26 janvier, 2015 | Posté par Ender |
Mario Draghi a annoncé la semaine dernière un plan de rachat de dettes souveraines par les banques centrales nationales sous la supervision de la BCE. Le total de créances susceptibles d’être rachetées par le biais de ce programme se monte à plus de 1100 milliards d’euros, soit 60 milliards d’euros par mois jusqu’à fin 2016.
Les marchés financiers ont unanimement salué la nouvelle et ont clôturé la semaine dans l’euphorie. Entre le lundi 19 janvier et le vendredi 23, le CAC 40 passait ainsi de 4394 à 4640 points, soit une hausse de 5.6% sur la semaine. Toutefois, les marchés étaient entrés en lévitation bien avant l’annonce officielle du jeudi 22 janvier, dés la confirmation de la préparation d’un Assouplissement Quantitatif par la BCE. Le top départ fut donné par Mario Draghi lui même dans une interview au quotidien économique allemand Handelsblatt le vendredi 02 janvier. Le président de la BCE signalait en effet que cette dernière allait « techniquement modifier début 2015 l’ampleur, le rythme et le caractère des moyens à mettre en place s’il devenait nécessaire de réagir à une trop longue période d’inflation trop faible », ce qui fut immédiatement interprété par les analystes comme la preuve qu’un QE était bien en préparation, malgré la réticence de l’Allemagne, et qu’il pourrait être annoncé à la réunion des gouverneurs de la Banque Centrale du 22 janvier. Howard Archer, analyste chez IHS cité par le journal Challenges, affirmait ainsi :
« Les commentaires de Mario Draghi (…) indiquent que la BCE se prépare à agir à sa réunion de janvier, car il a souligné que le risque de voir la banque centrale ne pas parvenir à remplir son mandat était plus grand qu’il y a six mois »
L’effet sur le CAC 40 a été presque immédiat. Les actions entamaient dés le 06 janvier une hausse quasiment ininterrompue, passant de 4083 points à 4640 le 23 janvier, soit une progression de 13.6%…
Le journal Les Echos commentait ainsi l’annonce du QE du 22 janvier en révélant son véritable objectif :
« En annonçant son plan de de rachat d’actifs, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, est allé au-delà des attentes des investisseurs. »
Dans les faits, l’impact d’un tel plan de rachats d’actifs sur l’économie réelle reste cependant quasiment nul, voir contreproductif, comme l’ont démontré les expériences américaines ou japonaises. Selon Philippe Herlin :
« Le QE américain (idem ailleurs) n’a pas produit de vraie croissance économique aux USA mais une faible reprise financée à crédit, puisqu’il n’a fait que gagner du temps en évitant temporairement la faillite du système bancaire au prix de la détérioration massive du bilan devenu hypertrophié de la Federal Reserve et de l’endettement public et privé qu’il a fortement augmenté. De telle sorte que la Fed a finalement décidé d’y mettre un terme en espérant que l’effet dit « de richesse » provenant de la hausse des actions suffise à éviter la rechute de l’économie US. »
L’effet le plus concret de ce programme de rachat de dettes est visible dans la baisse de l’euro face au dollar, qui traduit elle aussi l’anticipation par les investisseurs de l’annonce du lancement de ce programme. La tendance baissière observée dés le printemps 2014 a fait suite à la réduction progressive du programme d’assouplissement quantitatif américain, qui a vu un rapatriement massif des capitaux sur le marché US, et s’est fortement amplifiée début janvier. L’euro, qui était passé de 1.38$ le 01 mai à 1.25$ le 16 décembre, soit une baisse de 9.85% en sept mois et demi, s’écroule par la suite à 1.12$ le 23 janvier, soit une chute de 10.4% en un peu plus d’un mois…
Le programme de 1100 milliards d’euros annoncé par Mario Draghi ne permettra toutefois pas d’alléger de manière significative le poids de la dette des économies les plus en difficultés de la zone euro. La Bundesbank s’est en effet opposée à toute mutualisation des dettes et a instauré un mécanisme de rachat des actifs souverains par les banques centrales nationales au prorata de leur participation au capital de la Banque Centrale Européenne. La Grèce possédant 3% du capital de la BCE pourrait par exemple prétendre à un plan de rachat d’actifs de 33 milliards d’euros sur les 321 milliards de dette totale. Sauf que les rachats d’actifs resteront la propriété des banques centrales nationales à 80%, les risques ne seront donc pas mutualisés par la Banque Centrale Européenne, ce qui était la principale condition posée par l’Allemagne pour avaliser ce programme (programme du reste parfaitement illégal au vu des statuts de la BCE…). De fait, si l’on reprend l’exemple de la Grèce, les créances rachetées dans le cadre du programme de rachat d’actifs de la BCE seront donc détenues à 80% par la Banque Centrale grecque, ce qui n’éloigne donc pas le risque de défaut de paiement, et ouvre au contraire un peu plus grande la porte, au choix, soit à une sortie du pays de la zone euro, ce qui semble le cas le plus probable au vu des résultats des législatives et du programme économique de Syriza, ou à sa capitulation en bonne et due forme face aux exigences de la troïka, en cas de refus de la BCE de refinancer son homologue hellénique. Lors de la crise chypriote de 2013, la BCE n’avait en effet pas hésiter à couper le financement des banques chypriotes en liquidités. Ce blocus monétaire avait contraint les autorités locales à approuver le plan de « sauvetage » mis au point par la BCE et le FMI, notamment en opérant une « réquisition » sur les dépôts bancaires supérieurs à 100000 euros…
Comme pour ses homologues japonais et américains, le programme de rachat d’actifs de la BCE vise donc essentiellement à gagner du temps en monétisant de la nouvelle dette et à « rassurer » les marchés financiers concernant leurs besoins en liquidités. L’objectif consiste essentiellement à maintenir les taux souverains artificiellement bas en donnant des garanties aux investisseurs et à permettre aux pays systémiques les plus en difficultés, comme l’Italie et maintenant la France, de continuer à se financer sur les marchés sans risquer l’implosion budgétaire. Le mécanisme choisit pourrait cependant avoir l’effet inverse et provoquer une fuite des investisseurs ainsi qu’une envolée des taux souverains des pays dont les banques centrales bénéficient du programme de rachat d’actifs. Ce scénario précipiterait ainsi l’effondrement terminal de la zone euro…
Guillaume Borel