lundi 5 janvier 2015

Rafael Correa torée un journaliste espagnol (Le grand soir)

Journaliste : J’aimerais vous montrer comment réagissent deux dirigeants des deux grands partis espagnols, le PP et le PSOE, lorsque la question leur est posée...
Président Rafael Correa : Je vais avoir des problèmes avec mes bons amis du PSOE et du PP...
Journaliste : Oui.
Président Rafael Correa : Je ne veux pas m’impliquer dans les affaires internes...
Journaliste : Mais cela... je vous le montre... et vous donnerez votre opinion.
[Le journaliste passe à l’image une tablette sur laquelle on voit un monsieur dans une émission de télévision. On entend : ]
« Certains disent : ’’ne payons pas la dette publique’’. D’accord, ça c’est bien pour faire un titre... Nous pouvons, nous pouvons analyser le titre. Mais que se passerait-il le lendemain ? Le lendemain ce qui se passerait c’est que... l’éducation publique s’effondrerait, la santé publique s’effondrerait. C’est ce que propose le populisme, précisément, précisément, aux citoyens. Moi ce que je dis c’est ’’soyons raisonnables’’ ».
[Puis, toujours sur la tablette que le journaliste a à la main, une dame parle lors d’une émission de télévision. On entend : ]
« Ce qui est difficile c’est de gouverner tout en payant ce que tu dépenses. Ne pas vivre avec l’argent des autres. ’’Nous demandons une restructuration de la dette.’’ Le problème quand on demande, c’est que si tu ne paies pas, on ne te donne plus. Et cela c’est ce que certains n’ont pas compris ».
Président Rafael Correa : « Si tu ne paies pas, on ne te donne plus. » C’est la même chose qu’on nous disait à nous. On nous traitait de populistes et tout ça. Mais si je paie beaucoup plus que ce que je reçois ! Qu’est-ce que j’ai à perdre ? Ils ne tromperont personne. C’est un manque de sérieux. Mais ce qui me dérange c’est la façon d’évaluer les choses différemment. Par exemple dire : « Écoutez, je suis en crise, restructure-moi la dette, attends un peu pour que je paie, ou je ne paie pas », c’est gravissime. Mais dire aux gens : « Tu laisses ta maison, pour qu’elle soit prise par la banque », qui t’avait fait un prêt pour cette maison, surévaluée, n’est-ce pas ? Et maintenant ils te la prennent quand tu as des difficultés, ça ce n’est pas un problème. Que les gens se suicident parce qu’on leur retire leur maison, ça ce n’est pas un problème. Mais que nous soyons en « mauvais termes » avec les banquiers internationaux, le Fonds monétaire, avec le capital financier, ça oui c’est très mauvais... ça c’est purement de l’idéologie, ce n’est pas de la théorie, ce n’est rien. Je dirais même que ce sont des clichés et de l’idéologie. Si je dis ça ils vont me traiter de populiste. Qu’ils me disent ce qu’ils veulent, mais ici en Équateur, nous défendons les intérêts des gens, et non ceux du capital financier.
Journaliste : Le terme “populisme” est utilisé...
Président Rafael Correa : Oui
Journaliste : lorsque sont appliquées des recettes comme celles que...
Président Rafael Correa : C’est le terme des élites quand elles ne comprennent pas ce qui se passe. Tout ce qu’elles ne comprennent pas, c’est populiste. Qu’on me définisse ce que c’est que le populisme... parce que plus technique que ce gouvernement, il n’y en a jamais eu dans ce pays...
Journaliste : Vous avez menacé la banque espagnole. Si des citoyens équatoriens étaient soumis à des clauses abusives, dans les hypothèques, vous alliez agir, et les défendre. Avez-vous dû le faire ?
Président Rafael Correa : Nous avons défendu des centaines de citoyens. Nous avons des avocats dans nos consulats, dans notre ambassade. Nous avons obtenu ce qui est évident : que la garantie élimine la dette, c’est-à-dire qu’elle représente le paiement, sinon la notion de garantie perd son sens. Et nous sommes aussi parvenus à certains accords, par exemple que les gens puissent continuer de vivre dans la maison, en payant un loyer, lequel pourrait être, une fois la crise achevée, considéré comme partie de l’achat de la maison... Et nous avons aussi obtenu que soient considérés nuls des contrats qui comportent des clauses abusives. Nous avions le même système en Équateur. Mais bien sûr, dès que nous nous en sommes-nous rendu compte, nous avons réformé cette loi. Et c’est à ça que sert le pouvoir politique bien utilisé, pour agir conformément aux intérêts des citoyens.
