vendredi 30 janvier 2015

Directive « renflouement interne des banques »: l’UE a-t-elle livré les dépôts bancaires européens aux marchés spéculatifs pour sauver l’euro? (news360)

 
 
Par WinnieDaPooh
Le système de paiement TARGET2, destiné à être remplacé graduellement, à partir de juin 2015 par le système T2S (pour TARGET2-SECURITIES), est présenté par le site de la BCE comme « appartenant à et étant opéré par l’Eurosystème ».
Dans une publication récente, la BCE mettait en relation le lancement de la plateforme T2S avec certaines « mesures de soutien au  marché repo ». Elle précisait en outre que:
« Le marché repo joue un rôle important dans le système financier de la zone euro […]. Après le ralentissement consécutif à la crise financière, la valeur du marché repo interbancaire […] a augmenté jusqu’à atteindre € 5’499 milliards d’euros environ à la fin 2013. »
Source: BCE – Marché euro repo: améliorations dans la gestion des collatéraux et des liquidités (p.6) –  http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/erm201407en.pdf
Tout d’abord, nous allons voir que la plateforme TARGET2 – dont le rôle central dans le sauvetage de la zone euro a notamment été souligné par le président de la Banque fédérale allemande (1), se retrouve également au cœur du commerce de certains produits « repo » portant sur de la dette (privée et publique) européenne.
Nous verrons ensuite que les mêmes produits « repo » sont justement mis à l’abri de la directive européenne « renflouement interne des banques », qui prévoit notamment la ponction des dépôts bancaires comme mesure de préservation du système financier, ce qui paraît cohérent avec l’hypothèse d’un sauvetage de la zone euro via la spéculation bancaire.
De Target2 à T2S: le sauvetage de l’euro passe-t-il par le « marché repo »?
Dans une publication précédente (2), nous avions déjà mis en évidence le fait que la politique monétaire de la Banque nationale suisse (BNS) était financée en grande partie par des institutions financières privées, lesquelles recevaient en contrepartie des liquidités en francs suisses sur la plateforme « SIC », gérée par la société suisse SIX Group. Nous y avions également observé que ces liquidités pouvaient être échangées contre de la dette publique et privée dans des opérations « repo », via des instruments tels que les produits structurés « COSI », une « prestation » de SIX Group justement (3), que l’on retrouve dans l’offre de produits de la société allemande Eurex Repo.
De même, il peut être intéressant de rappeler que les achats d’actifs de la BCE (via les opérations dites « LTRO ») consistent précisément à fournir des liquidités au secteur bancaire, en échange de titres de dette  européenne « éligibles par la BCE » (4).
Or, des instruments tels que les produits « GC Pooling » et « SecLend Market » d’Eurex Repo permettent d’échanger divers actifs – dont de la dette privée et publique européenne – contre des liquidités tant en francs suisses (via un compte auprès de la Banque nationale suisse) qu’en euros (via un compte auprès de la Banque fédérale allemande).
Précisons enfin que, pour ces produits, les transferts de liquidités en euros s’effectuent via le système TARGET2 – ou la plateforme euroSIC de SIX Group, reliée tant à TARGET2 qu’à la Banque fédérale allemande (5).
Source: Eurex Clearing – Cash collateral: http://www.eurexclearing.com/clearing-en/collateral-management/cash-collateral
Peut-on dès lors exclure que les banques qui participent aux « plans de sauvetage » de la BCE utilisent les liquidités mises à leur disposition dans des opérations spéculatives? Voire même que la finalité de la plateforme T2S (voir intro) consiste précisément à faciliter la spéculation sur la dette d’institutions (publiques et privées) européennes en difficulté, afin d’en réduire les coûts de financement?
