Extrait du
livre "Killing Hope" ("les Guerres Scélérates"), publié initialement dans les
années 80 et régulièrement révisé depuis.
William BLUM
La présence d’un gouvernement révolutionnaire socialiste, à seulement 90
miles et ayant des liens de plus en plus étroits avec l’Union Soviétique,
disait avec insistance le Gouvernement des Etats-Unis, est une situation
qu’aucune superpuissance qui se respecte ne peut tolérer, et entreprit
l’invasion de Cuba en 1961.
Mais à moins de 50 miles de l’Union Soviétique se trouvait le
Pakistan, un allié proche des Etats-Unis, membre depuis 1955 de l’Organisation
de Traité de l’Asie du Sud-Est, l’alliance anticommuniste créée par les
Etats-Unis. Sur la frontière même de l’Union-Soviétique se trouvait l’Iran, un
allié encore plus proche des Etats-Unis, et son réseau implacable de postes
d’écoutes électroniques, de surveillance aérienne et d’infiltration du
territoire Soviétique par des agents étasuniens. Et à coté de l’Iran, toujours
sur la frontière de l’Union-Soviétique, se trouvait la Turquie, membre de
l’ennemi mortel des Russes, l’OTAN, depuis 1951.
Bons et mauvais missiles
En 1962 durant la « Crise des Missiles Cubains », Washington, apparemment
dans un état proche de la panique, informa le monde que les Russes étaient en
train d’installer des missiles « offensifs » à Cuba. Les Etats-Unis mirent
rapidement sur pied une « quarantaine » de l’île - une démonstration puissante
de forces navales et de marines dans les Caraïbes arrêteraient et
fouilleraient tout vaisseau faisant route vers Cuba ; ceux qui contiendraient
une cargaison militaire seraient forcés de faire demi-tour.
Les Etats-Unis, cependant, avaient des bases de missiles et de bombardiers en
Turquie et d’autres missiles en Europe de l’Ouest pointés vers l’Union
Soviétique. Le dirigeant Russe Nikita Khrouchtev écrivit plus tard :
« Les Américains avaient entouré notre pays avec des bases militaires et nous
menaçaient d’armes nucléaires, et maintenant ils allaient apprendre ce que l’on
ressent quand on a des missiles ennemis pointés sur vous ; nous ne faisions rien
de plus que leur rendre la monnaie de la pièce. ... Après tout, les Etats-Unis
n’avaient aucune querelle d’ordre légal ou moral avec nous. Nous n’avions rien
donné de plus aux Cubains que ce que les Américains avaient donné à leurs
alliés. Nous avions les mêmes droits et les mêmes opportunités que les
Américains. Notre comportement dans l’arène internationale était gouverné par
les mêmes règles et limites que les Américains. » (1)
Au cas où quelqu’un n’aurait pas bien compris les règles appliquées par
Washington, ce qui était apparemment le cas de Khrouchtchev, le magazine Time
fut prompt à les expliquer. « De la part des Communistes, » déclara le
magazine, « cette mise sur le même plan d’égalité (faisant référence à l’offre
de Khrouchtchev d’un retrait mutuel des missiles et bombardiers de Cuba et de la
Turquie) était à l’évidence une manoeuvre tactique. De la part des neutralistes
et des pacifistes (qui avaient bien accueilli l’offre de Khrouchtchev) cela
révélait une confusion intellectuelle et morale. » La confusion, semble-t-il,
résidait dans l’incapacité à distinguer les bons des méchants, car « L’objectif
des bases étasuniennes (en Turquie) n’était pas d’exercer un chantage à l’égard
de la Russie mais de renforcer le système de défense de l’OTAN, qui a été crée
comme garde-fou contre l’agression Russe. Comme membre de l’OTAN, la Turquie a
accueilli les bases comme une contribution à sa propre défense. » Cuba, qui
avait été envahie juste un an auparavant, n’avait apparemment pas droit aux
mêmes préoccupations. Le magazine Time continua son sermon : « Au delà
des différences entre ces deux cas, il y a une différence morale énorme entre
les objectifs Américains et Russes... Mettre les bases étasuniennes et russes
sur le même plan d’égalité reviendrait à leur reconnaître respectivement le même
but... Les bases étasuniennes, comme celles installées en Turquie, ont contribué
à maintenir la paix depuis la Deuxième Guerre mondiale, tandis que les bases
russes à Cuba représentaient une menace pour la paix. Les bases russes étaient
destinées à étendre la conquête et la domination, alors que les bases
étasuniennes ont été érigées pour sauvegarder la liberté. La différence devrait
être évidente pour tout le monde. » (2)
Comme il était évident que les Etats-Unis avaient le droit de maintenir une
base militaire sur le sol Cubain - la Base Navale de Guantanamo, vestige du
colonialisme coincé en travers de la gorge du peuple cubain, que les Etats-Unis,
à ce jour, refusent d’évacuer en dépit des protestations véhémentes du
gouvernement de Castro.
Bonnes et mauvaises révolutions
Dans le vocabulaire étasunien, en plus de la distinction entre bonnes et
mauvaises bases, bons et mauvais missiles, il y a bonnes et mauvaises
révolutions. Les révolutions étasunienne et française sont bonnes. La Révolution
Cubaine est mauvaise. Elle était forcément mauvaise parce que tellement de gens
avaient fui Cuba à cause d’elle.
Mais au moins 100 000 personnes ont fui les colonies Britanniques en Amérique
pendant et après la Révolution Américaine. Ces Tories ne pouvaient
accepter les changements politiques et sociaux, réels ou redoutés,
particulièrement le changement qui se produit dans toute révolution digne de ce
nom : lorsque ceux qu’on considère comme des êtres inférieurs ne restent pas à
leur place. (Ou, comme le Secrétaire d’état des Etats-Unis l’exprima après la
Révolution Russe : Les bolcheviks cherchaient à « mettre la Terre sous la
domination de la masse ignorante et incapable de l’humanité. ») (3)
Les Tories s’enfuirent vers la Nouvelle Ecosse et la Grande-Bretagne
en colportant des histoires de révolutionnaires étasuniens impies, dévoyés et
barbares. Ceux qui restaient et refusaient de prêter serment et faire allégeance
aux nouveaux gouvernements des Etats-Unis se voyaient refuser la quasi-totalité
des libertés civiques. Beaucoup furent emprisonnés, assassinés, forcés à l’exil.
