reed, Island in the Storm : The Cuban Communist Party’s Fourth Congress, Melbourne and New York 1992.
[33] Campos and Corricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’, Table 10.
[34] Joseph Stiglitz, Globalization and Its Discontents, London 2002, pp. 133–65 ; see also Branko Milanovic´, ‘Income, Inequality and Poverty during the Transition from Planned to Market Economy’, World Bank Regional and Sectoral Studies, Washington, dc 1998.
[35] Marisa Wilson, ‘No Tenemos Viandas ! Cultural Ideas of Scarcity and Need’, International Journal of Cuban Studies 3, June 2009.
[36] Early 1990s editions of Economía Cubana : Boletín Informativo trace the shifting preoccupations and responses.
[37] George Carriazo, ‘Cuba : Apertura y adaptación a una nueva realidad’, Economía Cubana : Boletín Informativo 15, May 1994.
[38] Fidel Castro, Por el camino correcto : Recopilación de textos, Havana 1986, quoted in Díaz-Briquets and Pérez-López, Corruption in Cuba, p. 164. A proposal to reopen farmers’ markets, closed in 1986 under the rectificación programme, was rejected at the 1991 pcc Congress ; as recently as December 1993 the National Assembly had dismissed another call for their reintroduction. The issue had therefore been left off the agenda of the Parlamentos Obreros of January–May 1994.
[39] Carriazo, ‘Cuba : Apertura y adaptación a una nueva realidad’.
[40] Campos and Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’, Table 6.
[41] onei ; World Bank, World Development Indicators.
[42] Average calorie intake was back at pre-crisis level by 1999 : Franco et al, ‘Impact of Energy Intake’.
[43] The onei’s consumer prices index is not published for 1990–94, when the peso’s value was falling, so there is no official real wage index. Lower food prices will have contributed to a decline in the official consumer prices index of 11.5 per cent and 4.9 per cent respectively in 1995 and 1996.
[44] Cuba’s official average annual inflation rate was zero in 1997–2000 and just 2 per cent in 2000–12, compared with transition-country averages of 28 per cent in the late 90s and around 8 per cent in 2000–12. There is plenty of dispute about the official Cuban rate : real changes in the cost of living have varied between households, depending on what proportion of their income they spend in which type of market—official or unofficial, urban or rural, peso or hard currency—where the behaviour of prices has diverged widely. However, there is little doubt that, although purchasing power may have fallen, overall real household consumption has not declined at a rate that would match the average inflation rates of transition economies since the mid 90s.
[45] These self-granted extra-territorial powers prompted one of the few sustained protests by us allies : the eu filed a claim against Helms-Burton’s provisions with the wto, withdrawn when the us agreed not to prosecute eu countries. Canada, Mexico, Spain, France, Italy and the Netherlands have continued to trade with Cuba ; executives from Sherritt International, a Canadian mining company, have been barred from entering the us.
[46] Julio Carranza Valdés, Luis Gutiérrez Urdaneta, and Pedro Monreal González, Cuba : Restructuring the Economy : A Contribution to the Debate, London 1996. The sequence of events is documented in Mauricio Guilliano, El Caso de cea : Intelectuales e Inquisidores en Cuba. ¿Perestroika en la Isla ?, Miami 1998.
[47] Investment rates of the 1990s are provided by Campos and Coricelli, ‘Growth in Transition : What We Know’ ; more recent data is provided by the undp and World Bank World Development Indicators.
[48] fdi policy is discussed more fully in Emily Morris, ‘Cuba’s New Relationship with Foreign Capital : Economic Policy-Making since 1990’, Journal of Latin American Studies, vol. 40, no. 4, 2008.
[49] World Bank (data are for Central and Eastern Europe).
[50] Cuba’s official real gdp series is based on 1997 prices and weightings, which implies some distortion to annual growth rates, although it makes less difference to the overall trend. Jorge Pérez-López and Carmelo Mesa-Lago initially doubted the existence of a growth surge in 2005–08, attributing it to ‘discontinuities, obfuscation, and puzzles’ : see ‘Cuban gdp statistics under the special period’, Cuba in Transition 2009, asce, pp. 153–66. They were readier to accept official gdp growth figures once these started to show stagnation.
[51] ‘Revolution senses the historical moment ; it changes everything that must be changed’ : Fidel Castro, 1 May 2000.
[52] Partido Comunista de Cuba, ‘Proyecto de Lineamientos de la Política Económica y Social del Partido y la Revolución’, 2011.
[53] On the role of trade unions see Steve Ludlam, ‘Cuban Labour at 50 : What About the Workers ?’, Bulletin of Latin American Research, vol. 28, no. 4, 2009, and ‘Aspects of Cuba’s Strategy to Revive Socialist Values’, Science and Society, vol. 76, no. 1, 2012, pp. 41–65. The latest product of deliberations between government and unions has been the Labour Code (Law 116) approved by the National Assembly in December 2013 after a consultation process reported to have involved 2.8 million workers.
[54] Literal translation : ‘There will be advances towards monetary unification, taking into account labour productivity and the effectiveness of distributive and redistributive mechanisms. Because of its complexity, this process will demand rigorous preparation and execution, on the objective as much as the subjective level.’
[55] Gaceta Oficial, 6 March 2014.
[56] For further details, see ‘Cuba prepares for exchange-rate reform’, Economist Intelligence Unit, 12 March 2014.
[57] Interview, Minister for Foreign Investment and Economic Cooperation, Havana, June 1996.
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http://www.legrandsoir.info/cuba-inattendue-new-left-review.html
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