L’utilisation en circuit fermé des liquidités du LTRO dans des opérations « repo » portant sur de la dette européenne pourrait en effet présenter l’avantage d’empêcher des montants colossaux de monnaie créée par la « planche à billets » d’atteindre l’économie réelle, permettant ainsi à la BCE de limiter l’impact de ses « injections de liquidités » en termes de hausse des prix à la consommation…
Cette possibilité semble d’ailleurs très bien s’accorder avec ce qu’expliquait le président de la Bundesbank à la Frankfurter Allgemeine quant à la méthode employée par la BCE pour renflouer les pays en difficulté de la zone euro (voir note 1):
« L´Eurosystème a pour mission de mettre l´argent de la banque centrale à disposition des banques solvables, en échange de garanties et sans menacer la stabilité des prix. »
Elle serait enfin compatible avec le fait que, tout comme le système de trafic des paiements de la BNS, la plateforme TARGET2 sert à la fois pour des « opérations de politique monétaire » et pour des paiements interbancaires (6)…
Quand la spéculation bancaire et la politique monétaire cohabitent sur la même plateforme…
Tout d’abord, voici un communiqué de presse d’Eurex Repo qui semble indiquer que le marché des produits « repos » sur la dette européenne se porte plutôt bien:
« Eurex Repo, plateforme leader pour le financement collatéralisé (secured financing and funding) international, a continué à croître en 2014. La moyenne des volumes en circulation a atteint un nouveau niveau record de 200 milliards d’euros environ sur une base annuelle pour les marchés GC Pooling et Euro Repo. Sur ce montant, le marché GC Pooling représentait un volume moyen de 158.5 millards d’euros en circulation, une augmentation de 3% par rapport à 2013. »
Source : http://www.eurexrepo.com/repo-en/info-center/press-releases/Eurex-Repo-sees-continued-growth-in-2014/1353436
Parmi ces produits, relevons la présence du « GC Pooling Market – ECB Extended Basket », qui porte sur « plus de 21’000 actifs éligibles par la BCE » dont la note de crédit peut descendre jusqu’à BBB-, et qui peuvent être échangés contre des liquidités en francs suisses, euros et dollars.
Sources :
[A noter que le groupe MTS, filiale du London Stock Exchange, offre des produits très similaires, les « €GC Plus », « initialement développés par la Banque de France en collaboration avec LCHClearnet et Euroclear ».
Sources :
Le communiqué de presse ci-dessus ne mentionne pas, en revanche, le montant des « volumes en circulation » pour les produits « SecLend Market » (avec leurs variantes « CCP » et « COSI »), qui permettent eux aussi d’échanger de la dette privée et publique européenne contre des liquidités en euros ou francs suisses, notamment.
Or, si de tels produits sont très certainement attractifs pour les banques tant que les « opérations de refinancement » de la BCE permettent au système économique européen de garder la tête hors de l’eau, ne faudrait-il pas s’attendre à des effets en cascade si certains maillons faibles commençaient à craquer?
On peut en effet légitimement se demander si de tels produits, à l’instar des « subprimes » américains, ne seraient pas à même de provoquer une nouvelle crise systémique – ou à tout le moins d’en amplifier les effets…
…se dirige-t-on vers un sacrifice inéluctable des dépôts bancaires européens?
La question est d’autant plus d’actualité pour le citoyen européen que la directive européenne « renflouement interne des banques », entrée en vigueur au 1er janvier 2015 (7), inclut la saisie des « dépôts non garantis » comme mesure pour lutter contre les cas de « défaillances bancaires »…
Or, la mise en place de ce système de « bail-in » ne reflète-t-elle pas une alliance historique entre banques centrales et marchés spéculatifs, les dépôts non protégés servant de « coussin de sécurité » aux établissements financiers qui contribuent à contenir l’explosion de la dette (privée et publique) d’un système économique à bout de souffle?
De fait, un document explicatif de ladite directive – uniquement disponible en anglais! – précise que ces mesures « ne s’appliqueront pas aux prétentions des « clearing houses » et des « systèmes de paiement et règlement des opérations sur titre (payment and settlement systems) », notamment. (8) Les instruments financiers qui font appel à des « clearing houses » – tels que les « SecLend CCP » (CCP signifiant « central counterparty clearing house »!) ou les « GC Pooling » d’Eurex – qui recourent aux « services CCP » d’Eurex Clearing – ne seront donc pas concernés!
Source:
Il se pourrait donc que cette nouvelle « mesure de soutien au marché repo », potentiellement beaucoup plus significative que celles que nous avons vues en introduction, contribue fortement, en rassérénant les investisseurs, à augmenter l’attractivité de la dette européenne – et à en soutenir ainsi la demande, même face à une dégradation de la situation économique réelle de l’UE.
En juillet 2012, Mario Draghi avait annoncé qu’il était « prêt à tout » pour sauver l’euro. S’il n’est pas  sûr qu’il y parvienne, il est en revanche possible que l’adoption par le Parlement européen de la directive « renflouement interne des banques » contribue de manière efficace à retarder l’échéance finale… et à augmenter le coût d’une éventuelle disparition de l’euro pour les déposants qui ne bénéficieraient pas « d’exemptions » spécifiques.
Pour le confort des lecteurs, certaines citations de ce document ont été traduites. L’auteur décline toute responsabilité quant à leur exactitude.