Après la Guerre de Sécession, des milliers d’autres fuirent vers l’Amérique du
Sud et ailleurs, une fois de plus dérangés par les troubles sociaux. De quel
type d’exode peut-on s’attendre après la Révolution Cubaine ? - une véritable
révolution sociale, donnant lieu à des changements beaucoup plus profonds
qu’aucune expérience Américaine. Combien d’autres auraient fui des Etats-Unis
s’il y avait eu, à seulement 90 miles, la nation la plus riche du monde prête à
les accueillir en leur promettant toutes sortes d’avantages et de
récompenses ?
Après la Révolution Cubaine de janvier 1959, on a appris qu’il y avait aussi
de bons et de mauvais détournements. A plusieurs reprises, des avions et des
bateaux Cubains furent détournés vers les Etats-Unis mais ne furent jamais
rendus à Cuba, pas plus que les pirates ne furent punis. Au lieu, certains
avions et bateaux furent saisis par les autorités américaines en guise de
compensation du non-paiement des dettes réclamées par les entreprises
américaines auprès du gouvernement Cubain. (4) Mais après, il y eût les mauvais
détournements - des avions obligés de voler des Etats-Unis vers Cuba. Quand ces
vols-là devinrent plus nombreux que ceux dans la direction opposée, Washington
fût contraint de reconsidérer sa politique.
Bons et mauvais terroristes
Il semble qu’il y ait aussi de bons et de mauvais terroristes.
Quand les Israéliens bombardèrent le Q.G. de l’O.L.P. en Tunisie en 1985,
Ronald Reagan exprima son approbation. Le présidant affirma que les nations
avait le droit de répliquer aux attaques terroristes « à partir du moment où on
s’en prenait aux personnes responsables. » (5) Mais si Cuba avait largué des
bombes sur un seul Q.G. des exilés anti-Castristes à Miami ou au New Jersey,
Ronald Reagan aurait certainement déclenché une guerre, alors que pendant 25 ans
le gouvernement de Castro a été victime d’une succession extraordinaire
d’attaques terroristes menées sur le sol Cubain, aux Etats-Unis et aussi dans
d’autres pays par les exilés et leurs mentors de la CIA. (Sans parler des
conséquences d’un bombardement éventuel par Cuba du siège de la CIA)
Les attentats à la bombe et les attaques aériennes contre Cuba par des avions
basés aux Etats-Unis commencèrent en 1959, sinon avant (6) . Au début de 1960,
plusieurs raids aériens eurent lieu avec des bombes incendiaires contre les
champs de canne-à-sucre cubains et les raffineries de sucre - auxquels
participèrent des pilotes américains - dont au moins trois moururent en
s’écrasant, et deux autres furent faits prisonniers. Le Département d’état
reconnut qu’un des avions qui s’était écrasé, tuant deux américains, avait
décollé de la Floride, mais insista que cela fût fait contre la volonté du
gouvernement des Etats-Unis. (7)
En mars, un cargo Français qui déchargeait des munitions en provenance de
Belgique explosa à la Havane tuant 75 personnes et en blessant 200, dont
certaines moururent par la suite. Les Etats-Unis nièrent les accusations de
sabotage portées par Cuba mais confessèrent qu’ils avaient bien tenté d’empêcher
la livraison. (8)
Et ainsi de suite... atteignant un paroxysme en Avril de l’année suivante
avec l’organisation par la CIA de l’invasion de la Baie des Cochons. Plus de 100
exilés moururent durant l’attaque. Près de 1 200 furent faits prisonniers par
les Cubains. Il fût révélé plus tard que quatre pilotes étasuniens au service de
la CIA avaient aussi perdu la vie. (9).
Le fiasco de la Baie des Cochons
L’attaque de la Baie des Cochons reposait largement sur l’hypothèse d’un
ralliement massif de la population cubaine aux envahisseurs, (10) mais ce ne fût
pas le cas. En fait, les dirigeants et les troupes des forces exilées avaient
été trompés par des supporters et acolytes de Fulgencio Batista, le dictateur
renversé par Castro, qui en aucun cas n’auraient été les bienvenus auprès de la
population cubaine.
Malgré le fait que l’administration de Kennedy était terriblement embarrassée
par cette écrasante défaite - et en fait à cause de ça - une campagne d’attaques
à une plus petite échelle fût aussitôt mise en place, sous le nom de code
« Opération Mangouste ». Au cours des années 60, l’île Caribéenne fût soumise à
d’innombrables raids par air et par mer de la part des exilés, parfois
accompagnés par leurs superviseurs de la CIA, causant des dégâts sur des
raffineries de pétrole, des usines chimiques, des ponts, des champs de canne à
sucre, des entrepôts ; infiltrant des espions et des saboteurs et des
assassins... tout ce qui pouvait endommager l’économie Cubaine, promouvoir la
désaffection de la population ou rendre la révolution moins séduisante... tuant
au passage des membres de la milice Cubaine et d’autres... des attaques pirates
contre les bateaux de pêche Cubains et les navires marchands, des bombardements
de vaisseaux Soviétiques accostés à Cuba, une attaque contre un camp de l’armée
Soviétique où douze soldats Russes furent blessés... des obus tirés de la mer
sur un hôtel et un théâtre parce que des Russes et des Européens de l’Est
étaient supposés s’y trouver... (11)
Le terrorisme contre Cuba
Ces actions n’étaient pas systématiquement menées sous les ordres directs de
la CIA - qui n’était pas forcément non plus prévenue de telles actions -, mais
la CIA pouvait difficilement invoquer des « éléments incontrôlés ». Elle avait
crée le quartier général d’Opération Mangouste à Miami qui était un véritable
Etat dans la ville - au-dessus, au-delà et en dehors des lois des Etats-Unis,
sans parler des lois internationales, avec un personnel composé de plusieurs
centaines d’Américains qui dirigeait encore plus d’agents Cubains dans de telles
opérations, avec un budget de plus de 50 Millions de dollars par an, et un
accord avec la presse locale pour garder les opérations secrètes sauf quand la
CIA voulait leur donner une publicité. (12)
L’article 18 de Code des Etats-Unis qualifie de crime le lancement d’une
« expédition militaire ou navale ou toute tentative » à partir de des Etats-Unis
contre un pays avec lequel les Etats-Unis ne sont pas (officiellement) en
guerre.