Journaliste : Quand un citoyen équatorien venant d’Espagne revient en Équateur, avec des dettes contractées dans une banque, il ne doit pas craindre que ses biens soient saisis.
Président Rafael Correa : Nous parlons de deux choses différentes. Si un citoyen équatorien achète une maison et ne peux pas la payer, il rend la maison, et la dette est annulée... C’est-à-dire que la garantie représente un paiement. C’est logique.
Journaliste : Les Espagnols ne peuvent pas le faire. Ce dispositif n’existe pas.
Président Rafael Correa : Cela existe dans le droit anglo-saxon, aux États-Unis, etc... et c’est ce qui est logique, ce qui est correct économiquement, parce que sinon la garantie n’a aucun sens. Mais bon quoi qu’il en soit, il existait un doute. Il existait une banque équatorienne qui voulait racheter la dette des Équatoriens, pour que la dette soit remboursée en Équateur. Nous avons pris la mesure pour que cela ne soit pas possible.
Journaliste : Si vous ne payez pas une partie de cette dette... Je suppose que de nouvelles dettes sont contractées et il est nécessaire que d’autres règlent cette dette.
Président Rafael Correa : Les marchés financiers sont comiques parfois. C’est comme une fille un peu vaniteuse, si un garçon montre beaucoup d’intérêt, elle rend les choses encore plus difficiles. Mais si un garçon ne montre aucun intérêt alors c’est la fille qui appelle le garçon. Ainsi fonctionne le système financier. Ils traitent quelqu’un de façon très rude, et maintenant ils nous sollicitent pour nous donner des crédits... et notre pays a la plus haute qualification de crédit de son histoire, la meilleure qualification...
Journaliste : C’est le AAA.
Président Rafael Correa : Oui, c’est ça. Triple A, triple B, triple C... Je ne crois pas à ces choses-là. Mais bon ça fait baisser un peu le prix des financements. Mais bon nous avons la meilleure qualification de l’histoire récente.
Journaliste : lorsque vous êtes arrivé, également, vous vous êtes montré très dur envers des grandes entreprises pétrolières qui opéraient en Équateur.
Président Rafael Correa : Elles pillaient le pays.
Journaliste : Elles pillaient...?
Président Rafael Correa : Il n’y avait personne pour défendre le pays. Tout était connecté. C’était les mêmes élites. Des transnationales s’arrangeaient pour que leurs avocats soient ministres d’État, et toutes ces choses... Alors par exemple on avait calculé que sur 100 barils il en restait 20 pour le pays, le propriétaire de la richesse. 80 servaient pour l’investissement bien sûr, mais aussi pour les bénéfices de ces entreprises... Aujourd’hui les choses sont inversées. Imaginez combien ils nous prenaient. Aujourd’hui sur 100 barils 80 sont pour le propriétaire de la richesse, le peuple équatorien.
Journaliste : Vous négociez les normes.
Président Rafael Correa : Nous négocions les contrats pétroliers. Ça a tardé trois ans. Quatre entreprises sont parties. Elles nous ont fait des procès internationaux. La production privée avait fortement baissé. Mais ils ne nous ont pas vaincus. Puis nous avons obtenu la fin de ces contrats. Et ensuite les prix sont remontés, cela a donné des milliards de dollars au pays.
Journaliste : Vous avez dû exproprier certaines entreprises pétrolières bien que... par exemple dans ce cas ?
Président Rafael Correa : Celles qui sont parties nous ont laissé les champs d’exploitation. Et aujourd’hui l’exploitation pétrolière est maintenue.
Journaliste : Mais ce n’est pas allé jusqu’à l’expropriation.
Président Rafael Correa : Ceux qui sont partis sont partis. Les contrats disaient que si la concession s’achevait le champ devenait propriété publique exploitée par l’entreprise publique Petroamazonas.
Journaliste : Actuellement ceux qui achètent la dette équatorienne ce sont les Chinois, le gouvernement chinois.
Président Rafael Correa : Mais les Chinois nous financent principalement des projets de développement. La Chine nous prête, la Russie nous prête, le Brésil nous prête, etc. C’est-à-dire les pays en développement.
Journaliste : Mais la Chine ne vous impose pas des conditions ?
Président Rafael Correa : Non. Ce serait inacceptable. Nous n’accepterions pas que qui que ce soit pose des conditions pour notre politique économique.