A lire également :
Notes et références :
  1. « Target 2 est le moyen de transfert des liquidités circulant au sein de la Zone euro. Par ce système de paiement, l´argent de la Banque Centrale Européenne est distribué aux banques émettrices nationales de la zone Euro. […]
Avant la crise, les soldes de compte étaient très largement équilibrés. Les liquidités mises à disposition par les banques d’émission nationales pour le refinancement des banques d’investissement étaient essentiellement ponctionnées sur les réserves obligatoires ainsi que sur la monnaie en circulation. […]
Depuis l’éruption de la crise financière, et principalement de la crise des dettes souveraines […] la proportion du volume de refinancement des pays en périphérie est passée d’un sixième à deux tiers. Au cours des constants flux nets de liquidités dirigés vers les pays périphériques, la valeur des soldes de Target 2 ont atteint plus de 750 milliards d´euros. »
Source :
  1. La BNS permet-elle la mise en gage des dépôts bancaires suisses sur les marchés spéculatifs?, le Blog à Lupus http://leblogalupus.com/2014/12/10/la-bns-permet-elle-la-mise-en-gage-des-depots-bancaires-suisses-sur-les-marches-speculatifs/
  1. SIX Group indique que les produits « COSI » sont « une prestation de SIX Swiss Exchange SA en collaboration avec SIX Securities Services et Eurex Zurich SA ».
Source: COSI – certificats garantis par nantissement: http://www.six-swiss-exchange.com/issuers/services/cosi_fr.html
  1. La BCE indique très clairement que « l’Eurosystème ne fournit de crédits que sur la base d’un collatéral », c’est-à-dire d’une garantie qui protège la BCE contre une éventuelle faillite de la banque à laquelle elle fournit des liquidités.
Elle précise que ces garanties peuvent « par exemple » (!) être constituées des actifs suivants: certificats de dette émis par la BCE, dette de gouvernements européens, dette de banques centrales européennes, dette d’administrations locales et régionales, dette supranationale (!), dette d’instituts de crédits, dette émise par des sociétés « ou autre type d’émetteur » (!), ainsi que des « covered bonds » et « asset-backed securities » (catégories auxquelles appartiennent notamment les fameux CDOs et CDSs, rendus célèbres par la crise des subprimes)…
La BCE précise toutefois que ces actifs doivent répondre à « de hautes exigences en termes de qualité de crédit » (high credit standards) pour être « éligibles »…
…ce qui n’empêche pas de la dette bancaire italienne, espagnole et portugaise, ainsi que la dette étatique grecque et chypriote de faire partie des « actifs éligibles par la BCE »!
ECB eligible marketable assets – full list:https://www.ecb.europa.eu/paym/coll/assets/html/list.en.html
Nous relèverons également que la BCE peut accepter des actifs non échangés sur les marchés (non-marketable assets), auquel cas « les banques centrales nationales sont responsables d’effectuer une évaluation de l’éligibilité de [ces] actifs ».
  1. La Swiss Euro Clearing Bank (SECB), une Sàrl. basée à Francfort et « soumise à la surveillance bancaire allemande », relie le système euroSIC de SIX Group à la plateforme TARGET2 et à la Banque fédérale allemande.
Sources:
A lire également:
  1. La coexistence entre politique monétaire et paiements interbancaires est une caractéristique que partagent les systèmes de trafic des paiements de la BCE et de la BNS.
TARGET2 settles payments related to monetary policy operations, interbank and customer payments, and payments relating to the operations of all large-value net settlement systems and other financial market infrastructures handling the euro (such as securities settlement systems or central counterparties).
The technical platform is operated on behalf of the National Bank by SIX Interbank Clearing Ltd (SIC Ltd), a company belonging to SIX Group. The National Bank is represented on the SIC Ltd Board of Directors. The National Bank also conducts the transactions that it concludes for implementing its monetary policy through the SIC system.
  1. Plus précisément: la directive « entrera en vigueur le 1er janvier 2015 » et « introduira d’ici janvier 2016 le principe de renflouement interne (bail-in) ».
Le texte de la loi précise toutefois que:
« Afin de permettre à la procédure de résolution de donner des résultats efficaces, il devrait être possible d’appliquer l’instrument de renflouement interne avant le 1er janvier 2016. »
De fait, en juillet 2014, l’agence Reuters avait annoncé avoir consulté un « projet de loi » indiquant que l’Allemagne appliquerait la directive un an avant sa mise en application, prévue pour le 1er janvier 2016. Le lendemain, le Wall Street Journal indiquait que le gouvernement allemand avait, la veille, « approuvé des mesures consistant à forcer les créanciers à soutenir les banques en difficulté dès début 2015, soit un an plus tôt qu’exigé ».
Source :
  1. L’extrait de texte en version originale:
« Bail-in will potentially apply to any liabilities of the institution not backed by assets or collateral. It will not apply to deposits protected by a deposit guarantee scheme, shortterm inter-bank lending or claims of clearing houses and payment and settlement systems (that have a remaining maturity of seven days), client assets, or liabilities such as salaries, pensions, or taxes. »
Source: ECB – EU Bank Recovery and Resolution Directive – FAQ –http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-297_fr.htm