Bien que les autorités américaines aient de temps à autre fait avorter un
complot des exilés ou intercepté un bateau - parfois parce que les garde-côtes
ou d’autres services officiels n’avaient pas été correctement informés au
préalable - aucun Cubain n’a jamais été poursuivi pour un tel acte. On ne
pouvait s’attendre à moins compte-tenu du fait que le Ministre de la Justice
Robert Kennedy avait précisé, à la suite de l’invasion de la Baie des Cochons,
que cette dernière ne constituait pas une expédition militaire. (13)
Les raids de commando ont été entrepris en combinaison totale avec l’embargo
des Etats-Unis sur le commerce et le crédit, qui perdure à ce jour, et qui porta
réellement préjudice à l’économie Cubaine et provoqua une érosion du niveau de
vie. L’embargo est si tenace que, lorsque Cuba fût frappée par un ouragan en
Octobre 1963, Casa Cuba, une association de bienfaisance basée à New
York, récolta une grande quantité de vêtements en guise d’aide. Les Etats-Unis
refusèrent les autorisations nécessaires à leur exportation en arguant qu’il
s’agissait d’une opération « contraire aux intérêts nationaux ». (14)
De plus, des pressions furent exercées sur d’autres pays pour qu’ils se
plient à l’embargo, et des biens destinés à Cuba furent sabotés :
machines-outils endommagés, produits chimiques mélangés à des lubrifiants afin
d’accélérer l’usure des moteurs diesels, un fabricant de la RFA payé pour
produire des roulements à bille défectueux, un autre pour faire de même avec des
pignons de boîtes à vitesses - « On parle de gros sous, » dit un officier de la
CIA impliqué dans les efforts de sabotage, « quand vous demandez à un fabricant
de participer à un tel projet parce que vous l’obligez à redessiner un jeu
complet de moules. Et il va certainement être préoccupé par les conséquences sur
son business futur. Vous pouvez être amené à lui payer plusieurs centaines de
milliers de dollars ou plus. » (15)
Un exemple de sabotage
Une entreprise qui défia l’embargo fut British Leyland, en vendant un grand
nombre d’autobus à Cuba en 1964. Les critiques répétées et les protestations de
Washington ne purent empêcher la livraison des autobus. Alors, un cargo Est
Allemand transportant 42 autobus vers Cuba entra en collision dans un épais
brouillard avec un vaisseau Japonais sur la Tamise. Le vaisseau Japonais pût
reprendre sa route, mais le cargo Est Allemand se coucha sur le flanc ; les
autobus devaient être « décommandés », annonça British Leyland. Dans les
principaux journaux anglais, ce n’était qu’un accident. (16) Dans le New York
Times, pas un mot. Une décennie devait passer avant que l’éditorialiste Jack
Anderson dévoila que ses sources de la CIA et de l’Agence Nationale de Sécurité
avaient bien confirmés que la collision avait été arrangée par la CIA avec la
collaboration des Services secrets britanniques. (17) En réaction, un autre
officier de la CIA déclara qu’il était sceptique quant à cette thèse, tout en
admettant « qu’il était vrai que nous étions en train de saboter l’envoi des
autobus de Leyland vers Cuba, et que c’était une affaire très sensible. »
(18)
La guerre bactériologique et chimique contre Cuba
Une autre affaire très sensible fut sans doute l’utilisation d’armes
chimiques et bactériologiques par les Etats-Unis contre Cuba. La liste est
remarquable.
En Août 1962, un transporteur Britannique sous-loué par les Soviétiques,
endommagea son hélice sur un récif et dût se réfugier à San Juan, Puerto Rico,
pour des réparations. Sa destination était un port Soviétique avec 80 000 sacs
de sucre Cubain. Le bateau fût mis en cale sèche et 14.135 sacs furent déchargés
vers un entrepôt pour faciliter les travaux. Lors de son séjour dans l’entrepôt,
le sucre fût contaminé par des agents de la CIA avec un produit supposé sans
danger mais rendant le sucre non-comestible. Lorsque le président Kennedy prit
connaissance de l’opération, il entra dans une colère noire parce qu’elle
s’était déroulée sur le territoire américain et sa découverte aurait fourni à
l’Union-Soviétique une base de propagande et aurait pu créer un précédent pour
le sabotage chimique au sein de la guerre froide. Il ordonna que le sucre ne
soit pas rendu aux Russes, sans que l’explication qui fût donnée ne soit rendue
publique. (19) Apparemment, cela n’empêcha pas d’autres opérations du même
style. Le fonctionnaire de la CIA qui avait aidé à mener les efforts de sabotage
dans le monde entier, déjà cité plus haut, révéla par la suite que « Il y avait
beaucoup de sucre qui sortait de Cuba, et nous y introduisions beaucoup de
produits contaminants. » (20)
La même année, une technicien Canadien en agriculture travaillant comme
conseiller auprès du gouvernement Cubain reçu 5.000$ de la part « d’un agent des
services secrets américains » pour infecter les dindes Cubaines par un virus
provoquant la maladie mortelle de Newcastle. 8 000 dindes en moururent. Le
technicien affirma plus tard que bien qu’il avait été présent dans la ferme où
moururent les dindes, il n’avait en fait pas administré le virus mais qu’il
s’était contenté d’empocher l’argent, et que les dindes sont mortes à la suite
de négligences et autres raisons sans rapport avec le virus. Cette déclaration
pourrait être une auto-justification. Le Washington Post raconta que
« Selon les rapports des services secrets des Etats-Unis, les Cubains - et
certains Américains - croient que les dindes sont mortes par suite d’actes
d’espionnage. » (21) Les auteurs Warren Hinckle et William Turner, citant un
participant au projet, rapportèrent dans leur livre sur Cuba que : « Durant 1969
et 1970, la CIA déploya une technologie futuriste pour modifier le climat dans
le but de provoquer des ravages dans les cultures sucrières à Cuba et miner
l’économie. Des avions du Centre d’Armement Naval de China Lake, une centre de
développement de haute technologie dans le désert Californien, survolèrent
l’île, parsemant les nuages de cristaux et provoquant des pluies torrentielles
au-dessus des zones non-cultivées, créant ainsi une sécheresse sur les champs de
canne (dans certaines zones, les trombes d’eau provoquèrent des inondations
meurtrières). (22)
En 1971, toujours selon des participants, la CIA fournit aux exilés Cubains
un virus qui provoque la fièvre porcine Africaine. Six semaines plus tard, la
propagation de l’épidémie à Cuba obligea l’abattage de 500 000 porcs pour
prévenir une épidémie d’envergure nationale. Cette épidémie, la première
signalée dans l’hémisphère Occidentale, fût qualifiée « d’événement le plus
alarmant de l’année » par le United Nations Food and Agriculteral Organization.