Journaliste : À nous sont parvenues des informations comme celle-ci [Il montre un papier imprimé sur Internet le 30 novembre 2013, provenant de CNN, et qui a pour titre « China ’’se adueña’’ del crudo de Ecuador »] : « La Chine ’’prend possession’’ du pétrole de l’Équateur ».
Président Rafael Correa : Il faut bien qu’ils disent quelque chose. Ils ne savent plus quoi dire.
Journaliste : C’est une information de la presse.
Président Rafael Correa : Lorsque le pays était hypothéqué par la Banque mondiale... là ça va bien. Lorsque les États-Unis occasionnellement donnaient une aumône, là ça allait très bien. Alors maintenant que la Chine est le financier du monde. Elle finance les États-Unis... C’est bon qu’ils nous financent. C’est ça qu’il est question de diaboliser...
Journaliste : L’Espagne il y a peu a dû changer une loi. Et tout semble indiquer que ce soit à cause de la pression du gouvernement chinois, la loi de justice universelle...
Président Rafael Correa : Je peux te garantir que nous n’avons pas changé la moitié d’une loi, ni pour les Chinois ni pour les Russes ni pour les Martiens. Cela nous ne l’accepterons jamais. Lorsque j’étais ministre de l’économie en 2005. La Chine regorge de financements. L’ Équateur regorge de pétrole. De quoi la Chine a-t-elle besoin ? De pétrole. De quoi avons-nous besoin ? De financement. Il s’agit de faire coïncider la faim et la nécessité. Alors nous avons monté des mécanismes. Par exemple : Donnez-nous des financements contre des contrats pour du pétrole à long terme. Cela nous garantit les financements sur le long terme et nous garantissons le pétrole à la Chine. C’est gagnant-gagnant. Où est donc le problème ? Si les Chinois nous font un prêt... on parle de nous, y compris dans... c’était où ? [le Président Rafael Correa regarde la page que le journaliste a dans la main] CNN. À tous les coups, il ne savent même pas où se trouve l’Équateur.
Journaliste : Je crois que si.
Président Rafael Correa : Parfois ils ne savent même pas.
Journaliste : En tout cas, lorsque vous négociez avec le gouvernement chinois, êtes-vous à l’aise pour le faire ?
Président Rafael Correa : Quoi ?
Journaliste : Eh bien, vous, vous parlez souvent des droits humains.
Président Rafael Correa : Bien sûr.
Journaliste : Et je ne sais pas si la Chine est le meilleur exemple de pays qui respecte les droits humains.
Président Rafael Correa : Dans ces conditions, nous ne parlons à personne. Parce que le pays qui viole le plus les droits humains sur notre continent c’est les États-Unis. Ou l’embargo contre Cuba ce n’est pas la plus grande violation des droits humains ?
Journaliste : Oui. Mais nous parlons de la Chine.
Président Rafael Correa : Je te donne un exemple. Quand il y avait les États-Unis il n’y avait pas de problème.
Journaliste : Ça me paraît fantastique.
Président Rafael Correa : Jamais nous ne serons favorables aux violations des droits humains, si ce que vous dites quant à la situation chinoise...
Journaliste : Lorsque quelqu’un est en affaire avec un pays qui est en tête de classement pour l’application de la peine de mort, je ne sais pas si à ce moment-là...
Président Rafael Correa : Aux États-Unis il n’y a pas la peine de mort ?
Journaliste : Si, si. Bien sûr.
Président Rafael Correa : Et l’Union européenne ne commerce pas avec les États-Unis ?
Journaliste : Président.
Président Rafael Correa : C’est trop de double morale.
Journaliste : Non, non. Double morale non.
Président Rafael Correa : Je peux vous dire qu’en Équateur il n’y a pas de peine de mort. Nous sommes très éthiques, mais nous devons aussi être pragmatiques. Nous parlons de financement. Lorsqu’on parlera de droits humains, nous prendrons les mesures nécessaires.
Journaliste : Lorsqu’on négocie, selon qui... je ne sais pas si vous... vous devez penser...
Président Rafael Correa : Nous devons négocier avec l’Espagne. Avec tout le respect, n’est-ce pas une violation des droits humains que les gens se suicident parce qu’on leur retire leur maison. Alors je ne vais pas non plus négocier avec l’Espagne ? Je ne vais pas négocier avec la Belgique ? qui a des prisons pour les migrants, où ils mettent les mineurs et toute la famille. À ce jeu-là nous resterions seuls au monde.
Traduction : Numancia Martinez Poggi