(23)
Dix ans plus tard, la cible fût très probablement les êtres humains,
lorsqu’une épidémie de fièvre « dengue » balaya l’île de Cuba. Transmise par des
insectes buveurs de sang, généralement des moustiques, la maladie provoque des
symptômes graves de grippe et des douleurs osseuses paralysantes. Entre Mai et
Octobre 1981, plus de 300 000 cas furent signalés à Cuba et 158 décès dont 101
étaient des enfants âgés de moins de quinze ans. (24)
En 1956 et 1958, révélèrent des documents déclassifiés, l’armée des
Etats-Unis libéra des nuées de moustiques spécialement élevées en Géorgie et
Floride afin de voir si des insectes porteurs de maladies pouvaient servir
d’armes dans une guerre bactériologique. Les moustiques utilisées étaient du
type Aedes Aegypti, justement le porteur de la fièvre dengue et autres maladies.
(25)
En 1967, le magazine Science révéla que dans le centre gouvernemental
étasunien à Fort Detrick, Maryland, la fièvre dengue était parmi ces « maladies
qui pour le moins font l’objet de recherches intensives et qui sont considérées
comme des agents potentiels d’une guerre bactériologique. » (26)
Alors, en 1984, un exilé Cubain, au cours d’un procès à New York, témoigna
qu’au cours du deuxième semestre de 1980, un navire vogua de la Floride vers
Cuba avec pour mission le transport de microbes et leur introduction à Cuba pour
les utiliser contre les Soviétiques et l’économie Cubaine, pour commencer ce
qu’on appelle une guerre chimique, qui plus tard produisit des résultats
inattendus, parce qu’on pensait qu’il serait utilisé contre les forces
Soviétiques, et en fait il était utilisé contre notre propre peuple, et nous ne
sommes pas d’accord avec ça. (27)
Au vu de ce témoignage, il n’est pas clair si le Cubain pensait que l’effet
des microbes serait d’un certaine manière limité aux Russes, ou s’il avait été
manipulé par les personnes derrière cette opération.
L’étendue réelle de la guerre chimique et biologique Américaine contre Cuba
ne sera jamais connue. Au cours des années, le gouvernement de Castro a accusé
les Etats-Unis d’un certain nombre de fléaux qui ont touché divers troupeaux et
cultures. (28) Et en 1977, de nouveaux documents de la CIA rendus publics
révélèrent que l’Agence « entretenait un programme clandestin de recherche sur
la guerre anti-récoltes visant différents pays à travers le monde. » (29)
Il advint avec le temps que les Etats-Unis estimèrent nécessaire de
communiquer une partie de son savoir-faire sur la guerre chimique et
bactériologique (GCB) à d’autres pays. A la fin de 1969, quelques 550 étudiants,
de 36 pays, avaient suivi des cours dispensés à US Army’s Chemical School, à
Fort McClellan dans l’Alabama. Les cours de GCB étaient dispensés sous couvert
de « se défendre » contre de telles armes - tout comme fût enseignée la torture
au Vietnam. Nous décrirons aussi dans le chapitre consacré à l’Uruguay (Non
traduit dans ce texte - Note du traducteur), comment la fabrication et
l’usage de bombes furent dispensés sous couvert de combattre les attentats
terroristes. (30)
L’ingénuité qui caractérisait la GCB contre Cuba était apparent dans les
dizaines de plans visant à assassiner ou humilier Fidel Castro. Conçus par la
CIA ou par des exilés Cubains, avec la collaboration des mafiosi étasuniens, les
plans allaient de l’empoisonnement des cigares et de la nourriture de Castro à
l’utilisation d’un produit chimique destiné à provoquer une chute de ses cheveux
et de sa barbe, en passant par l’administration de LSD juste avant un discours
public. Il y avait bien sûr aussi une approche plus traditionnelle telle que les
armes à feu et les bombes, comme le plan de larguer des bombes sur un stade de
base-ball durant un discours de Castro - le bombardier B-26 fût chassé par les
canons antiaériens Cubains avant d’atteindre le stade. (31) C’est grâce à une
telle combinaison de mesures de sécurité Cubaines, d’informateurs,
d’incompétences et de chance que le barbu est toujours en vie.
Tentatives d’assassinat et attentats
Des tentatives furent entreprises aussi contre le frère de Castro, Raul, et
contre Che Guevara. Ce dernier fût la cible d’un tir de bazooka dirigé contre
l’immeuble des Nations Unies en Décembre 1964. (32)
Différents groupes exilés Cubains se sont régulièrement livrés à des actes de
violence aux Etats-Unis en bénéficiant d’une impunité relative durant des
décennies. Un de ces groupes, du nom de Omega 7, avait son quartier
général à Union City, New Jersey, et fût qualifié en 1980 par la FBI de « groupe
terroriste le plus dangereux des Etats-Unis ». (33) Le rythme des attaques
contre Cuba baissa vers la fin des années 60, probablement à cause de l’absence
de résultats, combiné avec le vieillissement des combattants, et les groupes
d’exilés se retournèrent alors vers des cibles à l’intérieur des Etats-Unis et
ailleurs dans le monde.
Au cours de la décennie suivante, tandis que la CIA inondait en argent la
communauté en exil, plus de 100 « incidents » graves eurent lieu aux Etats-Unis,
revendiqués par Omega 7 et d’autres groupes. (Au sein de la communauté, la
distinction entre groupes terroristes et non terroristes n’est pas
particulièrement précise : beaucoup d’identités se recouvrent et de nouveaux
noms sont fréquemment crées.) Des attentats répétés à la bombe se produisirent
contre la mission Soviétique à l’ONU, contre son ambassade, ses véhicules, un
navire Soviétique à quai dans le New Jersey, les bureaux de la compagnie
aérienne Aeroflot, avec un certain nombre de blessés parmi les Russes et les
policiers Américains, plusieurs attaques à la bombe contre la mission Cubaine à
l’ONU et sa représentation à Washington, de multiples attaques contre des
diplomates Cubains, incluant au moins un meurtre, la découverte d’une bombe dans
l’Académie de Musique de New York en 1976 juste avant une célébration de la
Révolution Cubaine ; 2 ans plus tard une bombe au Centre Lincoln juste après une
représentation du ballet Cubain ; 3 bombes au cours de la même nuit en 1979 :
les bureaux du Programme de Réfugiés Cubains du New Jersey, une pharmacie du New
Jersey qui avait envoyé des médicaments à Cuba, une valise qui explosa à
l’aéroport JFK, blessant quatre bagagistes, quelques minutes seulement avant son
embarquement sur le vol TWA pour Los Angeles. (34)
L’action la plus violente de cette époque fût l’explosion d’un avion de
Cubana Airlines peu après son décollage de la Barbade le 6 Octobre 1976,
tuant 73 personnes parmi lesquelles la totalité de l’équipe de championnat
d’escrime de Cuba. Plus tard, des documents de la CIA révélèrent que le 22 Juin,
un officier de la CIA basé à l’étranger envoya un rapport au siège de l’Agence
indiquant qu’il avait appris par une source qu’un groupe d’exilés Cubains
planifiait un attentat contre un avion Cubain sur la liaison Panama-La Havane.
Le dirigeant du groupe était un pédiatre du nom d’Orlando Bosch. Après
l’attentat d’Octobre, ce fut le réseau de Bosch qui le revendiqua. Le rapport
indiquait que la CIA avait les moyens d’infiltrer l’organisation de Bosch, mais
il n’y a aucune trace dans aucun document que l’Agence ait entrepris une
quelconque action de surveillance de Bosch ou de son groupe, ni que la CIA avait
prévenu la Havane. (35)
En 1983, tandis que Orlando Bosch attendait dans une prison de Venezuela sous
l’accusation d’avoir monté l’opération d’attentat, la Commission de la Ville de
Miami proclama « Une Journée Orlando Bosch ». (36) Bosch avait déjà été jugé
coupable d’une attaque au bazooka contre un navire Polonais à Miami.
Une dissidence réduite au silence et la complicité des autorités de
Miami
Les exilés Cubains eux-mêmes ont souvent été les victimes d’un traitement
brutal. Ceux qui rendaient visite à Cuba pour quelque raison que ce fût, ou
suggéraient publiquement, même timidement, un rapprochement avec leur pays
d’origine, étaient eux aussi victimes d’attentats et fusillades en Floride et
New Jersey. Des groupes Américains, partisans du rétablissement des relations
diplomatiques ou la fin de l’embargo, ont aussi été attaqués de la sorte, de
même que des agences de voyage offrant des voyages vers Cuba ainsi qu’une
société de produits pharmaceutiques du New Jersey qui avait envoyé des
médicaments vers l’île.
La dissidence à Miami a été efficacement réduite au silence, tandis que la
police, les autorités de la ville, et les médias regardaient de l’autre côté,
quand ils n’exprimaient pas ouvertement leur soutien aux campagnes
d’intimidation. (37) A Miami et ailleurs, la CIA - apparemment pour repérer les
agents de Castro - a employé des exilés pour espionner leurs compatriotes ainsi
que les Américains qui les fréquentaient. (38)
Bien qu’il y ait toujours eu une frange extrémiste démente au sein de la
communauté exilée Cubaine (par opposition à la frange normale démente) qui
affirme que Washington a trahi leur cause, au cours des années on n’a assisté
qu’à des arrestations et condamnations occasionnelles d’exilés pour une attaque
terroriste aux Etats-Unis, à tel point que les exilés ne pouvaient être que
convaincus qu’à Washington, le coeur n’y était pas vraiment... Les groupes
d’exilés et leurs membres importants sont bien connus des autorités, car les
anti-Castristes n’ont pas vraiment fait preuve de discrétion. Au moins jusqu’au
début des années 80, ils s’entraînaient ouvertement dans le sud de la Floride et
au sud de la Californie ; des photos les montrant maniant leurs armes ont été
publiées par le presse. (39) La CIA, avec ses innombrables
contacts-mouchards-informateurs au sein des exilés, pouvait combler nombre de
pièces manquantes pour la FBI ou la police, si elle en avait la volonté. En
1980, dans un rapport détaillé sur le terrorisme des exilés Cubains, le
Village Voice de New York rapporta :
Deux histoires ont pu être arrachées auprès de la police de New York...
« Vous savez, c’est drôle, » dit l’un d’eux avec précaution, « il y a eu deux ou
trois choses... comment dire... On arrive à un certain stade d’une enquête et
puis soudainement tout s’arrête. Affaire classée. On demande de l’aide à la CIA,
et ils répondent que ça ne les intéresse pas vraiment. Message reçu. » Un autre
enquêteur dit qu’il travaillait deux ans auparavant sur une affaire de drogues
impliquant des exilés Cubains, et sur une liste de numéros de téléphone qu’il
avait réussi à obtenir, il y avait un numéro fréquemment composé à Miami. Le
numéro correspondait à une société appelée Zodiac, « qui s’avéra être une façade
de la CIA. » Il abandonna l’enquête. (40)
Les exilés Cubains aux Etats-Unis, dans leur ensemble, ont probablement été
le groupe terroriste le plus durable et prolifique au monde. Il est donc très
ironique, pour ne pas dire hypocrite, que durant de nombreuses années et jusqu’à
aujourd’hui dans les années 90, le Département d’Etat ait inclus Cuba parmi les
Etats qui « parrainent le terrorisme », pas parce que des actes terroristes
auraient été commis par le gouvernement Cubain, mais uniquement parce qu’ils
« hébergent des terroristes ».
Alliance pour le Progrès ou Alliance contre Cuba ?
En 1961, l’administration Kennedy dévoila en grande pompe son programme
d’exhibition, l’Alliance pour le Progrès. Conçu comme une riposte directe
à Cuba-la-Castriste, il prétendait apporter la démonstration qu’un changement
social pouvait avoir lieu en Amérique Latine sans avoir recours à la révolution
ou au socialisme. « Si la seule alternative pour les peuples d’Amérique Latine
est le statu quo ou le communisme, » dit John F. Kennedy, « alors ils choisiront
inévitablement le communisme. » (41)
Le programme de l’Alliance, de plusieurs milliards de dollars, se fixa un
ensemble d’objectifs ambitieux qu’il espérait atteindre avant la fin de la
décennie. Ces objectifs visaient une croissance économique, une répartition plus
équitable des richesses nationales, une réduction du chômage, une réforme
agraire, l’éducation, le logement, la santé, etc. En 1970, la Fondation du
Vingtième Siècle de New York - dont la liste des membres se lit comme le
Who’s Who du gotha de l’industrie et du gouvernement - entreprit une
étude pour évaluer le degré de réalisation des objectifs de l’Alliance. Une des
conclusions de l’étude était que Cuba, qui ne faisait pas partie des
bénéficiaires du programme, avait mieux réussi dans certains des objectifs de
l’Alliance que la plupart des membres de l’Alliance eux-mêmes. Dans l’éducation
et la santé, aucun pays d’Amérique Latine n’avait réalisé de programmes aussi
ambitieux et complets. L’économie planifiée de Cuba a fait plus pour
l’intégration des secteurs urbains et ruraux (à travers une politique de
redistribution des revenus nationaux) que les économies de marché des autres
pays d’Amérique Latine. (42) De plus, il fût reconnu que la réforme agraire
Cubaine avait été plus ample que dans tout autre pays d’Amérique Latine, bien
que l’étude se cantonna dans une attitude d’expectative quant aux résultats de
la réforme. (43)
Ces réussites économiques et sociales, parmi d’autres, furent obtenues malgré
l’embargo des Etats-Unis et la quantité démesurée de ressources et de travail
que Cuba devait consacrer à sa défense et sécurité à cause de la menace qui
planait au nord. De plus, bien que ne faisant pas partie des objectifs déclarés
de l’Alliance, il y avait un autre domaine d’une importance universelle dans
lequel Cuba se distinguait du lot de ses voisins Latins : il n’y avait pas de
hordes de desaparecidos ( « disparus » - NdT ), pas d’escadrons de la
mort, pas de torture systématique et routinière.
Cuba était devenu ce que Washington avait toujours craint du Tiers
Monde : un bon exemple.
En parallèle à son agressivité économique et militaire, les Etats-Unis ont
longtemps maintenu une offensive implacable de propagande contre Cuba. Un
certain nombre d’exemples appliqués à d’autres pays peuvent être trouvés dans ce
livre ( non traduit ici - N.D.T. ) En plus de son vaste empire
journalistique à l’étranger, la CIA a maintenu des
usines-à-articles-anti-Castristes aux Etats-Unis durant des dizaines d’années.
l’Agence a financé à certaines époques des publications à Miami telles que
Avance, El Mundo, El Prensa Libre, Bohemia et El Diario de Las Americas, ainsi
que AIP, une station de radio qui produisait des programmes envoyés gratuitement
à plus de 100 petites stations en Amérique Latine. Deux autres couvertures de la
CIA à New York, Foreign Publications Inc et Editors Press Service, faisaient
aussi partie du réseau de propagande. (44)
Etait-ce inévitable ?
La tentative des Etats-Unis de renverser le gouvernement Cubain était-elle
inévitable ? Est-ce que les relations entre deux pays voisins auraient pu
emprunter un autre chemin ? En se basant sur une histoire marquée par une
hostilité systématique y compris à l’égard des gouvernements de gauche modérés,
la réponse serait qu’il n’y avait aucune raison pour que le gouvernement
révolutionnaire de Cuba soit une exception. Cependant, il s’avéra que Washington
à l’origine n’était pas indisposé à l’égard de la Révolution Cubaine. Il y en
avait même qui exprimèrent avec hésitation leur approbation ou leur optimisme. A
l’évidence, cela était dû à la croyance que les événements qui se déroulaient à
Cuba n’était rien de plus qu’un nouveau changement de gouvernement en Amérique
Latine, comme ceux qui avaient déjà eu lieu avec une régularité monotone au
cours du dernier siècle, où les noms et les visages changeaient mais la
soumission aux Etats-Unis demeurait. (Le fait que John Foster Dulles était en
train de mourir du cancer à cette époque ne pouvait que contribuer à renforcer
une ambiance de laisser-aller. Dulles quitta le Département d’Etat au début de
Février 1959, un mois après la révolution. Un de ses derniers gestes fût de
retirer la mission militaire Américaine de Cuba.)
Mais Castro se révéla être d’une toute autre trempe. Ce n’était plus
« business comme d’habitude » dans les Caraïbes. Rapidement il exprima
ouvertement ses critiques à l’égard des Etats-Unis. Il faisait amèrement
référence aux 60 ans de contrôle Américain sur Cuba ; comment, au bout de ces 60
ans, les masses Cubaines se retrouvèrent appauvries ; comment les Etats-Unis
brandissaient les quotas de sucre comme une menace. Il parlait de l’inacceptable
présence de la base militaire de Guantanamo ; il fit passer à Washington, avec
suffisamment de clarté, le message que Cuba poursuivrait une politique
d’indépendance et de neutralité dans la guerre froide. C’était pour de telles
raisons que Castro et Che Guevara avaient sacrifié les carrières bourgeoises
prospères qui les attendaient comme avocats et médecins pour leur préférer la
direction d’une révolution. Les compromissions n’étaient pas à l’ordre du jour ;
pas plus que pour Washington qui n’était pas préparé à cohabiter avec de tels
hommes et un tel gouvernement. Il ne fallut pas longtemps pour que Castro et son
régime soient qualifiés de « communistes », un mot connu pour sa capacité à
interrompre instantanément l’afflux de sang vers le cerveau de celui qui le
prononce.
A une réunion du Conseil National de Sécurité, le 10 Mars 1959, fût abordé la
question « d’amener un autre gouvernement au pouvoir à Cuba ». (45) Et ceci
avant que Castro ait nationalisé des biens Américains. Le mois suivant, après
une rencontre avec Castro à Washington, le Vice Président Richard Nixon écrivit
un mémo dans lequel il exprimait sa conviction que Castro était « soit
incroyablement naïf au sujet du Communisme, soit sous l’emprise des
communistes » et que le leader Cubain devait être traité en conséquence. Nixon
écrivit plus tard que son opinion à cette époque était minoritaire au sein de
l’administration Eisenhower. (46) Mais avant la fin de l’année, le directeur de
la CIA Allen Dulles avait décidé qu’une invasion de Cuba était nécessaire. En
Mars 1960, le projet fût approuvé par le Président Eisenhower. (47) Puis vint
l’embargo, qui ne devait laisser aucune alternative à Castro sinon celle de se
retourner de plus en plus vers l’Union Soviétique, confirmant ainsi dans les
esprits à Washington que Castro était effectivement un communiste. Certains
émirent l’hypothèse que celui-ci avait toujours été en réalité un Rouge.
Dans ce contexte, il est intéressant de noter que le Parti Communiste de Cuba
fût longtemps un soutien à Batista, et avait servi dans son équipe
gouvernemental, et n’avait apporté son soutien à Castro et ses hommes que
lorsque son accession au pouvoir paraissait imminente. (48) Et pour accentuer
l’ironie de la chose, en 1957 et 1958 la CIA faisait parvenir des fonds au
mouvement de Castro, tandis que les Etats-Unis soutenaient Batista avec des
armes pour contrer les rebelles. Apparemment, encore une erreur de calcul de la
part de la CIA. (49)
Si Castro à ses débuts avait usé d’une rhétorique plus modérée et s’il
s’était plié aux règles de bienséance diplomatique, tout en poursuivant une
politique d’indépendance et de socialisme qu’il croyait être le mieux adapté
pour Cuba (ou inévitable si certains changements devaient avoir lieu), il
n’aurait fait que repousser, pour peu de temps, certaines échéances. Jacobo
Arbenz du Guatemala, Mossadegh en Iran, Cheddi Jagan en Guyane, et d’autres
dirigeants du Tiers Monde avaient tous fait de grands détours pour éviter de
marcher sur les orteils extrêmement sensibles de Washington, et étaient beaucoup
plus modérés dans leur programmes et leur attitude à l’égard des Etats-Unis que
ne l’était Castro ; malgré cela, tous sont tombés sous le couperet de la
CIA.
Nous savons maintenant qu’en Aout 1961, quatre mois après la Baie des
Cochons, Che Guevara rencontra Richard Goodwin, conseiller spécial auprès du
Président Kennedy, au cours d’une réunion internationale en Uruguay. Guevara
avait un message pour Kennedy. Cuba était disposé à renoncer à toute alliance
politique avec le bloc Soviétique, à indemniser les biens Américains confisqués,
à envisager une réexamen de son soutien aux insurrections de gauche dans
d’autres pays. En retour, les Etats-Unis devaient cesser toute action hostile à
l’égard de Cuba. De retour à Washington, le conseil de Goodwin au Président fût
« d’intensifier en silence » les pressions économiques contre Cuba. En Novembre,
Kennedy autorisa l’Opération Mangouste. (50)
William Blum
Extrait de son livre Killing Hope, traduit en français sous le titre
Guerres Scélérates http://www.legrandsoir.info/les-guerres-scelerates-interventions-de-l-...
Traduit y’a bien longtemps par Vikor Dedaj pour Cuba Solidarity
Project
NOTES
1. Khrushchev Remembers (Londres, 1971) pp. 494, 496.
2. Time, 2 Novembre 1962.
3. Cité par William Appleman Williams, "American Intervention in Russia :
1917-20" - dans David Horowitz, ed., Containment and Revolution (Boston,
1967). Ecrit dans une lettre au Président Wilson par le secrétaire d’Etat Robert
Lansing, oncle de John Foster et Allen Dulles.
4. Facts on File, Cuba, the U.S. & Russia, 1960-63 (New York,
1964) pp. 56-8.
5. International Herald Tribune (Paris), 2 Octobre 1985, p. 1.
6. New York Times, 23 Octobre 1959, p. 1.
7. Facts on File, op. cit., pp. 7-8 ; New York Times, 19, 20
Février 1960 ; 22 Mars 1960.
8. New York Times, 5, 6 Mars 1960.
9. David Wise, "Colby of CIA — CIA of Colby", New York Times Magazine,
1er Juillet 1973, p. 9.
10. Le rapport d’une enquête menée à la suite de l’invasion et ordonnée par
Kennedy révéla « qu’il n’avait jamais été dans l’intention de l’invasion
elle-même de renverser Castro. L’espoir résidait dans un succès initial qui
aurait déclenché un soulèvement de milliers de Cubains anti-Castristes. Les
navires participant à l’invasion transportaient 15.000 armes destinées à être
distribuées aux volontaires. » U.S. News & World Report, 13 Aout
1979, p. 82. Certains officiels de la CIA, inclus Allen Dulles, nièrent plus
tard qu’un soulèvement était attendu, mais cela pourrait n’être qu’une tentative
de masquer leur embarras idéologique face à une population vivant sous la
« tyrannie communiste » qui n’avait pas répondu à l’appel du « Monde
Libre ».
11. Attaques contre Cuba :
a) Taylor Branch et George Crile III, "The Kennedy Vendetta", Harper’s magazine (New York), août 1975, pp. 49-63
b) Facts on File, op. cit., passim
c) New York Times, 26 Aout 1962, p. 1 ;21 Mars 1963, p. 3 ; Washington Post, 1 Juin 1966 ; 30 Septembre 1966 ; plus beaucoup d’autres articles dans les deux journaux au cours des années 60
d) Warren Hinckle et William W. Turner, The Fish is Red : The Story of the Secret War Against Castro (Harper & Row, New York, 1981) passim.
a) Taylor Branch et George Crile III, "The Kennedy Vendetta", Harper’s magazine (New York), août 1975, pp. 49-63
b) Facts on File, op. cit., passim
c) New York Times, 26 Aout 1962, p. 1 ;21 Mars 1963, p. 3 ; Washington Post, 1 Juin 1966 ; 30 Septembre 1966 ; plus beaucoup d’autres articles dans les deux journaux au cours des années 60
d) Warren Hinckle et William W. Turner, The Fish is Red : The Story of the Secret War Against Castro (Harper & Row, New York, 1981) passim.
12. Branch and Crile, op. cit., pp. 49-63. L’article mentionne que
plus de 300 Américains se trouvaient impliqués dans l’opération, mais dans "CBS
Reports : The CIA’s Secret Army", diffusé le 10 Juin 1977, écrit par Bill Moyers
et le même George Crile III, un ancien officiel de la CIA Ray Cline déclare
qu’il y avait entre 600 et 700 officiers Américains.
13. New York Times, 26 Aout 1962, p. 1.
14. John Gerassi, The Great Fear in Latin America (New York, 1965,
édition révisée) p. 278.
15. Branch and Crile, op. cit., p. 52.
16. The Times (Londres), 8, 10 Janvier 1964 ; 12 Mai, p. 10 ; 21
Juillet, p. 10 ; 28, 29 Octobre ; The Guardian (Londres), 28, 29 Octobre
1964.
17. Washington Post, 14 Février 1975, p. C31 ; l’histoire d’Anderson
raconte qu’il n’y avait que 24 autobus et qu’ils furent séchés et mis en
circulation en Angleterre.
18. Branch and Crile, op. cit., p. 52
19. New York Times, 28 Avril 1966, p. 1.
20. Branch and Crile, op. cit., p. 52
21. Washington Post, 21 Mars 1977, p.A18.
22. Hinckle and Turner, p. 293, basé sur l’interview d’un participant
à Ridgecrest, Californie, 27 Septembre 1975.
23. San Francisco Chronicle, 10 Janvier 1977.
24. Bill Schaap, "The 1981 Cuba Dengue Epidemic", Covert Action
Information Bulletin (Washington), No. 17, Eté 1982, pp. 28-31.
25. San Francisco Chronicle, 30 Octobre 1980.
26. Science (American Association for the Advancement of Science,
Washington), 13 Janvier 1967, p. 176.
27. Covert Action Information Bulletin (Washington), No. 22, Automne
1984, p. 35 ; le procès de Eduardo Victor Arocena Perez, Federal District Court
for the Southern District of New York, transcription du 10 Septembre 1984, pp.
2187-89.
28. See, dans San Francisco Chronicle, 27 Juillet 1981.
29. Washington Post, 16 Septembre 1977, p. A2.
30. Ibid., 25 Octobre 1969, article de Jack Anderson.
31. Des rapports sur les tentatives d’assassinat on été révélés en de
nombreux lieux ; voir Interim Report : Alleged Assassination Plots Involving
Foreign Leaders, The Select Committee to Study Governmental Operations with
Respect to Intelligence Activities (US Senate), 20 Novembre 1975, pp. 71-180,
pour un compte-rendu détaillé, mais incomplet, de la tentative d’attentat contre
le stade : New York Times, 22 Novembre 1964, p. 26.
32. New York Times, 12 Décembre 1964, p. 1.
33. Ibid., 3 Mars 1980, p. 1.
34. Attaques terroristes aux Etats-Unis :
a) Jeff Stein, "Inside Omega 7", The Village Voice (New York), 10 Mars 1980
b) San Francisco Chronicle, 26 Mars 1979, p. 3 ; 11 & 12 Décembre, 1979.
c) New York Times, 13 Septembre 1980, p. 24 ; 3 Mars, 1980, p. 1.
d) John Dinges et Saul Landau, Assassination on Embassy Row (Londres, 1981), pp. 251-52, note (inclus des attaques contre des objectifs Cubains dans d’autres pays)
e) Covert Action Information Bulletin (Washington), No. 6, Octobre 1979, pp. 8-9.
a) Jeff Stein, "Inside Omega 7", The Village Voice (New York), 10 Mars 1980
b) San Francisco Chronicle, 26 Mars 1979, p. 3 ; 11 & 12 Décembre, 1979.
c) New York Times, 13 Septembre 1980, p. 24 ; 3 Mars, 1980, p. 1.
d) John Dinges et Saul Landau, Assassination on Embassy Row (Londres, 1981), pp. 251-52, note (inclus des attaques contre des objectifs Cubains dans d’autres pays)
e) Covert Action Information Bulletin (Washington), No. 6, Octobre 1979, pp. 8-9.
35. L’attentat contre l’avion :
a) Washington Post, 1 Novembre 1986, pp. A1, A18.
b) Jonathan Kwitny, The Crimes of Patriots (New York, 1987), p. 379.
c) William Schaap, "New Spate of Terrorism : Key Leaders Unleashed", Covert Action Information Bulletin (Washington), No. 11, Décembre 1980, pp.4-8.
d) Dinges et Landau, pp. 245-6.
e) Discours de Fidel Castro, 15 Octobre 1976, reproduit dans Toward Improved U.S.-Cuba Relations, House Committee on International Relations, Appendix A, 23 Mai 1977.
Documents de la CIA : parmi ceux ayant fait l’objet de la levée du secret défense, envoyés aux Archives Nationales en 1993, et rendus publics. Rapportés par The Nation (New York), 29 Novembre 1993, p.657.
a) Washington Post, 1 Novembre 1986, pp. A1, A18.
b) Jonathan Kwitny, The Crimes of Patriots (New York, 1987), p. 379.
c) William Schaap, "New Spate of Terrorism : Key Leaders Unleashed", Covert Action Information Bulletin (Washington), No. 11, Décembre 1980, pp.4-8.
d) Dinges et Landau, pp. 245-6.
e) Discours de Fidel Castro, 15 Octobre 1976, reproduit dans Toward Improved U.S.-Cuba Relations, House Committee on International Relations, Appendix A, 23 Mai 1977.
Documents de la CIA : parmi ceux ayant fait l’objet de la levée du secret défense, envoyés aux Archives Nationales en 1993, et rendus publics. Rapportés par The Nation (New York), 29 Novembre 1993, p.657.
36. Dangerous Dialogue : Attacks on Freedom of Expression in Miami’s Cuban
Exile Community, p. 26, publié par America’s Watch et The Fund for Free
Expression, New York et Washington, Aout 1992.
37. Ibid., passim. Voir aussi : "Terrorism in Miami:Suppressing Free Speech",
CounterSpy magazine (Washington), Vol. 8, No. 3, Mars-Mai 1984, pp.
26-30 ; The Village Voice, op. cit. ; Covert Action Information
Bulletin (Washington), No. 6, Octobre 1979, pp. 8-9.
38. New York Times, 4 Janvier 1975, p. 8.
39. San Francisco Chronicle, 12 Janvier 1982, p. 14 ; Parade magazine
(Washington Post), 15 Mars 1981, p. 5.
40. The Village Voice, op. cit.
41. Jerome Levinson et Juan de Onis, The Alliance That Lost Its Way : A
Critical Report on the Alliance for Progress (A Twentieth Century Fund
Study, Chicago, 1970) p. 56.
42. Ibid.,p. 309 ; la liste des objectifs de l’Alliance peuvent être trouvés
pp. 352-5.
43. Ibid., pp. 226-7.
44. New York Times, 26 Décembre 1977, p.37. Voir aussi : Philip
Agee, Inside the Company : CIA Diary (New York, 1975) p. 380 (Editors
Press Service).
45. Tad Szulc, Fidel, A Critical Portrait (New York, 1986), pp.
480-1.
46. Richard Nixon, Six Crises (New York, 1962, édition de poche)
pp.416-17.
47. Victor Marchetti et John Marks, The CIA and the Cult of
Intelligence (New York, 1975), p. 289.
48. Marc Edelman, "The Other Super Power : The Soviet Union and Latin America
1917-1987", rapport du NACLA sur les Amériques (North American Congress on Latin
America, New York), Janvier-Février 1987, p.16 ; Szulc, voir index.
49. Szulc, pp. 427-8.
50. Miami Herald, 29 Avril 1996, p. 1, à partir de documents de
l’administration de Kennedy rendus publics en 1996.
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